
Camille LOISEAU
Interne en Dermatologie à Lille
Vice-Présidente Partenariats de la FDVF
Rédactrice en chef de la Revue des Jeunes Dermatologues
Pr Mahtab SAMIMI
Dermatologue PUPH au CHU Tours
Camille LOISEAU.- Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Pr Mahtab SAMIMI.- J'ai 42 ans et je suis dermatologue PUPH au CHU de Tours. Mon activité est assez polyvalente dans le service, toutefois je suis surtout spécialisée en cancérologie et dans les pathologies muqueuses. J'ai une activité d'expertise et de recherche sur un cancer rare de la peau, le carcinome de Merkel. Enfin, je suis impliquée dans plusieurs instances sur le plan national et international, dont la SFD ou l'EADV que l'on abordera par la suite.
Sur le plan personnel, je suis d'origine iranienne, arrivée en France à l'âge de 6 ans dans un contexte géopolitique critique en Iran, suite à la Révolution Islamique et à la guerre Iran-Irak. J'ai fait l'ensemble de mes études à Tours. Mariée pendant 15 ans avec un médecin, je suis aujourd'hui divorcée. Je n'ai pas d'enfants, par choix.
C. L.- Quelles sont vos passions en dehors de la dermatologie ?
Pr M. S.- C'est une question amusante, car je n'aurais pas eu de réponse à vous donner il y a quelques années. Mon travail a toujours occupé une grande partie de mon quotidien avec peu de temps accordé aux loisirs. Cependant, depuis quelques années, je me considère comme addict au sport ! Beaucoup de musculation et parfois du crossfit, pour une pratique d'au moins quatre fois par semaine. Je cours aussi avec mes chiens, vous pouvez d'ailleurs suivre Pacha sur son compte instagram (sweetpacha_shihtzu) ! Le sport est un antidépresseur naturel, un booster mental, une motivation à l'autodiscipline. En me challengeant dans le sport, j'échoue, recommence et progresse… cela me plaît ! Malgré nos emplois du temps chargés, ajouter une activité sportive régulière a été l'un de mes meilleurs investissements !
Je m'intéresse aussi à la psychologie, aux sciences comportementales, aux neurosciences… surtout par des lectures ou des podcasts grand public.
Ma compréhension et mon interaction avec les autres s'est ainsi modifiée, sur le plan personnel mais aussi dans ma pratique médicale, que ce soit par exemple les situations difficiles en cancérologie ou la prise en charge des symptômes « psychosomatiques » que l'on voit finalement beaucoup en consultation.
C. L.- Pr Nicolas Kluger, lors de son interview dans la RJD n°1, vous qualifiait de selfmade woman, qu'en pensez-vous ? À votre avis, quelle est la raison de cette qualification ?
Pr M. S.- J'ai été très surprise et flattée en lisant cela ! Je pense que Nicolas avait en tête plusieurs choses. D'une part mon parcours de vie car nous sommes repartis de zéro à notre arrivée en France. J'ai même commencé l'école sans parler la langue ! D'autre part la carrière hospitalo-universitaire, étant donné que j'ai développé une expertise « de novo » sur une thématique (le carcinome de Merkel) qui n'existait pas au préalable dans notre service. En d'autres termes, je ne l'ai pas reçue en « héritage » d'un mentor. Loin de moi l'idée de critiquer ce type « d'héritage ». C'est tout à fait normal et souhaitable de transmettre son expertise à ses élèves ! Ceci dit, nous ne sommes jamais totalement « self made ». J'ai été « maternée » par Gérard Lorette et Annabel Maruani, sans qui je n'aurais pas fait de carrière HU ; j'ai été formée à la pathologie muqueuse par Loïc Vaillant ; j'ai été formée à la recherche par Pierre Coursaget… Je ne peux pas citer toutes les personnes qui m'ont aidée tant elles sont nombreuses, notamment parmi les HU de dermatologie.
Néanmoins j'aimerais citer Carle Paul qui m'a mis le pied à l'étrier sur le plan international alors que j'étais encore très jeune. Par ailleurs, Nicolas (Kluger) m'a aidée aussi sur la stratégie de visibilité à l'international.
En réalité, je pense qu'il est largement plus « self made » que moi, ayant construit son expertise sur les tatouages en partant de rien et en ne comptant que sur lui-même !
