Cas clinique - Des soins aigus en EHPAD - Possible ou mission impossible ?

Publié le 22 Nov 2023 à 12:31


Qui a dit que l’on ne faisait pas de médecine en EHPAD ?

Histoire de M. L.

L’histoire se passe dans un petit EHPAD de l’Essonne, 70 résidents, pas d’IDEC (démission), un médecin coordonnateur à mi-temps et 3 IDE en roulement.

  • L. est un homme de 83 ans, pas dans le top 10 des plus en forme de l’EHPAD certes, mais il se maintient. Ancien habitant de la région bordelaise, il est arrivé en Essonne pour se rapprocher de son fils qui vit à quelques rues de l’EHPAD.
  • Lourd terrain cardio-vasculaire qui comprend une hypertension artérielle, un diabète de type 2 insulino-requérant et une artériopathie oblitérante des membres inférieurs sévère avec amputation transfémorale gauche sur escarre talonnière étendue.

    Sur le plan cognitif, ce n’est guère mieux avec une démence relativement évoluée accompagnée d’une apparition récente de troubles du comportement (cris, agressivité).

    Au niveau sensoriel, monsieur est appareillé pour une presbyacousie sévère.

    Malgré tout cela, Monsieur L. se déplace seul en fauteuil, connaît le trajet chambre/salle de restaurant, fait encore ses transfert lit/fauteuil, mange seul.

    Notons ici que le Montagne-Saint-Émilion n’a pas permis de prévenir totalement les complications cardio-vasculaires de M. L.

    Son traitement comporte :

    Matin BISOPROLOL 1,25 mg
    FUROSEMIDE 30 mg
    LACTULOSE si besoin
    METFORMINE 500 mg
    RISPERDAL 0,5 mg Soir ABASAGLAR 40 UI
    AMLODIPINE 10 mg
    COUMADINE selon INR
    LANSOPRAZOLE 30 mg
    METFORMINE 500 mg
    SERESTA 10 mg si besoin PARACETAMOL 1g 1 fois par mois CHOLÉCALCIFÉROL 50 000 UI

    Son médecin traitant (qui a 72 ans…) est assez disponible et vient le voir régulièrement.

    Iatrogénophobes que nous sommes, nous pourrions déjà nous arrêter ici et réfléchir à une révision de son traitement de fond. Mais ce traitement est ancien, souvent repris de médecin en médecin qui n’ont pas toujours le temps de se pencher là-dessus. Les antécédents sont parfois incomplets et ne permettent pas d’évaluer le traitement finement (cf. mission n°9 du médecin coordonnateur). De plus, quand une révision est proposée par le médecin coordonnateur (missions n°6 et 7), elle n’est pas toujours acceptée par le médecin traitant.

    Mais là n’est pas le sujet, continuons !

    Monsieur a présenté une infection à coronavirus en avril 2023 avec une franche asthénie et un alitement ; c’est là que les problèmes commencent.

    Un matin de mai fleuri (comme dirait Alice aux pays des cartes vermeil), je suis appelé par les infirmières pour venir voir le talon de monsieur L. « qui n’est pas beau et qui s’aggrave  ». Ce monsieur avait depuis des mois une toute petite lésion du talon qui s’est rapidement étendue depuis l’infection à coronavirus (alitement et AOMI). Des pansements ont été mis en place mais la lésion croît. En effet…

    Le médecin traitant n’a jamais vu la plaie (pansement déjà fait quand il vient) et je découvre le talon ainsi.

    Ni une ni deux je contacte en premier lieu l’équipe plaies et cicatrisation de notre hôpital de proximité qui viendra quelques jours plus tard sur site (oui oui une équipe mobile pour les plaies en EHPAD !) afin d’ajuster notre protocole de pansements. Le médecin traitant ne s’oppose pas au protocole et me laisse « le champ libre ».

    Devant ce terrain vasculaire je demande un doppler artériel qui est réalisé une semaine plus tard montrant, comme attendu, une atteinte artérielle sévère y compris sur le membre amputé. Les principaux réseaux sont occlus et pris en charge par les réseaux accessoires. L’escarre talonnière ne va donc pas guérir d’elle-même sans revascularisation.

    Trois semaines plus tard Monsieur L. et son fils rencontrent le chirurgien vasculaire qui décide de surseoir à une intervention chirurgicale devant le terrain fragile et l’absence de douleur.

    Les soins de plaies se poursuivent donc, sans réelle amélioration et deviennent de plus en plus lourds pour l’équipe.

    Dimanche 09 juillet

    Monsieur L. est envoyé aux urgences via le 15 pour une hypoglycémie sévère avec troubles de la conscience et difficultés respiratoires dans un contexte d’altération de l’état général depuis quelques jours.

    Lundi 10 juillet, 18h30

    En plein tour des médicaments du soir, Monsieur L. revient des urgences sans que nous n’ayons été prévenus… Les ambulanciers l’installent en chambre et repartent.

