
Monsieur D. est âgé de 37 ans, marié avec deux enfants, domicilié en région parisienne. Il est le cadet d'une fratrie de 3 enfants. Les parents de Monsieur D. ont divorcé alors qu'il était âgé de 3 ans, et il dit s'être senti rejeté par son père qui ne s'est que peu investi dans son éducation.
Il est marié depuis 6 ans, son épouse d'origine australienne est sans emploi. Les relations au sein du couple se sont dégradées depuis quelques temps. Les relations sociales de Monsieur D. se limitent au cercle familial ; depuis qu'il est père, il dit s'être « coupé » de son réseau amical. Détenteur du baccalauréat, il exerce actuellement la profession de concierge d'un immeuble résidentiel de luxe parisien, il est satisfait de son emploi.
Au titre des antécédents psychiatriques familiaux, la mère de Monsieur D. est décrite comme souffrant d'un trouble anxieux généralisé. La tante maternelle de Monsieur D. souffre d'un trouble panique avec agoraphobie. Une cousine maternelle est décrite comme phobique des ascenseurs. Monsieur D. ne présente pas d'antécédents somatiques particuliers, ni de troubles somatiques actuels.
Antécédents psychiatriques, histoire du trouble
Monsieur D. se décrit comme un enfant calme, appréciant l'école. Il était très proche de sa mère et de sa sœur qui étaient ses conseillères et confidentes.
Il rapporte néanmoins deux évènements qui l'ont profondément marqué. À l'âge de 8 ans, alors qu'il se promenait sur la plage à marée basse, il s'est senti piégé en se trouvant encerclé brutalement par les eaux. Son beau-père l'a secouru. À 21 ans, en vacances sur un bateau avec des amis, il a été pris d'une terreur soudaine en nageant, convaincu qu'il ne pourrait rejoindre le bateau ; il sera soute nu par un ami.
Monsieur D. fait remonter le début des troubles actuels à 2019. Lors d'un trajet de son domicile à son lieu de travail, le métro s'est arrêté entre deux stations. Il a redouté de s'évanouir et a ressenti des symptômes physiques à type de tremblements, palpitations, sensation d'étouffement et sueurs. Il décrit pendant les deux années suivantes de nombreuses attaques de panique spontanées ayant conduit à la prescription d'un traitement anxiolytique (Alprazolam) et hypnotique (Zopiclone). Monsieur D. a fait d'autres tentatives, accompagné de ses proches, mais après une nouvelle immobilisation entre deux stations, il a renoncé au métro. L'anxiété s'est généralisée aux autres modes de transports, nous y reviendrons.
En 2023, l'équipe de l'hôpital de jour d'un hôpital parisien a posé le diagnostic d'un trouble anxieux de type agoraphobie avec attaques de panique, et prescrit Escitalopram associé à Alprazolam. Il est alors adressé au centre de consultation où j'exerce en juin 2023.
Description clinique avant la thérapie cognitivo-comportementale
Monsieur D. est un patient de bon contact, à l'aise dans la relation. Il n'est pas retrouvé d'élément psychotique, la thymie est bonne et s'est nettement améliorée depuis l'introduction de l'antidépresseur. Le patient ne répond plus aux critères cliniques d'épisode dépressif majeur tel que défini dans le DSM 5. Des éléments d'un trouble mixte de la personnalité dépendante et évitante (sensibilité au jugement d'autrui, crainte de la critique, difficultés à exprimer un désaccord avec autrui de peur de perdre son soutien) sont retrouvés sans toutefois correspondre complétement aux critères requis. Nous n'avons pas mis en évidence d'élément évocateur de trouble obsessionnel compulsif, ni de phobie sociale ou d'anxiété généralisée.
Le patient décrit une symptomatologie évocatrice d'agoraphobie, sans trouble panique associé lors de nos premières consultations. L'anxiété de Monsieur D. se caractérise par la peur d'être dans un endroit d'où il lui serait difficile de sortir ou d'avoir du secours en cas d'attaque de panique spontanée. Il présente un évitement total du métro, qu'il soit aérien ou souterrain. Il prend le bus mais se met à proximité du chauffeur afin qu'en cas de malaise, celui-ci puisse lui ouvrir la porte pour sortir.
S'éloigner seul en voiture à une distance de plus de trente kilomètres de son domicile et l'utilisation de grands axes autoroutiers deviennent de plus en plus difficiles, la crainte de se retrouver dans un embouteillage et de ne pas pouvoir s'arrêter rapidement est au premier plan. Il craint de perdre le contrôle de son véhicule si des symptômes anxieux surviennent. Les tunnels sont une autre source d'angoisse, variable en intensité selon que le patient en voit la fin et que le véhicule est en mouvement (intensité basse) ou non (intensité élevée avec manifestations somatiques : palpitation, raideur musculaire, crispation, bouffées de chaleur). Il décrit une anticipation anxieuse à l'approche des tunnels, dans lesquels il craint de rester bloqué et ne plus pouvoir sortir, obligeant parfois son épouse à faire plusieurs dizaines de kilomètres de détour afin d'éviter un tunnel. Les ascenseurs sont également sources d'angoisse. Ses craintes en cas de panne sont : « combien de temps vais-je rester, on ne va pas venir me chercher ». Dans les minutes précédant la montée dans un ascenseur, Monsieur D. décrit des symptômes anticipatoires : faiblesse musculaire, sensation d'engourdissement. Pendant l'ascension, il se décrit comme figé, avec une sensation de raideur et de crispation musculaire, s'assurant que les chiffres des étages défilent normalement, à l'affût du moindre bruit. Durant toute la progression, Monsieur D. se dit obsédé par la crainte qu'il ne s'arrête. Si un arrêt se produit alors que les portes sont fermées, il ressent des symptômes physiques à type de palpitations, tremblements, sueurs, et se dit convaincu qu'il ne va pas sortir et va mourir.
