Actualités : Vers les contrées obscures des nut et des corticosurrénalomes

Publié le 10 mai 2022 à 22:09

Corticosurrénalome : Éléments de prise en charge

Epidémiologie
• Le corticosurrénalome est une maladie rare, avec une incidence difficilement évaluable mais d’environ 0.7-2 cas/million d’habitants.
• Le sex ratio montre une légère prédominance féminine (55 % femmes), et l’âge médian est d’environ 45 ans.

• Majorité sporadique mais présent dans certains syndromes (5 % environ)1 :
- Néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (mutation dans gène de la ménine) : atteinte associée des parathyroïdes, du pancréas, de l’hypophyse.
- Syndrome de Li-Fraumeni (mutation TP53) : sarcomes, seins, tumeurs du système nerveux central, leucémies…
- Syndrome de Lynch (perte de MLH1, MSH2, MSH6 ou PMS2) : cancers colorectaux, endométriaux…
- Polypose adénomateuse familiale (mutation du gène APC) : cancers colorectaux, duodénaux…

Diagnostic
> Mode de découverte :
• Syndrome de Cushing (60 %) : Obésité facio-tronculaire, Amyotrophie des bras et membres inférieurs, Vergetures pourpres, Ostéoporose.
• Douleurs abdominales (30 %).
• Découverte fortuite sur imagerie (10 %).

> Métastases au diagnostic dans 20-40 % des cas
• Principalement hépatiques, pulmonaires, osseuses.

> Anatomopathologie
DOUBLE LECTURE OBLIGATOIRE. Diagnostic de malignité si score de Weiss (basé sur architecture, noyaux et invasivité) ≥3/92. Nécessité de rendre un Ki-67.

> Bilan systématique devant toute masse surrénalienne
Biologie :
- Bilan général + éliminer le phéochromocytome (métanéphrines urinaires…).
- Dosage du cortisol urinaire, pas de freinage à la dexamethasone.
- Hyperandrogénie : doser testostérone, SDHEA, delta 4 androstenedione, 17-OH-Progestérone.

TDM TAP suspect si :
- >4cm, hétérogène.
- Densité hounsfield >10UH et wash out <50 %.

TEP TDM
Biologie moléculaire3
• Surexpression d’IGF2 (~90 %) : Il entraîne une activation d’IGF1-R, et voie PIK3CA et MAP kinases en aval. Surexprimé dans environ 90 % des cas, associé à un moins bon pronostic.
Altération de la voie WNT/ ß-caténine : Mutation activatrice de CTNNB1 (ß-caténine) dans 30 % des cas, de moins bon pronostic.

Autres drivers oncogéniques :
- Perte de TP53.
- ZNRF3 et TERT.

Survie et éléments pronostiques
Eléments pronostiques :
- MAJEURS4 :
• Stade ENS@T : selon TNM.
• Statut de résection (R0 vs. R1).
• Ki-67.

MINEURS :
• Âge jeune : meilleur pronostic.
• Corticosurrénalomes sécrétants (cortisol) : moins bon pronostic.

• Survie à 5 ans 5 :
• Stade I : 66-82 %.
• Stade IV : 0-17 %.

Prise en charge hormonale
Syndrome de Cushing :
• Maladie localisée : Chirurgie +/- Métopirone ou Kétoconazole (inhibiteurs de la stéroïdogénèse) si sévère.
• Maladie avancée : Mitotane +/- Métopirone ou Kétoconazole si sévère ou résistant6.

•  Molécules :
• Mitotane : inhibiteur de la sécrétion d’hormones stéroïdes surrénaliennes (inhibition de la 11-ß hydroxylase) + effet cytoly- tique par altération des fonctions mitochondriales des cellules corticosurrénales.
- Monitoring plasmatique rapproché (obj : 14-20mg/l), demi-vie longue.
- Risque d’insuffisance surrénalienne.
- Inducteur majeur du CYP3A4 !
• Kétoconazole  : inhibe le CYP450. Possède l’avantage de bloquer également la syn- thèse d’androgènes. Mais toxicité hépa-tique, surtout en association au Mitotane.
• Métopirone : inhibiteur de la 11-ß-hydroxy-lase.
• Hyperaldostéronisme : (rare et sévère) :
• Inhibiteur des récepteurs aux minéralocorti-coïdes (spironolactone…).
• Hyperandrogénisme :
• Kétoconazole.
• Inhibiteur du récepteur aux androgènes (bicaluta-mide…)

