Comment l’hôpital public tente de préserver son attrait ? La complexe alchimie du recrutement médical
Que représente pour vous le terme, peut-être un peu galvaudé, « d’attractivité médicale » pour les hôpitaux publics ?
Cela fait dix ans que ce refrain est repris par tous : organisations syndicales, établissements publics de santé (EPS), les médias et par la représentation nationale. Ce concept d’« attractivité médicale », terme un peu fourre-tout, correspond à des réalités très différentes. Pour certains EPS, il s’agit vraiment d’attirer des médecins, d’attirer des internes même. Dans d’autres on est plus dans une logique de délisser ces professionnels médicaux au regard du contexte et de la concurrence, notamment avec le secteur privé. Dans un CHU le sujet est plus de la fidélisation que de l’attractivité. Dans des centres hospitaliers plus isolés, leur sujet, avant de fidéliser, c’est déjà de faire venir des étudiants de 3e cycle pour pouvoir espérer construire des postes d’assistant spécialistes partagés (ASP) pour ensuite proposer des postes de PH.
Quel est le rôle des Directions des Affaires Médicales (DAM), des Présidences de CME (PCME), de l’université, voire même des responsables municipaux, départementaux, régionaux dans cette fidélisation, mais également attractivité sur les territoires ?
On peut rester sur le terme d’attractivité, parce que le terme englobe « attirer et fidéliser », ce sera plus simple. Il faut considérer que l’attractivité médicale c’est l’affaire de tous. Et c’est un enjeu essentiel pour les élus, en local ou en région, mais aussi pour les pouvoirs publics au national, car cela renvoie au sujet de l’aménagement du territoire. Comment un EPS peut attirer une jeune femme médecin s’il n’y a pas de possibilités d’embauche de son conjoint qui n’est pas dans le médical ou la santé, ou s’il y a des difficultés pour scolariser les enfants, ou si en termes de loisirs et d’opportunité de vie, les perspectives sont limitées ? C’est forcément un dé pour les EPS confrontés à ce problème d’aménagement du territoire.
On ne serait donc pas sur des « déserts médicaux », avec le côté un peu culpabilisant du terme pour la médecine, mais sur des « déserts sociaux » ?
Je ne sais pas si on peut dire « déserts sociaux », mais il y a vraiment un problème d’aménagement du territoire. Et l’aménagement du territoire, on n’en entend plus trop parler. C’est un terme qui mériterait d’être abordé quand on parle d’attractivité médicale. Les élus, que ce soit des régions, des conseils départementaux ou des municipalités, développent des initiatives, parfois en lien avec des EPS, pour promouvoir certains territoires notamment pour l’accueil des jeunes internes. J’ai en tête un certain nombre de plaquettes promotionnelles sur le bon vivre à tel ou tel endroit. Il y a aussi beaucoup de municipalités qui oeuvrent pour les maisons de Santé pluri-professionnelles (MSP). Pouvoir s’installer dans une MSP où il y a l’ensemble des professionnels paramédicaux (Kiné, infirmiers, etc.) mais aussi des sages-femmes, est un avantage pour motiver de jeunes médecins généralistes à s’installer. Des initiatives il y en a, il faudrait peut-être davantage les médiatiser. En plus des élus, l’université a un rôle très important, à la fois avec sa politique d’ouverture des stages de second cycle en dehors des CHU ou des seuls établissements des métropoles régionales et avec les coordonnateurs des diverses spécialités pour élargir l’offre de terrains de stage agréés pour les étudiants de 3e cycle. La politique institutionnelle sur le sujet est bien sûr portée par DAM et PCME, mais il ne faut surtout pas oublier le rôle majeur des chefs de service. Parce ce sont les chefs de service et les équipes médicales, qui donnent envie à des jeunes internes de rester ou de revenir dans un service ou dans un EPS. Ce sont eux qui doivent communiquer sur les projets, la dynamique de service et les opportunités de recrutement. L’ambiance de l’équipe et le sens au travail, ce sont les éléments fondamentaux en 2022. Il y a une nouvelle génération de médecins pour qui le collectif et l’environnement de travail est encore plus important que cela n’était il y a 10 ou 20 ans.
