
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Dr Jonathan MOISSON, urgentiste, j'ai grandi à Paris, j'ai réalisé mon internat entre Paris et la Réunion. Et pour les mots clés je dirais : syndicat, trail, bateau, manchot, exploration en milieu isolé.
En quoi consiste ton poste de médecin adjoint des TAAF exactement ?
Je suis depuis novembre médecin adjoint à Paris des Terres Australes et Antarctiques Françaises, Institut polaire français, SAMU 75. Mon travail est réparti comme ceci :
• 50 % PHC au SAMU de Paris, régulation et camion.
• 50 % pour les TAAF/IPEV.
Concrètement, 1 mois par an, je suis médecin de bord sur le Marion Dufresne, bateau océanographique de 120m de long, pour accompagner plus d'une centaine de civils et militaires (scientifique, cuisinier, plongeur, menuisier, mécano…) jusqu'aux îles de Crozet, Kerguelen et Amsterdam, à plus de 2000 km au sud de la Réunion.
Et le reste du temps, je gère depuis Paris les aptitudes médicales de tous les personnels allant passer de plusieurs mois à un an sur place, et gère l'achat, le réapprovisionnement et la logistique de tout le matériel médical sur les bases en Antarctique. J'ai aussi un rôle d'aide au recrutement, de communication, de formation et de soutien médical aux médecins sur base (ou tout autre besoin du service médical).
Ce poste dure en général 2 ans, et un équivalent existe à la Réunion.

Comment as-tu fait pour obtenir ce poste ? Et si on veut “juste” travailler dans les TAAF, comment on peut faire ?
J'ai candidaté. Le poste de médecin adjoint, mêlant travail clinique et administratif, colle bien avec le profil de médecin urgentiste en début de carrière. Mes expériences syndicales, démontrant certaines capacités administratives, et mes expériences cliniques diverses au Burkina, Japon et Mexique ont dû convaincre de mes capacités d'adaptation.
Pour travailler dans les TAAFs, il faut regarder les fiches de poste sur https://taaf.fr/recrutement/medecin-et-infirmier/ et m'envoyer un mail à [email protected].
Comment s'articule ce travail avec ton poste de médecin au SAMU de Paris ?
Hormis le mois que je passe en mer, je travaille en moyenne 2 jours et demi par semaine pour les TAAF, et complète avec un 50 % au SAMU adulte de Paris, basé à Necker. J'ai un statut de PHC, avec une convention entre l'APHP et les TAAF. Cette organisation me permet à la fois de continuer à exercer la médecine d'urgence pré-hospitalière dans un service renommé, tout en développant de très diverses compétences en médecine en milieu isolé, en logistique, en gestion de projet…
Comment ça se passe pour les médecins qui bossent au sein des TAAF ? La durée de leurs missions ? Quelles sont leurs missions ?
Chaque année, nous recrutons 6 médecins dont un interne pour des missions de 13 mois sur base. Avant de partir, ils et elles bénéficient de plusieurs mois de formation adaptée à l'exercice en milieu isolé ; chirurgie sur cadavre, dentisterie, psychiatrie, kinésithérapie, secours en montagne, gynécologie, anesthésie… Tout ce qui pourrait être utile au bout du monde. Compter début formation en juin, départ en novembre pour 13 mois et retour décembre de l'année suivante. Ce sont des médecins civils avec des contrats militaires.
Sur place, les médecins disposent d'un hôpital, avec une chambre d'hospitalisation, un bloc opératoire, une salle d'examen, de la biologie délocalisée, un échographe, un fauteuil dentaire, une radio, un respirateur, un scope, de l'O2, une pharmacie avec une dotation importante… De quoi prendre en charge énormément de situations cliniques.
Leur rôle est multiple :
• Assurer la bonne santé des personnels sur base : cela va de la médecine générale classique, à l'accompagnement psychologique (avec l'aide des psychologues du service disponible en visio), à la médecine du travail en passant par les soins dentaires, le secours en milieu périlleux, jusqu'à la réanimation ou la chirurgie en cas d'accident.
• Assurer la formation des personnels non médicaux sur base : au-delà de former tout le monde au premier secours, le médecin doit aussi former des assistants médicaux au cas où des prises en charge complexes se présentent. S'il a un accident, pas d'IDE sur base, c'est le mécanicien ou l'ornithologue que le médecin aura formé auparavant qui va venir tenir les écarteurs pendant une chirurgie, préparer les drogues pour un déchoc, ou encore planter des relais pour faire un secours.
