
Dans toutes les civilisations et de tout temps, nous retrouvons des standards de beauté contraignant (les femmes le plus souvent) à tendre vers une norme sociale prédéfinie. Depuis l'avènement des réseaux sociaux, ces normes sont reconstruites via une présence virtuelle quasi constante de corps et peaux parfaits, ne semblant pas vieillir.
L'émergence des influenceurs a conduit à l'apparition d'un véritable marché de l'information et de produits de toutes sortes. C'est ainsi que certains s'autoproclament « skin influencers » ou « beauty influencer » (le plus souvent sans qualification professionnelle) et prodiguent des conseils pour obtenir LA peau parfaite et l'éternelle jeunesse. Depuis le confinement en 2019, l'industrie de la beauté a grandi de manière exponentielle et le rôle joué par les réseaux sociaux n'y est pas anodin. Dans une étude de la Harvard Business School menée en 2021, 62 % des femmes ont déclaré suivre des influenceurs beauté sur les ré seaux sociaux. Il est même prouvé désormais qu'une publicité par le biais des influenceurs aura plus d'impact qu'une campagne publicitaire dite classique. On estime que ce marché du « prendre soin de soi » représenterait près de 650 milliards de dollars dans le monde en 2024. C'est dans ce contexte d'influence qu'ont émergé des tendances, relayées par de nombreux médias voire même par certains professionnels de santé.
Pour ouvrir cette nouvelle rubrique de la RJD, nous nous intéresserons au sujet de la supplémentation orale en collagène, à laquelle on attribue une panoplie de bienfaits spectaculaires. En poudre dans son café du matin, dans un smoothie ou avec de l'eau, en bonbon ou en gélule, il existe une pluralité de consommables à base de collagène envahissant le feed de nos réseaux sociaux. Ils représentent un marché de près de 4,7 milliards de dollars en 2022, et il est prévu que ce chiffre monte à 7,2 milliards en 2030. Le plus gros consommateur est actuellement le continent asiatique, suivi de l'Europe puis de l'Amérique du Nord. Le plus souvent, ils sont extraits de collagène bovin, parfois porcin, de volaille ou même de poisson. Malgré cette validation du grand public, les promesses marketing sont-elles tenues ? Avons-nous mis le doigt sur un secret de jeunesse ?
Entre marketing à outrance et études scientifiques, quelles sont véritablement les promesses des compléments alimentaires à base de collagène ?
Caractéristiques et rôles du collagène
Le collagène est la protéine la plus abondante de notre organisme, représentant près de 30 % des protéines de notre corps. Retrouvé dans la matrice extracellulaire, il assure l'élasticité et la résistance de nos tissus. Sa synthèse, bien qu'importante dans l'enfance, diminue physiologiquement avec l'âge, plus ou moins influencée par des facteurs environnementaux tels que la consommation d'alcool, de tabac, la pollution environnementale, l'exposition solaire, la sédentarité ou encore la malnutrition. Il intervient dans la structure de notre peau, de nos phanères mais également dans celle de nos articulations, os, cartilages et muscles. On en décompte près de 28 types mais les types 1 à 3 sont ceux le plus souvent retrouvés. Son rôle dans l'homéostasie corporelle est donc indéniable. Toutefois, certains gestes peuvent-ils entraver son irréversible diminution physiologique ? Le collagène étant une combinaison d'acides aminés, essentiellement de glycine et de proline, une alimentation enrichie en ces deux acides aminés serait protectrice. Ils peuvent être retrouvés dans la plupart des viandes, poissons et produits laitiers mais également dans les avocats, agrumes, fruits rouges... Pour autant, leur biodisponibilité dépend de la structure de la molécule ingérée et donc de l'aliment dont ils sont issus. De plus, d'autres facteurs semblent diminuer le risque de perte de collagène : la consommation d'antioxydants, l'application d'un indice de protection solaire... Mais alors, quelle est la place des compléments alimentaires à base de collagène dans notre quotidien lorsque l'alimentation est variée et équilibrée ?
Supplémentation orale en collagène et études scientifiques
La première question clé est celle du mécanisme. Comment la consommation d'une protéine pourrait-elle avoir un effet cutané direct ? Effectivement, le corps n'est pas capable d'assimiler le collagène tel quel, il le dégrade en acides aminés pour pouvoir passer la barrière intestinale. La consommation orale de collagène aboutirait donc à un taux plus important de certains acides aminés. D'ailleurs, certaines études ont démontré l'augmentation de dimères de prolyl-hydroxyproline (Pro-Hyp) et d'hydroxyprolyl glycine (Hyp-Gly) dans le sérum après ingestion d'hydrolysats de collagène. Ces acides aminés sont donc bel et bien absorbés par notre organisme. Mais par quel moyen la reconstruction des acides aminés en protéine irait préférentiellement vers le collagène ?
