Cas Clinique - Un covid atypique cachant une pneumopathie interstitielle commune

Publié le 30 Aug 2024 à 10:29
Article paru dans la revue « AJG / La Gazette du jeune gériatre » / AJG N°36


Ce cas clinique d'une patiente prise en charge en Court Séjour Gériatrique permet de faire le point sur les pneumopathies interstitielles du sujet âgé et ses complications. 

Mme Yvette LEVENT (son nom a été changé pour l'occasion) est hospitalisée en court séjour gériatrique suite à son passage aux urgences pour détresse respiratoire aiguë et infection à SARS-COV2.

Il s'agit d'une patiente de 89 ans, 60 kg 1m65. On note dans ses antécédents :

• ETT normale lors d'un bilan cardiologique il y a 1 an ;
• HTA ;
• Notion d'emphysème et chutes à répétition.

Ses traitements comportent  : Amlor, Furosémide, Laroxyl, Lorazepam, Pantoprazole et Milnacipran. Concernant son mode de vie :

• Mariée, vit dans une maison. Ancienne institutrice ;
• ADL 4,5/6 à l'entrée : marche avec déambulateur, aide toilette et habillage.

IADL 2/4 :

Besoin d'aide pour les médicaments et l'administratif ;

• Aide à la douche 1 fois par semaine ;
• Portage des repas ; 
• Passage IDE pour les médicaments.

Début des symptômes il y a 8 jours : toux, crachats maronnâtres. Elle est adressée par son IDE aux urgences qui la trouve pâle, en sueurs, dyspnéique.

Aux urgences :

• Constantes : SpO2 95 % sous 3l, 88 % AA, pas de fièvre ;
• Clinique : Crépitants bilatéraux à mi champs, OMI genoux ;
• ECG : Rythme régulier sans trouble de conduction, ondes T aplaties ;
• Biologie : ECBC infaisable, CRP 30 mg/L et NFS normale, BNP négatifs, ionogramme et créatinine normaux mais PCR COVID positive. 

À la radiographie thoracique, on a cette image (figure 1) :

Figure 1 : Radiographie d'entrée de la patiente

Devant le tableau et la radiographie du thorax pathologique, il est difficile de ne pas traiter une surinfection bactérienne associée malgré l'absence de fièvre, d'hyperleucocytose et une CRP plutôt faible. Une antibiothérapie par Augmentin® est débutée et le choix est pris de traiter son infection COVID oxygénorequérant avec une corticohérapie type Dexaméthasone®. Enfin, le pneumologue d'avis conseille de faire une imagerie de thorax de contrôle après la résolution du problème aigu. 

Arrêtons-nous là déjà pour signaler que la présentation d'un COVID peut être totalement atypique, d'autant plus chez nos sujets âgés. 

Dans l'étude de cohorte du « ISARIC Clinical Characterisation Group », il est montré que la proportion de fièvre diminue avec l'âge (60 % des plus de 80 ans) mais qu'il y a une augmentation nette de l'incidence de syndrome confusionnel (30 %) ou de l'« altération de l'état général » (40 %)1 . 

Par ailleurs, pour rappel, l'étude RECOVERY initiale sur l'utilisation de la Dexaméthasone® dans le COVID oxygéno-requérant ne montrait pas de bénéfice de la corticothérapie dans le sous-groupe des patients âgés de plus de 70 ans2. 

Depuis, toutes les études prospectives testant la dexaméthasone ont été arrêtées. On ne connaît donc pas vraiment l'efficacité chez nos patients âgés, d'autant plus avec le variant Omicron. 

Revenons-en à notre patiente : elle s'améliore lentement et récupère progressivement son état respiratoire de base. Néanmoins, l'hospitalisation et le COVID induisent une immobilisation prolongée avec une tristesse de l'humeur, une désadaptation à la marche et une dénutrition sévère. 

La prise en charge de la dénutrition protéino-énergétique lors d'une infection pulmonaire COVID est importante. 

Voici ce que recommandait dès 2021 la société européenne de nutrition3 :

• Évaluation diététique rapide avec conseils diététiques par des professionnels.

• Supplémentation avec notamment vitamines D et A.

• Activité physique d'intensité modérée régulière.

• Nutrition entérale à privilégier si apports oraux insuffisants. 

Elle rappelle que la nutrition entérale est toujours à privilégier par rapport à la nutrition parentérale si le tube digestif est fonctionnel, en rappelant les données de cette étude sur 253 patients de 85 ans d'âge moyen montrant une survie de 40 % supérieure significative4.

Une nutrition entérale est donc posée à Mme LEVENT, moyennement tolérée. 

Par ailleurs, une demande de SMR est faite pour poursuivre la rééducation, devant une perte d'autonomie avec la perte de 2 points d'ADL.

Entre temps, on refait le point sur sa pathologie pulmonaire. La patiente décrit en fait une altération de l'état général depuis 1 an avec une perte de 10 kg et une anorexie associée à une dyspnée progressivement croissante. 

Le contrôle d'imagerie dans le service, à 1 semaine du sevrage en oxygène retrouve les éléments suivants (figure 2) :

Figure 2 : 2 coupes de scanner thoracique à distance de l'épisode aigu

 

Le radiologue conclut  : «  Condensations alvéolaires bilatérales à prédominance gauche d'allure infectieuse, touchant plus de 50 % du parenchyme pulmonaire, dans un contexte de probable fibrose pulmonaire de type pneumopathie interstitielle commune (PIC) avec rayon de miel sous-pleural et bronchectasies de traction ».

