
Pr Najate ACHAMRAH
Professeure des Université
Praticien Hospitalier
PU-PH) en Nutrition
Rouen
Le Pr Najate ACHAMRAH est une jeune PU-PH de Nutrition au CHU de Rouen. Très active dans le domaine de la clinique, de la recherche et de l'enseignement, elle nous partage son quotidien sans concession.
Thomas DEMANGEAT
Dr Junior EDN
Rouen
Thomas Demangeat.- Pour commencer, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous et partager quelques moments clés de votre parcours qui ont façonné votre passion pour la médecine et la recherche ?
Pr Najate ACHAMRAH.- J'ai 39 ans, je suis médecin et Professeure des Université-Praticien Hospitalier (PUPH) en Nutrition au CHU de Rouen, et cheffe du service.
Jusqu'au Lycée, j'ai toujours voulu devenir enseignante. J'ai décidé de faire Médecine après l'obtention de mon BAC. Je n'avais pas vraiment de modèles autour de moi, pas de médecins dans la famille, mais je pense que le fait d'avoir été confrontée à la maladie d'un parent m'a inspiré ce désir de devenir médecin.
J'ai d'abord choisi de m'orienter vers la Médecine Générale pour la polyvalence de cette spécialité, et la prise en charge globale des patients. Dans le cadre de la maquette du DES de Médecine Générale à Rouen, j'ai choisi de faire mon stage libre dans le service de Nutrition du CHU de Rouen dirigé par le Pr Pierre Déchelotte, car une fois encore cette discipline m'apparaissait être très transversale. Durant ce semestre, j'ai effectivement pu découvrir les multiples facettes de cette spécialité : la prise en charge de la dénutrition, la nutrition artificielle, les troubles du comportement alimentaires, l'obésité, le parcours de chirurgie bariatrique. Parallèlement à ces activités cliniques, j'ai pu découvrir les activités de Recherche de l'Unité INSERM U1073 (Nutrition, Inflammation et axe microbiote-intestin-cerveau) dirigée à l'époque par le Pr Pierre Déchelotte et depuis 2022 par le Pr Moïse Coëffier, également PU-PH en Nutrition. Cet environnement scientifique dynamique, le lien fort entre l'hôpital et le laboratoire (chercheurs, ingénieurs, techniciens, étudiants), m'ont tout de suite plus ! Je me suis donc engagée dans la validation d'un Master 2 Recherche, encadré par le Pr Moïse Coëffier. Cette année passée dans l'Unité INSERM U1073 a confirmé mon souhait de poursuivre une carrière hospitalo-universitaire. J'ai donc poursuivi mes travaux de Master 2 en m'inscrivant en Thèse d'Université.
T.D.- Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le terme PU-PH, pourriez-vous expliquer brièvement en quoi consiste ce rôle et son importance dans le domaine médical et académique ?
N.A.- Un PU-PH est un Professeur des Universités-Praticien Hospitalier. Il s'agit d'un médecin qui a plusieurs missions à la fois dans le milieu universitaire et dans le domaine hospitalier :
- Il exerce son rôle de médecin auprès des patients à l'hôpital ;
- Il est impliqué dans l'enseignement au sein de l'Université : il donne des cours, des conférences, supervise des travaux de recherche et encadre des étudiants en médecine ;
- Il fait de la Recherche (fondamentale, clinique et/ou translationnelle) ;
- Il peut être responsable d'un service (chefferie de service).
T.D.- En parlant de passions, quels sont vos domaines de recherche en tant que PU-PH ? Y a-t-il un projet récent qui vous a particulièrement enthousiasmé ?
