Actualités : La gestion ardue des urgences radiologiques

Publié le 13 mai 2022 à 23:13

...et un nouveau DU pour y faire face

Le Pr Nonent est radiologue vasculaire et interventionnel, chef de service de Radiologie au CHU de Brest, coordonnateur interrégional et régional du D.E.S de Radiologie, responsable de la discipline à la Faculté de Médecine et responsable du DU d’Imagerie Diagnostique et Interventionnelle des Urgences.

Comment sont organisées les urgences radiologiques au CHU de Brest ?
Il faut distinguer les urgences de journée et celles des nuits-week-end-fériés. En journée, un interne est de permanence au scanner et gère les demandes par téléphone (DECT) ; un autre interne est de permanence en échographie. Les internes peuvent solliciter les seniors des différentes unités fonctionnelles (neuroradiologie, ostéo-rticulaire, vasculaire, viscéral). La garde de radiologie de l’Hôpital de la Cavale Blanche est assurée actuellement par un interne. Un radiologue senior est d’astreinte diagnostique la semaine, en demi-garde les week-ends et jours fériés ; il assure principalement l’activité IRM mais participe également à celle du scanner les w-e et fériés. Il y a également trois autres lignes d’astreinte senior, une pour l’hôpital Morvan (« mère-enfants »), une pour la radiologie interventionnelle intervenant sur les deux sites et une pour la neuroradiologie interventionnelle. La garde est territoriale, assurant également la permanence pour les scanners réalisés à l’hôpital d’instruction des Armées, à l’Hôpital de Landerneau et à l’Hôpital de Carhaix. La garde est donc très lourde pour les internes qui doivent prendre en charge les urgences avérées mais également les urgences dites « de structure » pour désengorger le service des Urgences et les demandes « territoriales » en téléradiologie. Le taux des demandes non pertinentes est, comme partout, de 20 à 30 %, ce qui met l’interne dans des situations difficiles. Il est donc prévu de senioriser les gardes, avec un vrai binôme senior-interne, ce qui devrait faciliter le dialogue avec les demandeurs, limiter le nombre d’examens non indiqués et favoriser les substitutions notamment la réalisation d’IRM plutôt que de scanners pour beaucoup d’urgences neurologiques. 

Pas facile de se retrouver seul(e) en tant qu’interne avec le DECT des urgences. Quelles stratégies avez-vous adoptées pour mieux gérer les nombreuses demandes ?
La hiérarchisation des demandes réclame une expérience que n’ont pas encore acquise les plus jeunes internes. Ils ne peuvent faire des gardes de Radiologie qu’au terme de leur première année d’Internat mais ce n’est que progressivement qu’ils vont se sentir plus à l’aise dans des situations parfois complexes. Le recours à l’avis d’un radiologue senior est une nécessité lorsque l’interne est en difficulté. Il peut hésiter à appeler le radiologue senior d’astreinte. C’est pourquoi la présence d’un senior est nécessaire et va être effective dans un avenir proche, présence qui a été longtemps rendue impossible par le nombre insuffisant de radiologues. On constate actuellement un recrutement croissant de jeunes assistants et PH, attirés par l’exercice hospitalier mais l’effort doit être maintenu pour atteindre l’objectif d’une seniorisation optimale. Parallèlement, en journée, il est indispensable qu’un scanner soit entièrement dédié aux urgences et aux examens non programmés, afin de fluidifier les demandes et faire que l’interne ne se retrouve pas en début de garde avec déjà un nombre conséquent d’examens à gérer.

Quels conseils pour mieux communiquer avec les cliniciens et éviter les conflits ?
L’interne de Radiologie est dans une position délicate vis-à-vis de ses collègues cliniciens non radiologues. La maquette du D.E.S oblige quasiment les internes à effectuer d’emblée un stage en Radiologie, sans avoir l’expérience d’un service clinique. C’est, de mon point de vue dont je sais qu’il peut ne pas être partagé, une lacune de la formation. Une expérience dans un service clinique, un semestre indifférencié tel qu’il existait lorsque j’ai effectué mon Internat, faciliterait sans doute les relations avec les cliniciens demandeurs. De même, les postes de faisant fonction d’interne en 6ème année permettaient d’acquérir cette expérience clinique qui peut faire défaut aux internes de radiologie tout comme l’expérience de l’imagerie peut faire défaut aux cliniciens. Pour mieux communiquer, l’élaboration préalable d’un référentiel commun est essentielle et nous développerons ce point en réponse à la question suivante.

Comment refuser avec tact un examen qui n’est pas indiqué ou pas urgent ?
Refuser un examen est quasiment impossible pour un Interne de Radiologie en garde, sauf demande manifestement abusive. L’absence de connaissance détaillée du dossier clinique ne permet pas d’avoir une position ferme et définitive dans bon nombre de cas. On sait pourtant qu’une part significative de demandes n’est pas justifiée. Le recours à des référentiels devrait permettre de faciliter le dialogue entre demandeurs et réalisateurs des examens. Le Guide du Bon Usage (GBU) des examens d’imagerie est ce référentiel commun, inscrit dans le code de la santé publique. On constate toutefois, pour l’instant, un manque de connaissance de l’existence de ce Guide et surtout son défaut d’appropriation par les demandeurs et assez souvent également par les internes de Radiologie. Il s’agit probablement d’un manque d’habitude et une culture médicale qui n’intègre pas les référentiels, contrairement sans doute à ce qui peut se faire dans les pays anglo-saxons. Il est pourtant nécessaire d’évoluer dans ce sens, certainement en facilitant l’accès pratique et rapide au GBU. Le Mémo de l’Interne de Radio, élaboré par des jeunes radiologues, coordonné par le CERF et la SFR, est aussi un outil très utile. Dans notre CHU, nous avons également élaboré, en commun avec les collègues des différentes spécialités, un Guide des demandes des examens d’Imagerie en urgence qui s’est heurté au même souci d’appropriation. Nous sommes en train de l’actualiser et de réfléchir à son utilisation au quotidien. Dans ce domaine, il s’agit surtout d’une affaire de volonté commune. Le travail réalisé en commun avec les collègues des autres spécialités peut paraître long et vain mais il est indispensable et il finira par être efficace.

