Actualités : Malaise dans la santé, dans les hôpitaux ou… dans la civilisation ?

Publié le 31 mai 2022 à 16:27


Malaise chronique dans les hôpitaux, défiance des patients, fake-news de santé, grèves des soignants, concentrations des établissements, mécontentement des héros, obligation vaccinale ou pas, déserts dits médicaux et faillite des territoires, infectiologues journaleux auto-proclamés, faillite et oubli des établissements psychiatriques, influences complotistes, variations publiques «  Raoultiennes et Lymophiles contre Lymo-dubitatives », manque de magnésium, de vitamines et quête de la molécule manquante, du schizophrène, de l’autiste, du cancer enfin éradiqué, chasse aux charlatans mais promotion des ersatz professionnels non médecins par milliers, guerres picrocholines entre privé lucratif et hôpitaux dispendieux, médicaments toxiques et médicaments sans effet, fusions financières des laboratoires et délocalisation des productions, urgences saturées d’urgences «  ressenties  » mais abandon des gardes libérales, démission ici ou là de SOS médecins, agression des soignants à l’accueil ou en zones de non-droit, vaccinodromes post-Bacheloviens à grand frais et petit prix pour les chaînes de soignants prolétaires qui vaccinent, accusation simultanée de lucre ponctuellement constaté, rareté des IRM par ailleurs inaccessibles, accumulation des techniques lucratives et des «  avis  » mais oubli de la clinique, disparition des gynécologues médicaux et promotion des allergologues, flicage des arrêts de travail, prolifération des normes de pratique avec convocation sécu, prescriptions d’antibiotiques sous contremaître potard ou infectiologue de bureau, ouverture ou pas de salles de shoot, légalisation du cannabis, légalisation de la PMA pour les non-géniteurs, extension calendaire de l’avortement, réformes docimologiques pour les étudiants en médecine, numerus clausus ou diminution de l’inflation des soins par contrôle de l’offre, codification des actes et benchmarking hospitalier, suicides des internes, flagornerie promotionnelle des maisons de santé, blocage de la consultation médicale au tarif du coiffeur de province sans le shampoing, gestion approximative des ALD, remboursement des traumatismes du ski pour le bonheur économique des stations cette année confinée, limitation des droits à prescrire par spécialité, asphyxie des personnels d’EHPAD et gestion mortifère du confinement, promotion des infirmières de pratique avancée, grève des infirmiers anesthésistes sur leur alignement tarifaire à la baisse d’ensemble, reconnaissance ou non du statut de sage-femme, taylorisation du travail médical clinique par les DU (hyperspécialisation), implosion de la gériatrie sur ses bases d’édification (la spécificité thérapeutique des démences et l’annulation des thérapies de l’Alzheimer), ouverture numérique à la critique anonyme des praticiens sur internet, légalisation ou pas des extraits du cannabis à des fins thérapeutiques, disparition des unités de soins palliatifs au profit de lits dédiés mais sans praticiens, publicité pour la prise en charge de la douleur mais files d’attente de six mois et contestation de leur rentabilité dans les établissements, suppression des urgences hospitalières dans des territoires isolés où elles sont le seul recours, éjection des opérés par l’ambulatoire et débrouille toi à la sortie, manque de kinésithérapeutes, désertification de la médecine thermale, crise de recrutement grave en médecine du travail, en rééducation, en psychiatrie, couverture retraite discutée des PU PH en regard de leur double fonction initiale, limitation réglementaire et autoritaire du droit de prolongation de carrière pour les PH mais, simultanément, critique de l’intérim, aveuglement volontaire des tutelles sur les entorses statutaires au travail de PH sur sites multiples pour cause de nécessité … mais sanction quand cela favorise des suppressions hospitalières souhaitées, extension de l’échelle de rémunération et valorisation des bas échelons hospitaliers en oubliant les titulaires, parutions chroniques de listes entières et tous services de postes vacants dans les mêmes hôpitaux sur le site de la FHF, sans création de postes de cliniciens, lesquels sont, par ailleurs une simple reconnaissance du travail hospitalier sous-valorisé et un déni du statut des 35 h ou 39h ou 48 h, ce flou d’amplitude «  légale  » perdurant comme variable d’ajustement de l’incurie réglementaire quand on la met sous le tapis pour que dure le spectacle et la dominance du naufrage orchestré. Et encore ce matin même un nouvel article titrant sur un décret de certification obligatoire des médecins libéraux assorti des termes « sanctions, contrôles, obligations, échéances ». Bien sûr, j’ai fait court et j’en ai certainement beaucoup oublié… et en plus c’est une énumération ayant grammaticalement fonction de sujet mais sans verbe pour conclure… Elle peut être prolongée et ne vous en privez pas.
Tiens encore, je pense à ce gastro incapable de faire tous les dépistages de cancers colo-rectaux souhaitables et demandés (pas de praticien et bloc opératoire en berne).
Le verbe manque, en effet…
Mais, ouf, si vous avez tout lu sans respirer vous êtes mûr pour prendre une garde aux urgences ou mourir de dépit impuissant...
On vit une époque épique… Tout cela en quelques années… Le bateau coule ainsi lentement, depuis si longtemps et l’orchestre de chambre ou de bureau joue tranquillement son requiem en boucle, de sorte qu’on ne sait pas si et quand cela pourrait s’arrêter.

