Actualités : Liberté d’installation et accès aux soins : C’est possible !

Publié le 19 mars 2025 à 08:05
Article paru dans la revue « ISNI / ISNI » / ISNI N°34

L'ISNI défend la liberté d'installation pour les jeunes médecins ainsi que l'accès aux soins. C'est pourquoi l'ISNI met en avant la création d'un programme d'incitation et de formation à la pratique de la médecine dans les territoires à travers trois mesures : la création d'antennes universitaires départementales délocalisée des CHU, le statut de Docteur Junior ambulatoire pour toutes les spécialités et l'assistanat territorial.
Thomas Citti, Vice-Président de l'ISNI en charge des politiques de santé en dit plus.

Quel est le climat politique actuel, pourquoi est-il important d'être source de propositions ?

Thomas Citti.- Un des éléments clefs du mandat actuel est l'accès aux soins et la lutte contre la régulation à l'installation médicale.

Le climat politique actuel est pro coercitif. Actuellement, une proposition de loi (= PPL) déposée par Monsieur le député Guillaume Garot (Socialiste) conditionne la possibilité de s'installer dans une zone dites « sur-dotées » au départ à la retraite d'un autre médecin et souhaite limiter la durée de remplacement à quatre ans après la fi n de l'internat. Cette proposition de loi recueille déjà quelques 240 signataires sur les 280 nécessaires à son adoption. D'autres propositions consistent à conditionner l'installation au type de conventionnement du médecin (secteur 1, secteur 2 …).

Tout cela dans un contexte particulier, l'intégralité des professions de santé sont aujourd'hui contraintes à l'installation avec un zonage pour les sages-femmes, les chirurgiens dentistes, les infirmières et les kinésithérapeutes.

Pourtant l'intégralité des représentants syndicaux, des collèges d'enseignants et des organisations ordinales médicales sont opposés à ces mesures coercitives. Il est important de concevoir que chaque profession de santé a ses caractéristiques propres, démographiques et d'exercices.

Mises en place en période de carence de médecins, dans un contexte de crise de vocation, et de sollicitation chronique des pouvoirs publics face à nos conditions de travail, des mesures restrictives à l'installation ciblant la jeunesse médicale entraîneraient une perte d'attractivité pour nos études, en plus d'être probablement inefficace, voire expose à une aggravation des inégalités.

C'est pourquoi il est primordial de proposer des mesures alternatives en accord avec les besoins de la population et en adéquation avec les volontés de la profession médicale.

Pour mieux comprendre, pouvez-vous nous parler de l'accès aux soins en France ?

T. C.- En matière d'accès aux soins, le véritable enjeu n'est pas seulement d'être à proximité d'un médecin, mais plutôt de pouvoir obtenir une consultation dans des délais acceptables.

En 2020, 87 % du territoire est considéré comme une zone sous-dotées, 98 % des Français peuvent accéder à un médecin généraliste en moins de 10 minutes et 75 % de la population accède à un spécialiste en moins de 20 minutes.

L'objectif doit donc être de cibler en priorité les d'habitants qui sont les plus en difficulté en matière d'accès aux soins, c'est-à-dire que malgré la proximité géographique d'un médecin, ils ne peuvent pas obtenir de consultation. Cela se mesure par l'accessibilité potentielle localisée (= APL), en consultation par an par habitant. Les plus déficitaires ont moins de 2,5 consultations/an et représentent environ 6 à 8 millions d'habitants dont environ 2  millions de personnes font partie des moins bien lotis en termes d'accessibilité à la fois aux médecins généralistes, aux infirmiers et aux masseurs-kinésithérapeutes. Les trois quarts de ces personnes vivent dans des territoires ruraux.

Nous comprenons donc bien que le terme de désert médical n'est pas approprié de part sa dimension géographique, il ne rend pas compte de l'accessibilité réelle.

À des fi ns de précisions, le système de zonage actuel est basé à la fois sur l'accessibilité potentielle localisée et les territoires vie-santé, parmi les territoires présentant une faible accessibilité, deux scénarios se distinguent :

• Des communes sous-dotées dans des territoires vie-santé confrontés à une offre de soins insuffisante.
• Des communes sous-dotées mais situées dans des territoires où l'offre de soins globale n'est pas déficitaire.

Ce système de zonage est-il efficace pour répondre à la population le plus dans le besoin ?

T. C.- C'est le meilleur actuellement, mais il présente de nombreux défauts qui risquent d'aggraver les inégalités locales en cas de mise en place de régulation à l'installation.

