Actualités : Plaintes pour harcèlement contre les médecins à l’hôpital : entre tensions institutionnelles et nécessité de régulation

Publié le 27 mai 2025 à 09:53
Article paru dans la revue « SPH / Lettre du SPH » / SPH N°25

L'augmentation des plaintes pour harcèlement : un phénomène aux implications complexes

Dans le contexte hospitalier actuel, les conflits entre les médecins et la direction, souvent alimentés par des plaintes collectives du personnel paramédical, sont devenus de plus en plus fréquents. Ces plaintes, adressées sous forme de lettres collectives à forte portée symbolique, accusent parfois un praticien de harcèlement sur partie ou totalité d'une équipe sans qu'une véritable enquête ne soit menée pour caractériser juridiquement ces allégations. Ce phénomène, exacerbé par la pression croissante au sein des établissements de santé, pose de graves questions quant aux procédures de gestion des conflits et à leurs impacts sur la vie professionnelle et personnelle des médecins incriminés.

Il est important de rappeler que le harcèlement moral constitue un délit, défini par l'article L1152-1 du Code du travail, qui implique des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail portant atteinte aux droits et à la dignité de la victime. Pourtant, les directions hospitalières ont souvent du mal à distinguer les situations de harcèlement avéré des conflits interpersonnels exacerbés par des tensions institutionnelles.

Les conséquences des sanctions hâtives sur les praticiens

Les conséquences pour les praticiens visés par ces accusations sont souvent désastreuses. La direction hospitalière, privilégiant la paix sociale avec le personnel paramédical dont les revendications s'intensifient, opte fréquemment vis-à-vis du médecin pour une suspension conservatoire dans l'intérêt du service. Cette décision, prise sans investigation approfondie, conduit au placement du praticien sous la responsabilité du Centre National de Gestion (CNG), dans l'attente d'une enquête administrative aux délais et contours flous, avec une suspension provisoire non limitée dans le temps. Le processus de réhabilitation peut alors être particulièrement long, la commission statutaire nationale (CSN) siégeant en formation d'insuffisance professionnelle, ou bien encore le tribunal administratif, pouvant mettre jusqu'à trois années pour reconnaître le caractère infondé des accusations et ordonner une réintégration qui survient bien trop tard pour restaurer pleinement la carrière et la réputation du praticien.

Par ailleurs, la place accordée dans les établissements hospitaliers aux syndicats paramédicaux dans la gestion de ces conflits est souvent plus importante que celle réservée aux syndicats de médecins. Ce déséquilibre institutionnel contribue à renforcer une dynamique où les revendications du personnel soignant paramédical prennent le pas sur les responsabilités fonctionnelles, souvent lourdes, des médecins. Cette asymétrie décisionnelle influe directement sur la manière dont les conflits sont arbitrés au sein des établissements hospitaliers.

L'absence de garanties procédurales dans ces décisions hâtives crée un climat de suspicion et d'insécurité dans les équipes médicales. Certains praticiens redoutent que des conflits interpersonnels ou des différends professionnels puissent être instrumentalisés contre eux, les plaçant dans une position de vulnérabilité permanente. Ainsi, plutôt que de s'attaquer aux véritables causes des tensions internes, ces décisions abruptes contribuent à entretenir un climat de défiance et à fragiliser la gouvernance hospitalière.

De plus, la pathologisation des médecins mis en cause, à travers des diagnostics hâtifs les qualifiant pour le moins de personnalité psychorigide ou de pervers narcissique, est une pratique indécente qui ne sert qu'à stigmatiser davantage le praticien sans répondre aux véritables enjeux du conflit. Cette approche occulte également la souffrance psychique réelle que peut traverser le médecin mis en cause, et l'accompagnement qui pourrait lui être proposé.

Médiation et conciliation : des dispositifs encore sous—exploités

Face à cette situation, des dispositifs de conciliation locale et de médiation régionale ont été récemment instaurés. Conformément à la circulaire DGOS/ RH4/2021/123 du 15 octobre 2021 et au décret n°2021-1475 du 10 décembre 2021, ces mécanismes visent à apaiser les conflits sans recourir systématiquement à des sanctions immédiates. Pourtant, ils demeurent sous-utilisés dans de nombreux établissements. Une meilleure application de ces dispositifs permettrait d'assurer une analyse plus équitable des conflits et d'éviter des décisions brutales et hâtives qui nuisent tant aux praticiens qu'au bon fonctionnement de l'hôpital.

Ces mécanismes offrent également une alternative précieuse aux directions hospitalières, leur permettant d'examiner les différends sous un prisme plus objectif. Plutôt que d'adopter une approche punitive, ces outils encouragent le dialogue et la résolution progressive des tensions. Toutefois, leur mise en œuvre nécessite un engagement institutionnel fort, ainsi qu'une formation adaptée des encadrants et des personnels pour en garantir l'efficacité.

Vers une approche plus équilibrée des conflits

L'une des principales recommandations pour améliorer la gestion de ces situations serait que les directions encouragent les plaignants à déposer plainte auprès des autorités compétentes, en leur proposant un accompagnement adéquat. Cela garantirait une enquête rigoureuse et éviterait que des accusations non fondées ne prennent une ampleur disproportionnée au sein des établissements hospitaliers. En parallèle, il est essentiel de ne pas céder à la tentation d'écarter immédiatement le médecin incriminé sans faire fonctionner les mécanismes de conciliation locale.

Dans une perspective plus large, il est crucial d'intégrer ces problématiques dans une réflexion approfondie sur la gouvernance hospitalière. Comme le souligne Christophe Dejours, « la souffrance au travail naît de l'impossibilité d'accomplir correctement son travail dans un cadre organisationnel qui fragilise les individus » (Dejours, 2024). De son côté, Marie Pezé insiste très clairement aussi sur le fait que « la précipitation à qualifier un individu d'harceleur ou de pervers narcissique empêche toute analyse fine des rapports de force au travail et occulte les véritables sources de la souffrance » (Pezé, 2023).

Conclusion : vers une gouvernance plus équilibrée

L'hôpital public traverse une crise majeure de recrutement et de fidélisation des praticiens. Un climat de travail serein et équilibré est essentiel pour renforcer son attractivité. Améliorer la gestion des conflits, en veillant à l'équité des décisions et en protégeant tous les acteurs, est une nécessité absolue. Il est temps que les directions hospitalières adoptent des pratiques plus rigoureuses et plus transparentes pour éviter que la précipitation ne mène à des injustices délétères.

Références

• Dejours, C. (2024) Écouter le travail vivant. Nouveaux chemins cliniques. Éditions de l'Atelier.

• Pezé, M. (2023). Le burn-out pour les nuls. First Éditions.

• Circulaire DGOS/RH4/2021/123 du 15 octobre 2021 relative aux dispositifs de conciliation locale dans les établissements hospitaliers.

• Décret n°2021-1475 du 10 décembre 2021 relatif à la médiation régionale en établissement de santé.

• Code du travail, article L1152-1, relatif à la définition du harcèlement moral en milieu professionnel.

Jean-François
Delaporte
Psychiatre

Publié le 1748332408000