Actualités : Référentiel du métier de psychiatre

Publié le 26 mai 2022 à 13:17

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE PSYCHIATRIE
Conseil National Professionnel de Psychiatrie

A - Psychiatrie et santé mentale
Avant de traiter des compétences sur lesquelles repose le métier de psychiatre, son champ d’exercice doit être clarifié. Cela suppose de préciser la distinction entre psychiatrie et santé mentale.
La santé mentale est une notion qui découle directement de la définition de la santé proposée par l’OMS. Reprise au niveau européen dans les conclusions de la conférence d’Helsinki de 2005, son objet dépasse très largement celui de la psychiatrie puisque la santé mentale prend en compte des aspects sociaux, éducatifs et environnementaux. La santé mentale vise au bien-être des individus.
La psychiatrie a un périmètre plus restreint. Elle contribue à la santé mentale grâce aux soins qu’elle dispense sans se confondre avec cette dernière. Ces soins s’adressent d’abord aux patients souffrant de maladies mentales avérées, mais aussi à ceux présentant un état de souffrance psychique.
Toutefois, seules les situations de souffrance psychique pour lesquelles la psychiatrie (au sens du psychiatre travaillant ou non dans le cadre d’équipes en charge du soin) est en mesure de proposer des réponses thérapeutiques pertinentes, individuelles ou institutionnelles, relèvent de cette discipline.
La prise en charge précoce de ces situations permet d’éviter qu’elles n’évoluent vers des situations pathologiques avérées et contribue ainsi à la prévention primaire des troubles mentaux.

B - Le tronc commun des compétences du psychiatre
Quelle que soit la situation clinique du patient, pathologie avérée ou souffrance psychique, le rôle du psychiatre est de dessiner des orientations thérapeutiques qu’il peut mettre en œuvre lui-même ou dont il peut juger plus opportun de confier la mise en œuvre à un autre professionnel de santé mentale.

B.I. Un abord clinique multiréférencé
Le métier de psychiatre consiste avant tout à soutenir constamment un abord multi-référencé du patient. Cela signifie que le psychiatre articule constamment au moins trois niveaux de lecture des troubles présentés par le patient : Tout d’abord une démarche médicale qui va lui permettre de recueillir l’anamnèse ainsi que les signes et les symptômes présentés par le patient pour parvenir à un diagnostic en se fondant sur la clinique psychiatrique. Le diagnostic permet d’inscrire la pathologie du patient dans le cadre d’une nosographie. Les signes et symptômes ainsi recueillis concernent tout autant le corps que les manifestations psychopathologiques.
S’il n’intervient habituellement pas directement sur le corps, le psychiatre est médecin et sait en déchiffrer les manifestations. A ce titre, il peut contribuer au diagnostic différentiel des pathologies somatiques pouvant emprunter une expression psychiatrique bien qu’il ne les prenne généralement pas lui-même en charge au plan thérapeutique.
Ensuite, un abord psychopathologique permettant au psychiatre de décrypter les mouvements de la vie psychique du patient dans le cadre de la relation thérapeutique. Ce niveau de lecture se fonde sur divers modèles théoriques validés par l’ensemble de la profession. Il permet au psychiatre d’évaluer à la fois les fonctionnements du patient et l’évolution de ce dernier au cours des soins.
Enfin une analyse contextuelle permettant au psychiatre tout autant d’explorer la résonance du patient avec son environnement que d’ajuster sa position aux contraintes de l’entourage affectif, professionnel et culturel du patient, aux conditions de la demande de soins, aux impératifs médico-légaux ou judiciaires. Comme les deux précédents, ce troisième niveau repose lui aussi sur une analyse rigoureuse des relations que le patient entretient avec ses proches, permettant d’identifier les mécanismes à même de favoriser ou ralentir son évolution.
Au-delà de ces trois abords du patient constamment articulés, et qui renvoient au modèle bio-psycho-social, d’autres niveaux de lecture peuvent s’ajouter, soit en fonction des références théoriques du psychiatre, soit en fonction de publics particuliers.

B.II. Une stratégie thérapeutique inscrite dans la clinique
Cette lecture clinique multiréférencée permet une évaluation dans chacune des dimensions considérées, médicale, psychopathologique et environnementale ainsi qu’un pronostic sur l’évolution.
Il doit être souligné que l’une des principales spécificités du métier de psychiatre tient au fait que les dimensions cliniques et thérapeutiques de son travail sont étroitement liées.
Cette clinique multiréférencée permet en effet de mettre en évidence les processus psychiques à l’œuvre chez le patient et de repérer ses capacités de changements. C’est sur l’analyse rigoureuse des potentialités de changement du patient ainsi que de la nature de la demande de soins (ou de son ambivalence, voire de son refus) que se construit la stratégie thérapeutique du psychiatre.
La thérapeutique psychiatrique repose sur une diversité d’interventions qui ont pour but de favoriser la perception par le patient des déterminants de sa souffrance afin de dégager des processus de changement. Comme la clinique, ces interventions thérapeutiques se déploient dans le triple registre de la dimension médicale (prescription de traitements médicamenteux ou autres), psychopathologique (interventions psychothérapeutiques) et environnementale (conseils aux proches du patient, hospitalisation, arrêt de travail, thérapies impliquant les proches du patient, etc.).
Si les interventions thérapeutiques à la disposition du psychiatre se répartissent dans toutes ces dimensions, la stratégie thérapeutique se caractérise aussi par le fait de privilégier un niveau d’intervention par rapport aux autres, tout en renvoyant au patient la multiréférence dans laquelle le psychiatre inscrit son travail. C’est en favorisant ainsi un niveau d’intervention par rapport aux autres que le psychiatre aide le patient à se décaler des représentations qu’il a de lui-même et qui font obstacle à ses capacités de changement.
Dans certaines circonstances, la situation du patient ne permet pas de privilégier une dimension par rapport aux autres ; le psychiatre peut dès lors faire appel à un autre professionnel afin de mettre en œuvre une prise en charge à plusieurs, chacun des professionnels privilégiant un abord différent du patient. Dans de tels cas, les professionnels impliqués ne limitent pour autant pas leur travail à cette seule dimension. Il s’agit d’une hiérarchisation consistant à permettre à chacun de mettre l’accent sur une dimension particulière sans pour autant renoncer aux autres. Il s’agit d’un travail en synergie qui ne se réduit pas à une répartition des tâches entre professionnels.
Les capacités de changement du patient sont réévaluées à l’occasion de chaque consultation, de sorte que la démarche thérapeutique sera ajustée au fil des consultations. Toutefois, une consultation unique permet déjà de mettre en avant une des dimensions de la multiréférence, voire de mettre en œuvre une ou plusieurs interventions thérapeutiques dans la dimension ainsi privilégiée. C’est ce que l’on observe par exemple en psychiatrie de liaison.
La première rencontre avec le patient consiste donc à la fois à mettre en place ces différents niveaux de lecture de la clinique et à déterminer dans quelle dimension le psychiatre va prioritairement inscrire ses interventions, ce qui constitue le premier temps thérapeutique. On voit donc à quel point la méthode clinique, faite d’écoute du patient, de son discours, d’analyse de son lien aux autres et dans la situation d’entretien, est étroitement liée en psychiatrie à la thérapeutique.
Cette première rencontre est cruciale pour le déroulement des soins, y compris en urgence comme dans le cadre des urgences, tant il est évident que le patient ne donnera suite à la prise en charge qui lui est proposée que s’il ressent de son côté qu’il est pris en considération d’une manière qui ne se limite pas à un abord strictement médical de son trouble mais prend en compte la singularité de son histoire et de son vécu.
Ce qui vaut ici pour le patient vaut également pour les personnes de son entourage quand ces dernières sont à l’origine de la demande de soins, notamment quand il s’agit des familles. Il importe pour le succès des soins qu’elles se sentent aussi prises en compte, même si en apparence les demandes sont contradictoires.

