
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m'appelle Mehdi El Melali, je suis médecin urgentiste. J'ai 32 ans et j'ai fini mon cursus en novembre 2022. Je suis originaire de Picardie, j'ai été interne à Paris même si initialement j'aurais préféré le faire à Mayotte. Après réflexion, l'internat à Paris m'a permis d'avoir la vision d'un mode universitaire avant de commencer l'humanitaire et c'était très bien comme ça.
J'ai réalisé des missions humanitaires à Haïti, deux fois en Cisjordanie, à Gaza, au Yémen, à Mayotte (lors de cyclone « Chido »), en République Démocratique du Congo actuellement (RDC).
Quelles ont été les étapes clés de ton parcours ?
Je dirais que l'étape clé, c'est essentiellement, le moment où j'ai postulé à Médecins Sans frontières (MSF). L'humanitaire c'est quelque chose que je voulais faire depuis la 1ère année de médecine, c'est d'ailleurs pour l'humanitaire que j'ai voulu faire médecine. Mon choix de spécialité s'est fait en fonction des besoins humanitaires, je savais que je n'allais pas faire de spécialité d'organe, et que ce serait entre une spécialité chirurgicale (qui coïnciderait avec la médecine humanitaire : chirurgie viscérale, plastique et reconstructrice, orthopédie…), anesthésie-réanimation ou urgences.
J'attendais seulement d'avoir mon diplôme de docteur pour pouvoir postuler à MSF officiellement.
J'ai fait de l'associatif lorsque j'étais étudiant. Lorsque j'étais externe à Amiens, j'avais commencé par des associations locales. Je n'ai pas fait d'humanitaire lorsque j'étais interne, j'estimais que c'était peu pertinent puisque j'étais encore en cours de formation. Dans l'humanitaire, il est nécessaire d'être bien formé avant, puisque les patients ont besoin d'un avis d'un professionnel formé. Nous comblons un manque donc il faut être sûr de nos compétences.
J'ai ensuite été officiellement recruté 3-4 mois après ma demande auprès de MSF. C'était le temps d'être validé sur le plan technique puis sur le plan général pour s'assurer que je correspondais bien à la mentalité de l'ONG (organisation non gouvernementale).
En quoi consistent tes missions et à travers quelle(s) structure(s) les réalises-tu ?
Je travaille avec deux ONG principales : MSF et MEHAD. MEHAD c'est une ONG qui fait de la formation, du support de soins primaires mais en étant axé sur la formation du personnel médical.
Cette ONG travaille beaucoup dans le secteur de MSF et on retrouve souvent des personnes issues de MSF dans l'ONG MEHAD. Les deux sont très liées. J'ai réalisé 3 missions avec MSF et 4 avec MEHAD.
Les missions sont assez variées. Nous pouvons partir en tant que médecin sur le plan technique. J'ai fait deux missions où j'étais purement un support technique, comme un médecin de service.
Avec MSF, c'est assez rapidement de la supervision. Nous sommes au lit du malade tout de même mais nous sommes surtout présents en support des équipes médicales sur place. Nous essayons d'améliorer les compétences et l'organisation tout en participant aux soins.
Après nous pouvons occuper des postes de manager/ coordonnateur où nous occupons des postes d'organisation et de management de l'activité médicale. Nous allons nous éloigner un peu du soin, mais nous prenons un peu plus de hauteur. On peut apparenter ça à un chef de service en France.
Après il est possible de devenir coordonnateur au niveau du pays puis « coordonnateur cellule » où nous allons gérer plusieurs pays dans notre spécialité en apportant une expertise médicale en termes de gestion. Le but est que ce soit la population qui soit bénéficiaire de nos soins. Ce qui est important avec MSF (ONG internationale) c'est que nous sommes neutres, nous ne nous impliquons pas dans les conflits, l'impartialité est le maître mot. Nous ne portons pas de drapeau, nous ne représentons pas un pays. Les équipes sont multinationales, par exemple sur ma mission actuelle en RDC, il y a des soignants du Niger, du Tchad, de l'Espagne, d'Angleterre, de Belgique.
Comment articules-tu ces missions avec ton travail en Métropole Française le reste du temps ?
Je travaille beaucoup avec des contrats courts de vacataire qui me permettent de bouger, j'essaye de m'arranger avec le service pour travailler en condensé 1-2 mois pour avoir par la suite plusieurs mois de libre. Le but c'est de trouver un endroit où j'ai un contrat qui me permette de bouger et de revenir à un point fixe. J'ai beaucoup travaillé à Mayotte, en remplacements, par exemple.
Pour être disponible pour les missions urgentes, il faut souvent ne pas prévoir son planning à long terme. C'est le point négatif, le manque de stabilité. Pendant longtemps je prenais 2 semaines de vacations pour pouvoir par la suite être disponible pour partir en mission.
Ta dernière mission à Mayotte pour le cyclone CHIDO est-elle différente des autres car sur le sol français ?
Mayotte, l'avantage c'est qu'il y a moins ce temps d'adaptation à un système de santé parce que nous le connaissons. La mise en place de certaines choses est facilitée car nous connaissons les démarches à effectuer. Cette mission nous a permis de travailler au plus près des populations isolées comme au sein des « bangas », chose que nous faisons moins au centre hospitalier de Mayotte.
Quid des conditions de vie sur place pour les intervenants (logement, nourriture, valise) ?