C. L.- Vous exercez à Tours. Votre cursus médical s'est-t-il toujours déroulé dans cette ville ? Pourquoi ce choix ?
Pr M. S.- À notre départ d'Iran, nous sommes arrivés à Tours puisque nous y avions des attaches familiales.
J'ai fait toutes mes études dont mon externat à Tours. Après l'ECN, mon classement de 29ème m'offrait l'opportunité de bouger pour l'internat.
Je savais que je voulais faire de la dermatologie, mais où ? Après beaucoup d'interrogations de mon entourage pour m'aider dans mon choix, c'est Adeline Perrinaud, alors PH dans le service, qui a eu cette phrase « déclic » : « il faut choisir la ville dans laquelle vivent les personnes que tu aimes ». J'ai donc décidé de rester à Tours. Il faut se l'avouer, c'est très aidant d'avoir sa famille à proximité. De plus, la dermatologie à Tours est connue pour être de haut niveau dans un contexte bienveillant et j'ai été « cocoonée » pendant tout mon internat ! Je n'ai jamais regretté ce choix.
C. L.- Exercer la dermatologie à l'hôpital a-t-il toujours été une évidence ou bien cela s'est-il affiné au cours de votre carrière ?
Pr M. S.- Ce n'était absolument pas une évidence. Mon autre choix de coeur était la médecine interne mais j'avais choisi la dermatologie pour ne pas m'enfermer dans un exercice hospitalier. C'est au cours de l'internat que j'ai découvert mon attrait pour la pédagogie via l'enseignement aux externes. Quand j'ai commencé à écrire des cas cliniques, je me suis aperçue que j'aimais écrire et publier.
Gérard Lorette et Annabel Maruani ont commencé à me dire que j'avais un « profil hospitalo-universitaire ».
Personnellement, je ne courais pas après le titre de « professeur » et, surtout, le master 2 ne m'attirait pas.
Je n'avais même pas de master 1 au cours de mon externat… j'avais préféré prendre l'option « Littérature et médecine », où l'on prenait le café en parlant de livres, tel un « intello-cool ». Finalement, j'ai décidé de passer le cap, faire le master et ainsi ouvrir la possibilité d'une carrière HU.
Ce nouvel univers fut difficile à aborder, mais après quelques mois nous l'apprivoisons et, à long terme, nous développons de nouvelles compétences.
Je vous conseille par ailleurs de consulter le webinaire « Pourquoi faire un master 2 » sur le site du CEDEF, que nous avons réalisé avec la FDVF. Il explique pourquoi et comment faire un master 2.
Finalement, le métier d'HU est celui qui me correspond le mieux et je ne me verrais pas exercer en cabinet.
Cette année, je vais franchir un nouveau cap en prenant la chefferie de service et ainsi ajouter la casquette managériale au reste. Oui, cela ajoute du travail mais je suis très enthousiaste ! Mon entourage est constitué de jeunes titulaires hospitaliers et hospitalo-universitaires motivants.
Nous allons former une super équipe !
C. L.- Vous avez choisi de vous spécialiser dans les pathologies muqueuses et les carcinomes de Merkel, pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette orientation ?
Pr M. S.- Pour le Merkel, c'est une histoire de timing et d'opportunité. Quand j'ai accepté de faire un master 2, Gerard Lorette a eu l'idée de me positionner dans l'équipe de son ami Pierre Coursaget, chercheur spécialisé dans les papillomavirus et les polyomavirus. Nous étions en 2010, deux ans après la découverte du polyomavirus de Merkel. Le sujet était donc extrêmement tendance.
J'ai réalisé mon master 2 et ma thèse de science dans cette équipe. Nous avons construit un réseau anatomo- clinique avec les hôpitaux du grand ouest afin d'obtenir des prélèvements.
Puis, nous avons construit une cohorte clinico-biologique de patients qui est devenue la plus large cohorte en France. Par la publication régulière de travaux translationnels sur la cohorte, nous avons acquis une visibilité nationale puis internationale sur la thématique.
Nous avons eu ensuite la chance d'intégrer dans l'équipe un jeune et brillant anatomopathologiste :
Thibault Kervarrec, permettant encore d'accroître le niveau scientifique de l'équipe.
Cette année, je deviens la coordinatrice nationale de l'axe Merkel de Caraderm. C'est réellement motivant car nous allons pouvoir, je l'espère, créer une émulation nationale pour la recherche épidemiologique, clinique et translationnelle sur le Merkel en France.