Prise en charge des maladies localisées
60-70 % de récurrences sans traitement complémentaire à la chirurgie.
Chirurgie: surrénalectomie par laparotomie
R0 indispensable avec chirurgien entraîné
• Curage : au moins 5 ganglions locorégionaux.
• Adjuvant  : Mitotane systématique pendant 2 ans au moins sauf si risque « modéré » (Stade I/II, R0, Ki67≤10%)7, où c’est discuté.
+/- Radiothérapie à discuter principalement si R1 ou stade III. Suivi scanner TEP / 3 mois à vie.

Principes de prise en charge de premiere ligne des corticosurrénalomes métastatiques ou en recidive
Chirurgie si R0 envisageable.
• Peu agressif : Mitotane en monothérapie (ORR 13-35%). Si récidive sous Mitotane adjuvant, bien penser à doser la Mitotanémie.
• Agressif : Mitotane + chimiothérapie (EDP : Etoposide-Doxorubicine-Cisplatine ou Etoposide-Cisplatineou Cisplatine8).
• ORR 23% et PFS 5.0 mois.
• Attention à l’hématotoxicité.
• Suivi tous les 2 cycles.

Lignes ultérieures
• Chimiothérapies, par exemple Gemcitabine-Oxaliplatine.
• Antiangiogéniques et autres inhibiteurs de tyrosine kinase : résultats peu encourageants à ce jour.
• Immunothérapies : résultats peu encourageants à ce jour, mais en cours d’exploration (protocole Spencer).

Référence

  1. Else T. Association of adrenocortical carcinoma with familial cancer susceptibility syndromes. Mol Cell Endocrinol. 2012;351(1):66-70. doi:10.1016/j.mce.2011.12.008.
  2. Weiss LM. Comparative histologic study of 43 metastasizing and nonmetastasizing adrenocortical tumors. Am J Surg Pathol. 1984;8(3):163-169. doi:10.1097/00000478-198403000-00001.
  3. Zheng S, Cherniack AD, Dewal N, et al. Comprehensive Pan-Genomic Characterization of Adrenocortical Carcinoma. Cancer Cell. 2016;29(5):723-736. doi:10.1016/j.ccell.2016.04.002.
  4. Assié G, Antoni G, Tissier F, et al. Prognostic parameters of metastatic adrenocortical carcinoma. J Clin Endocrinol Metab. 2007;92(1):148- 154. doi:10.1210/jc.2006-0706.
  5. Fassnacht M, Johanssen S, Quinkler M, et al. Limited prognostic value of the 2004 International Union Against Cancer staging classification for adrenocortical carcinoma: proposal for a Revised TNM Classification. Cancer. 2009;115(2):243-250. doi:10.1002/cncr.24030.
  6. Kamenický P, Droumaguet C, Salenave S, et al. Mitotane, metyrapone, and ketoconazole combination therapy as an alternative to rescue adrenalectomy for severe ACTH-dependent Cushing’s syndrome. J Clin Endocrinol Metab. 2011;96(9):2796-2804. doi:10.1210/jc.2011-0536.
  7. Terzolo M, Angeli A, Fassnacht M, et al. Adjuvant mitotane treatment for adrenocortical carcinoma. N Engl J Med. 2007;356(23):2372- 2380. doi:10.1056/NEJMoa063360.
  8. Fassnacht M, Terzolo M, Allolio B, et al. Combination chemotherapy in advanced adrenocortical carcinoma. N Engl J Med. 2012;366(23):2189-2197. doi:10.1056/NEJMoa1200966.

Matthieu Roulleaux Dugage
Interne en oncologie médicale – Trésorier de l’AERIO
Relu par Elise Mathy
Chef de Clinique Assistant, Institut Gustave Roussy (Villejuif)

Carcinomes NUT

Les carcinomes NUT (NUclear protein in Testis) sont des sous-types rares et agressifs de carcinomes. Ils ont des caractéristiques topographiques, histologiques et moléculaires particulières. Leur pronostic et les modalités de leur prise en charge diffèrent des autres tumeurs de même localisation : il s’agit donc d’un diagnostic à ne pas manquer, bien que cela ne soit pas toujours simple.