Tout d'abord l'APL n'a pas été revue depuis 2022 (la Loi Valletoux de 2023 prévoit pourtant sa révision) et elle ne concerne que les médecins généralistes. Elle ne reflète donc pas de manière précise la démographie des autres spécialités.

Le système de zonage actuel basé sur l'accessibilité potentielle localisée et les territoires de vie-santé (TVS) présentent des limites claires, il ne permet pas une analyse fine du maillage territorial.

Pourtant, le rapport de la DREES de 2021 est clair sur le sujet, l'accès aux soins en soins primaires au niveau territorial nécessite un maillage fin des zones de calcul, au risque d'accentuer les inégalités.

Un exemple concret est celui de la ville de Nice, à la différence de Paris et Marseille où le zonage se fait par arrondissement, l'ensemble de la commune est considéré comme un territoire dit « sur-doté », ainsi le système de zonage des chirurgiens dentistes (similaire à celui qui est utilisé pour les médecins) interdit une installation dans les quartiers populaires où le manque de professionnels de santé est important.

La priorité doit être de ne pas nuire, « primum non nocere », en mettant en place des mesures qui ne répondraient que partiellement aux besoins spécifiques de ces territoires voire aggraveraient les inégalités. Limiter l'installation libérale au départ à la retraite, en plus d'exposer à la revente de patientèle et à l'aggravation des inégalités fines en termes de maillage territorial, ne va pas pousser les gens à s'installer durablement dans les territoires. Cela peut favoriser le déconventionnement ou bien la pratique du salariat, pratique qui séduit de plus en plus. Les praticiens d'aujourd'hui veulent exercer en groupe (en 2024, le nombre de médecins salariés a dépassé celui de médecins libéraux, c'est inédit).

En plus du système de zonage, comment voyez-vous la réponse à apporter à la crise de l'accès aux soins ? L'augmentation de la démographie médicale permettra-t-elle de combler les trous ?

T.C.- L'augmentation de la démographie médicale à elle seule ne suffira pas à réduire les inégalités d'accès aux soins. Bien que cela constitue un levier d'action indispensable, ce n'est pas une solution unique.

Il est important de s'intéresser aux facteurs associés à l'installation et à la rétention des médecins dans les territoires pour accompagner l'augmentation de la démographie médicale de mesures permettant un meilleur accès aux soins dans ces mêmes territoires.

Il est crucial de ne pas compromettre cette augmentation de la démographie médicale par des mesures de régulation à l'installation trop précoce. Il est primordial de réfléchir à des actions permettant un engagement pérenne dans ces territoires.

La littérature internationale, des exemples de programme à l'étranger (États-Unis, Australie, Japon…) nous poussent à promouvoir la création d'un programme d'incitation et de formation à l'exercice de la médecine dans les territoires. Un des piliers méthodologiques de ce programme est de permettre un continuum tout au long des études pour ne pas rompre avec le bassin de vie d'origine ou le lieu d'étude, permettre la création d'un projet professionnel, tout en aidant l'accessibilité aux études de médecine de jeunes issus de ces territoires. L'odd ratio, c'est-à-dire la probabilité de s'installer et rester en territoire sous-doté est trois fois plus élevé dans ces programmes.

Bien-sûr, il est nécessaire de continuer à améliorer la qualité de vie à l'hôpital et lutter contre les violences. Il est nécessaire de poursuivre ces objectifs pour rendre à la France son att ractivité par rapport aux autres pays Européens.

La place des internes, et des étudiants en médecine de manière générale, dans l'accès au soin doit se voir de manière structurée avec une vision sur le long terme. Nous sommes formellement opposés à des mesures bâclées et coercitives, connues pour être peu efficaces, qui n'apprécieraient pas l'aspect temporel et de formation nécessaire à une réponse durable.

Quelles sont les propositions de l'ISNI pour répondre à l'accès aux soins ?

T. C.- Tout d'abord, nous invitons toute personne qui s'intéresse à nos positions sur l'accès aux soins à lire notre « Contribution sur l'accès aux soins, une réponse par les territoires pour les territoires ». Cette contribution se base sur la revue de la littérature de la DREES de 2021, des études à l'étranger et l'analyse de l'impact de la régulation à l'installation, à l'étranger pour la profession médicale, et en France pour les autres professions de santé.

Face à l'urgence de la situation et notre volonté, en tant que médecin, d'apporter des réponses concrètes aux besoins de la population, le bureau national de l'ISNI et son Assemblée Générale ont décidé de prendre les devants et d'être source de propositions.

