Actualités : Intégrer le vécu des patientes dans nos soins

Publié le 21 juil. 2025 à 15:24
Article paru dans la revue « AGOF / Le Cordon Rouge » / AGOF N°27

Introduction

Présentation d'Audrey Bouyer et de Wounded Women

Wounded Women est la 1ère start-up Femtech en Europe qui innove pour améliorer la convalescence des femmes après un accouchement avec des cicatrices (césarienne, épisiotomie) ou après une chirurgie abdominale grâce à des solutions pratiques innovantes et complémentaires destinés aux professionnels de santé et aux femmes. Audrey Bouyer est Fondatrice et CEO de Wounded Women depuis 2 ans, est patiente partenaire, mère de deux enfants âgés de moins de 5 ans, et entrepreneure engagée. Elle a déposé un brevet et a déjà formé plusieurs centaines de professionnels de santé.

Contexte : pourquoi intégrer le vécu des patientes est essentiel en gynécologie-obstétrique

Le vécu des patientes doit être intégré en gynécologie obstétrique, en particulier en post-césarienne ou si l'accouchement est traumatisant. Tout ce qui est dit à cette période d'extrême vulnérabilité reste ancré à jamais dans la tête et le cœur des femmes. En parler, partager, comprendre est essentiel pour leur reconstruction. Or, il n'est pas toujours évident pour un médecin, de pouvoir avoir ce pas de côté et d'essayer de comprendre ce que vit la patiente. Partager le vécu des patientes aux obstétriciens (et pas que) permet d'entretenir un dialogue et d'améliorer la prise en charge globale des femmes.

Le parcours et la genèse de Wounded Women

Peux-tu nous parler de ton parcours personnel et professionnel ? Quel a été le déclic qui t'a poussée à créer Wounded Women ?

Je suis une patiente partenaire et entrepreneure engagée. J'innove depuis 2 ans avec Wounded Women, mon board médical et un réseau de plus de 300 professionnels de santé et surtout les femmes ! J'ai créé ma startup en santé après ma propre césarienne d'urgence. Je ne trouvais ni lingerie dédiée, ni conseils, ni soutien en post-partum et sans aucun suivi, j'ai trouvé cela très difficile à vivre. Après avoir reçu des centaines de réponses à un questionnaire largement diffusé, j'ai tout quitté pour créer la réponse à un besoin fort : soulager les femmes pour qu'elles reprennent le cours de leur vie, et révolutionner la prise en charge.

Cette réponse c'est Wounded Women : grâce à cette initiative je fais des rencontres extraordinaires auprès de nos gynécologues obstétriciens en ville ou à l'hôpital partout en France, qu'ils soient chefs de service ou en cabinet. Travailler à leur côté enrichit ma compréhension de leur métier (le vôtre) et en même temps me permet de “traduire” le langage des patientes qui vivent mal leur césarienne. Aujourd'hui grâce aux milliers de femmes qui ont répondu à notre grande enquête (sur les impacts de la césarienne et de sa prise en charge sur la vie des femmes en France) nous pouvons montrer en chiffres et en témoignages combien le vécu de la césarienne surtout non préparée peut être difficile et traumatique, et nous inspirer de ces expériences, des meilleurs vécus, des initiatives locales fructueuses et des publications des professionnels de santé pour écrire enfin des protocoles et améliorer la prise en charge.

Quels retours de patientes t'ont le plus marquée et ont motivé ton engagement ?

La souffrance est immense et un impensé social total. Les cicatrices liées à la maternité encore plus. Des témoignages nous en avons 6000 dans notre étude, et j'en reçois tous les jours par email ou sur nos réseaux sociaux. Tous ces messages me marquent : autant l'expression d'un sentiment d'avoir été abandonnée par le soin du fait de l'absence de parcours de soins post-césarienne), d'une souffrance psychologique du choc de la césarienne d'urgence ou bien des douleurs de la cicatrice présentes dans les geste de la vie quotidienne.

L'importance d'intégrer le vécu des patientes dans le parcours de soins

Selon toi, quelles sont les principales lacunes du parcours de soins après une césarienne ?

Les principales lacunes du parcours après une césarienne sont déjà qu'il n'y en a pas. Du côté des professionnels, les gynécologues qui ont participé à notre étude témoignent aussi de la nécessité de modifier nos pratiques sur la naissance par césarienne.

Déjà, elle doit être abordée dès la grossesse comme une possibilité afin de visualiser cette potentialité. C'est la 1ère recommandation de notre rapport d'étude. Les femmes qui accouchent par césarienne et sont donc aussi des patientes du fait de la chirurgie induite, ne bénéficient ni d'un traitement ni d'un soin ou soutien spécifique en suites de couche. Pourtant, la douleur, l'équilibre émotionnel, la capacité à prendre bébé seule ou d'aller aux toilettes pèsent sur les mères et le manque de soutien à la maternité peut plonger, selon notre étude, les femmes dans un début de dépression post-partum.