    L’IDE m’appelle en panique, Monsieur ne va pas bien. En effet, score de Glasgow à 5/15, monsieur est couleur « crépis », complètement en sueurs, saturation 85 %, TA correcte, pas de fièvre, tirage respiratoire, glycémie capillaire à 0,30 g/L…

    Sur le CR des urgences, on lit «  hypoglycémie de bonne évolution, BU positive avec mise sous CEFTRIAXONE probabiliste, état stable permettant un retour à l’EHPAD. Si non amélioration discuter LATA », voilà !

    L’IDE abandonne son tour de traitements, appelle le 15 en pleurs (seule le soir comme IDE pour 70 résidents) qui «  envoie une ambulance  » puis elle descend avec le sac d’urgence et on se lance dans les soins sur site en attendant « l’ambulance ». Glucagen®, oxygène 9 L/min au masque (toujours avoir une bouteille d’O2 en EHPAD), pose de perfusion de sérum glucosé 5 %.

    Au fur et à mesure des minutes la glycémie remonte bien, Monsieur se réveille progressivement et la saturation se stabilise sous oxygène. L’ambulance (médicalisée) arrive, glycémie à 0,9 g/L, saturation 95 % sous 7 litres/minutes (tout de même)… Monsieur repart aux urgences avec l’espoir qu’ils le gardent en observation…

    Il reviendra à 01h00 du matin après « bonne évolution de la glycémie ».

    Mardi 11 juillet

    Après son périple de 48 heures, monsieur L. est évidement épuisé, dort toute la journée.

    J’en profite pour récupérer sa biologie et son ECBU réalisés aux urgences (je vous passe les sempiternels problèmes d’envoi et réception de fax)  : 13 950 G/litre de leucocytes à prédominance neutrophiles, CRP 61 mg/L, créatinine stable.

    ECBU : Pseudomonas aeruginosa (320 000 leucocytes/mL) avec seuls antibiotiques sensibles MEROPENEME, AMIKACINE, TOBRAMYCINE… tous les autres étant rendus « résistant » ou « intermédiaire » (c-à-d sensible à fortes doses). Ainsi aucune antibiothérapie per os possible.

    Afin de m’aiguiller, je contacte l’infectiologue d’un hôpital proche qui valide mon idée première de mettre du MEROPENEME et d’arrêter la CEFTRIAXONE sans effet.

    Malheureusement je suis dans un EHPAD disons classique et les perfusions IV n’ont pas le droit d’être réalisées par les IDE de l’établissement. Seule solution, l’hospitalisation à domicile (HAD) qui prendra en charge les perfusions mais également les soins de plaie qui sont devenus trop lourds pour mon équipe. Évidemment l’HAD n’intervient pas en 2 heures et je dois en urgence remplir tout le dossier, créer le dossier de liaison au plus vite, faire les ordonnances d’antibiothérapie et tout envoyer pour que la coordinatrice de l’HAD puisse venir l’évaluer le lendemain.

    Bien entendu je dois aussi informer le fils de la situation et de la prise en charge programmée.

    Mercredi 12 juillet, 16h30

    En théorie je ne travaille pas mais j’ai la bonne idée (ou pas) de regarder mes courriels professionnels.

    L’IDE coordinatrice est bien venue évaluer monsieur L. mais un problème se pose… Le capital veineux est médiocre et ils ne sont pas parvenus à poser une voie périphérique. L’HAD me demande alors de faire poser un PICC-LINE pour les 14 jours d’antibiothérapie.

    Rapidement je joins l’anesthésiste de garde de notre hôpital de proximité. Il n’est pas présent le 13 juillet et le 14 étant férié ils ne pourront pas poser de dispositif avant lundi soit dans 5 jours ! La nuit porte conseil…

    Jeudi 13 juillet

    Urgence du jour, faire poser un PICC-LINE !

    J’apprends que le médecin urgentiste a appelé l’EHPAD pour informer du résultat de l’ECBU, sans donner de conduite à tenir pour autant…

    Puisque mon hôpital de proximité ne peut pas en poser rapidement, je vois avec un autre centre hospitalier du sud du département. Miracle on accepte de me poser un MIDLINE (je découvre un nouveau dispositif) dans la journée.

    Après avoir réussi à trouver une ambulance (veille de 14 juillet…), s’être fait sermonner par la cadre du bloc qui est en colère parce qu’il n’y a pas eu de douche bétadinée (…), Monsieur L. se voit poser un MIDLINE et l’antibiothérapie commence le soir-même.