À travers cette contribution, nous avons fait le constat que les principaux indicateurs à l'installation et, surtout, de rétention des praticiens dans les territoires étaient :

Le lieu de naissance.

La formation et la qualité de vie au travail.

Cela a été soutenu par une étude de l'INSEE de novembre 2024. En effet, les deux principaux indicateurs à l'installation chez les médecins généralistes sont le lieu de naissance et le lieu d'internat. Fort de ce constat, nous avons entrepris des discussions avec les autres générations de médecins, la conférence des Doyens, le conseil national de l'Ordre des médecins et l'ANEMF. Un élément central est apparu comme évident au cours de nos discussions, l'Assistanat territorial.

En quoi consiste ce statut d'assistant territorial ?

T. C.- L'assistanat territorial, sur la base du volontariat, est une mesure incitative permettant à des jeunes médecins ayant fini leur formation d'aller exercer dans les territoires, que ce soit en hôpital de périphérie ou bien en ambulatoire. En plus d'aides financières et logistiques, il permettra aux jeunes médecins de bénéficier d'avantages comparables à ceux obtenus après un assistanat hospitalier, notamment le secteur 2 OPTAM.

Comment s'intègre-il dans votre proposition de programme d'incitation et de formation à la médecine dans les territoires ?

T. C.- Il faut imaginer l'assistanat territorial comme l'élément central, mais terminal, du programme d'incitation et de formation que nous défendons.

C'est l'élément clé, qui, une fois mis en place, permettra dans quelques années l'ouverture du docteur junior ambulatoire pour toutes les spécialités, notamment par la possibilité du recrutement des maîtres de stages universitaires de spécialités médicales autres que la médecine générale (anciens assistants territoriaux).

Nous soutenons à l'ISNI l'ouverture du docteur junior ambulatoire pour toutes les spécialités, afin de permettre la rencontre avec la pratique ambulatoire plus tôt dans le cursus et permettre, grâce à son continuum avec l'assistanat territorial, de pouvoir s'installer durablement dans les territoires. En effet, aujourd'hui, beaucoup de jeunes médecins effectuent un assistanat à l'hôpital pour accéder aux secteurs 2 et aller s'installer en ambulatoire par la suite.

Ces mesures permettront aux internes qui souhaitent avoir une pratique en dehors des CHU de « s'émanciper » et de commencer plus précocement leur carrière dans les territoires en y étant préparés par la mise en place de notre troisième proposition, la création d'antennes universitaires départementales.

En conservant un lien avec les universités et les CHU, ces antennes permettront la formation des étudiants de deuxième et troisième cycle à la pratique de la médecine dans les territoires à travers la réalisation de stages en périphérie de ces antennes. Elles devront être animées par des professeurs associés ou titulaires et des maîtres de stages afin d'assurer un encadrement de qualité. Ces mêmes antennes universitaires permettront de ne pas éloigner les étudiants qui le désirent de leur bassin de vie, élément clef pour favoriser leur installation et leur rétention plus tard.

Vous avez donc compris le continuum, antennes universitaires départementales, docteur junior ambulatoire pour toutes les spécialités et enfin, assistanat territorial.

Dans cette vision globale orientée vers les territoires, d'autres mesures permettant d'améliorer l'accessibilité aux études de médecine des étudiants issues de ces territoires devront être prises.

Il s'agirait donc d'une réponse à court ou à long terme pour l'accès aux soins ?

T. C.- L'assistanat territorial, par sa mise en place rapide, permettra une réponse à court terme, avec quelques milliers de médecins supplémentaires. Par la suite, la mise en place du docteur junior ambulatoire pour toutes les spécialités et les antennes universitaires départementales permettront de répondre à plus long terme et de manière concomitante à l'augmentation de la démographie médicale prévue pour 2034.

Comment imaginez-vous l'évolution de l'accès aux soins pour les années à venir ?

T. C.- C'est une question difficile. L'évolution de l'accès aux soins dans les années à venir dépendra beaucoup de notre capacité, dès aujourd'hui, à mettre en place les mesures nécessaires pour que la question de l'accès aux soins ne soit plus un débat d'urgence mais un débat d'amélioration.

Je pense qu'il est essentiel qu'on réussisse, d'ici là, avec l'augmentation de la démographie médicale, à inciter les médecins à s'installer et rester dans les territoires, notamment ruraux.

En tant que médecin, l'accès aux soins se doit d'être notre priorité, la même priorité qui nous pousse à nous lever chaque matin, permettre à chaque Français d'avoir accès à une bonne santé, en accord avec la définition de l'OMS, physique, mentale et sociale.

 

Publié le 1742367916000