Je l’ai vu, et revu... vous aimerez peut-être aussi

Publié le 04 Jul 2023 à 18:51


Dr Eric OZIOL
Cinéphile militant
et inclusif

SOLEIL VERT

J’ai eu la chance de voir et même de revoir dès mon adolescence, le premier de ces deux ­ films, « Soleil Vert » (Soylent Green), non pas à sa sortie en 1973, mais quelques années plus tard, car il était régulièrement programmé au festival du ­ lm fantastique au cinéma ALPHA, à Auxerre. Moins célèbre que celui d’Avoriaz, où « Soleil Vert » eut le Grand Prix en 1974, ce festival qui avait lieu pendant les vacances scolaires de février, offrait une programmation de grande qualité et même déjà un concours de maquillages. Malheureusement ce cinéma, créé en 1970 par Jean-Louis Gleizes, en évolution de la salle de spectacles « Le Familia » construite en 1932 par l’AJA de l’Abbé Deschamps, fût rasé, malgré sa belle architecture années trente, en 1990 pour devenir un grand parking.

Comme un écho au devenir de ce cinéma, le générique de début de « Soleil Vert », très novateur, montre une succession d’images à partir des débuts de la photographie, ­ n du XIXe, jusqu’aux années 1970, à un rythme lent initialement avec une musique légère qui va devenir plus lancinante et suivre l’accélération des images, illustrant l’ampli­ cation de l’industrialisation, l’explosion énergétique et la spirale productiviste, conduisant à la surpopulation, à la pollution mondiale et son impact climatique. Le rythme du générique se ralentit en­ n avant le fondu pour le premier plan du ­ lm sur un New York caniculaire, pollué et surpeuplé, en l’année 2022. Le générique en lui-même vaut déjà le visionnage : https://www.youtube.com/watch?v=Al-VczvB4FQk

Ce ­ film d’anticipation réalisé par Richard Fleischer, inspiré d’un roman de Harry Harrison en 1966, est une des premières dystopies ayant pour thèmes à la fois la crise climatique et l’euthanasie. Dans cette New-York de ­ fiction, devenue en 2022 une mégapole de 44 millions d’habitants, la canicule est permanente. Les industries ont épuisé presque toutes les ressources naturelles. La pollution, la pauvreté, la surpopulation, le rationnement de l’eau et de la nourriture sont le quotidien d’une très grande partie de la population, à laquelle il ne reste comme seul « viatique » que celui de l’euthanasie volontaire, tandis qu’une caste riche et dirigeante ­ nit de consommer les dernières denrées et de jouir du confort d’un monde qui se désagrège, dans un système maintenu par une police très répressive. La nourriture pour la population est à base de plancton ou de soja. Sa distribution est le monopole de la multinationale Solyent. Elle est conditionnée sous forme de tablettes de couleur variées, mais peu nutritives. L’arrivée d’une nouvelle tablette plus chère, mais plus nutritive, le Soleil Vert (Solyent Green) aggrave les émeutes récurrentes, car elle est rationnée. Le détective Frank Thorn (Charlton Heston), assisté du vieux professeur Solomon « Sol » Roth (Edward G. Robinson pour son dernier rôle), mémoire vivante de l’ancien temps, avec lequel il partage son appartement, va mener l’enquête sur le meurtre de Simonson un riche homme d’affaire qui a travaillé pour Soylent. Ils découvriront alors l’indicible secret de la fabrication du Soleil Vert dans une société devenue non seulement euthanasique (apoptotique ?) mais également nécroanthropo-phagique, et qui ne respecte pas mieux les vivants que les morts. En effet, les émeutes sont réprimées par les « dégageuses », sortes de camions-bennes munis d’un large godet pour ramasser les émeutiers. Les morts sont quant à eux transportés par de véritables camions-poubelles. Lors de l’évacuation du corps assassiné de Simonson, Shirl (Leigh Taylor-Young) son « mobilier », c’est-à-dire la très belle femme dont il pouvait jouir avec son luxueux appartement, trouvera révoltant ce peu d’égards aux défunts : « Le jour où ma grand-mère est décédée il y a eu au moins une cérémonie ! ».La scène poignante de l’adieu de Frank à Sol, pendant sa mort programmée au « Foyer », qui est en fait le nom du centre euthanasique, propose une ­ n de vie luxueuse, avec musique classique et des images magni­fiques d’une nature disparue, contrastant avec l’indignité de ce qu’est devenue la vie des humains. Cette organisation magni­fiée du moment de quitter volontairement ce monde, contraste avec celle beaucoup plus technique et froide du ­ lm Plan 75, de la japonaise Chie Hayakawa, sorti en 2023 qui se situe dans un univers assez proche du notre et ­ finalement peu dystopique, si ce n’est la mise en œuvre par la société d’une euthanasie volontaire pour les personnes de plus de 75 ans, considérées comme un poids sociétal. Je m’aperçois en écrivant ces lignes que l’évocation de ces ­films vient aussi conclure un remarquable ouvrage dont je vous parlerai très certainement dans le tout prochain MAG 27... En tous cas « Soleil Vert » est un des rares ­ films à avoir traité la crise écologique sous l’angle d’un devenir politique humain plausible et non pas sur un mode catastrophique ou apocalyptique. Bon (re ou re-re-etc.) visionnage.