Quel impact réel ont vraiment eu toutes les différentes mesures comme la prime d’engagement dans la carrière hospitalière (PECH), la prime de solidarité territoriale (PST), ou les autres primes, sur la fidélisation, les compensations d’effectif et le recours à l’interim ?
La PECH est désormais considérée comme un dû pour les spécialités sous tension nationale. Lorsque les textes avaient été publiés en 2017, la philosophie était de pouvoir disposer de cette mesure pour les territoires les plus en difficulté en termes de démographie médicale.
Si aucun établissement ne peut se permettre de ne pas donner la prime aux anesthésistes ou aux imageurs, le concept de spécialité sous tension locale, a été néanmoins un petit peu dévoyé en fonction des politiques régionales des Agences Régionales de Santé, avec parfois des reconnaissances assez massives, et privant ainsi de l’avantage financier les territoires les plus défavorisés.
La PECH ne vaut que pour 3 ans et n’empêche pas les départs ensuite. Nous ne disposons pas encore de statistiques comparant les départs au bout de 3 ans, de ceux nommés avant 2017 et ceux après la PECH. L’impact ne semble pas majeur. Sur l’anesthésie-réanimation et l’imagerie où on a déployé très tôt cette PECH, cela n’a pas empêché les départs dans le privé, les dispo ou les démissions au bout des 3 ans. Est-ce que cela aurait été pire s’il n’y avait pas eu la PECH ? C’est difficile d’y répondre. Pour la PST c’est un peu tôt pour en faire une évaluation. Ce n’est qu’en n d’année 2022 qu’on pourra avoir peut-être un retour en Commissions Régionales Paritaires.
La PST suppose que la taille de l’équipe « aidante » soit suffisante pour remplir ses obligations de service et ses propres difficultés de planning ou d’imprévus, avant de pouvoir aller dépanner ailleurs. Et en plus cela ne fonctionne pas bien dans les spécialités les plus en difficulté, notamment pour l’été 2022, si on prend les urgences.
Sur cette PST quel retour en avez-vous dans l’utilisation que vous en faites dans le Sud ?
C’est compliqué effectivement, c’est un pseudo-intérim mais qui n’est pas compétitif financièrement avec le vrai intérim. Après cela reste très ponctuel, c’est sur le volontariat et ils font ça sur leurs vacances, car c’est du TTA (Temps de Travail Additionnel). Les ententes d’équipes territoriales à mon sens sont plus pertinentes. Mais ça nécessite une volonté collective très forte. La PST c’est juste un pseudo-intérim pour les hospitaliers, mais sur du TTA. Alors que les intérimaires ne font pas de TTA… ils travaillent beaucoup moins que les hospitaliers !
Il faut vraiment une taille d’équipe suffisante qui permette d’arriver à cette extériorisation. Et quand à la question du recours à l’intérim, nous sommes dans un entre deux. Dans un contexte de dumping concurrentiel inter établissements, si on propose le tarif réglementaire de 1170 euros brut (900 euros net les 24h), avec la montée des enchères estivales beaucoup d’établissements ne pourront maintenir ce tarif, certes réglementaire, mais non compétitif. Cela engendre, dans les établissements qui respectent le tarif réglementaire, à la fois une difficulté de recrutement des intérimaires et une incompréhension des équipes en difficulté de remplacement. Alors même qu’un intérimaire peut avoir 1,5 fois plus, 2 fois plus, voire au-delà dans des structures avec une activité moindre ou avec une intensité de charge de travail moindre. Pour un médecin, pour lequel les plannings sont déjà extrêmement compliqués à tenir, certes payé avec du TTA majoré pendant toute la période estivale, qui reçoit les tarifs d’intérim des autres établissements et voit que dans son établissement on est deux fois moins cher qu’ailleurs, il se dit que l’établissement ne joue pas le jeu pour faciliter l’allègement de sa charge de travail. Ça c’est un problème quotidien. Mais si tout le monde commence à y déroger, il n’y a plus de règles. On sent bien que tout le monde est en concurrence. Chaque établissement a tendance à fonctionner avec ses intérimaires privilégiés et avoir son réseau d’intérimaires.
