
Pouvez-vous nous parler un peu de vous ?
Dr Luc.- Luc, 61 ans, je travaille à Namur depuis 30 ans. J'exerce à 80 % dans un hôpital semi-public (hôpital Saint-Luc à Bouge) et à 20 % dans mon cabinet également à Namur.
J'ai choisi l'endocrinologie lors de mon assistanat (= internat) de médecine interne à l'hôpital de la Louvière. Je me souviens que l'un des premiers staffs que j'ai présenté, encore sur transparents à l'époque, portait sur la voie des polyols et les complications liées au diabète. Ce côté réflexion physiopathologique m'intéressait. Je ne suis sans doute pas très technique, ce qui a pu participer à mon choix. Le côté chronique avec le fait de suivre des patients sur le long terme me plaisait aussi.
Quelles études pour exercer l'endocrinologie dans votre pays ?
Dr Luc.- Après un socle de médecine (6 ans actuellement), j'ai commencé le tronc commun de 3 ans de médecine interne en 1988. On décidait ensuite de s'orienter vers une spécialité (cardiologie, pneumologie, etc.) ou l'on restait interniste général avec éventuellement un tropisme pour l'infectieux ou autre.
La spécialité d'endocrino-diabéto n'existait pas encore à part entière. Il n'en reste pas moins qu'en deuxième année d'assistanat, je me suis retrouvé à la Louvière dans le service d'un professeur qui avait un intérêt pour la diabétologie. Il faisait déjà de l'éducation thérapeutique et une prise en charge spécifique pour les patients diabétiques ce qui m'a particulièrement intéressé.
Maintenant, les étudiants font trois ans de formation en médecine interne où toutes les spécialités de la médecine interne doivent être balayées. À partir de la quatrième année, il leur est demandé de faire un choix spécifique vers une sous-spécialité de la médecine interne. Il se rajoute une formation de deux ans en endocrino-diabéto en général dans un service universitaire.
Pourriez-vous nous expliquer rapidement le système de santé ?
Dr Luc.- Le système de santé en Belgique fonctionne sur un système de solidarité. Il est financé par des cotisations sociales proportionnelles prélevées sur les revenus de la population. L'INAMI (Institut National d'Assurance Maladie-Invalidité) gère ces montants et les redistribue ensuite aux mutuelles. Les mutuelles sont des associations à but non lucratif qui ont pour but d'utiliser ces sommes pour les remboursements de leurs affiliés. En effet, chaque belge a la possibilité de s'affilier à la mutuelle de son choix, qui est souvent politiquement colorisée (mutualité socialiste, mutualité chrétienne, etc.). Tous les frais de santé sont remboursés au moins partiellement.
Pour les surplus ou dépassements non pris en charge, le patient peut souscrire des assurances complémentaires qu'il finance lui-même soit via sa mutuelle ou via des assurances privées.
Quels sont les modèles d'exercice pour un endocrinologue dans votre pays ?
Dr Luc.- En Belgique, pour ce qui touche le diabète de type 1 et les diabètes traités par multi-injection, les patients doivent passer par le système de la convention pour qu'ils puissent bénéficier de toute la prise en charge nécessaire qu'elle soit thérapeutique ou éducative.
La convention est un contrat que le patient signe avec un service hospitalier spécialisé. Le financement du diabète est très encadré en Belgique : les praticiens et les services sont obligés de répondre à une série de conditions qui ont été définies par INAMI. Une de ces conditions est de faire partie d'une structure qui au-delà du diabétologue comprend les personnes qui participent à l'éducation et à la prise en charge du patient telles que les éducatrices, les diététiciennes, psychologues et podologues.
Pour faire du suivi de patient de diabète en multi-injection, il faut donc un lien avec l'hôpital. On pourrait l'imaginer en pratique privée mais par exemple une pompe à insuline serait alors intégralement à charge du patient, ce qui paraît difficilement envisageable.
La majorité des endocrinologues belges travaillent donc au moins en partie à l'hôpital. Quelques endocrinologues travaillent exclusivement en libéral avec de l'endocrinologie générale, de la thyroïdologie et du diabète de type 2 jusqu'à l'insuline basale.
Comment exercez-vous ?