B.III. Une position particulière du diagnostic
Comme dans l’ensemble de la démarche clinique en médecine, il est indispensable pour le psychiatre de rechercher le diagnostic du trouble présenté par le patient dès la première rencontre. La recherche d’un diagnostic, qui pourra être l’objet de ré-élaboration au fil de la prise en charge, correspond à la dimension médicale de la clinique.
A la différence de ce qui s’observe régulièrement en médecine somatique, le diagnostic ne peut suffire à déterminer les modalités de la prise en charge thérapeutique. Comme exposé plus haut, la stratégie thérapeutique s’élabore avant tout à partir du repérage des capacités de changement du patient, qui repose lui-même sur l’intégration des données cliniques issues de tous les niveaux de lecture.
Cette particularité qui tient à la complexité du fait psychique et des déterminants de la pathologie mentale explique la réserve des psychiatres devant l’élaboration de consensus professionnels. Les recommandations décrivent des conduites à tenir relativement standardisées devant des situations cliniques essentiellement caractérisées par le diagnostic, à l’instar de ce qui est promu pour l’ensemble de la médecine somatique. En négligeant la multiréférence clinique propre à la psychiatrie, ces recommandations postulent implicitement que les possibilités de changement d’un patient sont équivalentes à celles d’un autre patient à diagnostic identique, ce qui constitue une approximation qui ne répond pas à la réalité de la clinique en psychiatrie quelle que soit par ailleurs la rigueur méthodologique apportée à leur élaboration.
Dès la première rencontre ou au cours de la prise en charge, le patient peut exprimer une interrogation sur son diagnostic. Délivrer ou non le diagnostic au patient est une question qui s’articule directement au point précédent : il ne peut valablement être énoncé que dans la mesure où la connaissance de ce diagnostic favorise les possibilités de changement du patient ou soutient la relation de confiance et la poursuite des soins.

B.IV. Un rapport particulier au champ social
Le métier de psychiatre s’inscrit dans le cadre de tensions entre des positions contraires, ce qui le rend moins lisible pour le public que d’autres spécialités médicales.
A partir de l’expérience subjective et singulière du patient, le praticien construit de manière rigoureuse une analyse clinique intégrant l’objectivité des connaissances médicales, les apports des différents modèles psychopathologiques validés par la profession et l’analyse de l’environnement du patient. La complexité de cette approche clinique, articulant la subjectivité du patient à des connaissances objectives pour parvenir à des réponses très diversifiées, est parfois difficile à saisir par le public. La société attend généralement de la psychiatrie qu’elle procède comme la médecine par diagnostics et traitements codifiés.
Le champ social est lui-même traversé par des intérêts contradictoires : la liberté du patient se trouve parfois en butte aux craintes, voire aux préjugés de la société et le psychiatre doit tenir compte de l’une comme de l’autre. Comme tout médecin, le psychiatre souhaite avant tout que le patient s’approprie les soins qui lui sont proposés mais la société lui délègue par ailleurs le pouvoir unique en médecine d’imposer une hospitalisation. Le psychiatre cherche à préserver ou restaurer la liberté du patient mais peut se trouver dans l’obligation de la limiter temporairement, ce qui pose des problèmes éthiques propres à sa discipline.
Dans son rapport au champ social, le psychiatre est également confronté aux mécanismes de stigmatisation de certaines catégories de patients. Il doit en tenir compte dans sa pratique, dans sa relation au patient et à ses proches, mais aussi plus largement pour lutter contre ce phénomène.
Le psychiatre entretient une réflexion critique sur sa pratique et sur l’organisation globale des soins en santé mentale. Face au patient, il ne peut pas prétendre savoir ni pouvoir tout faire. Il doit savoir éventuellement ne pas répondre à la demande du patient telle qu’elle est formulée en expliquant ce qu’il propose en des termes accessibles aux patients. Le psychiatre doit demeurer conscient de la fonction qu’il occupe dans le système de santé et dans le socius, qui est d’avoir le souci du soin dû aux patients mais aussi de son entourage et de la société. Cette fonction sociale du psychiatre peut l’amener à prendre position sur des sujets de société impliquant sa discipline, à défendre les conditions de sa pratique et les patients concernés. S’il est amené à prendre position par rapport à un patient donné c’est en respectant les règles déontologiques, en particulier du secret médical.

C - Compétences en fonction des pratiques
L’exercice de la psychiatrie offre une grande diversité de pratiques dont la description peut s’organiser selon deux axes principaux : d’une part une description des pratiques ordonnée à l’organisation des soins (service d’hospitalisation, consultation en CMP ou en cabinet de ville, psychiatrie de liaison en hôpital général, consultations dans un service d’urgences, travail dans un établissement médico-social, etc.), d’autre part une description des pratiques en fonction de la prise en charge de publics particuliers, que ces derniers se caractérisent par l’âge (pédopsychiatrie, gérontopsychiatrie) ou par un comportement (addictologie).
Les compétences nécessaires à la prise en charge de publics particuliers seront étudiées dans le chapitre suivant. Ce chapitre décrit les compétences que le psychiatre doit mettre en œuvre en fonction de la place qu’il occupe dans le système de soins.
Les compétences décrites dans le chapitre précédent ont été rassemblées sous le terme de « tronc commun » parce qu’elles sont toutes mobilisées quel que soit le patient pris en charge et quelle que soit la place du psychiatre dans le système de soins. Les compétences développées dans ce second chapitre sont celles qui lui permettent de tenir sa place dans l’organisation générale des soins.
Elles font donc aussi partie du socle de compétences commun à tous les psychiatres mais seront plus ou moins développées par chaque psychiatre selon ses choix de pratiques et le déroulement de sa carrière. Elles doivent être acquises à la fin de la formation initiale afin que le jeune professionnel puisse s’insérer dans les différents dispositifs de soins.
Le fait de distinguer ces compétences dans ce chapitre souligne en outre l’importance de l’organisation des soins en psychiatrie pour l’efficacité des prises en charge. En effet, si le psychiatre doit mettre en avant certaines de ses compétences selon son mode d’exercice, encore faut-il que le système de soins préserve la diversité des pratiques pour que les patients pris en charge puissent bénéficier de l’intégralité des compétences de la communauté professionnelle.
La place du psychiatre dans le système de soins ne se caractérise pas seulement par le lieu dans lequel il exerce (service d’hospitalisation, CMP, cabinet de ville, etc.). Elle est caractérisée par plusieurs dimensions dans lesquelles le psychiatre doit se repérer afin de mettre en œuvre les compétences nécessaires à l’efficacité des soins. Dans cette perspective, pas moins de sept dimensions doivent être considérées afin de décrire aussi complètement que possible les compétences du psychiatre :

  1. Le mode d’exercice, qui est la dimension dépendant le plus étroitement du lieu d’exercice : psychiatre de secteur en unité d’hospitalisation et en CMP, éventuellement chef de service ; psychiatre libéral en cabinet, parfois en établissement de soins privés ; psychiatre exerçant dans une institution médicosociale.
  2. La nature des partenaires impliqués dans la prise en charge : autres médecins, psychiatres ou non, équipe de soins, partenaires du service social, de la justice…
  3. La temporalité de la prise en charge, qui peut être ponctuelle lors d’une expertise, immédiate en service d’urgences, à court terme en établissement de soins privé ou bien au long cours dans le secteur public, le médico-social ou en cabinet de ville.
  4. Le mode de relation au patient qui dépendra lui-même de l’âge du patient (enfant, adulte, personne âgée), de l’origine de la demande de soins (à la demande du patient, de son entourage, du fait d’une injonction judiciaire ou de soins sous contrainte), et de la situation du patient (patient handicapé, en situation de précarité, sous main de justice).
  5. Le cadre des soins qui peut être ambulatoire, institutionnel à temps partiel ou une hospitalisation.
  6. La pénibilité de la prise en charge éprouvée tant par le patient (anxiété majeure, contention temporaire, etc.) que par le psychiatre (patients difficiles, opposants, voire dangereux).
  7. L’évaluation des processus de soins, à des fins de santé publique mais aussi dans toute recherche clinique.

