
Ces mycoses cutanées superficielles sont des infections provoquées par la pénétration dans le stratum corneum de dermatophytes, champignons filamenteux. Les espèces le plus souvent en cause en France sont T. rubrum (70 %), T. interdigitale (15 %), E. floccosum (5 %) et M. canis (5 %). Elles sont responsables de lésions de la peau glabre, généralement prurigineuses et d'extension centrifuge (intertrigos des petits et grands plis, lésions circinées de la peau glabre, placards à bordure circinée), d'hyperkératose palmo-plantaire et d'atteintes des phanères (folliculite, teigne du cuir chevelu et de la barbe, onychomycose des orteils et des doigts).
Diagnostic
L'expression clinique variable de la mycose (aiguë, suraiguë, chronique) traduit les modalités de la réponse immunitaire du patient à la présence du parasite dans l'épiderme.
Certains facteurs (occlusion, chaleur et humidité) facilitent la survenue des intertrigos. L'atopie, le diabète, une anomalie de la kératinisation, une altération de l'immunité cellulaire (greffe d'organe, corticothérapie générale) et diverses affections (trisomie, affections neurologiques...) sont invoqués comme facteurs responsables d'une prévalence plus forte, de la persistance et de la récurrence des dermatophyties.
Le diagnostic, évoqué sur l'aspect clinique, n'est réellement confirmé que par la positivité à l'examen direct et en culture du prélèvement mycologique pratiqué en l'absence ou à distance de tout traitement antifongique topique ou systémique. Celui-ci, temps capital, doit être effectué dans un laboratoire expérimenté. Il est nécessaire au moindre doute devant une lésion de la peau glabre, et il est toujours nécessaire en cas d'onyxis ou de teigne.
Outils du traitement (2), (3)
La décision thérapeutique doit tenir compte de la localisation, de l'étendue des lésions, de leur pluralité, de l'astreinte et du risque mesuré d'une antifongithérapie systémique. Le suivi clinique attentif est le meilleur garant du résultat. Dans tous les cas, le critère de guérison doit être l'obtention d'une restitution ad integrum du tégument avec un examen mycologique de contrôle négatif et l'absence de récidive vérifiée par un suivi prolongé.
Contrairement à des notions classiques, les traitements antifongiques actuels associés à de « petits moyens » (meulage des ongles, aération des plis...) permettent une guérison dans presque 100 %, quelle que soit la localisation de l'infection dermatophytique.
Traitement local
Il comporte d'abord la suppression des facteurs favorisants. La chaleur, l'humidité et l'occlusion sont des facteurs favorisant le développement des dermatophyties cutanées. Leur suppression est donc indispensable pour l'obtention une guérison. L'aération et le séchage soigneux des lésions cutanées feront donc partie intégrante du traitement. Dans les cas de dermatophyties des ongles, la réduction mécanique du foyer fongique facilitera la pénétration des antifongiques systémiques et locaux et accélèrera la guérison. Enfin, et pour éviter toute récidive, les foyers primaires d'infection seront recherchés et traités. Ils seront précisés dans la stratégie thérapeutique pour chaque localisation.
L'utilisation d'un antiseptique n'est pas indispensable, mais celui-ci peut agir sur la présence d'agents infectieux (levures ou bactéries à Gram positif) fréquemment associés à celle du dermatophyte, en particulier dans les plis. L'antiseptique prévient aussi la survenue de surinfection dans les atteintes prurigineuses.
Un kératoloytique sera prescrit en cas d'hyperkératose, notamment palmo-plantaire ou de croûtes du cuir chevelu. Le kératolytique peut être :
— Acide salicylique dans un excipient couvrant : vaseline, onguent ou autre, à une concentration choisie en fonction de l'épaisseur des lésions, ou en préparation commercialisée comme la Cold-Cream salicylée La Roche-Posay® ;
— Préparation à l'urée, soit en préparation magistrale ou commercialisée comme Kératosane® gel ou Xerial® 3, 10, 30 ou 50 SVR.
