Actualités : L’orthogériatrie, ou comment suzanne a franchi le col !

Publié le 17 mai 2022 à 08:23

 

« Bonjour Madame ! Je suis la gériatre ! ». Suzanne a 82 ans, elle vient d’arriver dans le service de chirurgie osseuse. Cette nuit, elle est tombée en allant aux toilettes. Pourtant, son aide-ménagère le lui avait dit et répété : « les mules, c’est nul ! »

Comme souvent, son bracelet de téléalarme reposait sagement sur la table de chevet, à côté de sa boîte de somnifères… C’est donc ce matin que son auxiliaire de vie l’a retrouvée allongée dans le couloir, la douleur ne lui ayant pas permis de se redresser ni de ramper jusqu’à son téléphone. Un appel au 15, les pompiers, les urgences ! Rapidement, le diagnostic de fracture du col du fémur a été posé.

La fracture de l’extrémité supérieure du fémur (FESF) est un problème de santé publique. D’après l’Assurance maladie, on recensait 76100 hospitalisations pour FESF chez les personnes de plus de 65 ans en 2014 avec une forte prédominance féminine (75 % des cas). Cela représente un coût annuel d’environ 500 millions d’Euros.

Si la mortalité à un an est importante (de l’ordre de 20 à 24 %), la morbidité l’est également. Seul un quart des décès associés à une FESF est imputable à la fracture elle-même. Dans la majorité des cas, les décès et les réhospitalisations précoces sont liés à des causes médicales : pneumonies, pathologies coronariennes et infections non pulmonaires pour le décès, pneumonie et insuffisance cardiaque pour les réhospitalisations à 30 jours. La survenue d’une FESF est souvent révélatrice d’une fragilité et est favorisée par des comorbidités qui assombrissent le pronostic vital et le pronostic fonctionnel. Une perte d’autonomie est ainsi observée dans 10 à 30 % des cas et environ 25 % des patients entrent en institution.

C’est pour répondre à ces problématiques que le concept d’orthogériatrie a vu le jour. Il s’agit d’offrir une prise en charge pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle au patient âgé chuteur et fracturé. Cela comprend l’ensemble du chemin clinique du patient : du diagnostic à la réadaptation en passant par l’intervention chirurgicale, les soins péri-opératoires ainsi que la prévention des complications et de la récidive de fracture et de chute.

Cette approche dépasse le trio gériatre, anesthésiste et chirurgien. Le médecin traitant, l’urgentiste, le rhumatologue, le médecin de médecine physique et réadaptation, les paramédicaux et les professionnels de réadaptation collaborent afin d’offrir au patient une prise en soin adaptée. Classiquement, quatre modèles de prise en charge sont décrits :

  • Unité d’orthopédie avec appel de l’équipe mobile de gériatrie (EMG) si besoin.
  • Unité d’orthopédie avec passage régulier de l’EMG.
  • Unité de gériatrie avec passage régulier du chirurgien et de l’anesthésiste.
  • Unité d’orthopédie, le gériatre faisant partie de l’équipe.

Il semble qu’une organisation offrant au patient une expertise médico- chirurgicale tout au long du séjour apporte de meilleurs résultats, en termes de pronostic, que le simple recours à l’EMG.

L’objectif est de rechercher les facteurs de risque de la chute, corriger ceux qui sont modifiables, traiter l’ostéoporose - le risque de récidive fracturaire étant majeur - prévenir et traiter les complications liées à la chute, à la fracture et à la chirurgie, limiter la dépendance iatrogène et enfin dépister et traiter la malnutrition protéino- énergétique. Cela passe également par une chirurgie précoce (inférieure à 48 heures après le diagnostic).

Ce type d’organisation a permis d’obtenir une réduction significative de la mortalité hospitalière et à 6 mois, du taux de réhospitalisation à 6 mois, de la survenue de complications postopératoires, de la durée de séjour, du taux d’institutionnalisation, de la perte d’autonomie (activités de la vie quotidienne et marche) et de la récidive de chutes.