Le débriefing est parfois absent ou mal fait, ce qui ne permet pas à la mère de commencer sa guérison. Hormis le rendez-vous de contrôle des 6/8 semaines et l'entretien postnatal précoce, il n'y a pas un calendrier de rendez-vous pré-défini qui permet à la femme d'avoir un suivi post-opératoire global dans la durée. Enfin, la dernière lacune selon moi est de considérer uniquement la sage-femme et le gynécologue dans ce parcours de soins, alors que l'on mêle à la fois maternité et post-opératoire. De facto l'approche devient pluridisciplinaire et intégrative. C'est toute cette approche que nous prônons avec Wounded Women.

Comment le vécu des patientes peut-il enrichir et améliorer nos pratiques en gynécologie obstétrique ?

Le vécu des patientes et en l'occurrence les milliers de témoignages de l'enquête permettent de montrer que les patientes peuvent être à l'origine d'innovations en soutien aux soignants et au bénéfice des patientes. C'est d'ailleurs le titre de notre formation “enrichir sa pratique, mieux comprendre les besoins des mères césarisées et devenir un ambassadeur de la prise en charge pluridisciplinaire”. La prise en compte du vécu patiente par les médecins revêt son importance pour améliorer la qualité de vie de la patiente, son expérience de soins et sa capacité à poursuivre son parcours en autonomie. Cette approche intégrative du soin qui me tient à cœur est beaucoup pratiquée en oncologie et apporte de très nombreux résultats bénéfiques pour les patientes mais aussi pour les soignants. Mon approche “patiente centrée”, intégrative autour de la patiente permet aux soignants et aux hôpitaux (à leur demande d'ailleurs), de sensibiliser les équipes à la manière dont les femmes vivent cet accouchement, sa préparation (ou non), et l'après.

Enfin, le plus explicite est d'entendre des professionnels de santé de mon board médical m'expliquer qu'ils ont fait évoluer leur pratique après avoir été eux-mêmes opérés/avoir accouché par césarienne. Cela prouve bien que le vécu de la patiente “de l'autre côté” est un facteur d'enrichissement des pratiques.

Quels sont les obstacles à une meilleure prise en compte de l'expérience des patientes par les soignants ?

À mon sens, les obstacles à une meilleure prise en compte de l'expérience des patientes par les soignants sont : le manque d'écoute et la non remise en question des pratiques. La communication, outil clé apparaissant dans les 30 recommandations de notre étude, est essentielle à la fois pour les patientes mais aussi pour les soignants.

Tu as travaillé à formaliser des recommandations avec un livre blanc. Peux-tu nous en parler ?

En France, une naissance sur cinq se fait par césarienne, soit près de 150 000 accouchements annuels. Parmi eux, plus de 60 % sont réalisés en urgence, un chiffre qui monte à 76 % dans le cadre de cette enquête. Ces femmes représentent une population qui devient souvent vulnérable physiquement et psychologiquement (taux élevés de dépression, de syndrome post-traumatique, prééclampsie, prématurités, hémorragies, complications postopératoires...) et exige une préparation et un suivi post-césarienne organisés et protocolisés.

La césarienne est une chirurgie invasive qui laisse une cicatrice entre 8 à 14 centimètres, qui peut engendrer des douleurs, des complications, des difficultés pour le quotidien, pour s'occuper de l'enfant, pour reprendre un travail et même pour une prochaine grossesse (anomalies d'insertion placentaire, hernie, isthmocèle, endométriose pariétale ...) dont les femmes n'ont pas toujours conscience : 60 % des femmes interrogées ont déclaré ne pas avoir reçu d'information ni de préparation à l'accouchement par césarienne.

La prise en charge globale des femmes qui accouchent par césarienne doit permettre de limiter les impacts physiques et psychologiques de cet accouchement, qui est aussi une chirurgie, surtout si elle est réalisée d'urgence. Wounded Women s'est entourée d'une équipe composée de professionnels de santé, universitaires et chercheurs, analystes pour mener la 1ère enquête sociale sur « le vécu et les impacts sociaux économiques et médicaux de la césarienne sur la vie des femmes France ». Ce travail d'analyse inédit et les 30 recommandations de protocole associés composent notre livre blanc sera remis au CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français) pour saisie de la HAS, et pour diffusion aux autorités de santé, les hôpitaux, les réseaux de périnatalité, les associations de patients, etc., pour application. Elles concernent à la fois les patientes mais surtout les soignants et les maternités. Elles touchent à la fois la pré - per et post-césarienne. Elles ont aussi été recoupées avec les recommandations du CNGOF, de la SFAR et du CARO et du rapport du Sénat de septembre 2024.

