Dialogue de sourds
Au dernier Bulletin Officiel a été publiée une instruction relative aux priorités nationales pour les prochains contrôles T2A, champ MCO [1]. Ces contrôles de facturation, de la part de l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO), vont donc reprendre, après les années COVID, à tout le moins pour les établissements ne bénéficiant pas d'une garantie de financement sous une forme ou sous une autre.
Rien d'anormal à cela en soi : de tels contrôles sont normaux et même nécessaires dans le principe. Tout au plus pourrait-on formuler à ce stade trois observations :
• L'impartialité est une condition essentielle de l'acceptabilité de ces contrôles. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point.
• Ces contrôles ne recherchent que la surfacturation. Or, il est notoire que les anomalies de facturation s'expriment notamment sur le registre de la sous-facturation : il ne serait pas absurde que les contrôles recherchent également celle-ci.
• Les établissements sont par ailleurs soumis, depuis quelques années, à la certification des comptes, menée par des organismes indépendants dans le cadre de procédures rigoureuses. Dans quelle mesure ces deux procédures (contrôles AMO et certification des comptes) font elles double-emploi, et comment interpréter des résultats discordants ?
Pour revenir aux priorités nationales des prochains contrôles, la seconde (n°2) retient l'attention. Elle dispose en effet que « Fait également l'objet d'une priorité nationale, le contrôle du codage des diagnostics principaux ou des actes classants ayant pour effet de classer le séjour dans un groupe homogène de séjours (GHS) mieux valorisé que celui dans lequel le séjour aurait été classé en l'absence de codage de ce DP ou de cet acte classant ». Vous n'avez pas compris ? Relisez une seconde fois. Vous n'avez toujours pas compris ? C'est normal, il n'y a rien à comprendre, du moins au premier degré. En effet (je traduis), seront ciblés en priorité les séjours qui auraient pu être codés de façon à rapporter moins. En d'autres termes, tous les séjours. Par exemple, une transplantation hépatique qui a été codée comme telle et non comme un bilan annuel de diabète. C'est évidemment absurde, car le seul sujet est la conformité du codage à la traçabilité d'une part, et aux règles de codage d'autre part.
Comment interpréter cette priorité pour le moins curieuse ? Il pourrait, certes, s'agir d'une erreur de formulation. Après tout, ce ne serait pas la première fois. Pour autant, elle a été intégrée aux priorités nationales dans une intention. Mais laquelle ? En relisant la phrase, on observe que le sujet tourne autour de la valorisation en tant que telle, et porte plus précisément sur les différences de valorisation produites par des solutions de codage différentes. Pour comprendre, il faut garder à l'esprit que, dans certains cas et notamment certaines situations cliniques complexes, il existe plusieurs solutions de codage parfaitement compatibles avec la réglementation, mais ne produisant pas nécessairement la même recette. Par conséquent, un nombre croissant d'établissements intègrent à leur pratique de codage et de contrôles qualité internes des processus dits « d'optimisation », recherchant dans ces situations cliniques complexes la solution la plus avantageuse financièrement parlant, mais toujours dans le respect des règles de codage. Cette pratique, inhérente au modèle T2A et au demeurant appliquée en toute transparence, n'est en aucune façon blâmable. De fait, elle est intégrée au Plan d'assurance qualité de l'information médicale expertisé par les DIM experts et les Commissaires aux comptes à l'occasion de la certification des comptes, sans que cela suscite le moindre état d'âme.
Mais l'Assurance maladie ne l'entend pas de cette oreille, et contrôle souvent à charge. C'est-à-dire qu'au lieu de simplement vérifier la compatibilité d'une solution de codage avec la traçabilité et avec la réglementation, elle va interpréter la réglementation à son profit, parfois même de manière « créative » selon les consignes données aux contrôleurs. Le résultat est la génération de récupérations d'indus voire de sanctions financières dissuasives, et l'Assurance maladie de qualifier ces situations de « fraude », avec un certain toupet il faut tout de même le dire.
Certes, les établissements ont la possibilité de recourir au contentieux, processus d'autant plus long et complexe que, pour que le sujet soit sérieusement examiné sur le fond, il faudra aller en appel. Ainsi nombre d'établissements, en l'occurrence nombre de médecins DIM et/ou de directeurs, préféreront accepter les sanctions pour éviter les complications, les critiques et autres aléas de carrière. Et l'autre effet pervers est que ces établissements vont ensuite sous-coder, et donc sous-facturer, pour minimiser ces contrariétés, générant ainsi une pseudo-jurisprudence au bénéfice de l'Assurance maladie.
Nombre de médecins DIM et/ou de directeurs, préféreront accepter les sanctions pour éviter les complications, les critiques et autres aléas de carrière..
Tout cela, nous l'aurons compris, n'est pas satisfaisant en soi. Mais n'est-ce pas l'arbre qui cache la forêt ? Pour en juger, il faut revenir à la question centrale, qui est le juste financement des établissements de santé. Mais qu'entend-on par « juste » ? Là réside probablement le vrai sujet.