Au Centre Hospitalier de Douai, c’est après un premier travail de collaboration entre les pôles de gériatrie et de chirurgie que l’orthogériatrie a été créée. Un repérage systématique de la fragilité avait été mis en place chez les patients âgés de 75 ans et plus hospitalisés dans tous les services de chirurgie, via le score TRST (Triage Risk Screening Tool). Un score supérieur ou égal à 2 déclenchait l’intervention de l’EMG.

Rapidement, la problématique particulière de la chirurgie orthopédique et plus spécifiquement celle des patients hospitalisés pour une FESF est apparue. L’intervention classique de l’EMG - formulation de recommandations sans prescription nous semblait insuffisante chez ces patients dont la chute révèle souvent la fragilité. Nous avons donc rencontré les équipes de chirurgie orthopédique et d’anesthésie afin d’organiser au mieux la prise en charge.

Nous nous sommes inspirés du modèle du « shared-care » : un gériatre est affecté à temps plein dans le service de chirurgie osseuse. Il prend en soin les patients âgés de 75 ans et plus hospitalisés de façon non programmée. Cela ne concerne donc pas uniquement les FESF mais inclut également les autres fractures, opérées ou non, et les infections (ostéo-articulaires, des tissus mous le cas échéant ou de matériel). Parce qu’un gériatre n’arrive jamais seul, il est épaulé par les différents membres du pôle de gériatrie : l’ergothérapeute, l’infirmière de gérontologie, la neuropsychologue. Il fait également le lien avec les équipes de diététiciens, le kinésithérapeute et l’assistante sociale du service de chirurgie osseuse. Le gériatre, le chirurgien et l’anesthésiste travaillent en collaboration.

Le gériatre intervient dès l’admission quand il est évident que l’intervention n’aura pas lieu le jour-même (pour une question organisationnelle ou médicale). Lorsque le patient peut être opéré rapidement, il intervient alors dès le lendemain de la chirurgie.

La date et le lieu de sortie sont décidés de façon conjointe. Deux compte-rendu d’hospitalisation sont rédigés et envoyés au médecin traitant, l’un par le chirurgien, comportant les consignes post-opératoires et l’autre par le gériatre, comprenant notamment le traitement de sortie. Cette prise en charge pluridisciplinaire a permis une fluidification du parcours du patient ainsi que son entrée dans la filière gériatrique (consultation, hôpital de jour, soins de suite et réadaptation gériatrique).

Afin de préciser l’articulation des soins, une charte de fonctionnement a été rédigée et signée par l’ensemble des professionnels concernés.

Ainsi, entre décembre 2014 et septembre 2017, 778 patients ont été pris en charge dans l’unité, dont un peu plus de la moitié pour une FESF. Cette collaboration entre professionnels de gériatrie et de chirurgie a permis une acculturation mutuelle.

De cette expérience, on retient que la création et la pérennisation d’une unité d’orthogériatrie nécessitent une volonté commune des équipes concernées. L’organisation peut varier d’un centre à l’autre selon les besoins et les possibilités de terrain. Mais l’enjeu, primordial, est l’amélioration de la qualité des soins apportés au patient âgé qui voit l’ensemble des professionnels graviter autour de lui.

Six mois plus tard, lors de sa consultation de suivi, Suzanne offrait des chocolats à sa gériatre préférée !

Fanny DURIG

  1. Orthogériatrie et fracture de la hanche - Note méthodologique et de synthèse documentaire. HAS. Juin 2017.
  2. Boddaert J, Cohen-Bittan J, Khiami F, Le Manach Y, Raux M, Beinis J-Y, et al. (2014), Postoperative Admission to a Dedicated Geriatric Unit Decreases Mortality in Elderly Patients with Hip Fracture. PLoS ONE 9(1): e83795. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0083795

Et si l’orthogériatrie vous intéresse, la troisième édition du T2E Congress (Trauma and Emergency in the Elderly) se tiendra les 24 et 25 mai 2018 à la Faculté de Médecine UPMC, site Pitié-Salpêtrière ! www.t2econgress.com

Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°17

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