    La semaine se passe bien, Monsieur L. s’améliore nettement. Il remange, boit, discute mais est désormais en fauteuil coquille. Nous reprenons les thérapeutiques PO et l’insuline. Les glycémies s’équilibrent et les soins HAD se passent bien jusqu’à…

    Vendredi 21 juillet

    Une fois de plus j’ai la bonne idée de regarder mes courriels sur un jour de repos…

    La situation ne pouvait pas perdurer. Avec son amélioration clinique, monsieur L. a également retrouvé son humeur habituelle et il a arraché son MIDLINE ! Je laisse ainsi les coordonnées de l’anesthésiste à l’HAD pour qu’ils organisent une nouvelle pose.

    Mardi 25 juillet

    Malgré plusieurs tentatives, l’HAD n’a pas réussi à faire poser de voie veineuse et Monsieur L. n’a donc pas d’antibiotiques depuis plus de 72 heures  ! Le traitement est prévu pour 14 jours.

    J’arrive une nouvelle fois à faire poser une voie veineuse profonde le jour-même en espérant que cela tienne… les antibiotiques sont repris le soir-même.

    Jeudi 27 juillet

    Lors du repas du midi, mon IDE m’appelle pour me signaler que la tubulure du KT dépasse de la peau, Monsieur L. a dû tirer dessus. Après un test bref au sérum physiologique qui diffuse sous la peau, nous concluons que la voie veineuse n’est plus en place et l’IDE la retire.

    Mais alors que faire  ? Tenter une nouvelle pose avec un risque d’arrachement ? Un relai PO n’est pas possible. Monsieur a reçu finalement 7 + 2 jours d’antibiothérapie. Il y a une bonne évolution clinique et biologique. Le médecin traitant est en vacances.

    Je décide ainsi de ne pas reposer de voie veineuse, j’informe le fils. Un suivi biologique sera mis en place avec surveillance clinique. Le médecin traitant qui revient de vacances valide la prise en charge.

    Conclusion

    Cette histoire peut paraître banale et habituelle lorsque l’on est dans un milieu hospitalier où tout va très vite et où une antibiothérapie IV peut se débuter en 15 minutes, que l’on peut avoir des biologies à toute heure du jour et de la nuit, qu’il existe un logiciel centralisant dossier médical et examens complémentaires ; le tout avec une jolie liste de numéros de multiples spécialistes au bout de leurs DECT et des médecins de garde.

    Mais en EHPAD tout devient différent et bien que les choses soient en train de changer, tous les soins hospitaliers ne sont pas disponibles dans un délai rapide. C’est donc bien l’efficacité du médecin coordonnateur, son expérience, ses réflexes et son implication qui vont permettre de prendre en charge ce qui n’était à la base « qu’une infection urinaire et une hypoglycémie ». Dans ce genre de situation, peu de médecins traitants (surtout en période estivale) auraient pu prendre le temps de tout organiser et ce d’autant plus sur une structure sans IDEC. Que ce serait-il passé si personne n'avait récupéré cet ECBU ou si l’urgentiste n’avait pas appelé pour communiquer le résultat ? S’il n’y avait pas eu d’IDE aux bons réflexes, pas de médecin coordonnateur…. Le patient serait reparti plusieurs jours après aux urgences et aurait fini par être hospitalisé dans un état clinique bien plus grave.

    Loin de vouloir s’auto-congratuler, cette situation est plus fréquente qu’on ne le croit et montre bien qu’il est important d’avoir des professionnels bien formés à la gériatrie comme aux soins d’urgence dans les EHPAD.

    Un médecin coordonnateur se doit d’avoir des réflexes que l’expérience nourrit. Il est également primordial de se constituer un réseau et de connaître les professionnels de proximité pour savoir qui appeler au bon moment. Dans tous les territoires, se créent de nombreuses initiatives à l’attention des EHPAD comme des équipes mobiles (plaies, antibiotiques, soins palliatifs, hygiène etc.), des consultations spécialisées ou bien encore des lignes directes dédiées aux médecins de ville pour adresser les patients en hospitalisation et limiter les passages aux urgences bien souvent délétères.

    Le médecin coordonnateur est aussi bien souvent le seul interlocuteur médical de l’établissement quand les médecins traitants ne peuvent ou veulent se déplacer ou sont en vacances. Les IDE réalisent au quotidien un travail formidable d’information auprès des familles mais il y a parfois nécessité de passer la main au médecin coordonnateur.

    Ainsi, les EHPAD regorgent bien de gériatrie (qui en doutait ? peut-être les ARS ?) et sont un maillon indissociable des filières gériatriques. Si l’on veut limiter les hospitalisations de nos sujets âgés institutionnalisés, il faut donner les moyens de faire de la vraie gériatrie dans les établissements.

    Florian MARONNAT
    Gériatre, médecin coordonnateur
    EHPAD Les Larris (Breuillet, 91)
    [email protected]

    Pour l’Association des Jeunes Gériatres

    Article paru dans la revue « La Gazette du Jeune Gériatre » / AJG N°34

     

     

     

     

     

     

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