Epidémiologie
La prévalence exacte n’est pas connue. L’incidence est estimée à 0,21 %, mais cette estimation est basée sur des résultats préliminaires d’une étude méthodologiquement limitée. [Stevens]
Les données de la littérature reposent avant tout sur des séries de cas. Il existe un registre international (International NUT Midline Carcinoma Registry). Dans ce dernier, il est observé une augmentation des cas depuis 2012. [Chau]
Il touche surtout des jeunes adultes (16-22 ans). Le sexe ratio semble équilibré.
Il n’existe pas de facteur de risque identifié.

Diagnostic
Les carcinomes NUT ont des caractéristiques topographiques, histologiques et moléculaires particulières, ainsi qu’un profil d’agressivité et de réponse aux traitements différents.
Topographie : Ces carcinomes ont la particularité de se répartir le plus souvent sur la ligne médiane. Les premiers cas décrits concernaient des tumeurs médiastinales [Kees]. Depuis, des localisations dans différents sites sont décrites, les principales étant la tête et cou et le médiastin. Des localisations intra-abdominales, pulmonaires, osseuses ou des tissus mous sont également décrites. [French]
Histologie : Aspect de carcinome  peu ou indifférencié. Il existe certains aspects typiques mais non suffisants pour permettre seuls de poser le diagnostic. Le plus fréquemment : plages de cellules rondes/ovales, monomorphes, indifférenciées de petite à moyenne taille avec des mitoses fréquentes et de la nécrose.
Génétique : Le caryotype est le plus souvent non complexe, contrairement à la plupart des tumeurs de la tête et du cou. L’anomalie retrouvée est une translocation dans le gène NUTM1, classiquement une translocation t(15 ;19). Cette mutation serait driver, et représenterait un évènement chromosomique catastrophique suffisant pour entraîner la transformation tumorale. [Lee] Dans 70 % des cas, la translocation concerne le gène NUTM1 et le gène codant pour la famille de protéines BET (BRD4 en 19p13.1). Le gène de fusion obtenu code pour une protéine de fusion BRD4-NUT. Il existe également des translocations avec BRD3, NSD3, ZNF532 et ZNF592. D’autres translocations sont décrites mais leur signification n’est pas certaine. Il semble que des translocations impliquant NUTM1 puissent survenir dans d’autres types tumoraux (PNET, tumeur du système nerveux central, leucémies…)
Diagnostic positif : Le diagnostic est donc suspecté devant un carcinome peu différencié de la ligne médiane (tête et du cou ou médiastinal le plus souvent), agressif, souvent métastatique d’emblée, chez un sujet jeune.
La confirmation diagnostique se fait par immunohistochimie (Sensibilité 87 %, spécificité 100 %). La FISH, RT-PCR, cytogénétique ou NGS sont non nécessaires au diagnostic mais peuvent être utilisés pour identifier le partenaire de fusion de NUT.

Prise en charge actuelle
Il n’existe pas de traitement clairement validé, notamment du fait de la rareté de ces tumeurs, rendant difficile la réalisation d’études à grande échelle.
Le pronostic est très sombre.
La chirurgie, quand elle est possible, semble augmenter la survie globale et la survie sans progression.
Les carcinomes NUT sont résistants à la plupart des protocoles de chimiothérapie et aucun protocole n’a montré de supériorité franche par rapport à un autre.
Des cas de guérison sont rapportés avec le protocole multi- modal de traitement « sarcome like » Scandinavian Ewing SSG IX (chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie VAI-PAI-VAI 4 cycles). [Storck]

VAI Vincristine 1,5mg/m2 J1 Adriamycin 30mg/m2
J1-J2 Ifosfamide 1g/m2
J1-J5 PAI Cisplatine 90mg/m2
J1 Adriamycin 30mg/m2
J1 Ifosfamide 1g/m2
J1-J5