Le responsable d’UF d’un des sites des urgences, m’a fait passer la photo des sollicitations des agences d’intérim. Ça c’est assez agaçant, pourquoi nos agences d’intérim peuvent solliciter des urgentistes publics ?
Est-ce qu’on ne fidélise qu’avec de l’argent ou est-ce qu’on fidélise avec des conditions de travail ?
Je pense qu’on ne fidélise évidemment pas qu’avec de l’argent. Et on en revient sur le sujet précédent de l’accompagnement, de l’accueil, de l’ambiance, du projet et de la dynamique d’équipe.
On peut fidéliser des intérimaires, voire même on peut amener des intérimaires à l’exercice public. Mais cela reste à la marge. Et il faut vraiment que l’ambiance soit bonne pour les décider, car c’est une tout autre façon de vivre que d’être intérimaire.
C’est là aussi que le nouveau texte de contractuel peut nous aider. Car pour ceux qui on fait ça pendant quelques années ou qui ont eu une ancienneté suffisante, on peut leur proposer des rémunérations qui sont supérieures à ce qu’on pouvait proposer précédemment.
Sur les autres primes, comme la prime d’exercice territorial (PET), auriez-vous des retours ou des commentaires ?
La revalorisation de la prime multi-site lors de sa transformation en PET, a donné un coup d’accélérateur aux postes d’assistants spécialistes partagés. La rémunération a été bien plus conséquente.
Avec la revalorisation de l’IESPE (Indemnité d’Engagement de Service Public Exclusif), inclue dans la rémunération des assistants spécialistes, c’est encore plus vrai, puisqu’on arrive à une rémunération de 3 700 euros nets pour un temps partagé à 50 %. Cet intérêt financier, pourrait être pondéré par la modification réglementaire concernant le titre d’ancien assistant spécialiste qui intègre l’année de Docteur junior. Car le choix serait alors de préférer rester une année dans un seul établissement que de faire l’effort d’être sur plusieurs sites. Dans un certain nombre de subdivisions il y a eu moins de demandes d’ASP cette année, baisse aussi expliquée par la deuxième année de Docteur Junior des spécialités chirurgicales. Donc pour la PET, cela dépend des territoires, de la distance entre les sites, de la dynamique et de la volonté de coopérer entre les différents établissements.
Quelles sont vos réflexions sur les démographies médicales, la pyramide des âges, l’évolution générationnelle, les PADHUE, la pénibilité et les contraintes de la PDS (Permanence Des Soins), voire des spécialités en tension ?
Dans cette inventaire de Prévert, deux éléments me semblent primordiaux. En premier, la question des évolutions générationnelles où il apparait clairement que les nouvelles générations envisagent un exercice moins « sacerdotal » de la médecine. Cela bouscule très clairement les chefs de service, voire les générations précédentes. C’est une évolution à intégrer par les chefs de service et par les EPS dans leur ensemble, car c’est un enjeu majeur pour réussir à intégrer cette nouvelle génération dans le milieu hospitalier qui n’avait pas l’habitude, côté médical, de ces revendications de meilleure conciliation de vie pro et vie perso.
Le deuxième élément, qui en fait corrobore le premier : la PDS, qui est « le désavantage comparatif » de l’hôpital public et nécessite un traitement national. Cette contrainte de PDS est la pénibilité essentielle pour les PH, et elle peut être la cause de leur départ de l’hôpital pour un autre type d’exercice. Typiquement, lorsqu’on a 35/40 ans, deux enfants en bas âge et la volonté de ne plus faire autant de nuits ou en tous cas la difficulté de gestion de celles-ci. C’est pour ça que je parle de « désavantage comparatif ». La revalorisation de cette PDS, c’était un sujet qui aurait pu être dans le SÉGUR. C’est forcément un sujet qui reviendra. Mais je ne pense pas que la revalorisation sera suffisante à compenser la pénibilité.
Est-ce que vous pensez que la concurrence entre établissements est saine ou délétère ?
