Notre système de santé traverse une crise profonde et généralisée dans tous ses secteurs. Cette nature systémique explique pourquoi les diverses tentatives de colmatage financier et organisationnel de ces dernières années ont eu très peu d'impact.
La tentative la plus spectaculaire et coûteuse a été le Ségur de la Santé en 2020, qui malgré un effort financier inédit, a eu peu d'impact sur le redressement de l'hôpital, prouvant au passage que la crise ne se résume pas à un manque de moyens financiers.
La triple transition démographique, épidémiologique et technologique impose une refonte globale de la stratégie de gestion du risque santé et de sa déclinaison opérationnelle. Notre système de santé n'est structuré ni pour optimiser le maintien en bonne santé de la population, ni pour gérer des pathologies chroniques, ni pour diffuser massivement les innovations technologiques et thérapeutiques.
Il n'est pas en mesure de relever les principaux défis contemporains en santé.
Les clés de la refondation
La refonte repose sur trois piliers d'évolution stratégique et opérationnelle : de l'accès aux soins vers l'accès à la santé, de la gestion des ressources à partir de l'offre vers la gestion à partir des besoins de santé, et d'une gouvernance étatique centralisée vers une démocratie augmentée décentralisée.
Cette réforme est à mener conjointement sur le plan de la gouvernance, de l'organisation des acteurs et du financement.
Pour la gouvernance, une loi d'orientation et de programmation sanitaire à 5 ans devra symboliser le passage à un modèle de santé publique, offrant une vision de moyen terme d'amélioration de l'état de santé de la population. Une réforme de l'État sanitaire sera nécessaire autour de deux pôles : la santé publique (un CDC à la française) et l'évaluation des produits de santé (HAS).
L'agencification de l'État sera remplacée au national par ces deux pôles, et les services de l'État en région et département seront inclus dans une direction de santé publique dans les Préfectures régionales et départementales.
Trois cents territoires de santé communs à tous les professionnels de santé seront créés, simplifiant drastiquement la territorialisation sectorielle actuelle. Ils représenteront l'unité géographique dans laquelle les citoyens trouveront une réponse à leurs besoins essentiels de santé.
Un service public territorial de santé sera délivré par les professionnels de santé du public comme du privé, selon les règles du service public (égalité, continuité, accessibilité, mutabilité). Ce service public confèrera une responsabilité populationnelle et préventive à l'ensemble des professionnels du territoire, ce qui décloisonnera l'organisation des soins.
Le financement solidaire reposera sur un seul financeur par prestation de santé, avec un rôle central de l'assureur public dans le financement des soins et des mutuelles dans le financement des actions de prévention. Chaque citoyen disposera d'un compte personnel de prévention à partir duquel il pourra financer des services de prévention adaptés à ses besoins.
Refondre l'hôpital public
L'hôpital public sera refondé autour de trois axes : l'autonomie de gestion des ressources en interne, l'ancrage territorial des soignants et l'excellence des missions.
Cette autonomie se manifestera par un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, signé par chaque hôpital pour 5 ans avec les caisses régionales d'assurance santé. Elle s'accompagnera d'un rééquilibrage de la direction entre le médical et l'administratif. Le modèle de management actuel des centres de lutte contre le cancer, associant un médecin avec un administratif, sera généralisé à tous les hôpitaux publics.
Les ressources humaines et financières seront gérées majoritairement à l'échelle des services. L'ancrage territorial passera par une flexibilité des carrières, prenant en compte les aspirations individuelles et les besoins des services.
Un médecin ou un infirmier de la fonction publique hospitalière signera un contrat d'obligation de services tous les 5 ans, dans lequel il pourra choisir un temps plein à l'hôpital, ou un partage de son temps entre l'hôpital et d'autres missions dans le territoire de santé.
Le statut phare du professeur d'université-praticien hospitalier sera revu, avec leur assentiment, pour le faire davantage coller avec la vie médicale d'aujourd'hui. Ainsi, les professeurs choisissent, pour cinq ans, un maximum de deux valences, entre les soins, la recherche, ou l'enseignement.
L'hôpital public disposera de missions extraterritoriales en matière de recherche médicale, de programme d'enseignement, de gestion de plateaux techniques hautement spécialisés et de partenariats internationaux. Ces missions auront vocation à assurer l'optimisation de l'excellence médicale française.
Lever les freins de cette refondation
Si le contenu de la refondation de notre système de santé, à partir des pistes citées supra ou d'un autre projet meilleur s'il existe, a été défini avec une relative précision et est prêt à être appliqué, les freins politiques sont réels.
La technostructure de l'État sanitaire représente un frein réel à toute refondation qui lui ferait perdre tout pouvoir de décision et d'organisation du système de santé. La faiblesse du pouvoir politique, caractérisée par une grande instabilité au ministère de la Santé, renforce le pouvoir de cette technostructure et freine la refondation.
Cependant, les Français ont mis la santé en 2024 (sondage Ipsos, Cese, octobre 2024) en tête de leurs préoccupations, loin devant le pouvoir d'achat. Si la santé a toujours été une préoccupation de l'être humain, en faire la priorité des sujets politiques illustre l'inquiétude des Français face à l'avenir du système pour notre génération et celle de nos enfants.
Il fallait probablement passer par cette étape de crise pour que nous prenions conscience de la nécessité de transformer notre système de santé pour lui permettre de répondre aux défis de la triple transition.
Il est maintenant urgent de nous mobiliser collectivement pour la rendre possible, sans quoi nous laisserons derrière nous une société dépourvue d'un vivre-ensemble et d'une société solidaire au XXIème siècle, que nos ascendants ont su, eux, construire et faire perdurer au XXème siècle.
Pr Frédéric BIZARD
Professeur d'économie ESCP Business School
Président fondateur de l'Institut Santé