Actualités : Le lymphome cérébral primitif

Publié le 07 avr. 2025 à 18:30
Article paru dans la revue « AIH-Revue Sang » / AIH N°3

Le lymphome cérébral primitif, également appelé lymphome primitif du système nerveux central, est une maladie rare nécessitant une prise en charge collaborative entre hématologues et neurologues.

Dans le but d'optimiser la gestion de ces patients et de soutenir la recherche, le réseau expert LOC (Lymphomes Oculo-Cérébraux) a été fondé en 2011. Ce réseau comprend un centre expert national en Île-de-France ainsi qu'une vingtaine de centres experts régionaux à travers le pays. Une RCP nationale est organisée de façon bimensuelle, un mardi sur deux. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'interviewer le Dr Renata URSU, neuro-oncologue à l'hôpital Saint-Louis de Paris et membre active du réseau LOC.

Lucie Laemmel.- Quelle est l'épidémiologie du lymphome cérébral primitif (LCP) et quels sont les symptômes cliniques devant faire évoquer le diagnostic ?

Dr Renata URSU.- Les LCP sont des formes rares de lymphomes non hodgkiniens (LNH), représentant 2 à 4 % des LNH et 10 à 15 % des lymphomes extranodaux. C'est une pathologie touchant principalement les sujets âgés, l'âge médian au diagnostic étant de 60 ans. Le seul facteur de risque formellement identifié est l'immunodépression, notamment chez les patients transplantés d'organe EBV séronégatifs. À note que l'incidence augmente également chez les immunocompétents.

Les populations d'Asie du Pacifique semblent également plus à risque.

Cette néoplasie est confinée au cerveau, aux yeux, aux nerfs crâniens, aux leptoméninges et à la moelle épinière. Les symptômes principaux sont neurologiques et variables selon la localisation. Le symptôme le plus fréquemment retrouvé sont les céphalées persistantes et différentes des céphalées habituelles.

S'en suivent les troubles cognitifs et de la mémoire, comportementaux, de langage, visuels. Un déficit moteur et/ou sensitif peut également être observé, selon l'atteinte. Les crises épileptiques sont fréquentes, notamment les crises partielles. En cas d'apparition de tout symptôme neurologique, une imagerie cérébrale s'impose.

L. L.- Quelles sont les principales différences biologiques entre le lymphome B diffus à grandes cellules et le lymphome cérébral primitif ?

Dr R. U.- Il faut noter que l'analyse du liquide céphalo-rachidien et des cellules tumorales est moins aisée que sur une biopsie ganglionnaire.

L'immunophénotypage des deux maladies est le même. L'IL10 reste un marqueur incontournable, avec une sensibilité de 100 %, dont l'interprétation peut parfois être délicate.

La mutation L265P MYD88 est également très sensible, présente dans 80 % des cas de LCP.

Il existe une différence chez le patient immunodéprimé : en cas de LCP EBV induit, on retrouve une surexpression de TNFalpha, CD68, PDL1 et TIM3 et absence de mutation MYD 88.

L. L.- Selon les recommandations du LOC, le traitement de première ligne du sujet fit repose sur une polychimiothérapie à base d'Aracytine et de Méthotrexate haute dose. Les taux de réponses globale rapportés sont de 50 % avec une survie sans progression (SSP) de 10,5 mois. Existe-t-il des essais publiés ou en cours challengeant ces résultats ?

Plusieurs essais récents ont cherché à améliorer les résultats du traitement standard. L'essai MATRIX (IELSG-32) a confirmé l'intérêt de l'ajout du Rituximab à la polychimiothérapie standard. Ce protocole incluait 4 cycles de Méthotrexate haute dose, Cytarabine, Thiotepa et Rituximab, suivis d'une consolidation par autogreffe ou irradiation.

Avec le Rituximab, les taux de réponse atteignaient 74 % versus 53 % sans Rituximab.

L'autogreffe de consolidation (ASCT) a également été évaluée et semble apporter un bénéfice notable, notamment lorsqu'elle est associée à des protocoles de conditionnement incluant le Thiotepa. L'essai PRECIS a ainsi montré que l'association Méthotrexate, Aracytine et autogreffe permettait d'atteindre un taux de réponse de 81,6 %, une SSP à 2 ans de 86 % et une SG à 2 ans de 86 %.

L'essai MATRIX, quant à lui, rapportait des taux de réponse de 87 %, une SSP à 2 ans de 61 % et une SG à 2 ans de 69 %. La principale différence entre les deux essais repose sur l'ajout du Thiotepa dans MATRIX, qui améliore l'efficacité mais au prix d'une toxicité accrue.

Toutefois, l'ASCT reste réservée aux patients de moins de 65 ans (70 ans selon les centres), du fait de sa toxicité et de la nécessité d'une fonction organique optimale.