Seule ou préférentiellement, progresse la médecine hors-sol et de vérification, ou de conformité, ou d’accumulation technique, ou de précaution judiciaire, ou d’entrave, ou de surveillance des pratiques en perte de sens. La Médecine n’est plus que le noyau fragilisé de cette gangue.
Douce mélodie de la déréliction.
En fait, c’est très simple à comprendre : La Médecine ne saurait s’extraire du courant anthropologique et sociétal dans lequel elle s’insère.
Nous vivons la mort du fatum, de la religion bien sûr, du statut social structurant (vous savez, la mort du curé, les bourgeois de Jacques Brel et le pompier caillassé), l’apologie inculte du narcissisme en selfies, la culture de la télé actuelle, la convulsion des pouces sur smartphone, les courses sur Amazon livrées par Uber et la télémédecine à préciser encore, mais ça vient…

Alors toi le docteur, si tu avais eu quelque chose à dire, tu l’aurais certainement déjà élaboré avec ton bac plus 10 à 15, non ? Lire le bulletin syndical ne suffira pas !

Kennedy disait : « Cessez de toujours vous demander ce que l’Amérique fait pour vous, demandez-vous ce que vous faites pour l’Amérique ? ».

Loin de moi de suggérer que nous n’en faisons pas assez pour la société mais, peut-être ne créons-nous pas et n’imposons-nous pas les conditions collectives, conscientes et organisées pour renverser la tendance mortifère.

Privé ou public, tâcheron méprisé de fin fond de GHT, comme universitaire floué, généraliste amer et débordé ou interne trié sur la docimologie comportementaliste et numérisée (aux antipodes de votre souhait humaniste d’utilité pour l’autre), vous êtes Orwellisé, prolétarisé, consentant et dressé chaque jour à l’être davantage. Internistes, nous nous sommes interrogés des années sur notre identité quand la bureaucratie inventait, sans que l’Ordre ne sourcille, le concept de « médecin polyvalent », lequel n’a nulle assise de spécialisation, mais qui est survenu au moment délicieux et oyxymorique, où l’on octroyait à la Médecine Générale le statut de spécialité ! Du grand art !
Et depuis les internistes n’ont pas trouvé mieux que de se tayloriser « à l’insu de leur plein gré » entre infectiologues (dont la prolifération journalistique récente et contradictoire donne l’ampleur de certitude et de félicité) et « immunothérapeutes  », c’est-à-dire «  mab-thérapeutes  » applicatifs. Donc lassés de chercher l’identité, nous avons souscrit au taylorisme dominateur et laissé le Médecin, dont nous portions pourtant le flambeau exigeant mais élitiste, à son récent néant anthropologique. Et ce n’est pas moi qui le dis mais on se pose la question en ce moment, tout d’un coup, par hasard, sur le rapport entre médecine interne et médecine polyvalente : donc entre l’incertitude irréfragable d’une quête identitaire globale et l’identité d’emprunt donnée depuis à la Médecine par la bureaucratie inventive, substitutive de la décision, comptable et coercitive.
Dis docteur, pourquoi tu tousses ?

La fois prochaine, je vous parlerai des psychiatres, de leurs hôpitaux sinistrés, de l’insertion des psychologues dans le parcours de soin et la filière des maisons Professionnelles de Santé, car tout se tient, sauf la Médecine humaniste, ainsi pulvérisée, malades comme soignants, sous notre regard hébété par les écrans de cotation.

