Actualités : Point sur les mycobactéries non tuberculeuses - Que faut-il savoir en 2024 ?

Publié le 05 juil. 2024 à 10:10
Article paru dans la revue « AJPO2 - La revue des jeunes pneumologues » / AJPO2 N°4

  Les mycobactéries non tuberculeuses (MNT) représentent près de 200 espèces répertoriées, dont la source est le plus souvent environnementale (eaux et sols), potentiellement responsables de pathologies chez l'Homme avec atteintes pulmonaires et/ou extra-pulmonaires, dans un contexte opportuniste ou non. La prise en charge des infections respiratoires à mycobactéries non tuberculeuses a fait l'objet, en 2020, d'une actualisation des recommandations de pratiques cliniques conjointes entre l'ATS, l'ERS, l'ESCMID et l'IDSA. L'objectif de cette courte revue, traitant d'un sujet peu fréquent en pratique courante, est essentiellement de se familiariser avec l'épidémiologie de ces infections ainsi que les grands principes diagnostiques et thérapeutiques.  

Épidémiologie
Prévalence, incidence et facteurs de risque

En Europe, la prévalence annuelle est estimée à 6,2/100 000 habitants avec néanmoins des disparités régionales plus prononcées en France et au Royaume-Uni [1]. En France, une étude rétrospective basée sur l'analyse des données extraites du Système National des Données de Santé (SNDS) entre 2010 et 2017 a permis d'estimer, en population générale, la prévalence à 5,92/100 000 habitants. Le taux d'incidence est resté stable dans le temps entre 1,025/100 000 en 2010 et 1,096/100 000 en 2017. Les patients atteints de mycobactérioses pulmonaires présentaient davantage de comorbidités que les témoins : corticoïdes (57,3 % vs. 33,8 %), maladies chroniques des voies respiratoires inférieures (34,4 % vs. 2,7 %), autres pneumonies infectieuses (24,4 % vs. 1,4 %), malnutrition (22,0 % vs. 2,0 %), antécédents de tuberculose (14,1 % vs. 2,0 %), infection par le VIH (8,7% vs. 0,2%), cancer du poumon et transplantation pulmonaire (5,7 % vs. 0,4 %), mucoviscidose (3,2 % vs. 0,0 %), reflux gastro-œsophagien (2,9% vs. 0,9  %) et allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (1,3  % vs. 0,0  %) [2]. Il convient de souligner, dans cette étude, que les frais d'hospitalisation représentaient plus de 50  % des dépenses totales attribuables aux mycobactérioses pulmonaires.

Les facteurs de risque fréquemment rencontrés [3] de mycobactérioses pulmonaires peuvent être regroupés dans le tableau suivant :

  Immunodépression sous-jacente (médicamenteuse ou non)   Comorbidité respiratoire (hors transplantation d'organe solide)   Comorbidité extra-respiratoire (hors transplantation d'organe)  

• VIH
• Transplantation d'organe solide (cœur et poumon)

Médicaments :

• Corticothérapie systémique et/ ou inhalée

• Immunosuppresseurs (MMF, tacrolimus, etc)

• Anti-TNFα

• Dilatations des bronches

• Antécédent(s) de tuberculose pulmonaire a Pneumopathies interstitielles

• BPCO

• Asthme

• Pneumonie associée

• Déformation thoracique (cyphoscoliose)

 

• Tumeurs solides

• Maladies cardiovasculaires

• Dénutrition

• Refl ux gastro-œsophagien

• Polyarthrite rhumatoïde 


Les MNT sont ubiquitaires et trouvent leur origine dans le sol, d'où elles peuvent pénétrer dans les eaux de surface, qui sont utilisées comme source d'eau potable [4]. Une étude microbiologique et minéralogique réalisée à Hawaï a souligné une probabilité plus élevée d'identifier des MNT dans les sols expansifs (ceux qui gonflent avec l'eau) avec un bilan hydrique élevé (plus d'1 m de différence entre les précipitations et l'évapotranspiration), riches en fer et en hydroxydes. Un équilibre sol-eau élevé peut faciliter le mouvement souterrain de la MNT dans le système aquifère, potentiellement aggravé par des capacités expansives permettant la formation de fissures dans des conditions de sécheresse  [5].

Il a été démontré que le complexe Mycobacterium avium (MAC : Mycobacterium avium, Mycobacterium chimaera et Mycobacterium intracellulare) et le complexe Mycobacterium abscessus (MABC : M. abscessus, M. bolletii, et M. massiliense) ont la capacité d'adhérer aux surfaces et de former un biofilm [6]. Cette caractéristique, ainsi que leur résistance aux désinfectants courants, permet à ces micro-organismes de persister pendant des périodes prolongées dans les systèmes de distribution d'eau tels que les canalisations, devenant ainsi un réservoir constant. Il est prouvé que la croissance et la survie de M. abscessus sont favorisées en présence de particules telles que le kaolin, l'halloysite, le dioxyde de silicium et la poussière domestique [7]. De plus, les MNT ont la capacité de survivre dans des conditions particulières et certaines sont douées de thermorésistance voire de thermotolérance : M. avium, M. intracellulare, M. kansasii et M. xenopi ont été isolés dans des systèmes d'eau chaude (>50°C) [8].

