
Le risque de développer une néphropathie après l'injection de produit de contraste (PDC) dans les imageries par rayons X est reconnu depuis plusieurs décennies. Son utilisation est souvent retardée voire non retenue chez les patients ayant une fonction rénale réduite, au risque de retarder des diagnostics sévères ou d'avoir recours à des examens moins performants entraînant un risque d'erreur [1].
Cependant, sur les 10-15 dernières années, les études ayant évalué l'impact du produit de contraste (PDC) sur l'apparition d'une néphropathie sont remises en question car elles semblent avoir surévalué ce risque [2, 3].
En effet, la réduction progressive de leur osmolarité depuis 50 ans explique la meilleure tolérance des agents de contraste actuels devenus iso-osmotique au plasma. Plusieurs études contradictoires concernant l'impact réel des PCI sur la fonction rénale et les conséquences qui en découlent à moyen et long terme, ont vu le jour ces dernières années. Faisons ensemble un point sur ces données.
Tout d'abord, le terme le plus communément admis est aujourd'hui « post-contrast acute kidney injury » ou « insuffisance rénale aiguë post-contraste » (IRA-PC) (Van der Molen et al., 2018). La définition a beaucoup varié dans les études historiques mais elle s'harmonise désormais en rejoignant celles de l'IRA du KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcomes), c'est-à dire une augmentation de la créatinine d'au moins 50 % ou supérieur ou égale à 0.3 mg/dL 48h après l'injection du PCI [4].
Des études observationnelles plus récentes, avec un meilleur contrôle, ont montré qu'une grande proportion d'IRA survenant post-injection de PDC, était plutôt réactionnelle à la présence de multiples facteurs que directement liée à celui-ci [5, 6]. Il est donc important de différencier l'IRA dite « induite » au PDC (CI-AKI, contrast-induced akute kidney injury) et l'IRA dite « associée » au PDC (CA-AKI, contrast- associated akute kidney injury), définis en 2015 par le Collège Américain de Radiology, en accord avec la Fondation Nationale du Rein. Dans le premier cas, cela implique une relation causale directe entre l'injection intra-veineuse du PDC et le développement d'une IRA. Tandis que dans le deuxième cas, cela correspond à toute apparition d'une IRA dans les 48h post-injection de PDC quel qu'en soit la cause [1]. Il est donc plus difficile de mettre en évidence les CI-AKI [7, 8].
L'incidence de l'IRA-PC est forcément intrinsèquement liée à sa définition mais il semblerait qu'elle gravite globalement autour de 5 % [9]. Elle serait d'ailleurs plus élevée dans le cas d'injections intra-artérielles, par exemple lors des coronarographies [10]. L'incidence de la dialyse, lorsqu'elle est réalisable, est en revanche beaucoup plus rare, difficile à estimer mais bien inférieure à 1 % [11].
Les facteurs de risque les plus communément identifiés sont l'insuffisance rénale chronique surtout, mais aussi le diabète, le volume de PCI, l'administration concomitante de molécules néphrotoxiques et l'âge [12, 13]. En effet, dans une méta-analyse de 2014, l'OR associé à un âge de plus de 65 ans était de 2,55 [14]. Néan moins, l'effet croisé de l'insuffisance rénale chronique et de l'âge est débattu car, dans une étude rétrospective récente de 2024 qui évaluait l'incidence et les facteurs de risque de IRA-PC chez les plus de 85 ans, ni l'âge ni la fonction rénale n'étaient significativement associés à son incidence. À noter que l'incidence de l'IRA-PC était de 6,2 % dans cette étude, contre 5 % chez les patients non injectés (p=0,002) [15].