• Et enfin s'assurer de l'intendance et du bon fonctionnement de l'hôpital, tester les machines, en effectuer la maintenance, gérer ses stocks pour permettre la commande de médicaments…
Quelles sont leurs conditions de vie sur place (logement, nourriture, valise) ?
Niveau vie sur base, le médecin a sa chambre et salle de bain personnelle dans l'hôpital.
Pas besoin de cuisiner, il y a un chef sur chaque base et sur le bateau, qui préparent tous les repas. Les produits frais diminuent au fur et à mesure de l'hivernage, mais entre les pâtisseries, certains chefs qui sortent de restos étoilés, et la pêche à la langouste sur certaines îles, la tendance est plutôt à la bonne bouffe…
Des grosses cantines envoyées par bateau permettent de ramener des affaires personnelles, et les multiples activités possibles sur base (sport, musique, discussions passionnantes et passionnées avec les personnels scientifiques ou autre, mission en extérieur) laissent peu de temps à l'ennui !
Et surtout, c'est une expérience humaine exceptionnelle qui est systématiquement mise en avant par les médecins revenant de mission.
Comment le poste d'interne s'articule-t-il dans le reste du cursus ?
Il existe un poste de médecin-adjoint à Kerguelen, pour un interne qui est donc accompagné d'un médecin chef. Celui-ci sort du contexte habituel : ce n'est pas un stage d'internat, il n'est pas validant, c'est une mission de 13 mois avec un statut de Volontaire Service Civique avec une indemnité, qui nécessite de prendre a minima un an de disponibilité.
Pour le poste d'interne, les formations commencent en septembre ; le départ a lui aussi lieu en novembre pour 13 mois.
Ses missions sont semblables à celles du médecin chef, sous sa responsabilité, avec aussi parfois nécessité de médicaliser des bateaux en cas de rapatriement. Ce duo permet de répartir la charge de travail, d'avoir une relation pédagogique, et de faire plus de missions en dehors de la base !
Quelles sont selon toi les principales qualités d'un Urgentiste requises pour réaliser ces missions ?
« Souple sur les pattes arrières » C'est le slogan officieux du service médical des TAAFs : adaptabilité, adaptabilité, et adaptabilité.
Les conditions sont parfois extrêmes : vents montant à 150km/h à Kerguelen, températures descendant à -90°C en hiver à Concordia. Rapatriement en bateau durant 6 jours minimum depuis les îles australes (si bateau il y a), ou encore impossible 9 mois dans l'année en Antarctique. Ces contraintes demandent de trouver des solutions parfois inhabituelles, et un certain self-contrôle.
Les médecins qui partent sont principalement des urgentistes ou des médecins généralistes (ou autres spécialistes) avec une formation en urgence. Toute formation apportant plus d'autonomie, ou expérience professionnelle ou personnelle démontrant une capacité à vivre en milieu isolé ou à affronter des conditions parfois difficiles sont les bienvenues.
Au-delà des compétences médicales, les compétences sociales et humaines sont aussi, dans ce contexte d'isolement, particulièrement importantes.
Quelles sont selon toi les difficultés particulières de ce type de poste ?
Ces postes requièrent une grande ouverture d'esprit et la capacité à travailler avec des moyens et des circonstances qui n'ont rien à voir avec ceux en métropole ou en Outre Mer. Le travail d'intendance hospitalière et de formation des personnels non médicaux sortent parfois du travail de médecin classique, et il faut pouvoir se faire confiance sur le plan médical, tout en pouvant compter sur une vraie expertise en télémédecine avec un réseau développé, et sur les formations préalables.
Les bases accueillant du personnel venant de tout horizon, il faut réussir à composer avec les personnalités de tout le monde en vivant en huis clos pendant une période longue. Le médecin, au-delà de son rôle médical, va aussi être un membre à part entière de la mission, avec des relations personnelles avec les différents hivernants. Cela donne une valeur supplémentaire à l'expérience, mais nécessite aussi de réussir à garder une posture de médecin pour prendre tout le monde en charge au mieux.
Mais ces difficultés potentielles constituent aussi, en plus des paysages sublimes, des éléphants de mer et des manchots, la richesse de l'aventure. C'est une expérience exceptionnelle, unique, et qui confère des compétences utilisables partout, du CHU parisien au fin fond de l'Antarctique.

Et si nos adhérents veulent vous rejoindre, comment font-ils ?