Par ailleurs, il convient de noter que les plantes peuvent constituer une source de MNT. M. avium a été détecté dans les tiges et les feuilles de différentes espèces végétales après avoir été internalisé dans les tissus végétaux par des systèmes racinaires intacts ou endommagés, ce qui peut impliquer le rôle des plantes dans la propagation et la transmission des mycobactéries à d'autres organismes dans l'environnement [9]. En outre, plusieurs aliments d'origine végétale ont été étudiés et se sont révélés contaminés par des MNT, notamment ceux qui se trouvent à proximité ou sous la surface du sol : à titre d'exemple, une étude rapportait des génotypes de M. avium identiques chez des patients au stade SIDA présentant une infection disséminée et dans les aliments contaminés ingérés [10].

En résumé, les voies d'infection par les MNT comprennent l'exposition à l'eau contaminée, à la poussière, aux plantes et aux aérosols qui peuvent pénétrer dans le corps humain par inhalation ou ingestion. Un facteur de risque sous-jacent est quasiment obligatoire pour que se développe une mycobactériose pulmonaire.

Critères diagnostiques

Le diagnostic d'une mycobactériose pulmonaire repose classiquement sur l'association de critères cliniques et radiologiques avec présence d'au moins un critère microbiologique, à la condition sous-jacente d'avoir au préalable éliminé les diagnostics différentiels les plus probables dans le contexte. L'ensemble est résumé dans le tableau suivant :

  Clinique   Symptômes respiratoires ou systémiques     Radiologique (Figures 1 et 2)   Radiographique : opacité nodulaire ou cavité ou infi ltrats OU Tomodensitométrique : bronchiectasies ou cavité ou nodule unique ou multiple ou micronodules disséminés     Microbiologique   1. Culture positive d'au moins deux expectorations distinctes espacées de 7 à 15 jours OU 2. Culture positive d'une aspiration trachéo-bronchique ou d'un LBA OU 3. Biopsies distales (transbronchiques) ou tout autre biopsie pulmonaire révélant des lésions évocatrices d'infection mycobactérienne (présence de BAAR ou granulome) ET : a Culture de la pièce biopsiée positive à une MNT a Au moins une culture (expectoration ou aspiration trachéobronchique) positive à une MNT  



Figure 1
: TDM thoracique initiale chez une patiente de 38 ans présentant une toux chronique sans expectoration avec identification d'un Mycobacterium chimaera sur les cultures d'une aspiration trachéo-bronchique.




Figure 2 : Excavation lobaire supérieure droite avec identification sur les cultures du lavage bronchoalvéolaire d'un Mycobacterium chimaera chez une patiente de 54 ans, initialement admise en réanimation médicale pour arrêt cardio-respiratoire hypoxique sur bronchospasme sévère (contexte de syndrome de chevauchement asthme-BPCO).

 

Prise en charge thérapeutique

Dans la grande majorité des situations, une infection à MNT ne constitue pas une urgence thérapeutique et l'introduction d'un traitement doit, dans la mesure du possible, se faire sur les conseils de praticiens expérimentés dans ce domaine. Il s'agit avant tout d'une décision médicale partagée tenant compte à la fois des bénéfices escomptés et des effets indésirables potentiels associés à un traitement long et souvent mal toléré. Les modalités de prise en charge thérapeutique sont élaborées de façon exhaustive dans les recommandations conjointes ATS/IDSA/ERS publiées en 2020 [11].

Principes généraux pour chaque espèce
Mycobacterium avium complex (MAC)

La molécule clé est l'azithromycine ou la clarithromycine. Il est recommandé d'initier un schéma thérapeutique à base de trois médicaments pour les patients atteints d'une maladie pulmonaire à MAC sensible aux macrolides (macrolides + rifmapicine + éthambutol). Pour les patients atteints d'une maladie pulmonaire à MAC cavitaire ou bronchiectasique avancée/sévère ou résistante aux macrolides, il est suggéré d'adjoindre à ces 3 molécules de l'amikacine par voie parentérale dans le traitement initial. L'agent parentéral est généralement administré pendant au moins 2 à 3 mois. En France, la prise quotidienne du traitement oral est recommandée pour tous les patients. Après négativation des cultures (aussi appelée “conversion des cultures”), le traitement doit être poursuivi pour une durée minimale de 12 mois.

Mycobacterium kansasii
La molécule clé est la rifampicine.