On l’a déjà un petit peu évoqué. Ces questions de concurrence, c’est un peu comme la question de l’attractivité médicale, elle prend différentes réalités en fonction des territoires. Si c’est une concurrence entre EPS au sein d’un même GHT, oui elle est particulièrement délétère. D’où l’intérêt de la mise en place de la CMG (Commission Médicale de Groupement) avec un travail sur des orientations stratégiques communes. Si c’est plus une situation de concurrence public/ privé, parfois il y a des « pactes » de non-agression qui s’organisent entre ces établissements, en tous cas pour qu’il n’y ait pas de débauchage actif. Ça fonctionne plus ou moins. Entre établissements publics de santé j’ai envie de dire qu’il faut permettre les mobilités lorsqu’il y a des sujets de mobilité souhaitée par les praticiens. Il ne faut pas être dans une dynamique de débauchage. On arrive parfois entre EPS à ce que ce soit l’occasion de créer un poste partagé.
Pour conclure sur le CHU de Strasbourg et sur votre GHT, est-ce que vous avez eu des innovations ou des réussites en termes d’attractivité médicale que vous pourriez partager ?
Dès 2018 nous avons mis en place sur le CHU de Strasbourg une dynamique pour construire un véritable projet d’attractivité. Nous avons créé un espace de discussion et de dialogue avec des membres de la communauté médicale qu’ils ou elles soient hommes, femmes, représentants des différents pôles, allant de l’étudiant hospitalier jusqu’au PUPH, avec ou sans responsabilités managériales, membres de la CME ou pas.
Cette contrainte de PDS est la pénibilité essentielle pour PH, et elle peut être la cause de leur départ de l’hôpital pour un autre type d’exercice.
Cela a permis à partir d’une page blanche, la construction d’un véritable projet d’attractivité conçu par les médecins et pour les médecins. Il a été intégré au projet d’établissement. Ce groupe de travail, qui a survécu à la période COVID, a progressivement intégré de nouveaux sujets, comme l’égalité professionnelle femme/homme. Il contribue à tous les sujets institutionnels médicaux, comme par exemple les modalités de déclinaison de l’entretien professionnel annuel, l’amélioration de la communication entre professionnels médicaux ou la gestion des conflits. Donc en fait c’est un espace de dialogue, parfois percutant, toujours stimulant, qui est au service de la communauté médicale et qui répond au sujets locaux.
C’est de l’intelligence collective. On a beau faire des injonctions, il faut faire comme ci, il faut faire comme ça… il faut surtout faire ensemble.
Il faut faire ensemble et pour ce qui parait le plus pertinent pour les premiers concernés. Ce qui est très amusant, maintenant avec le recul, c’est qu’en 2018 d’of ce on avait enlevé les questions de rémunération, en disant que de toutes façons c’étaient des sujets nationaux. On n’aurait pas imaginé en 2018, qu’il y aurait les revalorisations qu’il y a eu ensuite.
Comme quoi, la vraie valeur n’est pas l’argent, c’est le sens donné et le sens il ne peut être donné que par les acteurs. Il peut être apprécié par le public, mais il est donné par les acteurs.
Tout à fait.
Avez-vous un message de conclusion ?
Mon message de conclusion c’est plus sur la dynamique que je viens d’évoquer. Je crois aussi beaucoup à la communication directe, même si parfois c’est complexe avec 1360 médecins seniors sur le CHU de Strasbourg. Mais il m’apparaît nécessaire de venir à la rencontre des professionnels médicaux dans les pôles ou par des regroupements de pôle pour avoir un temps d'échange avec les praticiens pour présenter toutes les nouveautés statutaires, rendre lisible des textes qui ne le sont pas toujours et c’est aussi l’occasion d’aborder d’autres sujets de préoccupation. C’est en lien avec la dynamique qu’on a eu avec la commission d’attractivité au sein de laquelle les différents sujets de préoccupation sont plus facilement remontés.
Un grand merci à Armelle DREXLER pour cette longue (il s’agit là d’extraits très concentrés) et très riche « communication directe » réaliséeau cours de l’été 2022..
Interview de
Armelle DREXLER
Directrice des affaires médicales
CHU Strasbourg
Par Dr Eric OZIOL
Président de CME du CH de Béziers
Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°25