Traitement antifongique spécifique topique : les antifongiques les plus actifs sur les dermatophytes sont : la ciclopirox olamine (Mycoster®), l'amorolfine (Loéryl®), le tolnaftate (Sporiline®), la terbinafine (Lamisil®), et les dérivés imidazolés (bifonazole [Amycor®], miconazole [Daktarin®], isoconazole [Fazol®], omoconazole [Fongamil®], oxiconazole [Fonx®], kétoconazole [Kétoderm®], fenticonazole [Lomexin®], sertaconazole [Monazol®], sulconazole [Myk 1 p. 100®], éconazole [Dermazol®, Éconazole GNR®, Éconazole-ratiopharm®, Fongéryl®, Pevaryl®]).
Les applications sont :
— Biquotidiennes pour le tolnaftate (Sporiline®), la ciclopirox olamine (Mycoster®), les imidazolés : éconazole (Pevaryl®), isoconazole (Fazol®), miconazole (Daktarin®), tioconazole (Trosyd®) et terbinafine (Lamisil®) (uniquement dans le cas des intertrigos interorteils pour la terbinafine) ;
— Une fois par jour pour le bifonazole (Amycor®), l'omoconazole (Fongamil®), l'oxiconazole (Fonx®), le kétoconazole (Kétoderm®), le fenticonazole (Lomexin®), le sertaconazole (Monazol®), le sulconazole (Myk 1 p. 100®) et la terbinafine (Lamisil®).
Le choix des formes galéniques est fonction de la localisation à traiter. En pratique, nous réserverons les lotions, les gels et les poudres au traitement des lésions suintantes et macérées ; les crèmes seront réservées au traitement des lésions sèches et desquamatives. Ces produits sont en général très bien tolérés.
L'aggravation possible des signes locaux en début de traitement, en particulier avec les antifongiques d'action plus rapide (Kétoderm®, Amycor®, Myk®...) est davantage due à l'exacerbation des réactions immunitaires lors de la lyse du champignon qu'à une intolérance au produit. Elle nécessite l'arrêt du traitement dans un nombre faible de cas (< 2 %).
Les passages systémiques, très faibles, ne provoquent aucun effet secondaire. Les antidermatophytiques topiques utilisables chez la femme enceinte sont le tolnaftate (Sporiline®), le miconazole (Daktarin®), l'isoconazole (Fazol®), l'omoconazole (Fongamil®) et l'éconazole (Éconazole GNR®, Éconazole-ratiopharm®, Fongéryl®, Pevaryl®).
En cas d'échec thérapeutique apparent, avant d'incriminer l'antifongique dont l'efficacité dans les dermatophyties de la peau glabre est généralement supérieure à 85 % et souvent comprise entre 95 et 100 % (selon les études), plusieurs questions doivent être posées :
— L'indication d'une monothérapie est-elle appropriée ?
— Le diagnostic de dermatophytie n'est-il pas erroné ?
— N'y a-t-il pas persistance de facteurs favorisants ou de foyer de réensemencement ?
— La compliance est-elle bonne et la durée du traitement suffisante ?
Traitement systémique
Nous n'insisterons pas sur le fait que les antifongiques systémiques ne doivent être proposés qu'avec un diagnostic prouvé d'infection à dermatophyte et lorsque le seul traitement local est insuffisant pour guérir le patient.
Trois antifongiques sont disponibles : l'Itraconazole (prescription hospitalière pour le moment, devrait être levée prochainement) le kétoconazole (Nizoral®) et la terbinafine (Lamisil®) (voir plus haut). La Griseofulvine qui était très pratique et efficace a été retirée.
Les contre-indications à leur prescription, et les effets secondaires doivent être parfaitement connus ; la surveillance doit être respectée avec une grande rigueur, sous peine d'accidents parfois graves. Elle consiste en une surveillance des fonctions hépatiques avant traitement, au 15e jour de prise de kétoconazole puis toutes les quatre semaines jusqu'à la fin du traitement. Aucune surveillance particulière n'est demandée lors d'un traitement par la terbinafine ; cependant, nous conseillons une surveillance des fonctions hépatiques ainsi qu'une numération-formule sanguine complète avant le début du traitement et après six semaines, comme cela est pratiqué aux États-Unis et au Canada.