Se repérer et s’ajuster dans chacune de ces dimensions suppose pour le psychiatre de mettre en œuvre diverses compétences qui vont être maintenant précisées.

C.I. Compétences selon le mode d’exercice
C.I.1. Exercice en cabinet libéral
L’exercice en cabinet n’est isolé qu’en apparence. En effet, le psychiatre libéral doit se construire son propre réseau de soins à partir des ressources locales : secteur psychiatrique, établissements de soins privés, collègues psychiatres libéraux ou non, institutions médico-sociales, mais aussi médecins généralistes ainsi que tout le réseau scolaire et social pour prendre en charge les enfants et les adolescents. Il peut aussi être en lien avec d’autres spécialistes de ville ou des services de médecine, de chirurgie, d’obstétrique des hôpitaux généraux et de l’hospitalisation privée.
A la différence de son collègue de secteur, le psychiatre de cabinet dispose de davantage de liberté dans le choix de ses partenaires mais la permanence et l’accessibilité de ce réseau de soins ne lui sont pas garanties par l’institution, de sorte qu’il se doit de l’entretenir à la fois par une bonne connaissance des possibilités de prise en charge de ses partenaires mais surtout une disponibilité envers ces derniers pour s’inscrire dans des prises en charge coordonnées. Par ailleurs, le psychiatre exerçant en cabinet doit faire preuve d’autonomie, ce qui suppose non seulement des connaissances étendues mais aussi une certaine souplesse de fonctionnement afin de s’adapter à des situations imprévues. Il est amené à suivre les mêmes patients que ceux qui sont suivis par le secteur, mais à des moments différents de leur parcours de soins. Il lui faut donc mesurer les limites de ses interventions si l’état clinique du patient nécessite un autre cadre de soins.
Le psychiatre d’exercice libéral prend en charge une population variée et exerce généralement à la fois la pédopsychiatrie pour enfants et adolescents, la psychiatrie pour adultes et la gérontopsychiatrie. Le cabinet de ville est un cadre propice à l’exercice de la psychothérapie qui constitue une grande partie des demandes de soins. Le psychiatre exerçant en cabinet doit avoir de solides compétences dans ce domaine ; elles reposent à la fois sur sa formation en psychopathologie, une formation spécifique parallèle à sa formation universitaire et une supervision au cours des premières années d’exercice.
Le psychiatre exerçant en cabinet ne peut pas s’appuyer sur les ressources proposées par l’institution pour son Développement Professionnel Continu et doit donc aussi faire preuve d’autonomie dans ce domaine afin d’entretenir et développer les compétences propres à ce mode d’exercice, le plus souvent grâce à des supervisions cliniques et la participation à des groupes de pairs.

C.I.2. Psychiatrie de secteur
La psychiatrie de secteur se superpose en partie à l’exercice en cabinet, notamment en ce qui concerne l’exercice en CMP, dans le cadre duquel il doit faire preuve de la même autonomie. Dans ce cadre, il peut également être amené à conduire des psychothérapies et doit présenter les mêmes compétences que son collègue de cabinet.
Toutefois, la psychiatrie de secteur se distingue assez radicalement de l’exercice en cabinet du fait que le psychiatre alterne généralement plusieurs modes d’exercice : CMP, unité d’hospitalisation à temps plein ou à temps partiel (hôpitaux de jour, CATTP), psychiatrie de liaison... En outre, il collabore généralement avec d’autres psychiatres, dont il doit parfois organiser le travail s’il est chef de secteur, et avec des équipes de soins. Cela le confronte à utiliser des compétences propres à ces différents domaines.

C.I.2.a Collaborer avec d’autres psychiatres et d’autres praticiens de spécialités diverses
Si la diversité des pratiques psychiatriques et la complexité des prises en charge amènent tout psychiatre à collaborer avec des collègues, même lorsqu’il est apparemment isolé dans son cabinet, cette collaboration est quotidienne en psychiatrie de secteur.
Elle suppose une parfaite connaissance des vocabulaires techniques, une capacité d’ajuster sa position au cas par cas selon les caractéristiques de chaque prise en charge, qui repose elle-même sur une capacité de se distancier de ses propres options théoriques afin de construire une position commune dans l’intérêt de la prise en charge (intervision).

C.I.2.b. Collaborer avec des équipes de soins
La capacité de collaborer avec des équipes de soins suppose une parfaite connaissance des différents métiers de la santé mentale.
En psychiatrie de secteur, le psychiatre a un rôle de coordination des soins réalisés au sein de l’équipe, cette dernière étant elle-même composée de professionnels par rapport auxquels il peut ou non se trouver en position hiérarchique. Au-delà de ses compétences médicales propres, cet aspect du travail sera mieux assuré s’il est étayé par des notions de psychologie collective et de psychosociologie.
L’institution est un outil fondamental du soin psychiatrique qui nécessite constamment un travail spécifique afin de ne pas devenir iatrogène. Ce travail est constitué par une réflexion permanente sur les interactions entre les pathologies des patients et le fonctionnement de l’équipe. La psychothérapie institutionnelle fournit des outils précieux pour alimenter cette réflexion, que ce soit en unité d’hospitalisation de secteur, en établissement privé de soins, en hôpital de jour et généralement en tous lieux où les soins sont réalisés par une équipe.

C.I.2.c. Exercer des responsabilités institutionnelles
Le psychiatre de secteur est très souvent amené à exercer des responsabilités institutionnelles. Outre les compétences nécessaires au travail en équipe qui viennent d’être décrites, notamment la responsabilité institutionnelle dont il est alors le garant, le psychiatre doit faire preuve dans cette fonction d’une aptitude au leadership et d’un goût de la transmission. Il exerce ses responsabilités dans un contexte institutionnel plus large, de la cité à l’agence régionale de santé en passant par le centre hospitalier. Une bonne connaissance des textes régissant le fonctionnement de ces institutions, les diverses obligations légales pour l’amélioration et la qualité du soin, les contraintes médicoéconomiques, les instruments pour y parvenir, les diverses instances dans lesquelles les usagers et les représentants politiques ont leur place est indispensable pour mener des projets, les inscrire dans une politique sanitaire et médicosociale.

C.I.2.d. Savoir recruter des collaborateurs
Le psychiatre de secteur peut également être amené à recruter des collaborateurs, ce qui suppose, au-delà de la connaissance des différents métiers de la santé mentale, une capacité non seulement d’évaluer le fonctionnement de l’institution mais surtout de l’anticiper, tout en tenant compte des contraintes cliniques, institutionnelles et administratives.

C.I.3. Psychiatrie médico-légale
La psychiatrie médico-légale est inscrite dans la psychiatrie de secteur comme un élément spécifique, intersectoriel, régional et parfois interrégional. Les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), relevant des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, sont des services hospitaliers implantés en établissement pénitentiaire et rattachés à un établissement de santé.
L’exercice de la psychiatrie dans ces dispositifs repose sur les mêmes théories, les mêmes références que celles en œuvre en psychiatrie de secteur généraliste mais les conditions doivent tenir compte de la réalité du milieu pénitentiaire, des lois et des règles qui le régissent, des conditions de vie des patients et de l’importance de certaines pathologies, comportements, de certains contextes.
Une connaissance précise des textes de lois s’appliquant à ce lieu et à ces patients détenus, une capacité à bien discerner le cadre sanitaire et ses propres lois et règles (en particulier le secret professionnel) est nécessaire, tout comme des compétences professionnelles à faire face à des situations de tension liées à la promiscuité, à certaines formes de communication et d’expression accentuées du fait du contexte.
La psychiatrie médico-légale s’exerce dans les unités hospitalières sécurisées à vocation interrégionale (UHSI), les unités pour malades difficiles (UMD) accueillant, entre autres, les patients non responsables pénalement, elle demande des compétences comparables à celles nécessaires pour l’exercice en SMPR.