Quelles actions concrètes proposes-tu pour mieux accompagner les femmes après une césarienne ?

L'aléa obstétrical existe et doit par conséquent être systématiquement présenté aux femmes/ aux couples pendant leur grossesse et durant les cours de préparation à l'accouchement. Elles pourront ainsi visualiser cette possibilité, et le cas échéant se faire accompagner en amont de l'accouchement.

La recommandation principale de notre livre blanc est que la césarienne soit considérée comme un accouchement ET une opération. La femme qui accouche est mère ET patiente.

Il est donc impératif de :

• Mieux informer toutes les femmes en amont ;

• Mieux accompagner la femme pendant & après au sein de la maternité ;

• Et mettre en œuvre un protocole et un parcours de soins post-opératoire robuste pour la sortie et la continuité des soins.

Comment les internes et jeunes gynécologues peuvent-ils s'inspirer de ces recommandations dans leur pratique quotidienne ?

Le Livre blanc (résultats de l'étude et analyse) est aujourd'hui utilisé par plusieurs maternités. Plusieurs gynécologues obstétriciens du collège d'experts ont commencé à utiliser les recommandations pour les appliquer dans leurs centres d'exercice. J'ai eu le plaisir d'échanger avec la promotion 2025 en leur partageant la synthèse de ces travaux lors des Janigo (journées d'accueil des néo-internes de gynécologie-obstétrique). Ils ont été clairs sur le besoin à la fois d'améliorer la prise en charge de la mère après une césarienne, mais aussi d'avoir ce point de vue patiente qui est au cœur de notre formation et des recommandations. Je recommande aux jeunes internes et gynécologues de lire notre étude et ses recommandations et d'en appliquer le plus possible. Nous abordons tous les sujets qui peuvent toucher une femme qui accouche par césarienne, y compris le vécu du co-parent et son rôle clé aux côtés de la mère (et comment accompagner la mère lorsqu'il n'y a pas de conjoint.e). Le changement viendra à la fois des soignants et des patientes.

Perspectives et message aux jeunes gynécologues

Quels conseils donnerais-tu aux jeunes gynécologues pour mieux écouter et intégrer le vécu des patientes ?

Je conseillerais aux jeunes gynécologues de :

• Prendre le maximum de temps possible pour échanger avec les patientes, et en l'occurrence ces mères patientes pour comprendre réellement leur vécu et leurs besoins.

• De les préparer à toutes les éventualités avec bienveillance.

• D'être à l'écoute en cas de demande d'un accouchement par voie basse après césarienne ou à l'inverse d'une césarienne.

• De se rappeler aussi que la qualité du vécu de leur patiente est essentielle pour ne pas sortir du parcours de soins : délaisser sa santé dans les années suivant l'accouchement, envisager un accouchement sans accompagnement médical par “dégoût” de l'accouchement à l'hôpital, etc.

• De suivre nos 30 recommandations au maximum.

• De venir suivre notre formation ! :)

As-tu des projets futurs pour Wounded Women et pour sensibiliser les professionnels de santé ?

Oui, nos projets actuels pour sensibiliser les professionnels de santé :

• Nous venons de signer un partenariat avec un organisme de formation Qualiopi et labellisé 1000 premiers jours afin de dispenser une formation mensuelle à la fois en présentiel et distanciel. Les objectifs :

 Améliorer la prise en charge de la césarienne ;

 Comprendre les besoins à court, moyen et long termes des femmes césarisées ;

 Décrire et détailler les 30 recommandations de notre étude et les enseignements à en tirer ;

 Apprendre le parcours de soins intégratif tel qu'il a été pensé par plus de 19 experts de santé dont 7 gynécologues et chefs de service.

• Nous travaillons à incuber sur Bordeaux avec le CHU (contacts en cours) le parcours de soins post-césarienne et donc le lien ville-hôpital afin de pouvoir ensuite en tirer des enseignements et protocoliser à tout le territoire.

• Enfin, nous ouvrons notre pôle scientifique aux internes et étudiants sages-femmes, kinés, etc., qui souhaiteraient rejoindre notre collège d'experts pour la rédaction de leur mémoire ou thèse. 2 sages-femmes nous ont rejoint déjà.