Un scanner thoracique réalisé 4 mois auparavant par son médecin traitant retrouvait les mêmes lésions de PIC avec rayon de miel sous-pleural diffuses (figure 3).

Figure 3 : Lésions de pneumopathie interstitielle commune classiques

 

Après discussion avec la pneumologue d'avis, il est décidé de l'absence d'investigation complémentaire au vu de la perte d'autonomie et de la dénutrition sévère répondant mal à la renutrition.

Causes et explorations d'une PIC
La pneumopathie interstitielle commune (PIC) est une lésion radiologique. Elle appartient au groupe des pneumopathies interstitielles diffuses. Elle inclut des signes de fibrose, soit une prédominance sous-pleurale et basale des lésions avec un gradient apico-basal, un aspect en rayon de miel, avec éventuellement des bronchectasies ou des bronchiolectasies de traction, et pas de signes en faveur d'un autre diagnostic. 

Comme devant toute PID chronique, on retrouve 4 grandes causes : connectivite, exposition, forme familiale ou idiopathique. Le bilan de première intention comprend donc :

• La recherche d'une connectivite associée avec examen clinique et bilan auto-immun (AAN, FR, CCP, myosite, ANCA).

• La recherche d'une exposition  : médicaments (pneumotox), domestique (PHS), professionnel (pneumoconiose).

• La recherche d'une histoire familiale.

En l'absence d'éléments pour une cause secondaire, une forme idiopathique ou FPI est la plus probable. 

Mais il ne faut pas conclure trop vite à une fibrose pulmonaire idiopathique. En effet, d'après Patterson et al. (figure 4), le diagnostic de FPI est certes le plus fréquent chez les personnes âgées mais il y a également un taux de PID inclassables augmenté5. 

Comme discuté dans cette gazette par ma collègue pneumologue, une cohorte sur le CHU de Nantes a montré que le LBA avec la cryobiopsie était globalement aussi bien toléré chez les patients de plus de 75 ans6. 

Figure 4 : d'après Patterson et al., Chest 2017 : Incidence de PIDs en fonction de l'âge

 

En conclusion, il faut parfois savoir confirmer la FPI pour proposer des antifibrosants, d'autant plus que la cryobiospie pulmonaire transthoracique a évolué ces dernières années, jusqu'à être proposée en première intention dans les dernières recommandations européennes.

En effet, l'impact positif des antifibrosants a été confirmé dans les sous-groupes de patients âgés > 75 ans (figure 5)7. Par ailleurs, dans une autre étude, le nombre d'effets indésirables (diarrhées) était plus fréquent mais le taux d'arrêt de ce médicament ne différait pas chez les patients âgés. En analyse multivariée, seul un IMC faible était prédicteur d'effets indésirables8.

Figure 5 : d'après Noble et al. European Respiratory Journal, 2016 : Effet de la pirfenidone (anti-fibrosant) par sous-groupe

 

Pour l'Association des Jeunes Gériatres
Dr Jérémie HUET1 , Dr Charlotte MENIGOZ2
1 Médecine Aiguë Gériatrique, CHU Nantes
2 Service de Pneumologie, CHU Nantes

Références

1. ISARIC Clinical Characterisation Group, Abdukahil SA, Abe R, et al. COVID-19 symptoms at hospital admission vary with age and sex: results from the ISARIC prospective multinational observational study. Infection. 2021;49(5):889- 905. doi:10.1007/s15010-021-01599-5.

2. RECOVERY Collaborative Group, Horby P, Lim WS, et al. Dexamethasone in Hospitalized Patients with Covid-19. N Engl J Med. 2021;384(8):693-704. doi:10.1056/NEJMoa2021436.

3. Barazzoni R, Bischoff SC, Breda J, et al. ESPEN expert statements and practical guidance for nutritional management of individuals with SARS-CoV-2 infection. Clin Nutr. 2020;39(6):1631-1638. doi:10.1016/j.clnu.2020.03.022.

4. Masaki S, Kawamoto T. Comparison of long-term outcomes between enteral nutrition via gastrostomy and total parenteral nutrition in older persons with dysphagia: A propensity-matched cohort study. PLOS ONE. 2019;14(10):e0217120. doi:10.1371/journal.pone.0217120.

5. Patterson KC, Shah RJ, Porteous MK, et al. Interstitial Lung Disease in the Elderly. Chest. 2017;151(4):838-844. doi:10.1016/j.chest.2016.11.003.

6. Menigoz C, Dirou S, Sagan C, et al. [Transbronchial lung cryobiopsy in interstitial lung diseases]. Rev Mal Respir. 2023;40(6):469-478. doi:10.1016/j.rmr.2023.04.003.

7. Noble PW, Albera C, Bradford WZ, et al. Pirfenidone for idiopathic pulmonary fibrosis: analysis of pooled data from three multinational phase 3 trials. European Respiratory Journal. 2016;47(1):243-253. doi:10.1183/13993003.00026-2015.

8. Komatsu M, Yamamoto H, Ichiyama T, et al. Tolerability of nintedanib in the elderly with idiopathic pulmonary fibrosis: A single-center retrospective study. PLOS ONE. 2022;17(2):e0262795. doi:10.1371/journal.pone.0262795.

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Publié le 1725006553000