C.I.4. Psychiatrie médico-sociale
Près de la moitié de l’offre de soins en psychiatrie infanto-juvénile se situe dans le secteur médico-social associatif. Les compétences requises du psychiatre responsable dans les établissements et services correspondants sont très proches de celles exigées du psychiatre de secteur ayant un rôle de coordination des soins réalisés au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Il lui est demandé en sus une aptitude particulière à maintenir une dimension soignante dans un milieu institutionnel qui a plutôt en vue la compensation du handicap, alors que son temps de présence diminue de plus en plus et que lui-même n’est pratiquement jamais en position hiérarchique favorable dans l’institution.
Une bonne connaissance du secteur associatif, de la législation et de la réglementation particulière au secteur du handicap est vivement recommandée. La difficulté à maintenir l’indépendance professionnelle du psychiatre ne doit pas être sous-estimée. Cette dernière constitue en effet, avec la démographie psychiatrique en berne, un des principaux facteurs de désertification médicale de ce secteur.

C.I.5. Exercice en établissement de soins privé
Les compétences du psychiatre exerçant en clinique privée psychiatrique recoupent largement celles mises en œuvre dans le cadre de l’hospitalisation à temps plein dans le cadre du secteur, notamment en ce qui concerne la collaboration avec les équipes de soin.
Les cliniques privées proposant des prises en charge dont la durée est généralement limitée à quelques semaines, le psychiatre doit ici proposer des soins qui ne constituent qu’un temps d’une trajectoire de soins cohérente. La capacité de collaborer avec d’autres médecins, psychiatre ou non, est donc ici essentielle. En effet, les patients sont souvent suivis par plusieurs psychiatres au cours de leur hospitalisation en établissement de soins privé mais, surtout, le séjour dans l’établissement doit s’articuler aux interventions du médecin généraliste ou du psychiatre qui prenait en charge le patient avant l’hospitalisation et qui le reprendra généralement en charge à sa sortie.

C.II. Compétences selon les partenaires
De manière générale, les compétences que le psychiatre va mettre en œuvre lorsque la prise en charge implique d’autres partenaires reposent sur une connaissance précise de sa place ainsi que sur le fait de défendre les intérêts du patient. Ces compétences peuvent se décrire selon les cas de la manière suivante :

C.II.1. En responsabilité de direction
Animer et diriger une équipe peut nécessiter un complément de formation en administration et en économie de la santé. Le psychiatre doit cependant conserver son rôle de médecin.

C.II.2. Partenaires médecins non psychiatres
Le psychiatre est l’interlocuteur privilégié de l’équipe de soins avec les autres médecins. Au-delà de ses connaissances médicales propres, il doit aussi observer les règles de déontologie et de confraternité. Ses qualités de dialogue, son aptitude à animer un réseau de professionnels sont déterminantes pour parvenir à une transmission satisfaisante des informations médicales qui nécessitent d’être partagées dans l’intérêt du patient.
Le cas particulier de la relation entre psychiatre et médecin du travail doit être souligné tant les situations de souffrance au travail augmentent en nombre. Face à un patient convaincu du caractère réactionnel de sa souffrance et ayant avant tout besoin de la faire reconnaître, la difficulté que rencontre ici le psychiatre est de parvenir à initier un questionnement sur les déterminants de cette souffrance sans que le patient se sente pour autant menacé que cette souffrance ne soit pas reconnue.

C.II.3. Partenaires du service social
Si les qualités de médiation du psychiatre sont essentielles ici, c’est avant tout le respect de la confidentialité due au patient qui constitue dans ce cas le principal enjeu. Le psychiatre doit parfaitement se repérer dans les questions touchant au partage du secret médical. Il doit en outre préserver son indépendance professionnelle.
Dans le cadre de la réhabilitation sociale, l’ensemble des actions est centrée sur l’autonomie et l’acquisition de l’indépendance dans la communauté. Les buts sont déplacés du soin sur l’insertion et le diagnostic est celui des capacités fonctionnelles de la personne souffrant de troubles psychiques sur les plans des habiletés sociales, de l’autonomie, des capacités professionnelles… Les compétences complémentaires sont celles d’une bonne connaissance du monde du travail et de la problématique d’inclusion progressive de ces patients.

C.II.4. Partenariat avec la justice
Ici encore les questions touchant au partage du secret médical et à l’indépendance professionnelle sont centrales mais le psychiatre doit aussi avoir de bonnes connaissances en psychiatrie légale. Il doit connaître les modalités et les limites des réquisitions ou des signalements, bien mesurer les conséquences médico-légales des certificats qu’il est amené à rédiger.
Une initiation aux pratiques expertales est nécessaire dès la formation initiale mais la formation continue est essentielle pour maintenir à jour ses connaissances en psychiatrie légale. La fonction d’expert doit s’appuyer sur un exercice clinique et ne peut constituer un exercice exclusif.

C.III. Compétences selon la temporalité de la prise en charge
La temporalité de la prise en charge va mobiliser des compétences différentes selon sa durée. Quatre cas de figure peuvent se distinguer ici.

C.III.1. Temporalité ponctuelle
Il s’agit d’une temporalité caractérisée par une intervention unique, ou limitée à quelques interventions, dans un but défini. Cette situation se rencontre le plus souvent dans le cadre des expertises mais aussi de la victimologie, de la psychiatrie de catastrophe. Le psychiatre doit s’attacher ici à clarifier le cadre de son intervention pour le patient mais doit aussi se montrer capable d’engager avec lui une relation dans laquelle la neutralité et l’empathie sont essentielles.

C.III.2. Temporalité immédiate
Il s’agit des situations telles que le travail en service d’urgences ou en psychiatrie de liaison, caractérisées par la nécessité de définir rapidement une orientation du patient vers d’autres dispositifs de soins. Cette temporalité exige du psychiatre une capacité d’évaluer rapidement la situation clinique ainsi qu’une bonne connaissance des ressources sanitaires locales.
Si le traitement est ici surtout symptomatique, il vise aussi à mettre en place les conditions de soins à plus long terme, en installant la lecture clinique multiréférencée décrite dans le chapitre précédent.

C.III.3. Temporalité à court terme
Il s’agit de prises en charge dont il est convenu d’emblée qu’elles ne dureront que quelques jours ou quelques semaines sans possibilité de se prolonger à long terme et qui sont organisées en vue de soins complémentaires dans le cadre d’une prise en charge déjà instituée par ailleurs. Il s’agit le plus souvent de l’hospitalisation d’un patient déjà suivi en ambulatoire dont l’état clinique s’aggrave et ne permet plus son maintien à domicile. Il peut s’agir aussi de soins particuliers dans le cadre d’une prise en charge plus globale (sevrage en cas d’addiction par exemple). Il arrive également que le patient soit déjà hospitalisé mais soit adressé à une autre unité d’hospitalisation pour recevoir un traitement qui ne pourrait pas être proposé dans son unité d’origine (sismothérapie, prise en charge dans une Unité de Malades Dangereux, etc.).
Hormis les hospitalisations visant à administrer des traitements spécifiques qui ne sont pas pratiqués dans toutes les unités de soins, ces hospitalisations peuvent se réaliser aussi bien dans le cadre du secteur qu’en établissements de soins privés. Pour ces derniers, elles constituent l’essentiel de leur activité.
Dans ce cadre temporel, le psychiatre doit à la fois assumer pleinement la responsabilité de la prise en charge durant le temps pendant lequel le patient lui est confié tout en restant conscient des limites de son intervention. Il articule ses interventions à celles qui ont été faites en amont et à celles qui sont déjà prévues en aval, contribuant ainsi à une trajectoire de soins cohérente, les soins à court terme proposés au patient ne constituant qu’un temps particulier d’une prise en charge plus durable.