Quel est le souvenir qui vous a le plus marqué en tant qu’interne aux urgences ?
Lorsque j’ai débuté mon Internat, il n’y avait pas de garde de Radiologie mais une astreinte.
Le scanner était encore balbutiant, l’IRM inexistante. Nous étions appelé pour faire des échographies surtout, des scanners cérébraux que nous faisions seuls, sans manipulatrice. On mettait en route la machine, l’acquisition d’un crâne durait 45 minutes et nous chargions les images sur un floppy. On faisait quelques myélographies, des UIV… Les équipements ont évolué, les scanners ont progressé, les demandes ont explosé et l’astreinte s’est transformée en garde de plus en plus chargée…

Dans l’empressement des urgences, quelles sont les erreurs que vous n’avez jamais oubliées ?
J’ai eu une expérience clinique de deux ans et demi avant de débuter la Radiologie et je garde plus en mémoire les difficultés rencontrées au cours de mes gardes d’Interne aux Urgences que celles des gardes de Radiologie. Quand on y réfléchit, l’époque était assez terrifiante pour un Interne de garde. Dans l’hôpital général où j’étais en stage, nous gérions seuls les urgences et les appels en soins intensifs cardiologiques. En début de stage, on nous indiquait comment reconnaître par exemple un trouble du rythme sur l’ECG, on nous disait ce qu’il fallait injecter en fonction du tracé, comment faire un massage cardiaque, intuber… Aux urgences, ou aux soins intensifs, pas de senior, on gérait tant bien que mal. Et les récupérations de garde étaient inexistantes ce que nous acceptions à tort. Il est possible que ce type de situation m’ait incité, malgré une très forte inclinaison clinique, à un choix inattendu de la Radiologie. Plus tard, lorsque j’ai débuté en radiologie interventionnelle, encore Interne, certaines situations m’ont profondément marqué, pas spécialement des erreurs, notamment le décès d’une jeune patiente en salle, atteinte de mucoviscidose, présentant une hémoptysie massive, sans aucune possibilité d’avoir le temps de réaliser l’artériographie et l’embolisation. On fait des erreurs en Radiologie, bien évidemment, on peut parfois culpabiliser, mais le poids émotionnel est en général atténué par l’absence de contact clinique direct ; de ce point de vue, la radiologie interventionnelle constitue sans doute une des exceptions de la discipline. Il est essentiel de rester humble, de connaître ses limites, de savoir qu’on ne peut pas tout savoir, tout maîtriser et comme toute discipline médicale, l’Imagerie des urgences réclame des connaissances bien sûr, mais aussi beaucoup de bon sens. Mais la principale erreur, dans tous les domaines de l’Imagerie, serait de ne pas mettre le patient et son bien-être au centre de son activité. Il est essentiel de penser en permanence à éviter la dérive technique. 

Au-delà des connaissances théoriques, abordez-vous le thème de la gestion des urgences dans votre DU ?
C’est le coeur du DU. La confrontation des points de vue, le dialogue entre spécialités impliquées dans l’urgence, permettent de mieux comprendre les besoins des uns et des autres, et constituent des éléments essentiels pour une gestion rationnelle des urgences.

Votre DU s’adresse aux internes ?
Le DU d’Imagerie des Urgences de Brest n’est pas le seul organisé en France sur ce thème, puisque notamment les Facultés Paris-Descartes (Sainte-Anne), Paris 7 Diderot (Bichat) et de Nîmes-Montpellier proposent des formations analogues, pour certaines depuis plusieurs années. Il faut indiquer également l’implication du CERF qui organise un nouveau module national d’enseignement des Urgences pour les internes du « nouveau régime », à la suite de modules Urgences qui existaient déjà dans certaines interrégions, notamment dans l’Ouest. Le DU d’Imagerie Diagnostique et Interventionnelle des Urgences organisé à la Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé de Brest, offre environ 80 heures d’enseignement réparties en 3 périodes de 4 jours incluant un séminaire de 2 jours de cas pratiques, atelier d’échographie (pour les non radiologues) et atelier de radiologie interventionnelle en simulation (pour les radiologues). Il est ouvert aux médecins radiologues (seniors et internes de radiologie dès la 1ère année de DES), urgentistes, anesthésistes et réanimateurs, et à toutes les spécialités (incluant la médecine générale) impliquées dans la prise en charge des urgences. Les objectifs sont, pour tous de connaître les critères de choix des examens d’imagerie les plus pertinents pour la prise en charge des patients relevant de l’urgence, de connaître les indications de la radiologie interventionnelle en urgence, pour les radiologues de connaître les besoins en imagerie des cliniciens non radiologues dans la prise en charge des urgences médicales et chirurgicales et de connaître les aspects en imagerie des lésions traumatiques et non traumatiques dans un contexte d’urgence, pour les cliniciens non radiologues de connaître les principales contraintes techniques de réalisation des examens d’imagerie, de connaître les critères de choix des explorations par imagerie et de reconnaître les principales images pathologiques traumatiques et non traumatiques dans un contexte d’urgence.
Les enseignants sont des Radiologues et des Cliniciens de nombreuses spécialités, chirurgicales et médicales, ce qui permet pour les uns et pour les autres de confronter les points de vue et de sortir ainsi de sa « chapelle ».

Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°31

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