Des études de bonne qualité, contre placebo, avaient pour but de répondre à cette question. La dernière grande méta analyse publiée en 2023 inclus 26 essais contrôlés randomisés - soit près de 1721 patients - et a montré une supériorité significative sur l'hydratation et l'élasticité cutanée après prise d'un complément alimentaire à base de collagène. Les deux paramètres d'intérêt étaient significativement 4 à 5 fois meilleurs dans le groupe bénéficiant de la supplémentation ver sus placebo (p inférieur à 0,00001). Les paramètres étaient mesurés de manière objective, avec un cornéomètre pour l'hydratation cutanée et un cutomètre pour l'élasticité. Pourtant, les auteurs alertaient sur une difficulté majeure de comparaison puisque de nombreux facteurs varient selon les études : les durées de supplémentation (allant de 2 à 12 semaines), les posologies, les formes de supplémentation (combinés avec d'autres vitamines/oligo-éléments) et leur origine (marin, bovin, de volaille ou de porc), les âges des participants (parfois < 50 ans) et le nombre de patients inclus (parfois inférieur à 40 patients). Ils ont donc calculé un risk of bias qui pointait du doigt le risque de biais de randomisation dans une des études, celui d'écart au protocole dans sept études et un risque de données manquantes dans treize études. Les analyses en sous groupes portaient principalement sur l'origine du collagène et la durée de supplémentation. Les résultats étaient significativement différents selon l'origine du collagène, avec un effet a priori meilleur du collagène marin sur les autres. Quant aux durées de supplémentation, il apparaissait une différence significative lorsque la supplémentation était supérieure à 8 semaines.
Les auteurs concluent cet article en gardant une certaine vigilance car, bien que leur étude soit prometteuse, des études de bonne qualité à plus grande échelle sont nécessaires. Ils soulignent l'importance de biais de confusion quant à la non prise en compte du mode de vie des patients (âge, exposition solaire, habitudes alimentaires…) et la non standardisation de ces compléments alimentaires. D'ailleurs, nous parlons toujours de compléments alimentaires à base de collagène puisque ceux-ci contiennent souvent du zinc, de la vitamine A, C et E, de la biotine et autres vitamines/ oligo-éléments faussant l'analyse propre des bienfaits prétendus du collagène. De plus, en tant que complément alimentaire, la législation n'est pas la même et le dosage (pouvant aller de 2,5g à 10g/jour selon les études) ainsi que la qualité du collagène utilisé ne sont pas réglementés. Par ailleurs, la tolérance est excellente et aucun effet indésirable n'est habituellement rapporté.
Docteur, me conseillez-vous les compléments à base de collagène pour ma peau ?
Le premier point important est celui d'informer les patients sur les résultats des recherches scientifiques menées jusqu'à maintenant, leur caractère prometteur mais leurs preuves limitées. Il faut également prendre en compte le prix de tels produits (comptez environ 30 à 60 euros par mois pour les suppléments à base de collagène vendus en parapharmacie). Toutefois, il faut nuancer avec le fait qu'avaler une gélule quotidiennement semble moins contraignant que l'application d'une crème tous les jours pour certains patients. Aussi, il convient toujours de rappeler qu'une alimentation équilibrée, enrichie en protéine, une activité physique régulière, une protection solaire quotidienne ou bien l'absence d'intoxication tabagique sont déjà des clés connues et reconnues du bien vieillir et d'une peau en bonne santé.
Nous vous en souhaitons bonne réflexion.

Mariam DERIOUICH
VP formation de la FDVF
Interne de Dermatologie à Caen
Références
1. https://www.statista.com/outlook/cmo/beauty-personal care/worldwide#:~:text=The%20Beauty%20%26%20 Personal%20Care%20market,(CAGR%202024%2D2029).
2. https://www.quechoisir.org/actualite-complements-alimentaires-les-fausses-promesses-du-collagene-n115334/
3. https://biochimiedesproteines.espaceweb.usherbrooke.ca/3f.html
4. https://www.health.harvard.edu/blog/considering-collagen-drinks-and-supplements-202304122911
5. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jocd.12393
6. https://www.uclahealth.org/news/should-you-take-collagen-supplements
7. https://injawellness.com/blogs/blog/how-do-collagen-supplements-get-absorbed-within-the body#:~:text=When%20you%20consume%20collagen%2C%20enzymes,that%20need%20the%20most%20help.
8. https://iquitsugar.com/blogs/articles/the-unexpected-collagen-boosting-foods-you-should-be-eating
9. https://www.marketsandmarkets.com/Market-Reports/collagen-market-220005202.html 10.
10. https://inkwoodresearch.com/reports/medical-collagen-market/
11. https://www.futuremarketinsights.com/reports/collagen-supplements-market
12. https://www.vegavero.com/le-collagene-pour-qui-pourquoi-et-comment
13. https://facmed-univ-oran.dz/ressources/fichiers_produits/fi chier_produit_2224.pdf
14. https://biofaculte.blogspot.com/2015/03/cours-histologie-tissus-conjonctif.html
15. Miranda RB, Weimer P, Rossi RC. Effects of hydrolyzed collagen supplementation on skin aging: a systematic review and meta-analysis. Int J Dermatol. 2021 Dec;60(12):1449-1461. doi: 10.1111/ijd.15518. Epub 2021 Mar 20. PMID: 33742704.