C.III.4. Temporalité à long terme
Il s’agit ici de la temporalité propre au suivi au long cours des patients dont la pathologie nécessite une prise en charge constante, le plus souvent en ambulatoire. Ce type de temporalité s’observe aussi bien dans les prises en charge réalisées dans le secteur qu’en cabinet libéral ou dans le secteur médico-social.
Le psychiatre est alors le référent de la prise en charge. Il entretient l’alliance thérapeutique avec le patient et son entourage. Il travaille avec le patient afin de favoriser chez ce dernier la conscience de sa pathologie et de son évolution.
Lorsqu’il travaille en équipe il doit veiller à soutenir la mobilisation des autres professionnels et déjouer les effets iatrogènes de l’institution tout autant que les éventuels effets pathogènes de l’organisation du travail sur les professionnels.
Ces compétences propres à ce type de suivi s’acquièrent dès la formation initiale par la possibilité de prendre en charge des patients de manière prolongée en CMP, par d’éventuels remplacements en cabinet libéral, en établissement ou en service médico-social et par une sensibilisation aux psychothérapies.
Au regard de l’importance de ce type de prise en charge quels que soient les cadres de pratiques, la formation continue des psychiatres doit privilégier ce champ de compétences.

C.IV. Compétences selon le mode de relation aux patients
Le mode de relation au patient nécessite des ajustements de la part du psychiatre qui sont rendus possibles par la mise en œuvre des compétences suivantes :

C.IV.1. Relation aux mineurs
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent s’inscrit dans la psychiatrie générale au sens où les compétences requises pour prendre en charge les enfants doivent être acquises dès la fin de la formation initiale.
Toutefois, notamment pour les situations cliniques difficiles, ces compétences doivent généralement être approfondies, ce qui est permis soit par le DESC de pédopsychiatrie au niveau de la formation initiale, soit plus tard dans la carrière par un compagnonnage avec des collègues pédopsychiatres. Ces aspects seront développés dans le chapitre suivant. Indépendamment de ces compétences complémentaires, tout psychiatre pouvant être amené à recevoir un enfant ou un adolescent doit être en mesure de s’ajuster à la place particulière des parents dans la relation de soins. Il doit également connaître les pathologies spécifiques à cet âge de la vie ainsi que les aspects légaux particuliers aux mineurs.

C.IV.2. Relation avec les adultes
La prise en charge de patients adultes requiert plus spécifiquement une bonne connaissance de la législation sur les soins sous contraintes ainsi que de leurs effets cliniques et thérapeutiques.

C.IV.3. Relation avec les familles
Une formation aux thérapies familiales et systémiques peut compléter utilement les compétences du psychiatre amené à recevoir la famille d’un patient, qu’il soit mineur ou majeur.

C.IV.4. Patients en injonction ou obligation de soins
La prise en charge de ces patients nécessite une bonne connaissance des textes légaux concernés mais aussi une compétence relationnelle permettant au patient de se réapproprier la démarche de soins qui lui est initialement imposée. Les caractéristiques cliniques relevant de ces injonctions de soins sont à bien connaître tant dans le cadre diagnostique que thérapeutique.

C.IV.5. Relations avec les personnes handicapées
La compétence du psychiatre doit ici s’enrichir de l’expérience des manifestations déficitaires des troubles psychiques ainsi que des effets psychiques des troubles somatiques et de la souffrance psychique liée aux handicaps physiques. Il doit également développer une empathie particulière pour s’ajuster au vécu de patients dont il est parfois plus difficile de percevoir le monde intérieur.
La législation spécifique aux personnes handicapées, notamment en matière d’accessibilité des lieux de soins et de participation à la vie de la cité, doit être mieux connue.

C.IV.6. Patients en situation de précarité
Il existe une clinique particulière de la dépression et de la psychose des personnes en situation de précarité qui doit être connue par le psychiatre, de même que les parcours de ces personnes, les difficultés d’accès aux soins qu’ils peuvent rencontrer et les mécanismes d’auto-exclusion qui peuvent être à l’œuvre dans ce cas.
Ces compétences se complètent d’une capacité de travail en commun avec les équipes sociales en charge de ces personnes, telles que le SAMU social et les structures d’hébergement d’urgence.

C.V. Les cadres du traitement
Quel que soit le cadre du traitement, ambulatoire, institutionnel à temps partiel ou hospitalisation, le psychiatre doit parfaitement connaître les traitements de références tels qu’ils sont décrits dans les recommandations de la Haute Autorité de Santé.
Les connaître ne signifie pas les appliquer de manière mécanique puisque, non seulement ils nécessitent inévitablement des ajustements au cas par cas comme partout en médecine mais en outre les choix thérapeutiques en psychiatrie dépendent avant tout des capacités de changement de chaque patient, comme cela a été exposé dans le chapitre précédent.

C.V.1. Ambulatoire
Au-delà de cette connaissance des références professionnelles, le cadre de soin ambulatoire ne nécessite pas de compétences autres que celles déjà décrites plus haut dans la description des compétences selon les modes d’exercices.

C.V.2. Institutions à temps partiel
L’utilité des outils de la psychothérapie institutionnelle pour entretenir la motivation des équipes et prévenir les effets iatrogènes des institutions de soins doit être rappelée ici.

C.V.3. Hospitalisation
Du point de vue des compétences du psychiatre, le cadre de soin hospitalier se superpose au précédent.

C.VI. Pénibilité des prises en charges
C.VI.1. Pénibilité pour le patient
Comme partout en médecine, les prises en charge peuvent parfois présenter une pénibilité à des degrés divers pour le patient, qu’elle soit en rapport avec les effets secondaires de certains traitements médicamenteux (notamment neuroleptiques), aux craintes suscitées par des traitements autres que médicamenteux (sismothérapie), aux émergences émotionnelles en rapport avec les processus psychothérapiques.
Mais il existe aussi une pénibilité propre aux soins psychiatriques, telle que la privation temporaire de liberté (hospitalisation sous contraintes, isolement, contention), ou la crainte de la stigmatisation qui s’attache encore aux patients pris en charge par la psychiatrie.
La prise en compte de cette pénibilité est au cœur des préoccupations des professionnels. Chaque psychiatre en est conscient, en tient compte et met en œuvre tout ce qu’il est possible de faire afin de l’atténuer.

C.VI.2. Pénibilité pour le psychiatre
Certaines prises en charge sont particulièrement éprouvantes pour le psychiatre : ce sont les situations où les contradictions liées à la multiréférence deviennent difficile à gérer du fait de l’émergence d’une violence généralement en rapport avec des pathologies pouvant pousser le patient à des attitudes opposantes, voire agressives.
Par ailleurs, la saturation actuelle du système de soins conduit à un risque d’épuisement professionnel quasigénéral tant pour les psychiatres que les équipes de soins qui, quelles que soient les pathologies prises en charge, peut conduire à des contre-attitudes néfastes au patient.
Que l’on se trouve dans le cas de patients particulièrement difficiles ou d’un épuisement lié à la surcharge du système de soins, le psychiatre doit développer des compétences particulières pour faire face à ce type de situation.
Pour prévenir l’épuisement des équipes, une compétence en psychopathologie du travail peut s’avérer une aide précieuse. Les outils de la psychothérapie institutionnelle, la délibération collective des prises en charge en associant les soignants, la rotation des personnels constituent également une prévention efficace de l’épuisement des équipes. Pour les psychiatres, la capacité réflexive sur sa pratique grâce au partage des responsabilités entre collègues, au compagnonnage, et surtout, à une conscience nette de ses propres limites professionnelles sont des compétences indispensables dans ce type de situation.