Il existe par ailleurs une anxiété dans les escaliers en colimaçon des monuments lorsqu'il n'en voit pas le bout (« combien de temps ça va durer »).

Pendant les trajets en avion, Monsieur D. se plaint de crispations musculaires. Lors de la sortie de l'avion, dans le passage central, il décrit à nouveau une faiblesse musculaire, des palpitations, des sueurs, une sensation de chaleur importante, des tremblements et se trouve alors dans l'obligation de presser le pas afin de pouvoir sortir. Il demande explicitement une place près de la sortie pour pouvoir partir rapidement, et afin d'être sûr de pouvoir avoir la place qu'il souhaite, il arrive plusieurs heures en avance à l'aéroport et prend systématiquement un traitement anxiolytique.
Enfin, au cinéma, dans les hôtels, les supermarchés ou dans tout lieu qu'il ne connaît pas, Monsieur D. recherche systématiquement les issues, dans l'idée de pouvoir sortir au cas où il se sentirait mal. La foule augmente l'anxiété ressentie dans ces lieux. Monsieur D. parvient à travailler malgré cette symptomatologie invalidante mais la gêne ressentie dans sa vie quotidienne est importante et il doit être étayé par ses proches pour ses déplacements.
Le Diagnostic positif est celui d'une agoraphobie [300.23 (F40.00)] ; le DSM-5 reconnaît l'agoraphobie comme un trouble indépendant qui peut être diagnostiqué en l'absence de trouble panique.
L'analyse fonctionnelle synchronique et diachronique (antécédents familiaux de troubles anxieux, facteurs historiques de maintien, facteurs déclenchants, évènements précipitants les troubles) a été menée au moyen de la grille SECCA au cours d'entretiens cliniques et grâce à un carnet de bord auto-évaluatif. La Grille BASIC IDEA a permis de préciser la problématique du patient. Des échelles psychométriques et des questionnaires d'auto évaluation ont été utilisés afin de définir la ligne de base du patient, qui permet d'évaluer entre autres l'efficacité de la thérapie à distance (colonnes de Beck, Questionnaire abrégé de Beck version abrégée 13, le STAI Anxiété trait-état de Spiel-berger, 1983, l'échelle d'évaluation des phobies, attaques de panique et anxiété généralisée de Cottraux 1993, le Questionnaire des cognitions agoraphobiques (Chambless et al., 1984), l'échelle de Rathus explorant l'affirmation de soi…).
Nous avons proposé à Monsieur D. un contrat thérapeutique, comportant plusieurs objectifs, dont l'identification et la modification des pensées négatives et des croyances irrationnelles qui alimentent la peur, l'exposition progressive aux situations redoutées, afin de désensibiliser le patient à l'anxiété, et le développement de stratégies d'adaptation pour gérer l'anxiété et les situations difficiles.

Nous avons fait usage dans la Projection Thérapeutique du Contrôle Respiratoire et de la Relaxation Progressive de Jacobson. Nous avons mené un travail de Restructuration Cognitive au moyen d'un dialogue socratique, après que les techniques de relaxation ont été bien maîtrisées par Monsieur D. Nous lui avons assigné des tâches comportementales, en commençant par la moins anxiogène (aller faire des courses dans un magasin de quartier) à la plus perturbante (prendre seul le métro souterrain, à l'heure de pointe).
Ainsi avons-nous débuté au cours de la septième séance une exposition en imagination ; sous relaxation, nous avons fait imaginer au patient une scène d'anxiété peu perturbante (cotée à 25/100) de la hiérarchie que nous avons construite avec lui (repas avec des amis).
La restructuration cognitive a consisté en la mise à jour des cognitions dysfonctionnelles, du postulat fondamental, et l'utilisation de la technique de la flèche descendante.
Nous avons proposé à Monsieur D. de chercher des pensées alternatives aux ruminations catastrophistes qui l'envahissent lorsqu'il est confronté à une situation angoissante.
Evolution clinique favorable de Monsieur D.
Durant la prise en charge, le patient s'est montré d'un investissement empressé et il a tenté de déborder le cadre de la TCC, demandant parfois des renouvellements de prescriptions médicamenteuses ou parvenant difficilement à se limiter en entretien aux objectifs thérapeutiques fixés. Par ailleurs, l'assiduité dans les exercices à réaliser a été fluctuante, manque de temps allégué pour pouvoir réaliser les exercices de relaxation. Monsieur D. présente des problèmes d'assertivité modérés dans sa vie relationnelle, et principalement dans son couple.
La prise en charge en thérapie cognitive et comportementale pour ce patient s'est révélée être une bonne indication. Monsieur D. a évolué très favorablement après 15 séances ; les symptômes agoraphobiques qui l'invalidaient dans sa vie quotidienne, ont bien diminué. Sur le plan clinique, il rapporte notamment une diminution de l'anxiété dans les situations qu'il évitait auparavant. Grâce aux exercices d'exposition progressive et à la restructuration cognitive, il estime ne plus être en perte de contrôle. Sur le plan fonctionnel, Monsieur D. utilise les transports en commun et fréquente des lieux publics sans éprouver d'anxiété excessive. Cette reprise d'autonomie a eu un impact positif sur sa qualité de vie, ses relations amicales et de couple et son bien-être général.
Des séances de suivi ont été menées pour consolider les progrès réalisés et prévenir d'éventuelles rechutes.
Références bibliographiques
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Pascal Favré
Psychiatre

