Actualités : Le performance status en oncologie : genèse, usages et perspectives

Publié le 13 août 2025 à 14:49
Article paru dans la revue « AERIO / RIO » / Aerio- RIO N°9

Dates clés

1948 : Création du score de Karnofsky.
1960 : Développement du score ECOG (ou Zubrod).
2011 : Validation du score G8.

Introduction : Pourquoi évaluer la performance d'un patient ?

L'évaluation de l'état général d'un patient est une étape fondamentale dans toute démarche diagnostique et thérapeutique, en particulier en oncologie, où elle oriente directement les décisions cliniques. Face à la complexité des pathologies cancéreuses et à l'hétérogénéité des patients, les médecins ont rapidement ressenti le besoin d'un outil simple, reproductible et universel pour évaluer, de manière standardisée, la condition globale du patient.

C'est dans ce contexte qu'ont été développés les scores de Performance Status (PS), tels que l'échelle de Karnofsky (1948) et celle de l'ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group). Ces échelles visent à quantifier de façon objective le degré d'autonomie du patient, en se basant sur sa capacité à réaliser les activités de la vie quotidienne.

L'un des principaux atouts de ces scores réside dans leur universalité : qu'il exerce à Paris, Alger, Tokyo ou Buenos Aires, un médecin disposera du même référentiel pour décrire l'état général de son patient. Cette harmonisation du langage médical permet non seulement une meilleure communication entre professionnels de santé, mais aussi une prise en charge uniforme et claire.

Sa simplicité, son coût nul, et sa diffusion mondiale en font un outil de référence.

Derrière cette standardisation se cache toutefois une histoire riche et méconnue, née au cœur des premiers essais de chimio- thérapie dans les années 1940, et qui reflète une évolution profonde de la médecine : celle du passage d'une vision purement biomédicale de la maladie à une approche plus globale, centrée sur la personne malade.

Le Score de Karnofsky : Un Pilier de l'Évaluation Oncologique

Le score de Karnofsky, créé en 1948 par David A. Karnofsky et ses collègues à la Sloan-Kettering Memorial Cancer Center à New York, a été l'une des premières tentatives de quantification de l'état général des patients atteints de cancer. Ce score permet aux médecins de mesurer l'impact de la maladie sur la capacité fonctionnelle des patients, en évaluant leur autonomie dans les activités quotidiennes. Le score va de 0 à 100, où 100 représente un patient en pleine santé et 0, un patient décédé.

Cet outil est particulièrement utile en oncologie car il aide à déterminer le niveau de tolérance d'un patient à divers traitements, en particulier la chimiothérapie, et à guider les décisions thérapeutiques. En simplifiant l'évaluation de l'état fonctionnel des patients, il permet une communication claire et standardisée entre les professionnels de santé, facilitant ainsi la gestion clinique des patients.

Le score de Karnofsky s'est rapidement imposé comme une norme mondiale, utilisé dans les hôpitaux et les recherches cliniques à travers le monde. Il reste aujourd'hui un instrument essentiel dans le suivi des patients atteints de cancer.

Score ECOG, Zubrod ou OMS : Une Échelle Fonctionnelle Universelle et Indispensable en Oncologie

Le score ECOG, également connu sous le nom de score de Zubrod ou échelle de l'OMS, a été initialement développé dans les années 1960 par le Dr Charles G. Zubrod et ses collègues au sein du Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG). Cette échelle a été conçue pour évaluer de manière standardisée l'état fonctionnel des patients atteints de cancer, en simplifiant le score de Karnofsky pour le rendre plus accessible en pratique clinique. Elle repose sur une échelle allant de 0 (patient totalement actif) à 5 (décès), chaque niveau intermédiaire traduisant une perte progressive d'autonomie.

En 1982, les critères de toxicité et de réponse de l'ECOG, incluant le score de performance, ont été publiés dans l'American Journal of Clinical Oncology, contribuant à leur diffusion et à leur standardisation dans le domaine de l'oncologie. Sa simplicité d'utilisation, sa rapidité d'application et son caractère intuitif ont largement favorisé son adoption à l'échelle mondiale.