C.VII. Évaluation des soins, amélioration des pratiques et formation
Historiquement réservée aux études cliniques à des fins de recherche, l’évaluation des soins prend une place toujours croissante dans le travail des psychiatres pour alimenter la réflexion des administrations gouvernant les politiques de santé, de sorte que les compétences autrefois réservées aux psychiatres participant à des recherches sont désormais attendues d’un nombre toujours croissant de psychiatres.
Ces compétences reposent sur des connaissances à la fois scientifiques (épidémiologie psychiatrique, méthodologie de recherche clinique) mais aussi administratives et réglementaires (politiques de santé mentale, législation sanitaire), voire économiques.
Elles donnent lieu à des procédures dans le cadre de la certification des établissements, dans le développement professionnel de tous les psychiatres quel que soit leur exercice. La place des associations scientifiques est essentielle et demande aux psychiatres de développer des compétences en formation personnelle mais aussi en tant que formateur, superviseur.
Elles reposent aussi sur des savoir-faire tels que la réalisation d’enquêtes.
A l’heure actuelle, ces compétences ne sont attendues que des psychiatres en position de responsabilité institutionnelle. La place sans cesse plus importante de l’évaluation des soins dans les discours administratifs laisse cependant penser que ces compétences iront en se généralisant chez les psychiatres comme chez tous les autres médecins.

En conclusion de ce chapitre, il convient encore une fois de souligner que toutes les compétences envisagées demeurent communes à l’ensemble des psychiatres. Elles n’ont été distinguées du tronc commun de compétences décrit dans le chapitre précédent que parce qu’elles sont plus ou moins sollicitées selon la place occupée par le psychiatre dans le dispositif de soins.
Il faut rappeler que cette place ne se résume pas à un mode d’exercice, encore moins à un poste dans une unité de soins. Il s’agit d’une place particulière à chaque prise en charge, donc pour chaque patient, qui ne se repère précisément que de manière multidimensionnelle selon les différents axes qui viennent d’être présentés. Enfin, ce chapitre met en évidence l’intérêt pour chaque psychiatre de travailler dans différents modes de pratiques, que ce soit simultanément ou à différents moments de sa carrière, dans la mesure où ce mode d’exercice mixte est le mieux à même de lui permettre d’exercer l’ensemble de ses compétences ainsi que de mieux savoir évaluer l’impact de ses actions thérapeutiques.

D - Compétences complémentaires en fonction de publics particuliers
Ce chapitre concerne l’exercice de la pédopsychiatrie, de la gérontopsychiatrie et de la psychiatrie des addictions. Ces trois modes d’exercices font l’objet de DESC et supposent donc des compétences complémentaires par rapport au tronc commun des compétences du psychiatre.
L’exposé de ces compétences complémentaires nécessite préalablement de clarifier la spécificité de ces pratiques.

D.I. Situation de la pédopsychiatrie, la gérontopsychiatrie et la psychiatrie des addictions
La distinction entre psychiatrie générale et gérontopsychiatrie ou pédopsychiatrie d’une part, psychiatrie générale et addictologie d’autre part, n’est pas de même nature : la pédopsychiatrie et la gérontopsychiatrie se spécifient sur les plans clinique et thérapeutique du fait de la tranche d’âge des patients concernés alors que l’addictologie met l’accent sur un comportement.

En pédopsychiatrie, la tranche d’âge court de la naissance à l’âge adulte, période du développement dont les étapes doivent être connues dans la théorie et la pratique. Il en découle une sémiologie propre à l’enfant, une prise en considération de la relation de l’enfant à son environnement quant à sa construction psychique, une approche et une organisation spécifiques des soins.

En gérontopsychiatrie, les caractéristiques liées à l’âge telles que l’involution, les atteintes somatiques, la proximité de la mort, demandent une approche différenciée. La fragilité somatique du sujet, sa vulnérabilité psychique, la nature des pathologies, en particulier neuro dégénératives, et le polymorphisme de leurs expressions sont à l’origine d’une clinique particulière. La sensibilité à l’environnement est importante. Les traitements et leur organisation doivent s’adapter à ces particularités.

L’addictologie modélise le processus morbide à partir des mécanismes de dépendance. Si l’addictologie n’est certes pas toute entière contenue dans la psychiatrie, les pathologies addictives sont d’authentiques troubles psychopathologiques dans lesquels s’intriquent les phénomènes de dépendance, avec la souffrance psychique qu’ils génèrent, et souvent des troubles psychiatriques avérés, primaires ou secondaires. Leur prise en charge nécessite un cadre de soins au long cours, évolutif, avec de multiples intervenants. La place du psychiatre est centrale tant par son apport théorique et clinique que par sa capacité à se positionner à côté d’autres acteurs dans un travail en réseau.
On voit donc que les particularités de prise en charge de ces trois pratiques demeurent inscrites dans la psychiatrie générale, raison pour laquelle nous proposons de les désigner par les termes suivants : psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, psychiatrie de la personne âgée et psychiatrie de l’addiction.

D.II. Analyse des spécificités
En dépit de leurs particularités propres, ces trois pratiques peuvent cependant toutes être caractérisées selon trois axes : tout d’abord le contexte, l’environnement, le cadre et le lieu de vie du patient ; ensuite les expressions cliniques ; enfin les approches thérapeutiques.

D.II.1. Le contexte, l’environnement, le cadre et lieu de vie
En psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, l’enfant ne peut être soigné isolément : il existe dans une famille ou son substitut. En outre, l’enfant demande rarement des soins de lui-même. Non seulement le consentement parental doit être obtenu mais en outre les parents sont étroitement impliqués dans les soins. L’environnement familial, l’histoire longitudinale, transgénérationnelle sont à prendre en compte.
L’inscription de l’enfant et de l’adolescent dans son milieu habituel, représenté par l’école et son milieu de vie, sont tout à la fois le lieu de l’expression de la souffrance et un lieu à prendre en considération bien davantage qu’en psychiatrie générale.

La psychiatrie de la personne âgée est également caractérisée par la nécessaire prise en compte de l’environnement. La stabilité de ce dernier, l’isolement affectif et social fréquent avec tous ses retentissements, l’impact de la perte d’autonomie, le poids de la vie en collectivité, sont autant de facteurs qui doivent être soigneusement évalués dans la prise en charge.
La place de la famille, des « aidants », leur âge et leur disponibilité sont à considérer. Parallèlement au degré des altérations cognitives et aux symptômes psychiatriques, tous ces éléments contribuent aux décisions thérapeutiques, notamment en cas de maintien au domicile.
La vie en collectivité génère des comportements plus ou moins bien tolérés, qui seraient considérés comme pathologiques dans un autre cadre. Le travail du psychiatre consiste à identifier le trouble des conduites, à en analyser le sens relationnel ou le rapport avec une pathologie, à apporter des réponses auprès du patient et de l’équipe. Cette pratique demande des connaissances spécifiques à cette tranche d’âge, une maîtrise des dispositifs à mobiliser et une capacité d’échange avec les professionnels associés à la prise en charge.

La psychiatrie de l’addiction entraîne des conséquences spécifiques sur l’environnement du patient. La personne souffrant d’addiction évolue souvent dans un contexte qui alimente sa pathologie. Les conduites de l’environnement social influent en retour sur son état. La désinsertion sociale est à la fois un facteur et une conséquence de certains comportements addictifs.

D.II.2. Les expressions cliniques
En psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, le symptôme doit être éclairé par une bonne connaissance du développement en fonction de l’âge indispensable pour en évaluer l’intensité et le retentissement ainsi que la construction psycho-affective, cognitive et fonctionnelle. L’anamnèse reprend tout à la fois les événements somatiques, psychiques, environnementaux propres à l’enfant et à sa famille.
Les analyses cliniques, les bilans mis en œuvre afin de parvenir au diagnostic, utilisent des approches, des tests et des échelles différenciés et adaptés à l’enfant et l’adolescent (dessins, jeux, etc.). La recherche du diagnostic s’intègre dans une réflexion psychopathologique globale, de même que l’élaboration des diagnostics différentiels ou la mise en évidence de l’intrication de pathologies développementales, psychiatriques et somatiques. Les pathologies sont différentes de celles de la maturité.