N.A.- Dans l'unité de recherche INSERM U1073, nos sujets d'intérêt sont les troubles nutritionnels (les troubles du comportement alimentaire, l'obésité, la dénutrition) et certains troubles digestifs (les troubles fonctionnels digestifs et les maladies inflammatoires intestinales). Pour mieux comprendre et traiter ces pathologies, nous explorons les liens et les dysfonctionnements de l'axe microbiote-intestin-cerveau. Le microbiote intestinal est l'ensemble des micro-organismes contenus dans l'intestin, principalement des bactéries qui jouent un rôle très important non seulement dans la digestion finale des nutriments mais aussi dans la production de nombreux métabolites, de neurotransmetteurs, d'hormones et autres signaux moléculaires.
Ma thématique de Recherche est surtout orientée vers la prise en charge des troubles du comportement alimentaires (TCA), et sur le rôle du microbiote intestinal dans la survenue et/ou la pérennisation de ces maladies. Une étude est en cours au sein de notre unité et vise à évaluer les effets de la transplantation du microbiote fécal de patients souffrant de TCA vers des souris dont le microbiote a été déplété (avec des antibiotiques). C'est un bel exemple de Recherche translationnelle qui pourra ouvrir des perspectives thérapeutiques innovantes pour les patients.
T.D.- Plongeons un peu dans votre quotidien de PU-PH. Comment se déroule une semaine type pour vous, entre l'enseignement, la recherche et la pratique clinique ?
N.A.- Je n'ai pas de semaine type. Mes missions de Soin/Recherche/Enseignement ne sont pas réparties clairement dans la semaine, encore moins depuis ma prise de fonction en tant que cheffe de service, car la mission de management s'ajoute aux 3 autres !
Selon les périodes, l'une des missions l'emportera sur les autres ! Cela demande une certaine organisation des journées… et parfois des soirées.
Je tiens néanmoins à sanctuariser une journée dans la semaine où je me rends dans l'unité INSERM U1073 pour garder un contact avec l'équipe. Je souhaite continuer à encadrer les étudiants en Master et en Thèse d'Université.
T.D.- Avec un agenda aussi chargé, comment réussissez-vous à maintenir un équilibre entre votre vie personnelle et professionnelle ? Des astuces à partager ?
N.A.- La charge de travail ne manque pas mais nous avons la chance d'avoir une équipe importante, très investie et solidaire. Cela permet de se partager un certain nombre de missions, notamment grâce aux collègues PH du service qui participent volontiers à l'inclusion des patients dans nos protocoles de recherche, à l'enseignement (par exemple, récemment nous avons mis en place les ECOS dans notre service avec notre CCA Alexandra Au petit et les collègues PH), à l'accueil des nouveaux étudiants, à l'encadrement de thèse d'exercice…
Sur le plan de la vie familiale, il faut une bonne organisation, une répartition des tâches au sein du couple, et les numéros de téléphone de plusieurs baby-sitters (au cas où) ! Pour ma part, je bloque des créneaux dans mon agenda dédié au sport par exemple (pour que cela ne soit pas une variable d'ajustement).
T.D.- Nous aimons les histoires inspirantes ! Y a-t-il un moment particulier dans votre carrière hospitalo-universitaire qui vous a laissé un souvenir mémorable ou qui vous a rendu particulièrement fière ?
N.A.- Le moment le plus émouvant pour moi était la soutenance de l'HDR (Habilitation à Diriger la Recherche), l'aboutissement de tout ce long parcours HU, en présence de ma famille, de mes amis, des collègues de l'hôpital et du laboratoire. On se dit que ça y est, on est arrivé au bout !
Je suis bien sûr fi ère de ma réussite personnelle, mais aussi de la voie que j'ai pu ouvrir pour d'autres femmes que je pourrais inspirer à travers mon parcours.
T.D.- En tant que PUPH, vous êtes témoin des évolutions rapides dans le domaine médical et académique. Quels sont, selon vous, les défi s les plus passionnants ou les plus stimulants à relever ?
N.A.- L'un des défi s est la Médecine de Précision, ou comme on l'appelle aussi, Médecine 5P (prévenir, prédire, personnaliser, participer, procurer). Dans notre service, nous faisons déjà de la Médecine de précision ; par exemple, nous travaillons avec un Mathématicien pour créer une équation prédictive de la dépense énergétique adaptée à chaque patient.