Le pire n’étant pas toujours certain, on peut aussi et enfin tenter de ré-exister

Dr Jean-Pierre BOINET
Médecin

Contre le risque de burn-out des médecins

PRENDRE LE TEMPS D’UN RECIT PARTAGE POUR REDECOUVRIR LA PHILOSOPHIE HIPPOCRATIQUE DU TEMPS ET DE L’INCERTITUDE

Au début des années 80, le risque le plus redouté par les médecins hospitaliers semblait être la contamination par l’hépatite B. En 2021 l’hépatite B n’est plus le risque au travail le plus important, voire l’injonction vaccinale serait vécue par certains comme un stress, plus que comme une protection. En effet, les conséquences du stress professionnel chronique sont maintenant au premier plan, responsables du Burnout ou syndrome d’épuisement dans une profession surinvestie, avec son risque dramatique de suicide.


Dr Eric OZIOL
Service de Médecine Interne
Centre Hospitalier de Béziers

QU’EST-CE QUI A DONC CHANGÉ EN QUATRE DÉCENNIES À L’HÔPITAL ?
En février 2019 dans le New England Journal of Medicine le Docteur Lisa ROZENBAUM, dans trois articles aux titres provocateurs : Divided we fall (divisés nous perdrons), Cursed by knowledge - Building a culture of psychological safety  (maudits par le savoir - construire une culture de sécurité psychologique) et The not-my-problem, problem (le problème du «  ce n’est pas mon problème »), aborde un certain nombre de difficultés auxquelles l’évolution de la médecine et de la complexité hospitalière soumettent les médecins.

L’hôpital est un système complexe dans lequel les erreurs de communication sont la cause principale d’évènements indésirables, tant pour les patients que pour le personnel. Cependant l’unité de valeur relative au succès académique fait que la médecine valorise la productivité individuelle plus que celle du groupe. La bonne santé individuelle semble cependant bien dépendre d’une bonne santé en équipe. Mais qu’est-ce qui fait une équipe en bonne santé ? En premier la permission de poser des questions, de reconnaître les incertitudes ou de dire simplement “je ne sais pas”. Cela nécessite donc une certaine SECURITÉ PSYCHOLOGIQUE au sein de l’équipe. Malheureusement d’autres études menées à l’hôpital ont révélé un climat de défiance notamment entre les médecins. La communication inter-médicale était qualifiée par les médecins interrogés de : IMPOLIE, MÉPRISANTE et AGRESSIVE. Cela était reconnu par un tiers des médecins et deux fois plus chez les juniors. Les médecins impactés par ce type de communication étaient moins enclins à partager l’information, ni à demander de l’aide, ce qui altère directement le travail d’équipe. Cela semble aggravé par une « désocialisation inter-médicale » à l’œuvre et peut-être amplifiée par l’informatisation des systèmes. La solution résiderait donc dans le rétablissement d’échanges bienveillants, non agressifs et si possible en partageant un moment agréable (café, internat, repas…). Une étude publiée dans Science en 2010 a montré que l’INTELLIGENCE COLLECTIVE d’un groupe était corrélée à trois facteurs : la sensibilité sociale moyenne du groupe, l’égale distribution de la parole dans le groupe et le degré de féminisation du groupe.

La communication inter-médicale était qualifiée par les médecins interrogés de : IMPOLIE, MÉPRISANTE et AGRESSIVE. Cela était reconnu par un tiers des médecins et deux fois plus chez les juniors.

Malheureusement la conséquence de l’ultra-spécialisation en médecine est que chacun développe son propre langage et qu’il est souvent difficile d’imaginer que l’autre ne sache pas ce que l’on sait, ou ne comprenne pas ce que l’on dit. Cela conduit à la fois à une communication inadéquate avec les patients, mais aussi entre les praticiens. L’hyperspécialisation permet certainement au patient de bénéficier des soins des meilleurs experts, mais avec autant de médecins concentrés sur des parties bien précises, comment continuer à s’intéresser au patient en entier ? Comment éviter qu’en dehors de ces zones spécialisées d’organes la réponse ne devienne pas « It’s not my problem ! » : la médecine du « ce n’est pas… le cœur », « ce n’est pas… le poumon », « ce n’est pas... psychiatrique, c’est somatique », etc. Comment obtenir l’ENGAGEMENT de chacun à s’intéresser au singulier de la situation globale du patient ? Quels sont les phénomènes psycho-sociaux de dilution de la responsabilité ? Comment mesurer les dynamiques culturelles et interpersonnelles qui construisent notre capacité à soigner ? En médecine nos « héros sauvent des vies » par des voies directes et individuelles, mais personne ne salue le travail de fond de ceux qui passent le temps nécessaire à instruire consciencieusement le récit de l’histoire singulière du patient.

