
Présentation en congrès
Longtemps dominées par une prise en charge symptomatique, la drépanocytose et la β-thalassémie connaissent aujourd'hui un tournant grâce aux thérapies géniques. Ces approches innovantes permettent désormais de corriger la cause moléculaire de ces maladies, ouvrant la voie à des traitements potentiellement curatifs.
Les hémoglobinopathies, principalement la drépanocytose et la β thalassémie, constituent les maladies monogéniques les plus fréquentes dans le monde. Elles touchent plusieurs millions de personnes, en particulier dans les régions d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Asie et du bassin méditerranéen.
Ces deux pathologies résultent d'anomalies du gène HBB, qui code la chaîne β de l'hémoglobine adulte (HbA). Dans la drépanocytose, une mutation ponctuelle engendre la production d'une hémoglobine anormale (HbS), entraînant une rigidité des globules rouges, responsables de crises vaso-occlusives, d'une anémie hémolytique chronique, et de complications multi-organes.
Dans la β-thalassémie, plus de 200 mutations ont été décrites, menant à une production réduite (β+) ou absente (β⁰) de la chaîne β-globine.
Il en résulte un excès de chaînes α libres, toxiques pour la cellule érythroïde, responsable d'une érythropoïèse inefficace, d'une anémie profonde, et d'une dépendance transfusionnelle (1, 2).
La prise en charge actuelle repose principalement sur des traitements symptomatiques : transfusions régulières, chélateurs du fer, hydroxyurée pour la drépanocytose, et dans les cas les plus sévères, l'allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Ce dernier reste aujourd'hui la seule option curative mais demeure réservée à une minorité de patients, faute de donneur HLA-compatible, et en raison des risques de rejet, de maladie du greffon contre l'hôte (GVH), et de toxicité liée au conditionnement.
Face à ces limites, la recherche s'est tournée depuis une vingtaine d'années vers des stratégies de thérapie génique, visant à restaurer une production efficace et fonctionnelle d'hémoglobine.
La thérapie génique utilise les propres CSH du patient, évitant ainsi le problème de compatibilité.
Après mobilisation médullaire (plerixafor ± G-CSF) et cytaphérèse, les CSH CD34+ sont isolées puis génétiquement modifiées en laboratoire.
Deux approches sont utilisées :
• Lentivirus (LentiGlobin) : insertion d'une copie fonctionnelle du gène β-globine modifi é (βAT87Q) dans le génome des CSH.
• CRISPR-Cas9 (exa-cel) : édition ciblée de l'enhancer érythroïde de BCL11A, répresseur de l'hémoglobine fœtale (HbF). Son inactivation réactive la production d'HbF, naturellement protectrice.
Les cellules corrigées sont ensuite réinjectées au patient après un conditionnement myéloablatif par busulfan, destiné à éliminer les cellules hématopoïétiques endogènes et à libérer une « niche » médullaire pour l'engraftement des CSH modifiées. Cette étape est indispensable à une implantation durable du greffon autologue et à une production efficace d'hémoglobine thérapeutique.
Les premières avancées majeures sont venues des vecteurs lentiviraux, capables d'intégrer un gène thérapeutique dans le génome des CSH du patient. C'est le cas de LentiGlobin, un vecteur portant un gène β-globine modifié (βAT87Q), conçu pour exprimer une Hb anti-falciformation, HbAT87Q.
Une fois les cellules transduites ex vivo et réinjectées après conditionnement par busulfan, elles permettent une production stable d'hémoglobine fonctionnelle.
Les résultats des études HGB-204/205 dans la β-thalassémie (3) et HGB-206 dans la drépanocytose (4) ont été prometteurs. Dans la β thalassémie, parmi les 13 patients porteurs d'un génotype non β⁰/β⁰, une indépendance transfusionnelle durable a été obtenue chez 12 patients, avec une expression médiane d'HbAT87Q autour de 10 g/dL. Chez les 9 patients porteurs d'un génotype β⁰/β⁰, une réduction significative des besoins transfusionnels a été observée chez 6 d'entre eux, et 3 patients sont devenus totalement indépendants des transfusions.

Dans la drépanocytose, l'hémoglobine totale est passée d'un taux médian de 8,5 g/dL à 11 g/dL à 6 mois après traitement, avec une HbAT87Q représentant au moins 40 % de l'hémoglobine totale. Une réduction marquée du nombre de crises vaso-occlusives a été constatée. À 24 mois, environ 85 % des globules rouges contenaient de l'HbAT87Q, laissant seulement 15 % des érythrocytes sans HbAT87Q et donc encore susceptibles de falciformation.
Des signalements d'hémopathies malignes secondaires de type syndrome myélodysplasique (SMD) ou leucémie aiguë myéloïde (LAM) ont soulevé la question du risque d'oncogenèse insertionnelle lié à l'utilisation de vecteurs lentiviraux. Dans un premier cas rapporté (5), l'analyse des sites d'intégration du vecteur n'a mis en évidence ni dominance clonale ni insertion dans un gène oncogène.
Le nombre de copies du vecteur était très faible dans les cellules CD34+ blastiques et élevé uniquement dans les précurseurs érythroïdes, ce qui suggère une faible probabilité d'implication directe du vecteur dans la transformation.