Perspectives
Les inhibiteurs de BET, qui agissent par inhibition compétitive des protéines BET sur les histones, sont les premières thérapies ciblées à avoir montré des résultats intéressants dans les carcinomes NUT. Plusieurs essais basket de phase I ont permis de montrer une certaine efficacité de ces inhibiteurs, avec des taux de réponse aux alentours de 20 à 30 %. [Lewin] Le profil de toxicité était imparfait avec près de 20 % de neutropénies de grade 3-4.
Plusieurs essais de phase ultérieure sont programmés.
Les inhibiteurs de HDAC (Histone dé-acetylase) ont montré des résultats in vitro, permettant la réalisation d’essais de phase I.
Leur utilisation repose sur le fait que la protéine de fusion NUTBRD4 aurait une action oncogénique en interagissant avec l’acétylation des histones, activant la transcription de gènes entraînant la transformation et la croissance tumorale, notamment MYC. Les résultats sont mitigés en monothérapie, et les essais se concentrent plutôt sur l’utilisation de la molécule en association (exemple du CUDC-097, inhibiteur d’HDAC et de PI3K, dont les résultats de l’essai de phase 1 sont en attente (NCT02307240)).
D’autres molécules comme les inhibiteurs de CDK9 sont à l’étude. La mise en évidence de l’interaction de BET avec JQ1, impliquée dans la régulation immunitaire, ou de la fréquence des mutations de RECQL5, gène impliqué dans la réparation de l’ADN, ouvrent la perspective vers d’autres voies à cibler, et donc d’autres traitements à développer. [Napolitano]

Enregistrement Phase Molécule testée Association Conditions NCT04116359 I/II Molibresib (inhibiteur
de BET) Association à l’Etoposide
+ Cisplatine Carcinome NUT métastatique ou
non résécable. NCT02516553 Ia BI 894999
(inhibiteur de BET) Monothérapie Carcinome NUT métastatique ou
non résécable. (d’autres types tumoraux
sont également inclus)

Référence

  • Stevens TM, Morlote D, Xiu J, Swensen J, Brandwein-Weber M, Miettinen MM, et al. NUTM1-rearranged neoplasia: a multi-institution experience yields novel fusion partners and expands the histologic spectrum. Mod Pathol. 2019;32(6):764‑73.
  • Chau NG, Hurwitz S, Mitchell CM, Aserlind A, Grunfeld N, Kaplan L, et al. Intensive treatment and survival outcomes in NUT midline carcinoma (NMC) of the head and neck (HN). Cancer. 1 déc 2016;122(23):3632‑40.
  • Kees UR, Mulcahy MT, Willoughby ML. Intrathoracic carcinoma in an 11-year-old girl showing a translocation t(15;19). Am J Pediatr Hematol Oncol. 1991;13(4):459‑64.
  • French CA. NUT Carcinoma: Clinicopathologic features, pathogenesis, and treatment. Pathol Int. nov 2018;68(11):583‑95.
  • Lee J-K, Louzada S, An Y, Kim SY, Kim S, Youk J, et al. Complex chromosomal rearrangements by single catastrophic pathogenesis in NUT midline carcinoma. Ann Oncol. avr 2017;28(4):890‑7.
  • Storck S, Kennedy AL, Marcus KJ, Teot L, Vaughn J, Gnekow AK, et al. Pediatric NUT-midline carcinoma: Therapeutic success employing a sarcoma based multimodal approach. Pediatr Hematol Oncol. mai 2017;34(4):231‑7.
  • Lewin J, Soria J-C, Stathis A, Delord J-P, Peters S, Awada A, et al. Phase Ib Trial With Birabresib, a Small-Molecule Inhibitor of Bromodomain and Extraterminal Proteins, in Patients With Selected Advanced Solid Tumors. JCO. 7 mai 2018;36(30):3007‑14.
  • Napolitano M, Venturelli M, Molinaro E, Toss A. NUT midline carcinoma of the head and neck: current perspectives. Onco Targets Ther.
    2019;12:3235‑44.

Par Matthieu Delaye

Article paru dans la revue “Association pour l'Enseignement et la Recherche des Internes en Oncologie” / AERIO n°01

Publié le 1652213391000