Le score ECOG est devenu un outil incontournable pour estimer l'état général du patient, orienter les choix thérapeutiques et ajuster les soins de support.

Aujourd'hui, il constitue un véritable langage commun entre les professionnels de santé, garantissant une coordination efficace des prises en charge et une compréhension partagée de la situation clinique du patient.

Performance Status Karnofsky / ECOG : Un Outil Précieux, Mais Parfois Trompeur

Malgré leur utilité clinique, les scores de Karnofsky et d'ECOG présentent certaines limites. Leur principale limitation réside dans l'interprétation parfois réductrice de la dépendance fonctionnelle. Par exemple, un patient âgé, amputé ou en fauteuil roulant pour des raisons non oncologiques peut être évalué comme ayant un mauvais état général, alors même que sa maladie tumorale est stable et qu'il pourrait bénéficier d'un traitement actif.

Ces scores ne distinguent pas toujours la perte d'autonomie liée à la pathologie tumorale de celle induite par d'autres facteurs (comorbidités, handicaps préexistants), ce qui peut conduire à une sous-estimation de la réelle capacité du patient à tolérer un traitement.

Ainsi, bien qu'essentiels, ces outils doivent être utilisés avec discernement et dans le cadre d'une évaluation globale, adaptée au contexte individuel.

Vers une Évaluation Plus Fine

Les limites des scores Karnofsky etECOGontouvertlavoieàdes outils plus adaptés à certains profils, notamment les patients âgés. Le score G8, spécifiquement conçu pour repérer les fragilités gériatriques, est désormais recommandé en oncogériatrie pour mieux guider les choix thérapeutiques. Le « G » fait référence à gériatrie et le « 8 » aux 8 items inclus dans l'outil. Ce score a été validé dans le cadre de l'essai ONCODAGE, un projet promu par l'Institut National du Cancer, en 2011, pour identifier rapidement les patients âgés nécessitant une évaluation gériatrique complète avant un traitement oncologique.

Parallèlement, les technologies connectées – comme les smartwatches, capteurs de mouvement ou applications mobiles – permettent un suivi continu de l'activité et de l'état fonctionnel. Associées à l'intelligence artificielle, elles pourraient offrir à l'avenir des évaluations plus objectives, personnalisées et réactives, transformant ainsi la prise en charge des patients dans un avenir proche.

Conclusion

Le Performance Status, à travers des scores comme le Karnofsky et l'ECOG, reste un outil indispensable pour l'évaluation fonctionnelle des patients en oncologie. Malgré ses limites, notamment en ce qui concerne les patients âgés ou ceux ayant des pathologies chroniques, ces scores permettent d'uniformiser la prise en charge et d'orienter les choix thérapeutiques de manière claire et cohérente.

Cependant, les avancées en oncogériatrie et les technologies connectées offrent des perspectives nouvelles.

Le score G8 représente déjà une amélioration notable, en particulier pour la gestion des patients âgés. De plus, l'intégration de la télémédecine, des smartwatches et de l'intelligence artificielle pourrait, à terme, rendre les évaluations de l'état fonctionnel plus dynamiques, précises et adaptées aux besoins individuels des patients.

Le Performance Status reste un pilier central de l'oncologie, mais les évolutions futures nous promettent des outils encore plus personnalisés, réactifs et adaptés à la diversité des profils de patients.

Références

• Karnofsky DA, Burchenal JH, «The Clinical Evaluation of Chemotherapeutic Agents in Cancer» In: MacLeod CM (Ed), Evaluation of Chemotherapeutic Agents. Columbia University Press, 1949, page 196.
• Oken MM, Creech RH, Tormey DC, Horton J, Carbone PP et al., «Toxicity and response criteria of the Eastern Cooperative Oncology Group», Am J Clin Oncol, vol. 5, no 6, 1982, p. 649-55.
• Soubeyran P et al. Validation of the screening tool in geriatric oncology : the ONCODAGE project. J Clin Oncol 2011, 29 (suppl, abstr 9001).

Par Ismahène HARAOUBIA
Interne en oncologie médicale

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