Chez les patients atteints d'une maladie pulmonaire à M. kansasii sensible à la rifampicine, il est recommandé un traitement à base de rifampicine, d'éthambutol et d'isoniazide ou de macrolide. En cas de résistance de M. kansasii à la rifampicine ou d'intolérance à l'un des antibiotiques de première intention, l'utilisation d'une fluoroquinolone (par exemple, la moxifloxacine) peut être proposée.

Mycobacterium abscessus complex

Les médicaments optimaux, les schémas thérapeutiques et la durée du traitement ne sont pas connus. Les recommandations récentes segmentent le schéma thérapeutique en deux phases, la première dite “initiale” et la suivante “de continuation”. Lors de la phase initiale, on distingue deux cas de figure selon l'éventuelle résistance de la souche en question vis-à-vis des macrolides.

  • Les patients atteints d'une maladie pulmonaire à M. abscessus causée par des souches sensibles aux macrolides sans résistance inductible (typiquement, M. massiliense) ou mutationnelle doivent être traités avec un schéma thérapeutique à base de macrolides comprenant au moins trois médicaments actifs (en fonction de la sensibilité in vitro) pendant la phase initiale du traitement (au moins une molécule d'administration parentérale et au moins deux molécules d'administration orale ou inhalée).
  • Chez les patients atteints d'une maladie pulmonaire à M. abscessus causée par des souches présentant une résistance inductible aux macrolides (typiquement, M. abscessus ou M. bolettii) ou mutationnelle, un schéma thérapeutique comprenant au moins quatre médicaments actifs est, dans la mesure du possible, préférable (au moins deux molécules d'administration parentérale et au moins deux molécules d'administration orale ou inhalée).

Pour la phase de continuation du traitement (après la composante parentérale), il convient d'administrer au moins 2 ou 3 médicaments actifs. En l'absence de données à l'appui d'un traitement plus court ou plus long pour la maladie pulmonaire à M. abscessus, bien que les patients aient été traités plus de 12 mois dans les études, il est recommandé de recourir à un avis d'experts avant l'initiation du traitement afin de contribuer à la conception du régime et de déterminer si un régime de traitement plus court ou plus long doit être utilisé.

Suivi thérapeutique

Des données cliniques, radiographiques et microbiologiques doivent être recueillies afin d'évaluer la réponse au traitement.

L'imagerie est particulièrement utile dans ce cadre et la tomodensitométrie thoracique est préférable bien que l'interprétation des résultats puisse être variable s'il existe une maladie pulmonaire sous-jacente. La durée du traitement étant basée pour la plupart des espèces sur la conversion des cultures, il est nécessaire de recueillir des échantillons d'expectorations tous les 1 à 2 mois afin de déterminer la durée totale de traitement. La fibroscopie bronchique ne doit être envisagée que dans des circonstances exceptionnelles pour déterminer s'il y a eu négativation des cultures.

L'évaluation clinique s'attache à apprécier l'amélioration voire la disparition de la symptomatologie respiratoire initiale mais également à rechercher l'apparition d'effets indésirables inhérents aux traitements reçus par le patient (risques multiples d'hépatotoxicité, ototoxicité, néphrotoxicité, etc.). À ce titre, la surveillance thérapeutique des médicaments peut s'avérer indispensable, notamment dans certaines situations telles qu'un retard de négativation des cultures ou un échec thérapeutique non expliqué par une mauvaise observance ou une résistance au médicament, chez les patients recevant de l'amikacine et donc exposés à un risque d'ototoxicité et de néphrotoxicité, et chez ceux présentant une insuffisance rénale chronique.

  Conclusion
Les infections pulmonaires à MNT, bien que peu fréquentes, constituent un véritable enjeu pour les pneumologues tant elles surviennent dans des contextes divers, avec ou sans immunosuppression : le diagnostic doit être établi de façon minutieuse en n'oubliant pas d'éliminer au préalable certains diagnostics différentiels plus fréquents survenant sur des terrains similaires (néoplasie pulmonaire, tuberculose, etc.). La prise en charge thérapeutique est conséquente avec un impact médico-socio-économique non négligeable, nécessitant une évaluation régulière de la balance bénéfice-risque tout en veillant à conserver une qualité de vie satisfaisante pour le patient. Un avis d'experts est souvent très utile avant de décider d'initier ou non un traitement ou de proposer l'inclusion dans un essai thérapeutique, seule façon concrète d'améliorer les connaissances vis-à-vis de cette pathologie encore trop souvent méconnue. En France, il existe au moins 2 RCP susceptibles d'aider les cliniciens dans ce genre de situation, ainsi que le Groupe de Recherche et d'Enseignement en Pneumo-Infectiologie (GREPI) de la SPLF toujours à la disposition des pneumologues intéressés par le sujet.  

 


Valentin MANDIN
Interne CHU
Nantes

Relecture
Pr François-Xavier BLANC
PU-PH CHU
Nantes

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Publié le 1720167013000