SUR L'ADAMANT

Le second ­ lm dont j’aimerais vous parler est beaucoup plus optimiste même s’il questionne sur nos fragilités, en tous cas celles de notre société. « Sur l'Adamant » est un ­ lm documentaire français réalisé par Nicolas Philibert, auteur de très nombreux et excellents documentaires, dont le plus connu, « Être et avoir », ­ filmé dans une école de CM2 du Forez, a été récompensé de nombreux prix dont deux César en 2003. Sorti le 24 février 2023 pour la Berlinale où il a remporté l’Ours d’Or, bien qu’en compétition avec des ­ films de ­fiction, le ­ lm documentaire « Sur l’Adamant » a été tourné au centre de jour psychiatrique adulte situé sur une péniche nommée Adamant dans le 12e arrondissement de Paris. Les patients et les soignants y ont été ­ filmés pendant sept mois, dans cet espace  flottant unique offrant un cadre de soins très structurant à ces patients traités pour des troubles psychiatriques parfois sévères, mais qui tentent de renouer avec la vie sociale. Ce centre de jour, pensé, construit et créé en lien avec les patients et les soignants, est un lieu ouvert, un lieu qui est beau, un lieu apaisant, en plein cœur de Paris, sur la Seine (en fait l’Yonne pour les puristes en hydrologie). Un lieu où l’esprit de la psychiatrie institutionnelle est omniprésent. Un lieu qui aurait ravi ses pionniers : François Tosquelles à St Alban-sur-Limagnole en Lozère, Jean Oury à La Borde ou Claude Jeangirard à la Chesnaie, dans le Loir-Et-Cher. Car il ne suf­fit pas de se sortir de l’aliénation psychopathologique, il convient également de se sortir de l’aliénation sociale. En effet, dans la maladie psychiatrique, il faut avoir envie de prendre son traitement. Il faut que la vie avec traitement, soit mieux que la vie sans les médicaments. À un moment du ­ lm (car c’est un vrai ­ lm) un acteur-patient dit : « moi si je ne prends pas les médicaments, je me prends pour Jésus, moi... ». Il faut qu’il y ait un véritable béné­fice social à prendre ses médicaments, car si on doit être « cruci­fié par la société » autant se prendre pour Jésus.

Dans cette magni­fique entrevue de Allo Ciné avec Nicolas Philibert, celui-ci explique qu’il voulait montrer « une psychiatrie qui considère vraiment les patients » dans un système de soins où « la situation est pire parce que le rouleau compresseur de l’économie est passé par là », dans une société qui veut « invisibiliser les patients ». On y apprend également que le réalisateur a été inspiré par cette première expérience et que deux autres projets sur les soins psychiatriques sont en gestation, réalisant à terme un véritable tryptique. « Quand je commence un ­ lm, je ne sais pas encore très bien où je vais. Et d'une certaine manière, je ne cherche pas à le savoir ». L’un sera situé à l’Hôpital Esquirole de Charenton, auquel est rattaché le centre de jour de l’Adamant et l’autre aura pour thème les visites à domicile réalisées par les équipes soignantes. On pourra y retrouver certains des personnages du premier opus.

« Personne n’est parfait, personne n’est parfait ! » est-il chanté dans ce reportage. Ce ­ lm est une véritable psychothérapie cinématographique qui soigne tout le monde, les protagonistes (soignants – soignés) et les spectateurs, devenant par cette rencontre, cette projection qui fait disparaitre l’écran, devenant tous ensemble acteurs de notre humanité.

 

Article paru dans la revue « Le magazine de l’Intersyndicat National des Praticiens d’exercice Hospitalier et Hospitalo-Universitaire » / INPH N°26

 

 

 

 

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