Ces antifongiques ont une bonne distribution cutanée et parviennent jusqu'à la couche cornée où se trouvent les dermatophytes. Compte tenu de leur mode de distribution, l'administration du produit doit être continue et non intermittente comme certains auteurs semblent l'avoir proposés.
En raison de l'efficacité importante et de la bonne tolérance de la terbinafine, l'itraconazole est utilisé comme produit de deuxième intention pour le traitement d'une grande partie des dermatophyties, à l'exception les teignes microsporiques du cuir chevelu.
En cas d'échec, avant d'évoquer un problème de résistance, rare pour ces antifongiques systémiques, plusieurs questions doivent être envisagées :
— Le patient a-t-il pris son traitement régulièrement ?
— Ne prend-il aucun traitement interférant avec l'absorption ou l'action du médicament (par exemple, prise d'anti-acides, de barbituriques...) ?
— L'absorption est-elle bonne ? N'existe-t-il pas, en particulier pour les onyxis, d'affection sous-jacente (troubles de la circulation, psoriasis, traumatisme...) ou d'autres agents infectieux associés (bactéries ou corynébactéries dans les intertrigos, moisissure dans les ongles...) gênant l'appréciation des résultats ?
— N'existe-t-il pas de facteurs d'entretien ou de foyer de réinfections ?
Stratégie thérapeutique selon la localisation Intertrigos interorteils (3), (4)
Un antifongique local sera utilisé avec, de préférence, une lotion, un gel, une crème peu couvrante ou une poudre. Les poudres antifongiques ont montré d'excellents résultats à elles seules, grâce à leur pouvoir asséchant au cours des études expérimentales (plus de 85 % de guérison). Dans notre expérience, nous utilisons volontiers une lotion, un gel ou une crème (à faire pénétrer par légers massages, ce qui paraît nous garantir la pénétration du principe actif) et une poudre (pour son pouvoir asséchant). Le traitement doit être poursuivi jusqu'à la restitution ad integrum de la peau entre les orteils, ce qui demande de 2 à 8 semaines. La mise à disposition de la forme crème du Lamisil® a réduit la durée du traitement des intertrigos dermatophytiques à une semaine (deux applications par jour).
Le traitement d'un intertrigo interorteil sans autre localisation associée ne justifie pas la prescription d'un antifongique systémique.
Les mesures additives au traitement antifongique jouent un rôle important dans l'obtention de la guérison définitive et dans la prévention de la transmission interhumaine de la dermatophytie, les espèces en cause étant anthropophiles.
Il est important d'obtenir la suppression des facteurs de macération par une bonne aération et un séchage soigneux (éventuellement avec un séchoir à cheveux) des espaces interorteils. Un antiseptique peut être appliqué si la lésion est très macérée et, en cas de vésiculo-bulles, une solution aqueuse de nitrate d'argent à 1 % sera utilisée.
Les mesures prophylactiques sont indispensables. La désinfection des foyers de réensemencement ne doit pas être omise : application de poudre antifongique (Daktarin®, Fazol®, Fonx®, Mycoster®, Myk®, Pevaryl®...) dans les chaussons, chaussures mises pieds nus (1), sur les tapis de salle de bain, etc. ; lavage à l'eau de Javel des bacs à douche et des carrelages ; traitement de tous les membres de la famille ayant une dermatophytie. Une hyperhidrose chronique doit être traitée.
Onychomycose dermatophytique (1), (2), (5)
Un traitement local semble suffisant dans les cas de leuconychies superficielles, généralement dues à T. interdigitale, et dans les atteintes unguéales très limitées. Cependant, dans la majorité des cas un traitement systémique est indispensable, en particulier si l'hyperkératose est très importante, s'il y a une onycholyse sévère, une atteinte latérale, un dermatophytome et chaque fois qu'il y a une atteinte matricielle.
Il faut donc réellement se poser la question de l'intérêt de débuter ce traitement long et potentiellement toxique, avec parfois des interactions.
Traitement local
Pour les leuchonychies superficielles, la suppression de la zone envahie par grattage à la curette ou meulage, associée à l'application d'un antifongique topique durant 30 à 60 jours, est habituellement suffisante. Le Mycoster® et certains imidazolés (Amycor®, Kétoderm®, Myk 1 p. 100®), utilisés en crème sous occlusion de préférence, semblent bien pénétrer dans la kératine unguéale.