MSF sont très expérimentés. Ainsi tout est mis en place notamment sur les projets réguliers, d'autant plus quand ils sont implantés depuis longtemps. Le tout va être pris en charge (nourriture, logement, sécurité) afin que nous puissions nous focaliser sur le travail et afin d'être le plus efficace possible. Sur les missions d'exploration, nous allons devoir gérer un peu plus de choses. Nous devons aider à la recherche d'un logement, participer à l'évaluation des risques liées à la sécurité avec un chef de mission / un logisticien. Ces missions sont un peu plus « roots » que sur un projet déjà installé.
L'ONG nous donne un budget limité. Nous essayons vraiment de le respecter afin d'orienter le maximum du budget sur l'activité médicale et que cela revienne au patient. C'est comme cela d'ailleurs que nous évaluons la pertinence de nos actions. Nous cherchons à savoir le coût de la mission par patient et qu'est-ce qui revient réellement au patient.
Lors de nos missions, la rémunération est un dédommageant, très en deçà des salaires en France. Ce n'est pas très confortable de partir en humanitaire mais nous n'avons pas à payer autre chose. Le dédommagement nous sert à payer nos frais de métropole (crédit, autre logement...). Au plus nous montons dans les niveaux de coordination des cellules et au plus le salaire peut augmenter. Si nous comparons à une activité hospitalière classique nous sommes en deçà, et le taux horaire est inférieur.
Après lorsque nous faisons de l'humanitaire, nous ne comptons pas nos heures même si nous ne sommes pas poussés dans ce sens mais souvent le projet nous tient à cœur. Le but c'est d'atteindre l'objectif. Sinon, en globalité, nous faisons du lundi au samedi matin mais ça dépend vraiment du contexte de la mission et du contexte de sécurité autour. Au f i l des missions, j'ai un sac un peu plus affiné. Je prends mon ordinateur perso avec des films, certains livres que j'ai envie de lire pendant la mission, des vêtements qui sèchent vite et qui sont pratiques. Nous ramenons des choses qui vont nous manquer en métropole, en fonction du contexte par exemple du fromage, du chocolat… J'essaie aussi de prendre du matériel de sport léger c'est-à-dire des élastiques, j'essaie d'avoir une hygiène de vie. Faire une séance de sport après une journée de travail ou sur notre temps de repos avec l'équipe c'est assez sympa en général.
Quelles sont les principales qualités d'un urgentiste requises pour réaliser des missions humanitaires ?
La première chose c'est l'adaptabilité. C'est essayer de comprendre très rapidement un système parce que le système de soins est différent selon les lieux. Il y a aussi certaines missions un peu plus difficiles où il est nécessaire de travailler plus.
La 2ème chose c'est la tolérance, on se rend dans des pays différents avec des cultures différentes. Il faut être respectueux des « us et des coutumes » de chaque pays.
Il faut aussi avoir la capacité de se détacher de ce que nous pouvons faire. Nous faisons face à de la frustration. Parfois, nous ne pouvons pas donner le soin comme en France. Il faut accepter d'être limité par un système, un peu comme dans un aflux massif de victimes, nous travaillons pour le plus grand nombre. Il y a des situations plus difficiles que d'autres mais nous faisons malgré tout le maximum en permanence.
l faut être tolérant aux changements, nous changeons régulièrement de pays, de logement… Il faut essayer d'avoir une routine et des activités plaisirs, essayer de rester en contact avec ses proches pour ne pas être totalement exclu de son monde en partant en mission.
Quelles étaient tes appréhensions avant de réaliser ta première mission à Haïti ?
C'était une mission avec un certain niveau de risque sécuritaire. Il y a toujours cette appréhension de découvrir un nouveau pays et nous ne savons pas du tout comment cela va fonctionner. Au final, cette appréhension disparaît rapidement, tout est fait pour qu'on puisse travailler dans les meilleures conditions et qu'on réduise au maximum le danger.
J'aime beaucoup apprendre de nouvelles langues donc ça ne m'a pas posé trop de problèmes.
J'essaye à chaque fois d'apprendre les bases de chaque langue. J'ai aussi fait beaucoup de missions dans des pays arabophones et je le suis aussi donc c'est plus simple. Là j'essaie d'apprendre le « Swahili », c'est toujours une forme de respect de s'intéresser à la langue et souvent cela nous permet d'en apprendre plus sur la culture locale.
Quels sont les freins actuels dans tes missions ?
Je n'en ai pas vraiment, j'organise toujours un peu mon planning pour être disponible. Je refuse certaines missions lorsque je ne suis pas disponible et parfois cela bloque un peu.
De façon général, ce serait plus la vie de famille, c'est compliqué d'en avoir une lorsque nous partons tout le temps. Il y a des missions assez longues de 6 mois, un an voire plus, suivant le poste que nous occupons. C'est compliqué car tous les terrains ne sont pas compatibles avec le fait de faire venir sa famille donc cela peut être un peu difficile à accepter de rester longtemps loin de ses proches.
Est-ce que tu aurais un message pour les jeunes médecins urgentistes ?
Si vous avez envie de faire de l'humanitaire : postulez ! Lorsque l'on postule ce n'est jamais un choix sans retour. Il faut faire une mission pour savoir ce que c'est, vous ne saurez jamais ce qu'est vraiment l'humanitaire sans y aller donc foncez !

