
Voilà ce que peut vivre de près ou de loin tout jeune patient confronté à l'effraction de la maladie cancer dans sa vie (illustration page suivante). N'est-il pas de notre responsabilité de mener une réflexion spécifique sur le sens du soin pour eux dans cette double temporalité de l'adolescence et de la maladie ?
Ces jeunes patients viennent solliciter notre subjectivité et ses modalités d'expression dans le travail du soin, en mettant à l'épreuve nos présences individuelles et collectives.
L'enjeu est donc de concevoir et de proposer un dispositif nouveau pour les accompagner et les aider à traverser ces temps de soins, en prenant en compte les enjeux spécifiques inhérents à leur âge. Allons donc au-delà de la traditionnelle rencontre duelle déjà proposée, ouvrons les possibles et pensons pour eux, avec eux, de nouveaux espaces collectifs de subjectivation.

C'est précisément l'expérimentation que nous avons mené au sein de l'Oncopole-Claudius Regaud (CLCC Toulouse) durant plus d'une année avec les équipes d'onco-hématologie.
La fiction cinématographique a été le fil directeur de notre réflexion. Elle permet de décaler la situation vécue en se projetant dans une autre narration, celle des personnages et leur manière de se raccrocher à des questions existentielles de cet âge de la vie (altérité, jeunesse, désir, autonomie…).
L'idée a donc été d'inviter régulièrement ces jeunes dans une salle dédiée, autour d'un film à visionner et d'un repas à partager, en soirée. La présence d'un binôme psychologue/anthropologue était garante d'un cadre favorisant un autre espace-temps possible dans celui contraint par le soin.
Ce dispositif, nous l'avons nommé “le OFF, l'autre séance”. Il avait pour objectif de :
• Créer un espace autre (sortir de sa chambre), une expérience nouvelle dans le cadre de l'hospitalisation.
• Proposer un temps propice à tisser du lien : un temps de convivialité pour favoriser la parole et l'expression de chacun.
• Rencontrer l'Autre : chacun peut faire l'expérience d'une écoute consacrée à l'autre dans cet espace où chacun s'engage dans sa venue et est autorisé, s'il le souhaite, à devenir auteur de parole.
• Offrir un temps décalé des soins somatiques pour se recentrer sur l'expérience subjective : chacun est invité à se penser comme un sujet affectif, au-delà de son état physique durant ce temps d'hospitalisation.
• Reconnaître et encourager l'expression des besoins essentiels, qu'ils soient d'ordre affectif, émotionnel et/ou social, spécifiques aux patients jeunes.
• Proposer un espace d'échange et de projection dans un après, si propre à chacun.

Toutes les équipes soignantes ont participé aux discussions et réflexions, permettant ainsi la mise en place de ce dispositif en relayant cette offre auprès des patients. Ce dispositif s'adressait aux patients, tout en impliquant nécessairement chaque soignant. Dans le cadre d'un financement obtenu via La Fondation de France, ce dispositif a été évalué par les jeunes patients et les soignants.
L'ensemble s'accorde sur les bénéfices de ce dispositif : “le moment et ses effets”, “la convivialité”, “la rencontre”, “la parole”.
Du côté des patients, différentes thématiques ont été abordées : l'hospitalisation et ses difficultés, la représentation de soi, les intérêts personnels, les proches, un “après” possible et pensable.
Les différentes séances du “OFF” ont souligné l'importance de l'intégration des dimensions socio-familiales dans le soin, afin de soutenir les investissements personnels, relationnels, scolaires et professionnels des jeunes patients.
Spontanément, ils nous ont invités à penser ce qui leur paraît manquant : des lieux de soins ouverts vers l'extérieur, hors des temps d'hospitalisation.
La réflexion reste ouverte et à poursuivre.
Cette expérience témoigne de l'apport des sciences humaines et sociales dans le soin, en particulier chez les jeunes patients.
Comme le rappelle Etienne Seigneur, pédopsychiatre, il n'est pas toujours facile de trouver la “juste proximité” dans l'exercice du soin dont les jeunes patients ont justement besoin.
Le processus adolescent nous oblige, ainsi, à repenser la relation de soins et nous pousse à convoquer notre créativité. L'engagement spécifique qu'il implique, nous invite à nous constituer individuellement et collectivement afin de les aider à penser leurs possibles.
Là où il y a du possible, la rencontre avec l'Autre est en mesure d'advenir, les choses deviennent pensables et restent du côté de la vie.

Luce DOMINGO
Psychologue, IUCT-O – Toulouse