Dans un deuxième cas (6), le vecteur lentiviral était détectable dans les cellules blastiques, mais l'insertion se situait dans le gène VAMP4, impliqué dans la structure et la fonction de l'appareil de Golgi mais sans rôle connu dans la prolifération cellulaire ou l'oncogenèse. De plus, aucune altération du profil d'expression génique autour du site d'insertion n'a été observée, ce qui plaide contre une oncogenèse insertionnelle liée au vecteur.
Plus récemment, la thérapie génique a connu une nouvelle révolution avec l'émergence de l'édition génomique par CRISPR-Cas9, "ciseau moléculaire" permettant de modifier de manière ciblée des séquences d'ADN.
La stratégie développée pour les hémoglobinopathies ne cherche pas à insérer un gène fonctionnel, mais à réactiver l'expression de l'hémoglobine fœtale (HbF), naturellement présente à la naissance et non pathogène. Pour cela, les chercheurs ciblent l'enhancer erythroïde du gène BCL11A, un répresseur de l'HbF (7). En l'inactivant, les CSH modifiées produisent une HbF suffi sante pour pallier le déficit en HbA ou HbS fonctionnelle.
L'approche a été validée par les études de phase 3 CLIMB-111 (β thalassémie) (8) et CLIMB-121 (drépanocytose) (9), avec des résultats très intéressants :
• 91 % des patients β-thalassémiques ont atteint une indépendance transfusionnelle avec des taux d'Hb supérieure à 12 g/dL dominés par l'HbF.
• 97 % des patients drépanocytaires n'ont présenté aucune crise vaso-occlusive pendant au moins 12 mois, avec un taux d'HbF inférieure à 10 g/dL.
Si ces innovations sont porteuses d'espoir, plusieurs défi s restent à relever avant une diffusion large :
• Effets hors cible de l'édition CRISPR : bien que les analyses précliniques soient rassurantes, une surveillance à long terme reste indispensable.
• Risque de cancers secondaires : faut-il réaliser un NGS myéloïde avant traitement pour identifier les clones préexistants ?
• Toxicité du conditionnement au busulfan, notamment sur la fertilité, qui impose une cryopréservation.
• Mobilisation des CSH parfois difficile chez les patients avec moelle fibrosée.
• Coût très élevé des thérapies géniques (plusieurs millions d'euros), posant la question de leur accessibilité à l'échelle mondiale.
• Conséquences d'une HbF élevée de manière prolongée sur la physiologie érythroïde, encore à clarifier.
Conclusion
Les thérapies géniques représentent une avancée majeure pour les patients atteints de drépanocytose ou de β-thalassémie. En ciblant directement la cause génétique, ces approches permettent désormais d'envisager une guérison fonctionnelle sans recours à un donneur compatible. Si des questions de sécurité, d'accessibilité et de suivi à long terme persistent, les résultats déjà obtenus marquent un tournant dans la prise en charge des hémoglobinopathies, ouvrant la voie à une médecine de précision, curative et personnalisée.
Bibliographie
1. Taher AT, Musallam KM, Cappellini MD. β-Thalassemias. N Engl J Med. 25 févr 2021;384(8):727-43.
2. Piel FB, Steinberg MH, Rees DC. Sickle Cell Disease. N Engl J Med. 20 avr 2017;376(16):1561-73.
3. Thompson AA, Walters MC, Kwiatkowski J, Rasko JEJ, Ribeil JA, Hongeng S, et al. Gene Therapy in Patients with Transfusion Dependent β-Thalassemia. N Engl J Med. 19 avr 2018;378(16):1479 93.
4. Kanter J, Walters MC, Krishnamurti L, Mapara MY, Kwiatkowski JL, Rifkin-Zenenberg S, et al. Biologic and Clinical Efficacy of LentiGlobin for Sickle Cell Disease. N Engl J Med. 17 févr 2022;386(7):617-28.
5. Hsieh MM, Bonner M, Pierciey FJ, Uchida N, Rottman J, Demopoulos L, et al. Myelodysplastic syndrome unrelated to lentiviral vector in a patient treated with gene therapy for sickle cell disease. Blood Advances. 12 mai 2020;4(9):2058-63.
6. Goyal S, Tisdale J, Schmidt M, Kanter J, Jaroscak J, Whitney D, et al. Acute Myeloid Leukemia Case after Gene Therapy for Sickle Cell Disease. N Engl J Med. 13 janv 2022;386(2):138-47.
7. Brusson M, Miccio A. Une approche CRISPR/Cas pour traiter les β hémoglobinopathies. Med Sci (Paris). janv 2025;41(1):33-9.
8. Locatelli F, Lang P, Wall D, Meisel R, Corbacioglu S, Li AM, et al. Exagamglogene Autotemcel for Transfusion-Dependent β-Thalassemia. N Engl J Med. 9 mai 2024;390(18):1663-76.
9. Frangoul H, Locatelli F, Sharma A, Bhatia M, Mapara M, Molinari L, et al. Exagamglogene Autotemcel for Severe Sickle Cell Disease. N Engl J Med. 9 mai 2024;390(18):1649-62.

Audrey DA ROCHA
Docteure Junior en Hématologie
au CHU d'Amiens