ALORS QUE NOUS ENSEIGNERAIT LA PHILOSOPHIE HIPPOCRATIQUE EN 2021 ?
La philosophie d’Hippocrate sur l’art médical peut se résumer dans son premier aphorisme souvent transcrit ainsi : « L’art est long, la vie est brève, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse et le jugement difficile. Il convient que le médecin fasse ce qu’il a à faire (contre la maladie), mais s’assure du concours du patient, de tous ceux qui l’assistent et de son environnement. ». L’art est long et la vie est brève, est souvent la seule chose connue des étudiants en médecine, façon : « médecine c’est long, vous allez en baver ! », alors qu’il s’agit de l’expression de l’humilité vis-à-vis d’un savoir qui ne progresse que linéairement, alors que la conscience de ce qu’on ne saura jamais augmente exponentiellement. Il faut tout une vie pour devenir médecin. C’est aussi le rappel du temps CHRONOS qui avance inexorablement, minute après minute, heure après heure, jour après jour, qui est le temps mesurable, quantitatif. En revanche « l’occasion fugitive » fait directement référence au temps KAIROS, qui est le temps opportun, qualitatif, le moment où tout bascule, l’instant où il faut agir, le temps de l’événement signifiant. Le temps Chronos est inexorablement prévisible et mesurable, à l’inverse le temps Kairos relève de l’incertain, auquel le médecin doit être attentif et sur lequel il peut espérer agir. Le concept suivant, celui de l’expérience trompeuse fait référence à la nécessité de garder un esprit critique et de valider par une expérimentation rigoureuse ce que l’on croit vrai. Enfin le jugement difficile signifie que toutes nos décisions, bien qu’essayant d’être guidées par le « niveau de preuve », sont en fait guidées par un niveau d’incertitude acceptable.

En ce qui concerne la seconde phrase, pour une médecine de plus en plus spécialisée et technique, ayant fait des progrès spectaculaires, ne laissant que peu de situations sans possibilités thérapeutiques, les difficultés rencontrées sont souvent plus en rapport avec les « compétences » du patient, de ceux qui l’assistent ou de son environnement, c’est à dire ses conditions de vie et globalement de son état de santé, voire de sa capacité de cicatrisation. Ceci est particulièrement vrai pour les patients soignés à l’hôpital public. Le médecin, et plus largement tout soignant, ne peut donc faire l’économie de l’histoire de chaque patient, avec son entourage et son cadre de vie, car c’est dans cette histoire singulière que l’intervention du soin acquiert tout son sens. Le soin ne peut se résumer en une intervention technique sur un patient objet. Cependant, même si l’on considère le patient non plus comme objet, mais comme sujet, mais avec l’objectif de le « guérir », voire de « l’empêcher de mourir », cet objectif fantasmé du médecin thaumaturge prend le risque de se heurter un jour ou l’autre, à la réalité de l’incapacité de cicatrisation ou de résilience, voire même à la finitude du patient. Et cela sera de plus en plus vrai avec les maladies chroniques et le vieillissement des patients. Cette histoire singulière du patient, dans laquelle les soignants deviennent acteurs, c’est le temps AION, le temps immuable de ce qui est « écrit » dans un temps Chronos quantitatif défini et avec les signifiants de temps Kairos qualitatifs qui surviennent. Pour illustrer ces trois notions du temps par l’image de la frise historique : Chronos est l’échelle du temps, Kairos le temps de chaque évènement signifiant et Aion serait tout le cycle temporel de l’histoire ainsi écrite.

ALORS COMMENT LA COMPRÉHENSION PHILOSOPHIQUE DU TEMPS POURRAIT-ELLE AMÉLIORER LA GESTION DU STRESS DES MÉDECINS ET ÉVITER LA PERTE DE SENS GÉNÉRATRICE DU BURN-OUT ?

Porter une réflexion philosophique sur notre mode d’existence et sur les événements auxquels nous sommes confrontés au cours de notre vie demeure une fonction indispensable à notre équilibre mental.