Mais surtout, deux solutions filmogènes sont aujourd'hui disponibles. Ce sont des formes galéniques bien tolérées qui sont bien adaptées au traitement de la tablette unguéale parasitée par un dermatophyte. Le ciclopirox acide (Mycoster®) s'applique quotidiennement, et l'amorolfine (Locéryl® solution filmogène à 5 %) une fois par semaine. En monothérapie, le taux de guérison clinique est d'environ 40 %.
Traitement systémique
En France, trois antifongiques actifs par voie systémique sont disponibles : la griséofulvine, le ketoconazole et la terbinafine.
La terbinafine (Lamisil®) s'utilise à la dose de 250 mg/j en une prise au cours du repas pour un adulte de taille et de poids normaux. Un traitement de 6 semaines pour les ongles des mains et 3 mois pour les ongles des pieds a été retenu, ce schéma est d'une efficacité supérieure à celle d'un traitement par la griséofulvine ou le kétoconazole.
Les taux de guérison clinique et mycologique sont de 100 et 80 % six mois après l'arrêt du traitement, alors qu'ils n'étaient que de 67 et 40 % à l'arrêt du traitement. La guérison clinique ne s'observera donc qu'après repousse complète de l'ongle (9 à 12 mois pour les ongles des orteils, 4 à 6 mois pour les ongles des mains). Le patient doit être prévenu de ce « délai » (2).
Le kétoconazole s'utilise à la dose de 200 à 400 mg/j en une ou deux prises pour un adulte de taille et de poids normaux. La dose de 200 mg/j peut être suffisante mais, le plus souvent, une dose de 400 mg est requise. Le traitement sera poursuivi jusqu'à guérison complète, soit de 4 à 6 mois pour les ongles des doigts et de 9 à 12 mois pour les ongles des orteils. Les facteurs limitant l'utilisation du kétoconazole sont la durée du traitement, la surveillance hépatique régulière et le risque d'hépatite (idiosyncrasique non dose-dépendant), même s'il est rare.
Parmi les mesures additives au traitement antifongique, la réduction du foyer fongique unguéal est un acte complémentaire logique, car il facilite la pénétration des antifongiques systémiques et locaux et permet une repousse plus rapide de la tablette unguéale. Le meulage, le découpage à la pince ou l'avulsion chirurgicale partielle permettent, par un geste simple, de diminuer totalement ou en grande partie la zone parasitée.
L'association bifonazole et urée à 40 % (Amycor onychoset®), appliquée sous occlusion pendant plusieurs jours, permet de décoller sélectivement la portion pathologique de la tablette tout en respectant les attaches de l'ongle sain. Il suffit alors de découper cette zone parasitée et de nettoyer le lit de l'ongle. L'avulsion chirurgicale totale est tout à fait déconseillée (1).
L'association de la terbinafine et d'une solution filmogène semble améliorer les taux de succès et diminuer le pourcentage de rechutes. En France, une étude nationale associant un traitement oral de Lamisil® pendant 3 mois et une application hebdomadaire de Locéryl® pendant 15 mois versus Lamisil® en monothérapie pendant 3 mois dans le traitement des onychomycoses dermatophytiques avec atteinte matricielle a montré un succès thérapeutique supérieur et un taux moindre de rechutes dans le groupe associatif.
Les messages clés de la dermatologue :
⇒ Pas d'onychomycose sur un ongle sain : chercher une anomalie de chaussage, une déformation du pied ou un traumatisme répété (limage excessif, chaussures pointues…).
⇒ Chercher un intertrigo ou une dermatophytie de la peau associés (roue de Sainte Catherine),
⇒ Pas de traitement systématique sans prélèvement positif (évite de surtaiter un simple épaississement unguéal sur traumatisme).
⇒ Toujours peser la balance bénéfices/risques du traitement (pathologie sans risque, traitement local fastidieux, traitement général non dénué de risques et long).
Dr Sophie MASSART
Gériatre, Centre Hospitalier de Douai
En collaboration avec
Dr Sarah FAIZ
Dermatologue, Centre Hospitalier de Douai
Pour l'Association des Jeunes Gériatres