La psychiatrie de la personne âgée expose une clinique propre à cet âge en rapport avec les remaniements liés à des transformations physiques et mentales du vieillissement normal et pathologique, l’émergence des maladies neuro dégénératives associant altérations cognitives et manifestations psychiatriques, le vieillissement des sujets psychotiques et enfin les éventuelles pathologies psychiques, organiques et iatrogènes intriquées à ces remaniements. Ces différentes expressions cliniques nécessitent des connaissances particulières.
Une approche pertinente du symptôme et la prise en compte du contexte, notamment de l’état somatique, sont ici essentielles. L’évaluation clinique suppose la connaissance des effets du vieillissement, de la possible disjonction entre les capacités corporelles, sensorielles et cognitives ainsi que des modifications des capacités d’adaptation liées à l’âge (par exemple reconnaître comme défensive la restriction des investissements et ne pas l’interpréter systématiquement comme dépressive).
La reconnaissance des signes cliniques et de leurs conséquences sur l’ensemble de la personne (c’est-à-dire sur la qualité de vie, l’autonomie et les relations avec les proches), l’élaboration d’un diagnostic sans négliger les diagnostics différentiels, exigent une capacité d’appréhender la place du symptôme dans le fonctionnement de la personne âgée qui repose sur des compétences spécifiques. Il en va de même quant à la capacité de recourir à des bilans complémentaires (cognitifs, biologiques, d’imagerie médicale) permettant d’éclairer la compréhension et l’évaluation des processus en cause.

En psychiatrie de l’addiction, la clinique se manifeste essentiellement par des conduites de dépendance à l’égard des produits et/ou par des comportements addictifs. L’addiction inscrit le symptôme dans un modèle complexe, multifactoriel dans lequel des approches biologiques, somatiques, sociales et psychopathologiques tentent de s’articuler.
L’évaluation de l’état psychique et somatique ainsi que de l’environnement constitue un préalable à l’élaboration du diagnostic et à la mise en place des soins.
La psychiatrie apporte ici un éclairage psychopathologique complémentaire qui peut être considéré soit comme global soit limité aux comorbidités selon qu’elle intègre ou non le modèle de compréhension des addictions. La question des diagnostics différentiels est tributaire de ces différentes conceptions.

D.II.3. L’approche thérapeutique, l’organisation du soin, le réseau
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent relève d’un dispositif protéiforme. Le travail thérapeutique est pluridisciplinaire et multidimensionnel. Les dimensions pédagogique, éducative et rééducative interviennent concomitamment à la dimension thérapeutique dans une pratique de soins intégrative.
Ces soins sont essentiellement dispensés par les services de pédopsychiatrie. Inscrits chacun dans leur territoire, ils proposent une porte d’entrée constituée par les Centres Médico-Psychologiques (CMP). Autour du CMP, chaque service organise un réseau de soins dans lequel la place des partenaires est bien identifiée.
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent recourt peu à l’hospitalisation, la grande majorité des enfants et adolescents sont soignés en ambulatoire.
Une grande partie de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent repose également sur le secteur médico-social (CAMSP, CMPP, ITEP, etc.). Elle est aussi très présente dans le secteur sanitaire somatique (pédiatrie, service de maternité).
Les réseaux de soins sont différents selon l’âge, du bébé à l’adolescent.

En psychiatrie de la personne âgée, l’approche thérapeutique emprunte à la psychiatrie en tenant compte de ce qui est imputable au vieillissement, à un éventuel processus dégénératif et à la psychopathologie. L’articulation avec la neurologie et la gériatrie est donc indispensable, d’autant plus qu’il faut veiller au risque de déséquilibre rapide induit par les traitements. Une attention particulière est portée à la stabilité de l’environnement et à la prudence face aux hospitalisations.
Les soins s’appuient sur un réseau constitué par l’environnement du patient : les familles appelées « aidants » (souvent le conjoint ou l’enfant lui-même déjà âgé), les structures d’accueil spécifiques (des maisons de retraite aux EHPAD), le tissu social. C’est généralement ce réseau qui fait appel au dispositif de soins de psychiatrie de la personne âgée, et ce dernier reste en contact avec l’environnement du patient.

En psychiatrie de l’addiction, le psychiatre est souvent sollicité pour prendre en charge les comorbidités. Cette conception pose toutefois plusieurs questions.
Ainsi, dans le sevrage, la dimension somatique nécessite de travailler avec les médecins généralistes et/ou les gastro-entérologues mais le travail thérapeutique antérieur au sevrage repose sur des approches diverses. Pour le médecin somaticien, l’entretien motivationnel est actuellement la base de l’engagement progressif pour parvenir à l’arrêt (ou la suspension) de l’addiction. En revanche, pour le psychiatre intervenant dans le domaine de l’addiction, il s’agit davantage de faire entrer et d’accompagner le patient dans un processus de changement dont le sevrage ne constitue qu’une dimension d’un travail psychique plus large intégrant le fonctionnement global de la personne et de ses symptômes ou pathologies associées.
La psychiatrie fait face à un très grand nombre de patients qui présentent des conduites d’addiction, primaires ou secondaires, intriquées à leur pathologie. La capacité de bien situer la dimension addictive dans le cadre d’une pathologie plus globale est ici essentielle. C’est le rôle de tout psychiatre mais plus précisément celui du psychiatre addictologue.
Les addictologues somaticiens (médecins généralistes ou gastro-entérologues) et les psychiatres addictologues n’ont pas la même approche de l’addiction mais la synergie de leurs interventions élargit les possibilités thérapeutiques. L’organisation des soins reflète cette différence d’approche. A l’heure actuelle, les réseaux de soins des addictions sont centrés sur la prise de produit ce qui rend leur utilisation difficile par les patients souffrant de pathologies complexes associant addiction et troubles psychiatriques. La connaissance de ces réseaux afin de poser des indications adaptées selon les cas fait partie des compétences à acquérir pour le psychiatre.

D.III. Les compétences supplémentaires à acquérir
L’analyse des spécificités des modes de pratiques permet de mettre en évidence les compétences supplémentaires à acquérir par rapport au tronc commun décrit dans le premier chapitre.
Certaines de ces compétences concernent l’ensemble de ces modes de pratique.
Outre le fait que le psychiatre doit accepter de s’engager dans une pratique plus spécialisée, la dimension corporelle, physiologique du patient tient ici une place différente, notamment du fait de l’importance du développement en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescence, du vieillissement en psychiatrie de la personne âgée et des effets somatiques des addictions en psychiatrie de l’addiction.
Ces modes de pratique ont également en commun de s’inscrire dans des réseaux de soins dans le cadre desquels le psychiatre a une place variable selon les cas et non pas centrale comme c’est le cas en psychiatrie générale. Il doit être capable de s’ajuster non seulement aux autres professionnels impliqués dans la prise en charge mais aussi aux théories et aux représentations sur lesquelles se fondent les autres professionnels.
Enfin, ces modes de pratiques se caractérisent tous par le fait que l’environnement relationnel du patient est déterminant pour l’efficacité de la prise en charge. Si la prise en compte de l’environnement est indispensable en psychiatrie générale, il est ici associé aux soins de manière beaucoup plus étroite. Le psychiatre doit donc avoir la compétence d’intégrer l’environnement dans les soins.
En conclusion de ce chapitre, il faut souligner l’importance d’une solide formation préalable en psychiatrie générale, ces compétences complémentaires n’ayant de valeur que si elles s’appuient sur les compétences décrites dans le tronc commun.
En psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, de même qu’en psychiatrie de la personne âgée, l’intérêt de la formation générale est évident puisqu’elle permet de dialectiser le parent et l’enfant, la personne âgée et l’adulte. En psychiatrie de l’addiction, la formation de psychiatrie générale permet de soutenir sur le patient un regard clinique plus global qui élargit les possibilités thérapeutiques proposées au patient.
Ce sont aussi les compétences du tronc commun de la psychiatrie générale qui permettent le passage entre les modes de pratiques tout au long de sa carrière. Les compétences complémentaires qui n’auraient pas été acquises par un DESC au cours de la formation initiale peuvent en effet s’acquérir plus tard en travaillant au contact de psychiatres les ayant déjà acquises en organisant les conditions de travail de manière à permettre cette transmission.

