Actualités : Interview d’expert - La biologie des LAL-B, interview du Dr Rathana KIM

Publié le 14 oct. 2024 à 10:14
Article paru dans la revue « AIH-Revue Sang » / AIH N°2

Dr Rathana KIM
Biologiste à l'Hôpital Saint-Louis

Propos recueillis par
Alexandre IAT

La leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) est une maladie rare affectant environ 900 individus/an en France, tous âges confondus. Elle présente un premier pic d'incidence entre 2 et 5 ans et représente le cancer de l'enfant le plus fréquent. Bien que plus rare chez l'adulte, on dénombre en France un nombre de cas similaires mais qui s'étend sur une tranche d'âge beaucoup plus large avec un second pic d'incidence survenant à partir de 45 à 50 ans. Les LAL affectent majoritairement la lignée B (LAL-B) dans environ 80 % des cas et constituent le sujet du présent article.

Les LAL-B résultent d'une prolifération maligne de précurseurs lymphoïdes B immatures, appelés lymphoblastes, bloqués au cours de leur différenciation dans la moelle osseuse. L'envahissement médullaire se traduit par la survenue rapide de cytopénies responsables du caractère aigu de la maladie en l'absence de traitement. De plus, une infiltration du système nerveux central est observée de manière récurrente. Un syndrome tumoral peut également être présent sous la forme d'une polyadénopathie ou d'une hépato-splénomégalie. D'autres manifestations plus rares telles que les atteintes ostéoarticulaires et testiculaires sont rapportés préférentiellement chez l'enfant. La prise en charge thérapeutique repose sur l'administration d'une polychimiothérapie optimisée au fil des décennies.

Nous interviewons ce jour le Dr Rathana KIM de l'hôpital Saint-Louis à Paris, un spécialiste de la biologie des LAL-B.

Alexandre IAT.- Qu'est-ce qui différencie les LAL-B de l'enfant de celle de l'adulte ?

Dr Rathana KIM.- Les LAL B de l'enfant et de l'adulte sont des maladies différentes qui se différencient par leurs caractéristiques génétiques. Chez l'enfant, nous observons 2 entités prédominantes qui représentent plus de la moitié des cas : la LAL-B avec hyperdiploïdie standard (ou high hyperdiploidy) et la LAL-B avec la fusion ETV6::RUNX1 issue de la translocation t(12;21)(p13;q22). Ces entités sont associées à une bonne réponse aux traitements de chimiothérapie et à un pronostic favorable.

Chez l'adulte ces LAL-B sont quasi inexistantes et laissent place aux formes historiquement associées à une plus grande résistance au traitement et à des pronostics péjoratifs. Les LAL-B de l'adulte les plus fréquentes se définissent : i) par la présence du chromosome de Philadelphie ou translocation t(9;22)(q34;q11) à l'origine de la fusion BCR::ABL1, ii) des fusions impliquant le gène KMT2A, anciennement connu sous le nom de MLL et dont la plus fréquente est la fusion KMT2A::AFF1 résultant de la translocation t(4;11)(q21;q23), et iii) une hypodiploïdie sévère, pouvant parfois se présenter sous la forme d'un génome dupliqué quasi-triploïde.

A. I.- Quelles sont les principales différences dans les traitements de la LAL-B de l'enfant et celle de l'adulte ?

Dr R. K.- : La LAL-B de l'enfant représente un paradigme de succès thérapeutique basé sur une optimisation progressive du traitement couplée à une stratification du risque à l'aide de marqueurs pronostiques. Le traitement repose sur des schémas d'associations complexes de chimiothérapies répartis en différentes phases de traitement (induction, consolidation, intensification retardée et entretien). Ces stratégies thérapeutiques intensives ont inspiré plus tardivement la prise en charge des patients adultes dans les années 2000, motivés par la supériorité des résultats observés par des schémas pédiatriques par rapport aux schémas adultes au sein de la population des adolescents et jeunes adultes. Cependant, le bénéfice de cette stratégie intensive se heurte à l'augmentation de la toxicité observée à partir de 45 ans.

La seconde révolution thérapeutique réside dans le développement des immunothérapies qui se distinguent par leur profil d'efficacité et de tolérance, qui a conduit à leur implémentation dans les traitements de première ligne chez l'adulte, notamment dans la population des patients âgés dans laquelle la toxicité des chimiothérapies est limitante.

A. I.- Les leucémies aiguës lymphoblastiques B à chromosome de Philadelphie doivent-elles être toujours associées à une mauvais pronostic à l'heure des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) ?