Conclusion

Synthèse des points clés

Pour comprendre l'urgence d'améliorer la prise en charge des femmes après une césarienne, il faut considérer ces chiffres clés de l'étude :

Les chiffres de notre Livre Blanc indiquent comme une absolue nécessité d'améliorer les pratiques au sein des structures de soin et surtout de créer un protocole de soin intégratif dédié à la prise en charge des femmes césarisées après la sortie de la maternité :

• 1 répondante sur 2 a été diagnostiquée pour dépression du post-partum ou PTSD ou « pensent avoir fait une dépression du post-partum».

• 93 % n'ont pas bénéficié d'un parcours de soin aménagé après la maternité (i.e un rendez-vous après le suivi des 12 premiers jours pris en charge à 100 % et avant le rendez-vous recommandé des 6/8 semaines).

• 42 % des femmes déclarent n'avoir vu qu'une ou deux fois un professionnel de santé dans l'année qui a suivi leur césarienne. Dont 20 % d'entre elles étaient diagnostiquées en dépression du post-partum (DPP) ou avec des troubles du stress post-traumatique (TSPT).

• 18 % ont vécu un défaut d'anesthésie lors de la césarienne (dont 4-10 % à vif).

• 39 % ne se sont pas senties soutenues au bloc opératoire.

• 39 % souffrent de leur cicatrice au-delà de 3 mois et jusqu'à plus d'un an.

Il a été observé dans l'étude que plus la césarienne est en urgence, et plus :

• Le vécu de la césarienne est déclaré comme traumatique (91 % des déclarantes en césarienne d'urgence) ;

• Les douleurs et les complications comme l'hémorragie sont élevées (douleur évaluée à 8 sur 10) ;

• La cicatrisation est longue et douloureuse ;

• La cicatrice est invalidante au quotidien ;

• Le lien avec bébé est difficile (portage, câlins, allaitement) ;

• Le rapport au corps est difficile.

Césarienne et grossesse vulnérable

Des études montrent notamment que la prééclampsie est un facteur de risque de déclencher un accident cardiovasculaire à moyen ou long terme chez la femme jeune. Le suivi régulier et la compréhension par la femme de ses enjeux de santé en post-partum (et ensuite) est essentiel (travaux du Docteur Stéphane Manzo Silberman). La protocolisation des soins post-césarienne dès la maternité et au-delà des 12 jours de suivi post-partum pris en charge à 100 % est donc un réel enjeu de santé publique.

La césarienne doit être considérée comme un accouchement ET une opération. La femme est une mère ET une patiente.

Le Livre blanc recommande trois niveaux d'action pour une approche intégrative de la prise en charge de la césarienne :

• Mieux informer toutes les femmes et les couples en amont.

• Mieux accompagner la femme pendant et après au sein de la maternité (exemple de la RAC – Réhabilitation améliorée après chirurgie).

• Protocoliser un parcours de soins post-opératoire pour la sortie et pour la continuité des soins.

Ce témoignage d'une répondante résume ma pensée :

“Pour avoir vécu plusieurs accouchements par césarienne, je dirais que l'expérience de la césarienne dépend vraiment de l'équipe médicale qui nous entoure.

J'ai vécu 2 césariennes en urgence et 1 césarienne programmée et aucune ne se ressemble. Mais plus on est écoutée, plus on nous permet d'être actrice de la naissance de notre enfant, et mieux elle est vécue.

C'est un moment mêlé de peur, et d'excitation qui laisse bien souvent un sentiment d'échec personnel, et le fait de préserver au maximum le lien maman-bébé joue un rôle déterminant dans le vécu de ce moment.”

Lien vers le site

https://www.woundedwomen.fr/

Rejoindre la formation : https://cefap-france.fr/formation-la-cesarienne

Réduction pour accéder à l'intégralité de l'étude et de l'analyse avec le code AGOF.

Réduction pour découvrir la lingerie spécialisée en cabinet : PROSCOLLAB30. Utilisable une seule fois.

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Mot de la fin d'Audrey pour les lecteurs du Cordon Rouge

“Je crois profondément que 2025, année du retour de l'obscurantisme en santé et dans la recherche aux USA et dans certains pays européens, sera l'année du changement de paradigme pour la santé des mères qui accouchent par césarienne à la fois physique et psychologique : elles sont mères ET patientes.

Plusieurs maternité appliquent déjà plusieurs de nos recommandations de prise en charge et j'ai bon espoir que nous parvenions à une protocolisation grâce à de nouvelles politiques publiques.

Ensemble nous avons la possibilité avec l'excellence de l'expertise de Wounded Women et de nos soignants, de faire évoluer la santé des femmes en France et de devenir pionnier du parcours de soins post-césarienne dans le monde.

À vos côtés pour une meilleure santé des femmes. Merci pour votre engagement.”

Publié le 1753104271000