Pour la thématique muqueuses, il s'agit d'un « héritage ». Un de mes mentors, Loïc Vaillant, avait développé cette thématique depuis plusieurs années et coordonnait le DIU bi-site Tours/La Pitié de muqueuse buccale. J'ai simplement repris cette activité, avec cependant une volonté de l'amplifier. J'ai ainsi créé des liens avec les autres experts en muqueuse buccale en France puisque je crois profondément à la synergie du travail en équipe. J'ai créé le groupe GEMUB en 2017, dont je suis actuellement la présidente. En 2022, la création des RCP nationales de muqueuse buccale m'est venue grâce à une idée d'Olivier Chosidow. Enfin, il m'a semblé logique de rajouter la muqueuse vulvaire à mon arc, car finalement les deux muqueuses sont très proches, excepté le fait que la vulve n'a pas de dents.
C. L.- On dit que vous êtes une femme très investie dans la formation des internes, quels sont vos engagements au niveau local et national ?
Pr M. S.- Je suis surtout investie localement étant donné que je suis la coordinatrice locale de DES. Je supervise la maquette des internes, coordonne leurs stages, suis leurs acquisitions et leur progression, repère leurs difficultés. Au quotidien, les internes sont très encadrés dans notre service, que ce soit par les HU, les PH, les CCA et les assistants qui sont très présents. Nous essayons de transmettre la rigueur, toujours avec bienveillance. Je mets un engagement particulier, légèrement viscéral, dans la pédagogie. Si j'entends une erreur aberrante, ça en est presque douloureux ; quand je vois une progression, cela me rend euphorique. L'aventure des thèses avec les internes m'épate, j'aime beaucoup voir leur fierté le jour de la soutenance d'une belle thèse.
J'essaie, en général, de les pousser : à faire des formations complémentaires, à présenter en congrès, à présenter à l'international… Sur le plan national, je suis membre du CEDEF et, à ce titre, impliquée dans l'enseignement de nos internes.
Ceci dit, je n'ai pas de missions spécifiques ou de position au bureau du CEDEF. Parmi mes actions, nous pouvons citer la création du webinaire « pourquoi faire un master 2 » que j'ai déjà abordé ici.
En général, disons que ma pensée va toujours vers les jeunes lorsque je suis dans une instance ou dans un groupe. Lors de ma présence au comité d'organisation des JDP (2018- 2020), nous avions mis en place les parcours « essentiels » pour la formation initiale des internes. C'est d'ailleurs au cours de ce mandat que j'ai mis en place les JDP quizz. Actuellement, en tant que membre du bureau de la SFD, je participe aux réunions régulières avec la FDVF concernantles souhaits des internes et sur la mise en place du meilleur accompagnement possible par la SFD.
C. L.- Quelles sont vos missions en tant que Vice-Présidente à la SFD ?
Pr M. S.- Mon mandat de Vice-Présidente de la SFD vient de se terminer.
Je suis dorénavant Secrétaire Générale de la SFD. Dans les deux cas, il s'agit de positions au sein du Bureau de la SFD auquel j'appartiens depuis 2023.
Le Bureau de la SFD est l'organe de « direction » de la SFD, actuellement présidée par Saskia Oro. Il se compose de 6 membres (Président.e, trois Vice-Président.e.s, un.e Secrétaire Général.e, et un.e Trésorier.e) élus parmi le Conseil d'Administration de la SFD. Le Bureau comporte aussi bien des dermatologues hospitaliers que libéraux.
Nous nous réunissons tous les mois à la Maison de la Dermatologie et notre rôle est de proposer, discuter, arbitrer les missions de la société savante. Comment promouvoir la dermatologie, comment arbitrer le soutien à la recherche via les appels d'offres et les bourses, décider des actions de formation, coordonner l'organisation du congrès des JDP…
Il faut savoir que beaucoup de dermatologues hospitaliers et libéraux s'investissement bénévolement à la SFD, permettant ainsi l'accomplissement de toutes ces missions : le conseil d'administration, le conseil scientifique, le comité des bourses, le comité éditorial des quatre saisons, le comité éditorial 365 SFD, le comité d'organisation des JDP, les groupes thématiques… Ces comités ne sont pas fermés, tout dermatologue est invité à s'investir dans la vie de la SFD !