La Médecine de précision vise aussi à apporter une aide à la décision thérapeutique pour le clinicien. En Nutrition, par exemple, quel est le meilleur traitement pour ce patient en situation d'obésité (médical, médicamenteux, chirurgical) ?
À Rouen, un projet d'Institut de Médecine de Précision (INMP) est en discussion. La Nutrition y aurait toute sa place, comme les autres disciplines.
T.D.- En évoquant les défi s, quels sont les aspects les plus difficiles de la vie hospitalo-universitaire selon vous, et comment les avez-vous surmontés au cours de votre carrière ?
N.A.- Il y a plusieurs aspects :
- La durée du parcours (qui peut paraître interminable, surtout lorsque vous devez défendre votre dossier de commissions en commissions), une impression de toujours devoir faire ses preuves…
- Les multiples missions HU, l'impossibilité de « tout faire bien » : prioriser, déléguer, dire « non » (c'est plus facile une fois nommée ) et accepter que tout ne soit pas parfait !
- L'absence de formation au management à l'hôpital : certains CHU proposent désormais des formations et du coaching, notamment via le CNG.
- L'équilibre vie pro-vie perso/familiale : s'obliger à sanctuariser des moments dans la semaine (sport, réunion scolaire…).
Je veux dire aussi que pour ma part, je ne me suis jamais sentie discriminée dans ma carrière en tant que femme. Mais, autour de moi, j'ai pu observer que le parcours était plus difficile pour elles, notamment dans certaines spécialités traditionnellement plus « masculines ». Les femmes accèdent moins aux postes à responsabilité à l'hôpital. C'est quelque chose qui est en train de changer et je m'en réjouis. Dans ce contexte-là, à Rouen, nous avons créé le Réseau AGNODICE dont l'un des objectifs est d'accompagner les femmes qui le souhaitent dans leur parcours HU, avec du mentorat. Nous avons aussi écrit un « guide de la carrière HU ». D'autres réseaux de ce type se développent à travers la France.
T.D.- Pour les jeunes médecins que nous sommes, quels conseils précieux donneriez-vous à ceux qui souhaiteraient embrasser une carrière hospitalo-universitaire ? Existe-t-il « un profil type » pour se lancer dans cette carrière ?
N.A.- Il n'y a pas de parcours type !
Actuellement je dirige la thèse d'Université d'une médecin, PH en anesthésie depuis plusieurs années, qui a souhaité se lancer dans la carrière HU « pour ne pas avoir de regrets ».
Je pense qu'il faut être déterminé, pugnace et passionné !
T.D.- Enfin, pour clore notre échange, auriez-vous une anecdote amusante ou inspirante à partager, qui résume votre parcours ou illustre votre passion pour votre métier ?
N.A.- C'est une anecdote dont j'entends encore parler aujourd'hui par mes collègues de l'U1073 .
Durant mon Master 2, je travaillais sur un modèle d'anorexie chez la souris (le modèle ABA : activity-based anorexia). Le principe est de limiter progressivement l'accès à l'alimentation des souris (6H/jour puis 5H/jour puis 4H/jour). Chaque jour, je devais donc enlever la nourriture et la remettre selon ce protocole. Après 17 jours de protocole, la veille de la mise à mort, j'ai oublié de remettre la nourriture… mon binôme de Master 2 de l'époque, Jonathan Breton (MCU), les a retrouvées en mauvais état ! Nous avons donc dû procéder au sacrifice le soir même (les souris n'auraient pas tenu le coup jusqu'au lendemain matin). Les collègues de l'U1073 se sont mobilisés pour nous aider à tout préparer, comme à chaque fois. La série animale a pu être « sauvée », et je n'ai jamais refait cette erreur sur les suivantes !
Un immense merci au Professeur Achamrah pour avoir partagé sans filtre avec nous ses réflexions et son expérience captivante.