Dr Luc- Mon activité est essentiellement une activité de polyclinique. Il n'y a pas de lit d'hospitalisation officielle. Nous essayons de faire un maximum en externe que ce soit pour l'insulinothérapie fonctionnelle, les mises sous pompe ou même les boucles fermées. Les hospitalisations sont rares pour des complications comme la décompensation hyperosmolaire ou l'acido-cétose qui deviennent de plus en plus rares compte tenu des modalités de suivi qui existent maintenant.
L'activité est donc principalement une activité de consultations.

Quelle pathologie prenez-vous en charge ? Qu'est-ce qui est le plus fréquent ?
Dr Luc- En Belgique, l'endocrino-diabétologue fait de tout, il n'y a pas de différence officielle entre endocrinologue et diabétologue. En pratique, il y a des praticiens qui vont se consacrer davantage à la diabétologie car avec les avancées cela devient très spécifique et technologique. D'autres peuvent aller plus vers l'endocrinologie générale et la thyroïdologie pour une prise en charge plus spécifique.
L'hôpital où je travaille a été l'un des premiers du sud de la Belgique à avoir un service de diabétologie spécialisé avec des patients diabétiques de type 1 venant de toutes les provinces alentour. Certains y sont suivis maintenant depuis des dizaines d'années.
Y a-t-il des spécificités pour la prise en charge / remboursements des patients ? Les patients peuvent-ils venir en consultation directement ou est ce qu'il faut qu'ils soient adressés ?
Dr Luc- En Belgique, le patient a une grande liberté pour le choix de son médecin. Il a la liberté de prendre immédiatement un rendez-vous en médecine spécialisée. C'est quelque chose qu'on essaie de ne pas encourager afin d'essayer d'impliquer la première ligne (médecin généraliste) dans la prise en charge de cette pathologie chronique qu'est le diabète.
C'est à ce point encouragé que, pour certaines prises en charge, telle que la convention évoquée plus haut, le patient est tenu d'avoir un dossier médical chez le médecin généraliste. Il existe même certains contrats signés également par les médecins généralistes, les endocrinologues et les patients tels que le démarrage du diabète (patients sous ADO) ou de trajets de soins (une injection analogue GLP-1 ou basale) pour améliorer les remboursements.
Quelles sont vos relations avec les autres spécialités ? Avec les autres endocrinologues dans votre pays ou ailleurs ?
Dr Luc- Au sein de l'hôpital, il existe une bonne collaboration avec les cardiologues à l'ère de la prise en charge cardio-métabolique. Pendant longtemps, les services étaient même réunis au sein d'un pool de médecine interne. Ce pool n'existe plus, mais il reste une forte collaboration et également avec la chirurgie vasculaire.
Entre les endocrinologues en Belgique, les relations sont confraternelles et agréables avec une bonne entente. Le système belge est en effet peu concurrentiel avec peu d'endocrino-diabéto et énormément de patients diabétiques.
Avec les endocrinologues des autres pays, il s'agit plutôt de relations amicales avec les gens que je connais personnellement. Je n'ai pas de lien professionnel avec, par exemple, des participations à des études internationales.
Une anecdote ou une spécificité ?
Dr Luc- Lorsque je suis arrivée à Namur, on suivait des enfants de bateliers diabétique de type 1 qui vivaient donc sur un bateau. Nous fixions donc les consultations quand le bateau passait sur la Meuse à Namur.
Une de mes patientes est suivie depuis la découverte de son diabète à l'âge de deux ans en… 1944 ! Elle a maintenant 82 ans et vient à toutes ses consultations sur ses deux pieds et avec ses deux yeux. Elle est toujours autonome à domicile pour faire ses courses, son ménage et son marché. Après 80 ans de diabète, c'est un beau message pour les diabétiques de type 1 surtout que la prise en charge du diabète n'était pas la même à son diagnostic.
Note de Clotilde Saïe (endocrinologue française expatriée en Belgique) : Lors d'une consultation un patient m'a dit : « c'est normal que mon diabète ne soit pas bon : je mange beaucoup de crasse ». J'étais bien surprise ! Mais en belge, une crasse veut dire « cochonneries » et autres snack trop sucrés.

Dr Luc DERDELINCKX
Endocrinologue libéral et hospitalier Namur