
Les violences faites aux femmes sont une problématique globale touchant toutes les régions du monde et elle prend une dimension particulière pendant la grossesse. En Polynésie française, ce phénomène est préoccupant, tant par son ampleur que par ses conséquences sur la santé maternelle et néonatale. Cet article explore la nature, les causes, et les conséquences de ces violences, les actions possibles pour leur dépistage, leur prise en charge dans une attitude courageuse de signalement systématique aux autorités, y compris lorsque les victimes majeures ne souhaitent pas déposer plainte.

Dr Stéphane SAUGET
Gynécologue-obstétricien-sexologue
Formé à Tours, diplômé en 2003
Chef de service au centre hospitalier de la Polynésie française

Dr Marie-Charlotte BURDIN
Gynécologue-Obstétricienne
Centre Hospitalier de Polynésie française
Ancienne Chef de clinique au CHU de Toulouse, diplômée en 2018
Définition et prévalence
La violence conjugale est définie comme une prise de contrôle exercée sur le partenaire, nié dans son égalité, souvent cyclique, s'aggravant avec le temps et revêtant des formes multiples (physiques, psychologiques, verbales, économiques et sexuelles). En Polynésie française, les violences faites aux femmes occupent la deuxième place parmi les départements et territoires d'Outre-mer. Le nombre de plaintes est en augmentation constante, passant de 1 200 en 2021 à 1 500 en 2023. Environ 40 % des cas de violences débutent pendant la grossesse, aggravant souvent des situations préexistantes.
Conséquences des violences pendant la grossesse
Les violences durant la grossesse engendrent des impacts graves sur la santé maternelle et fœtale. Parmi les principales conséquences, on note :
• Une augmentation de 90 % des métrorragies ;
• Une hausse de 60 % des ruptures prématurées des membranes, infections et vomissements ;
• Un accroissement de 40 % des cas d'hypertension artérielle et de complications liées ;
• Une morbidité néonatale accrue, avec +37 % de prématurité et +21 % de retard de croissance intra-utérin.
Les différentes formes de violences
Les violences subies par les femmes enceintes peuvent prendre plusieurs formes :
1. Violences psychologiques : difficiles à identifier, elles incluent le contrôle, l'intimidation et les menaces.
2. Violences verbales : souvent banalisées, elles consistent en des insultes et des humiliations.
3. Violences physiques : fréquentes et médiatisées, elles incluent des coups, des blessures, et des traumatismes.
4. Violences sexuelles : taboues, elles restent souvent sous-déclarées.
5. Violences économiques : méconnues, elles se manifestent par la privation de ressources financières.
Les violences envers les femmes enceintes sont le résultat de multiples facteurs : historiques, sociaux, religieux, économiques et culturels. La précarité, les addictions et la grossesse elle-même sont autant de facteurs favorisant ce phénomène.
Le dépistage des violences pendant la grossesse est une priorité de notre service. Il est réalisé par des questions simples et directes, dans un cadre bienveillant. L'utilisation d'outils comme les auto-questionnaires ou le violentomètre peuvent être utiles. Les signes d'alerte incluent entre autres, des blessures inexpliquées, des consultations médicales fréquentes ou manquées, des symptômes somatiques chroniques ou encore des troubles psychiques comme l'anxiété et la dépression, un partenaire semblant trop attentionné, intrusif voire agressif.
La prise en charge sera méthodique et pluridisciplinaire
• Évaluer la gravité et les risques (présence d'armes, menaces de mort, isolement).
• Reconnaître et nommer ces violences, légitimer la procédure pour les faire cesser.
• Accompagner la victime en la sécurisant (hébergement, soutien psychologique).
• Encourager le dépôt de plainte et informer sur les droits.
• Effectuer un signalement si nécessaire, conformément aux obligations légales.
Il existe de nombreux freins au signalement ou au dépôt de plainte spontané des victimes. Les victimes, souvent paralysées par la honte, la peur des représailles ou la dépendance affective et financière, hésitent à demander de l'aide. Les soignants, de leur côté, peuvent manquer de formation, de temps ou de connaissances des mécanismes de signalement.
En Polynésie française, comme ailleurs en France, le signalement des situations de danger pour les personnes vulnérables (y compris les femmes enceintes) est une obligation légale. La loi stipule que le secret professionnel ne peut être opposé pour signaler une situation de maltraitance.
Dans ce cadre, un protocole a été mis en place dans le service d'obstétrique du Centre Hospitalier de Polynésie française afin de codifier la prise en charge médicale, psycho-sociale et juridique. En outre cela nous permet aussi de colliger les données concernant cette problématique.
Le protocole de service inclut toutes nos femmes enceintes victimes de violences conjugales consultant pour ce motif.
Nous leur proposons une hospitalisation systématiquement pour protection maternelle après avoir réalisé un examen exhaustif materno-foetal. Nous avons mis en place une pochette grise disponible dans nos services qui comprend tous les documents nécessaires pour la prise en charge : le certificat médical initial descriptif complété systématiquement (que l'on complète avec des photos), la fiche de dépôt de plainte simplifiée, la fiche de signalement aux services sociaux et au Procureur de la République, le violentomètre, une grille d'estimation de la vulnérabilité, le consentement pour le recueil des données, la brochure de notre Unité Médico-Judiciaire et le contact des associations de Polynésie. Ensuite, la victime est vue par le médecin de l'UMJ sur réquisition et déterminera l'ITT. La pochette grise nous permet, comme la pochette rouge des transfusions, de savoir rapidement que la patiente est vulnérable et a été victime de violences. La psychologue de notre service proposera un entretien en systématique. La surveillance hospitalière est minimum de 48h quand les violences physiques touchent l'abdomen afin de contrôler le bien-être fœtal, puis la sortie dépendra de l'état psychologique et des possibilités d'hébergement. Plusieurs centres accueillent les victimes mais les places restent trop peu nombreuses par rapport à la demande. Il est à noter que nous restons souvent démunis devant ces situations inquiétantes car nos victimes sont souvent d'une dépendance telle de leur conjoint que la séparation physique n'est pas envisageable. De plus, la vie insulaire est un frein à un nouveau départ pour ces femmes qui pourront recroiser aisément le chemin de l'ex conjoint, de l'ex belle-famille, des amis en commun… En outre, la dépendance économique des femmes est importante avec un taux d'emploi masculin bien supérieur à celui des femmes.
Malgré ces freins, notre lutte reste vive pour aider nos femmes enceintes à s'échapper de ces situations dangereuses pour elles et l'enfant à venir, et il nous semble opportun, lors de ce suivi régulier, minimum mensuel, d'améliorer le dépistage et la prise en charge globale des ces futures mères.
Conclusion
Les violences faites aux femmes enceintes constituent une urgence de santé publique en Polynésie française. Leur dépistage et leur prise en charge nécessitent une mobilisation collective et coordonnée des soignants, des services sociaux et des autorités judiciaires. Il s'agit d'un défi à la fois éthique et médical, impliquant la protection 42 des femmes et de leurs enfants à naître.