Dr R. K.- : La réponse est non. Ces formes ne sont plus associées à un pronostic péjoratif à l'ère des thérapies actuelles. L'amélioration de la prise en charge des LAL-B à chromosome de Philadelphie a d'abord bénéficié du développement des ITK, et a continué à progresser avec les ITK de nouvelles générations (2ème et 3ème générations) plus puissants. Depuis l'arrivée des ITK, la stratégie thérapeutique des LAL B Ph+ chez l'adulte a été, à l'inverse des LAL-B Ph-négatif, de réduire l'intensité de chimiothérapie en association avec l'ITK pour permettre de réduire la toxicité chez les patients un peu plus âgés et pouvoir les diriger vers l'allogreffe. Le protocole GRAAPH-2014 qui associe le nilotinib à la chimiothérapie suivis d'une allogreffe montre d'excellents résultats avec des taux de survie proches de 80 %. Cependant, les nouvelles perspectives thérapeutiques tendent à abandonner la chimiothérapie au profit de combinaisons « chemo-free » associant le blinatumomab avec un ITK de 2e ou de 3e génération. Les premiers résultats offrent des perspectives de rémission à long terme voire de guérison sans avoir recours à la greffe, mais l'abandon de la chimiothérapie semble entraîner un excès de rechutes à localisation méningée.

A. I.- Quelles sont les différentes immunothérapies actuellement disponibles ?

Dr R. K.- : Trois classes sont actuellement disponibles :

• L'inotuzumab-ozogamicine est un anticorps conjugué à une molécule cytotoxique qui cible le CD22, un marqueur représenté sur la majorité des leucémies aiguës lymphoblastiques B à l'exception des LAL avec fusion de KMT2A qui l'expriment habituellement moins. Les deux autres classes disponibles sont dirigés contre le CD19 qui est un marqueur pan-B avec :

• Le blinatumomab, un anticorps bispécifique ciblant le CD19 et le CD3 et favorise ainsi l'action cytotoxique de système immunitaire via le recrutement des lymphocytes T sur les cellules leucémiques.

• Les cellules CAR-T (chimeric antigen receptor) ciblant le CD19 qui sont des lymphocytes T modifiés génétiquement pour reconnaitre et éliminer les cellules leucémiques, grâce à l'association de la spécificité de reconnaissance du BCR et la machinerie de transduction intracellulaire du récepteur T.

A. I.- Quels sont les mécanismes d'échappement des cellules tumorales aux immunothérapies ?

Dr R. K.- : Ils sont de plusieurs types, il y existe d'une part des facteurs dépendants de la maladie dont la finalité est d'aboutir à la perte de l'expression de la cible. Il existe d'autre part des facteurs liés à l'hôte, qui nécessite un environnement propice au maintien d'un système immunitaire efficace. D'autres aspects sont probablement impliqués et restent à découvrir.

Pour l'inotuzumab-ozogamicine, la cible CD22 peut être absente d'emblée, c'est le cas notamment de la LAL B avec remaniement de KMT2A pour laquelle les cellules leucémiques expriment faiblement le CD22. Pour les autres situations, il peut être observé après une certaine exposition au médicament une modulation de l'expression de la cible, soit via l'acquisition de mutations sur le gène CD22 avec une perte de l'épitope cible, soit via une modulation de son expression génique.

Dans le cas du blinatumomab, le mécanisme principal implique également la perte de la cible : soit par inactivation génique avec acquisition de mutations ou de sélection d'une isoforme transcriptionnelle entraînant la perte de l'épitope ciblé, soit par switch de lignage avec le passage d'un phénotype lymphoïde B à un phénotype myéloïde sous pression de l'immunothérapie. Il faut noter que le mécanisme du blinatumomab repose sur le recrutement des lymphocytes T endogènes dont la capacité à détruire les cellules leucémiques pourrait conditionner le succès du traitement. Il n'existe pas à ce jour de données robustes ayant caractérisé l'impact de l'environnement immunitaire actif ou épuisé sur l'efficacité du blinatumomab.

Les résultats thérapeutiques avec les cellules CAR-T dans la LAL-B dépendent de deux paramètres : la capacité des cellules leucémiques à perte l'expression de la cible, et de la capacité d'expansion et de persistance des cellules CAR-T. Dans le second cas, l'absence de persistance des cellules CAR-T se traduit par une réémergence de cellules B, communément désignée comme perte d'aplasie B, témoignant de leur perte d'efficacité et du risque de ré-expansion de la maladie.

Enfin il a été montré pour le blinatumomab et les cellules CAR-T la nécessité de réduire la masse tumorale pour obtenir une meilleure efficacité. Dans le cas des cellules CAR-T, il faut également veiller à ne pas trop réduire la maladie résiduelle pour leur permettre d'agir, de s'expandre et de se maintenir dans le but de contrôler la leucémie.

 

Publié le 1728893671000