E - Perspectives du métier de psychiatre
Ce référentiel métier ne peut s’achever sans au moins tenter d’ouvrir quelques perspectives d’évolution du métier de psychiatre selon deux directions : d’une part les tendances lourdes de l’évolution du système de soins telles qu’elles sont actuellement perceptibles ; d’autre part les apports de la recherche et leurs conséquences sur les prises en charge.

E.I. Perspectives en fonction des évolutions du système de soins
En dépit d’une démographie professionnelle comparable à celles des pays de l’Union Européenne considérés comme les mieux pourvus, le système de soins psychiatrique souffre actuellement d’une surcharge très importante, à l’instar du système de soins dans son ensemble. Les délais d’attente pour obtenir une consultation auprès d’un psychiatre peuvent atteindre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et les besoins de soins augmentent manifestement encore.
Pour y faire face de nombreux secteurs ont élaboré et mis en place la notion d’ « accueil psychiatrique ». Il s’agit d’un ou plusieurs entretiens réalisés par d’autres professionnels que les psychiatres, généralement des infirmiers, parfois des psychologues, et qui peuvent donc être programmés de manière relativement rapide après la demande de soins. Ces entretiens n’ont pas de visée diagnostique mais ils permettent de percevoir les principales caractéristiques de la demande de soin et d’évaluer son degré d’urgence. Les professionnels réalisant cet accueil en réfèrent ensuite au psychiatre qui, en fonction du degré d’urgence, ajuste le délai du rendez-vous accordé au patient.
On voit ainsi se développer, sous la pression de la nécessité, une clinique « médiatisée » permettant au psychiatre d’ajuster son délai de réponse. Parallèlement, les médecins généralistes, désormais spécialistes des soins de premier recours, sont de plus en plus sollicités. Il existe là aussi une difficulté particulière à la psychiatrie dans la mesure où la philosophie même du secteur supposait que la psychiatrie développe son propre dispositif de premier recours : ce sont les CMP. De même, les psychiatres libéraux ont historiquement toujours fonctionné comme des professionnels de premier recours et, pour la plupart, n’envisagent pas de renoncer à cette fonction.
Ces constats indiquent la nécessité de clarifier la notion de collaboration interprofessionnelle au sein des équipes de psychiatrie de secteur, plus particulièrement d’approfondir les questions touchant à la collaboration entre psychiatres et infirmiers afin de mieux préciser les limites entre le rôle infirmier et le rôle médical. Si personne ne conteste au psychiatre la responsabilité du diagnostic, il ne faudrait pas non plus que, du fait des limites de la démographie professionnelle, le rôle de ce dernier se limite progressivement à poser des diagnostics et des indications de soins dont la réalisation serait confiée à d’autres professionnels dont les interventions seraient encadrées par des protocoles de soins. De même les collaborations entre psychiatres, qu’ils soient psychiatres de secteur ou libéraux, équipes de secteur et médecins généralistes nécessitent d’être mieux réfléchies. La Fédération Française de Psychiatrie-Collège National Professionnel de Psychiatrie (FFP-CNPP) envisage de s’atteler à ce travail dans les suites de ce référentiel du métier de psychiatre.
Par ailleurs, les recommandations de bonne pratique produites par la Haute Autorité de Santé sont reçues de manière inégale par la communauté professionnelle. Elles déçoivent souvent par l’absence de prise en compte de la complexité du métier et l’illusion sous-jacente de parvenir à une standardisation des soins en psychiatrie en fonction du diagnostic. Comme cela a été exposé dans le chapitre consacré au tronc commun des compétences, la psychiatrie se caractérise par le fait que le diagnostic, bien qu’indispensable, ne suffit pas à déterminer la prise en charge comme c’est généralement le cas partout ailleurs en médecine. La Haute Autorité de Santé semble avoir pris conscience de ces difficultés propres à la psychiatrie puisqu’elle a récemment installé un comité de suivi des recommandations en psychiatrie, regroupant l’ensemble des acteurs de la psychiatrie, dans le but de parvenir à des recommandations plus conformes aux pratiques réelles de la psychiatrie. Il est cependant trop tôt pour en mesurer les effets puisque ce comité de suivi ne commencera effectivement à travailler qu’à partir du printemps 2014.

E.II. Perspectives selon les apports de la recherche
Une discipline sans recherche est une discipline en voie de disparition. La psychiatrie est une discipline clinique : la recherche ne peut se limiter à la recherche fondamentale mais doit impliquer les fonctionnements psychopathologiques et leur contexte (déclenchement, vulnérabilité) que les praticiens sont à même d’appréhender et de traiter.
Or, essentiellement pour des raisons de financement, la recherche porte actuellement surtout sur la psychopharmacologie. Elle n’a donc de conséquences pratiques que sur les traitements médicamenteux. Les professionnels souhaiteraient davantage se consacrer à des recherches reposant sur d’autres méthodes : la recherche herméneutique (comprendre le sens du problème d’un patient, mettre en évidence le processus qui l’a produit), recherche monographique (tentative de compréhension des mécanismes à l’œuvre dans une psychothérapie) ou larecherche empirique (approche structurée d’une question avec une méthode, des hypothèses, des données, des instruments permettant d’apporter des réponses et débouchant éventuellement sur une publication). La recherche clinique ne doit pas se limiter aux recherches sur l’animal mais prendre en compte la dimension individuelle humaine. Cette dimension individuelle n’élimine pas les communautés interindividuelles de réaction et de fonctionnement se situant du normal au pathologique (approche dimensionnelle). En outre, le travail psychothérapique alimente la recherche mais la question qui se pose est de le socialiser. Les recherches doivent être multidimensionnelles et interdisciplinaires mais cela confronte à des contraintes : la recherche multidimensionnelle nécessite des méthodes statistiques ajustées, la recherche multidisciplinaire requiert des connaissances dans le champ associé.
Au-delà des médicaments, les champs dans lesquels des recherches semblent actuellement nécessaires sont l’évaluation des pratiques au long cours et les psychothérapies, notamment l’évaluation des psychothérapies complexes, des psychothérapies brèves ainsi que des interventions psychothérapiques.
En collaboration avec l’INSERM, La Fédération Française de Psychiatrie mène depuis plusieurs années une recherche sur ce sujet sous la forme d’un réseau de recherches sur les pratiques psychothérapiques.
Il existe actuellement un nombre considérable de connaissances scientifiques sur tous ces sujets qui démontrent leur efficacité. La difficulté est de s’en saisir tout en étant capable de soutenir une réflexion critique sur les nouvelles publications. Cela supposerait une formation des psychiatres à la recherche, que ce soit dans le cadre de la formation initiale en conduisant effectivement une recherche ou ultérieurement dans le cadre du Développement Professionnel Continu. Une telle formation devrait inclure une formation à la lecture d’articles scientifiques.
On ne peut certes proposer une obligation de recherche à tous les psychiatres mais il faudrait favoriser l’accès à la recherche pour ceux qui le souhaitent. Le plus important est sans doute de sortir d’une attitude visant à idéaliser la recherche. Il faut chercher à en faire quelque chose de quotidien, à partir de cette question : qu’est-ce qui peut me permettre de mieux soigner mes patients et comment le valider et le transmettre ?

Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°08

Publié le 1653563855000