L'effet péjoratif à moyen et long terme d'une IRA-PC est en revanche bien décrite et rejoint celle de l'IRA. Dans une méta-analyse, James et al. ont montré une augmentation de la durée d'hospitalisation moyenne de 0,5 à 8,3 jours sur plus de 19 000 participants sur 10 études différentes, même si les études inclues présentaient une grande hétérogénéité [16]. Dans une étude rétrospective observationnelle récente sur 290 patients, en comparaison aux patients ayant souffert d'une IRA transitoire d'origine quelconque, l'IRA-PC persistante augmentait de manière significative le risque de mortalité (RR= 3.8) ainsi qu'un critère composite associant mortalité, insuffisance rénale chronique terminale à 90 jours et 1 an après l'épisode (OR=4) [17].
Cependant, comme il est à la fois difficile de faire la part des choses entre une IRA d'origine quelconque et une IRA-PC (d'autant que lorsqu'on injecte en urgence, un diagnostic grave est souvent suspecté, lui-même à risque d'IRA par plusieurs autres mécanismes), et qu'une grande majorité des études anciennes n'incluaient pas de groupe contrôle, le risque réel d'IRA-PC semble bien plus faible qu'estimé, comme le rapporte les études plus récentes et certaines méta-analyses [18, 19].
Depuis 2013, les résultats des études sont contradictoires sur le sujet. Davenport et al. (2013) indiquent un effet significatif des PCI sur l'IRA, avec un risque croissant à mesure que le débit de filtration glomérulaire diminue [5] sur une cohorte rétrospective de 16000 patients. De même, Su et al. (2021) [20] rapportent un risque accru d'IRA et de dialyse chez les patients avec un DFGe inférieur à 30 mL/min/1.73 m². Dans une population de 11000 patients admis aux urgences, Kene et al. (2021) trouvent également un risque relatif accru (1.60) d'IRA chez les patients atteints d'insuffisance rénale chronique sévère ayant reçu une injection de PCI, bien que les initiations de dialyse restent très rares et non significatives [21].
En revanche, McDonald, dans une méta-analyse incluant jusqu'à 25000 patients de 75 ans d'âge moyen [22] et autres études rétrospectives en soins courant [6] ou en soins intensifs [23], ne retrouve pas d'augmentation significative du risque d'IRA, de dialyse ou de mortalité après ajustement par score de propension, même chez les patients atteints d'insuffisance rénale chronique sévère (DFGe inférieur à 30 mL/ min/1.73 m².).
Enfin, une autre méta-analyse de 2022 sur 170 000 patients conclut que le risque global d'IRA n'est pas augmenté après l'injection de PCI. Néanmoins, il semblerait que dans le sous-groupe de patients avec un DFGe inférieur à 30 mL/min/1.73 m2, le risque de IRA-PC soit plus élevé (p inférieur à 0.001) [24].
La société européenne de radiologie urogénitale notait en 2018, sur la base des études disponibles, que « lorsqu'elle est correctement ajustée pour les nombreuses autres causes possibles d'IRA chez les patients atteints de maladie rénale chronique, le risque de IRA-PC lors de l'administration de produits de contraste modernes à faible osmolarité est faible » [25].
En conclusion, il est certain que le risque d'injection de produit de contraste est très faible voire non augmenté chez les patients sans IRC sévère. Chez les patients souffrant d'IRC sévère (DFG estimé par CKD-EPI inférieur à 30 mL/min/1.73m2), le sur-risque de développer une IRA est probable (même s'il reste débattu) mais semble néanmoins faible. Ce risque est à mettre en balance avec un retard diagnostique voire un mauvais diagnostic. Ainsi, par exemple dans le cas des syndromes abdominaux aux urgences, le scanner injecté permet de changer le diagnostic et la prise en charge chez un quart des patients [26], ce qui semble bien supérieur au sur-risque d'IRA et à ses conséquences. Par ailleurs, il paraît difficile aujourd'hui de conduire, sur le plan éthique et méthodologique, des études fiables pour établir un lien direct entre l'injection de PDC et le développement d'une IRA. Il serait néanmoins profitable d'élaborer des protocoles standardisés d'évaluation du risque et de prophylaxie pré-, per- et post-injection de PDC.
Références
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Pour l'AJG
Dr Jérémie HUET, CHU Nantes
Dr Claire GRIGNON-DUMOULIN ,CHU Nantes