Les philosophes Cynthia Fleury et Valérie Gateau, dans leur remarquable article, « Pour une clinique philosophique du burn-out des professionnels de santé » publié en juin 2020, apportent un éclairage philosophique sur la part du travail et de ses organisations dans le développement de la souffrance psychique des soignants. Une expérimentation conduite auprès d’étudiants en médecine a montré l’utilité de la narration dans la prévention du burn-out. L’hypothèse des auteurs est que, face à la confrontation avec la mort, avec la dégradation physique et psychique des patients, avec les conflits éthiques, « la narration oblige à poser des mots, à mettre en récit, et donc à réorienter la pensée dans un sens, le sens du métier commandé par l’imaginaire de celui qui écrit ». L’incrémentation partagée de l’observation médicale, les staffs, les transmissions entre les soignants, les échanges entre confrères pourraient aussi relever de ce récit collectif et partagé, de la compréhension des temps Chronos et Kairos pour appréhender le sens de l’Aion, de l’histoire singulière du patient. Cependant le contenu de cette narration ne peut se réduire à des scanners, biologies, endoscopies, biopsies, etc. comme un film dans lequel il n’y aurait qu’une succession de bruyantes scènes d’action, sans que l’on puisse en comprendre l’intrigue. Enfin il est proposé l’usage de la philosophie comme ALORS COMMENT LA COMPRÉHENSION PHILOSOPHIQUE DU TEMPS POURRAIT-ELLE AMÉLIORER LA GESTION DU STRESS DES MÉDECINS ET ÉVITER LA PERTE DE SENS GÉNÉRATRICE DU BURN-OUT ? recours thérapeutique contre le burn-out, car « porter une réflexion philosophique sur notre mode d’existence et sur les événements auxquels nous sommes confrontés au cours de notre vie demeure une fonction indispensable à notre équilibre mental ». Il semblerait que les professionnels de santé identifient bien la philosophie et l’éthique comme des recours protecteurs contre leur souffrance, car la souffrance des soignants se situe à l’interface des enjeux médicaux, psychologiques, éthiques et sociaux, qui doivent être pensés collectivement.

EN CONCLUSION, COMMENT ÉVITER LE BURN-OUT DES MÉDECINS ?
Le burn-out est devenu, la maladie professionnelle « des temps modernes », mais elle est surtout la maladie « des temps » au travail. La réduction du temps de travail, les effectifs insuffisants, le temps morcelé, l’augmentation de la charge de travail, la taylorisation à l’œuvre, sont le plus souvent évoqués comme cause des souffrances des soignants, mais c’est probablement la perte du temps du récit collectif, la réduction du temps de réflexion partagée, qui finalement a le plus d’impact sur la santé psychique des soignants.

La pandémie COVID, a bien sûr questionné notre rapport au temps. Nous nous sommes vite adaptés avec la médecine de l’urgence, grâce à une grande technicité et des interventions ponctuelles, cependant sommes-nous vraiment préparés à une pandémie qui dure ? Même si le COVID venait à disparaître, sommes-nous philosophiquement bien préparés pour le suivi des maladies chroniques au devenir inexorable, aux malades qui ne vont pas guérir et qui, comme tout un chacun, mourront immanquablement ?

Il convient de replacer les progrès technologiques extraordinaires de ces dernières décennies au service de la médecine, comme des moyens de gérer la complexité ou d’appréhender les incertitudes et non comme des finalités de certitude, compliquant la réalité des patients et celle des soignants. Il convient de réinscrire la maladie dans le temps humain, sans perspective de guérison, mais plutôt avec une perspective résiliente de cicatrisation et d’interroger le modèle « curatif » de la médecine qui ne peut faire l’économie d’une réflexion de son rapport philosophique à la vie, de la naissance jusqu’à la mort.

« Sans récit partagé, chacun est renvoyé à une souffrance solitaire, voire à un sentiment d’échec personnel, ce qui peut affecter profondément l’identité et conduire au burn-out. ».

Cynthia Fleury et Valérie Gateau

Références
Lisa ROSENBAUM Divided We Fall. N Engl J Med 2019; 380 :684-688
DOI: 10.1056/NEJMms1813427
Lisa ROSENBAUM Cursed by Knowledge - Building a Culture of Psychological Safety. N Engl J Med 2019;
380 :786-790
DOI: 10.1056/NEJMms1813429
Lisa ROSENBAUM The Not-My-Problem Problem. N Engl J Med 2019 ; 380 :881-885
DOI : 10.1056/NEJMms1813431
Valérie GATEAU et Cynthia FLEURY Pour une clinique philosophique du burn-out des professionnels de santé. Juin 2020 Caya Web & Co
https://fr.calameo.com/books/004091295d86918340110

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°22

Publié le 1654007279000