Plusieurs essais en cours cherchent encore à optimiser la prise en charge. L'essai LOC R01 (phase II en cours) compare RMPV-A + Lénalidomide versus RMPV-A + Ibrutinib, suivis d'une autogreffe dans les deux bras. L'essai SCHOLAR explore quant à lui l'ajout d'un inhibiteur de checkpoint à la polychimiothérapie suivie d'une autogreffe.

L. L.- Les recommandations du LOC précisent qu'en cas de réponse complète ou partielle après chimiothérapie, la consolidation peut être réalisée par autogreffe ou radiothérapie. Dans quelles situations privilégier la radiothérapie par rapport à l'autogreffe ?

Dr R. U.- Historiquement, la radiothérapie encephale in toto a été utilisée pour améliorer la survie des patients. Cependant, les essais MATRIX et PRECIS ont démontré qu'elle ne conférait pas de bénéfice en termes de survie par rapport à l'autogreffe. De plus, ces études ont révélé une augmentation significative de la neurotoxicité, notamment chez les patients ayant reçu du méthotrexate, en raison de la synergie délétère entre ces deux traitements, ce qui peut mener à une leucoencéphalopathie tardive. La neurotoxicité retardée, incluant les troubles cognitifs, touche environ 25 à 35 % des patients, avec un taux de mortalité atteignant jusqu'à 30 %. Ce risque est particulièrement élevé chez les patients de plus de 60 ans.

Ainsi, la radiothérapie n'est plus privilégiée dans la prise en charge des patients. Elle reste néanmoins une option dans des situations spécifiques : en cas de rechute, comme consolidation chez des patients jeunes mais non éligibles à l'autogreffe, en présence de maladie résiduelle après chimiothérapie, ou encore comme traitement de transition avant une thérapie par cellules CAR-T.

Lorsqu'elle est utilisée, il est recommandé de privilégier une dose réduite (23,4 Gy) afin de limiter les effets toxiques, en particulier sur la fonction cognitive, et de la réserver aux patients de moins de 60 ans.

L.L.- À la rechute, comment se placent les molécules type Lénalidomide et Ibrutinib ?

Dr R. U.- À la rechute du LCP, les données montrent que ces molécules représentent des options thérapeutiques prometteuses, surtout chez des patients âgés ou unfit.

Il existe dans les essais en cours beaucoup d'associations avec ces molécules. L'Ibrutinib présente un intérêt particulier, étudié dans plusieurs essais notamment ceux du LOC. Il est notamment utilisé en traitement de bridge vers les CAR-T cells. Le Lenalidomide, un immunomodulateur, a son intérêt chez les patients en rechute, notamment associé aux CAR-T cells. Un essai en préparation évaluera un IMID (CA49-48) en monothérapie versus Ibrutinib seul, versus l'association CA49-48 + Ibrutinib, avec possibilité de cross-over, dans le traitement de deuxième ligne des LCP après échec du Méthotrexate.

L.L.- Quelle est la place des CAR-T cells dans le traitement des LCP ?

Dr R. U.- Les CAR-T cells prennent une place croissante dans le traitement des patients atteints de LCP en rechute ou réfractaires. Leur efficacité est bien démontrée dans les lymphomes systémiques, mais reste en cours d'évaluation dans les LCP.

La neurotoxicité a longtemps constitué un frein à l'inclusion des patients atteints de LCP dans les essais pivots.

Cependant, des données rétrospectives montrent des taux de réponse complète allant de 32 à 67 %. La neurotoxicité est présente avec des taux d'ICANS de 36 à 68 %, et d'ICANS sévère chez 29 % des patients. Toutefois, cette toxicité ne constitue pas un obstacle au développement des CAR-T cells dans cette indication.

Leur place devra être mieux définie, notamment dans les rechutes précoces après autogreffe.

Deux essais prospectifs sont en cours : - CAROLINE du Lysa, évaluant le Lisocel en première ligne de traitement du sujet non autogreffable.

• Un PHRC en préparation : CAR-T versus autogreffe en première rechute chez les non autogreffés.

L.L.- Existe-t-il des données sur les anticorps bispécifiques ?

Dr R. U.- La barrière hémato-encéphalique (BHE) limite le passage des molécules de plus de 40 kDa, ce qui inclut la plupart des anticorps bispécifiques. À ce jour, il n'existe pas de preuve formelle de leur passage à travers la BHE, et leur dosage plasmatique reste complexe.

Les données cliniques sont encore limitées, avec seulement quelques cas publiés. Un essai du LYSA, EREVRI, est actuellement en cours. Il évalue la combinaison Epcoritamab + Lénalidomide + Rituximab chez les patients atteints de LCP en rechute ou réfractaires, et permettra d'évaluer l'intérêt des anticorps bispécifiques dans cette indication.

 

Dr Renata URSU
Neuro-oncologue à l'hôpital Saint-Louis 

Interview réalisée par 
Lucie LAEMMEL 
Interne en hématologie clinique au CHU de Bordeaux

Publié le 1744043439000