C. L.- Nous vous connaissons également au travers des JDP quizz. Serait-il possible de nous donner plus de détails à ce sujet ?
Pr M. S.- Les JDP quizz, c'est un tournoi type « questions pour un champion ». Il se déroule le jeudi soir des JDP, de 18h à 20h environ.
Des équipes composées de 4 internes, représentant une ville de France ou un pays francophone, s'affrontent autour de questions de connaissance sur la dermatologie.
Il existe une vingtaine d'équipes au départ, éliminées progressivement jusqu'à la grande finale opposant les deux meilleures équipes. Toute l'année, nous recueillons de nouvelles questions pour la banque : plus de 200 questions sont utilisées lors de l'épreuve ! Depuis la création, les vainqueurs ont été Montpellier-Nîmes ; Angers ; la Belgique ; la Suisse… et, pour l'année 2024, les grands vainqueurs ont été les Brestois !
C. L.- Quelles ont été les étapes de création des JDP quizz ? Quel était votre objectif initial ?
Pr M. S.- À l'époque où je faisais partie du comité d'organisation des JDP (2018-2020), ma volonté était d'innover. J'ai demandé à assister en observateur au congrès de gastro-entérologie (les JFHOD). J'y ai découvert le « GastroQuizz », un jeu didactique, fun et sympa, impliquant les internes. Les JDP Quizz ne sont pas identiques au GastroQuizz mais nous nous en sommes inspirés, après accord des organisateurs bien sûr. Les organes décisionnaires de la SFD, dont le Bureau et son président de l'époque, Pascal Joly, ont immédiatement donné leur accord et nous avons lancé le JDP quizz l'année même, en 2019. Cela a été un succès fulgurant dès la première édition. Je pense que tous ceux qui y ont assisté se souviennent de la réplique culte « On s'en fout » de l'équipe de Montpellier Nîmes… qui a créé un petit scandale de quelques semaines. Épique !
C. L.- Que pensez-vous de l'évolution des JDP quizz depuis leur création ? Avez-vous des idées pour continuer à les réinventer ?
Pr M. S.- Ce que j'en pense ? C'est complètement fou. Nous avons commencé en imaginant une parenthèse ludique et aujourd'hui beaucoup de personnes en parlent comme leur moment préféré des JDP. Je pense aussi que les petites anecdotes politiquement incorrectes participent au succès des JDP Quizz. En réalité, nous nous mettons la pression pour innover chaque année. Fort heureusement, nous sommes bien entourés ! Beaucoup de personnes travaillent sur les JDP quizz : Pénélope Raymond la chargée d'organisation des JDP, notre prestataire MCI spécialisé dans l'évènementiel, et bien sûr l'ensemble des dermatologues alimentant la banque de questions.
La barre est mise un peu plus haut chaque année, c'est devenu un show. Nous avons déjà quelques idées pour l'édition 2025 mais vous me connaissez… Je garde la surprise !
C. L.- Pour nos lecteurs, jeunes dermatologues, quel conseil aimeriez-vous leur transmettre ?
Pr M. S.- J'ai énormément de conseils à donner ! Voici une liste :
• Bien travailler pour devenir un bon dermatologue : la sérénité vient par les compétences ;
• Ne se fermer aucune porte et saisir toutes les opportunités, nous ne savons jamais de quoi nous aurons envie demain ;
• Casser les « croyances limitantes » empêchant la progression dans la carrière, je pense ici surtout aux femmes ;
• Se faire aider si l'on se sent psychologiquement vulnérable : ce n'est pas normal de prendre des anxiolytiques tous les soirs pour s'endormir ou de se dire des choses comme « je préfère mourir que d'aller bosser »…en parler tout de suite autour de soi, à ses proches, à ses encadrants, qui sauront vous aider à vous sortir d'un passage difficile ;
• Être entouré par sa famille, par ses amis ;
• Et faire du sport !
C. L.- Qui aimeriez-vous découvrir dans la prochaine interview de la RJD ?
Pr M. S.- Mon amie Delphine Staumont, PUPH à Lille.
Elle est très investie dans son service, dans son métier de chercheuse et dans son rôle de mère. Elle œuvre énormément pour la collectivité sur le plan local, pour le GREAT et pour la SFD. De plus, elle a le cœur sur la main, un vrai amour !