Rappelons que la T2A ne fait que répartir entre les établissements une ressource financière nationale, l'ONDAM, déterminée ex ante par la Loi de finance de la Sécurité sociale. Du fait de ce mode de construction, la théorie n'impose pas que cette ressource soit globalement adéquate. On peut cependant observer que certains établissements équilibrent leurs comptes voire dégagent des excédents (comme quoi c'est possible), et d'autres non. Le discours de ces derniers établissements comme de telle fédération de l'hospitalisation selon quoi l'ONDAM serait structurellement insuffisant est donc difficilement tenable, en tout cas actuellement. Mais qu'est-ce qui explique une telle disparité dans la comptabilité des établissements ?
L'équation économique d'un établissement de santé est au fond assez simple : elle ne compte principalement que trois déterminants. La maîtrise des charges, la performance de facturation, et la maîtrise des processus de soins et notamment des parcours de soins. Historiquement, ce sont les charges qui ont retenu l'attention des Directions d'établissement, sous la forme d'injonctions demandant aux services de soins de produire plus sans ressources supplémentaires ou de produire autant avec moins de ressources. Sans questionner sérieusement les raisons du déficit, dialogue social oblige. Il est superflu de préciser le peu d'efficacité de ce genre d'approche, voire leur effet délétère : en diminuant les ressources, le résultat est une diminution de l'activité donc des recettes, c'est la spirale de la déflation au pied de la lettre.
Plus récemment, les Directions se sont intéressées à la performance de la recette, et donc de la T2A en priorité. Lorsque cette politique a été menée de manière rationnelle, elle produit des résultats, mais souvent insuffisants au rétablissement des comptes : la performance de la facturation ne peut tout résoudre.
Reste le dernier point, qui n'est pas le bras de levier le moins important : la maîtrise du processus de soins et son adaptation au modèle de financement. En clair, les produits étant constatés essentiellement au séjour et non à la journée, ils seront proportionnels au taux de rotation et donc à la durée de séjour. Et donc, dans une vision médico-économique, il y a lieu de questionner les processus de prise en charge des patients au sens large sous cet angle. Les pistes sont nombreuses, telles que la préparation de la sortie du patient dès son entrée et notamment en cas de complexité sociale, le questionnement de l'opportunité de certaines prestations inter-établissements, l'analyse des délais de réalisation de certains actes, la gestion ou non au cours du séjour d'une découverte diagnostique sans rapport avec le motif d'hospitalisation et sans caractère d'urgence, etc. C'est peu dire que les soignants en général et les médecins en particulier ont été peu préparés à considérer leur pratique sous cet angle, où il est question d'efficience et de productivité. De fait, une récente enquête auprès des praticiens hospitaliers [2] a examiné le « vacillement de l'engagement des médecins hospitaliers ». Et parmi les postures médicales observées, il est relaté que « [La T2A] incarne la recherche de l'efficience, pousse à la rentabilité. Ce qui est en inadéquation totale avec l'altruisme ». Comme on le voit, pour les faire adhérer à la réalité économique, une sérieuse explication de texte s'impose, pour rappeler que l'argent ne tombe pas du ciel, que les ressources sont limitées, et que l'éthique de la dépense publique ne saurait être effacée par l'éthique médicale, d'autant qu'elles ne sont nullement incompatibles.
Tout cela pour dire que, face aux établissements déficitaires et réclamant toujours plus de moyens, l'Assurance maladie a beau jeu de renvoyer lesdits établissements à leur efficience. Et, dans l'obligation malgré tout de combler leur déficit s'ils sont publics, de se rembourser par des contrôles aux pratiques discutables affectant l'ensemble des établissements.
On est donc bien dans un dialogue de sourds. Ce qui est certain, c'est qu'il ne sera possible d'affirmer l'insuffisance de l'ONDAM que lorsque l'ensemble des établissements auront atteint un niveau d'efficience significatif mais resteront malgré tout en déficit. On en est loin. La balle est donc dans le camp des hôpitaux, pour consolider leur équation économique. En tout état de cause, au vu de la situation économique du pays, il n'est pas certain que les déficits continuent à être solvabilisés ad vitam. Qui sait si, un jour, nous ne verrons pas des hôpitaux publics mettre la clé sous la porte, au même titre que n'importe quelle entreprise incapable de maîtriser ses comptes.
[1]. Bulletin officiel Santé - Protection sociale - Solidarité n° 2024/30 du 31 octobre 2024 - Instruction ministérielle du 28 octobre 2024 relative aux priorités nationales de contrôles externes de la tarification à l'activité pour la campagne 2024 portant sur l'activité 2023.
[2]. Webinaire consacré aux motifs conduisant au vacillement de l'engagement des médecins hospitaliers, présenté le 17 septembre 2024, par l'espace de réflexion éthique de Bourgogne- Franche-Comté (EREBFC). Cité par : HOSPIMEDIA – 4 octobre 2024.
Dr Jérôme FRENKIEL
Médecin de santé publique
Directeur de l'Information médicale et de la Recherche Groupe UNIVI Santé