
L'art du diagnostic en haute résolution : un cas clinique multimodal
Saviez-vous que la dermoscopie à lumière polarisée nous permet d'acquérir des capacités visuelles similaires à celles des insectes ? Des chercheurs ont découvert que les yeux composés d'insectes, tels que ceux des abeilles, détectent des motifs subtils et la lumière polarisée, leur permettant ainsi de s'orienter efficacement.
Pour le dermatologue, il s'agit de s'orienter sur la peau de nos patients et de découvrir, non pas du nectar, mais des mélanomes grâce à la dermatoscopie polarisée, qui améliore la visualisation des structures cutanées.
Pour débuter cette nouvelle année, nous vous présentons le cas d'une jeune patiente enceinte de 6 mois, venue consulter en urgence. Elle signalait une modification récente d'un « grain de beauté » présternal connu, évoluant depuis quelques semaines (Figure 1A).
Nous avons analysé cette lésion suspecte à l'aide d'une dermatoscopie avec une lumière polarisée réalisée à l'aide du système Horus HS600 (Adamo®, Trapani, Italie). L'examen dermatoscopique a mis en évidence un patron mélanocytaire multi-composé, avec des globules de différentes couleurs répartis de façon irrégulière, des pseudopodes atypiques, des structures en chrysalide, un voile blanc-bleu, des signes de régression et un réseau inversé (Figure 1B).

Figure 1A : Présentation clinique d'une lésion pigmentée atypique située au niveau dorsal, évoluant à partir d'un naevus dermique de type molluscoïde connu. Figure 1B : Dermoscopie polarisée (X20) révélant plusieurs motifs atypiques : pseudopodes (fl èches vertes), globules (cercle violet), réseau inversé (cercle jaune), voile bleu-blanc (cercle bleu), zone de régression (cercle gris) et chrysalides atypiques (fl èche bleue).
Pour confirmer le diagnostic chez cette femme enceinte, nous avons réalisé un examen en microscopie confocale (Vivascope 3000, Mavig,
Munich, Allemagne). Cet examen a mis en évidence la présence de cellules rondes de grande taille, hyperréfl ectantes, en ascension pagétoïde dans l'épiderme, ainsi qu'une jonction derme-épiderme totalement désorganisée par des cellules atypiques (Figure 2).

Figure 2 : Image en microscopie confocale montrant de volumineuses cellules rondes hyperréflectantes en ascension pagétoïde dans l'épiderme (fl èche orange). En comparaison, une image confocale normale de l'épiderme révèle un patron homogène en nid d'abeille (encadré vert).
Pour une vue tridimensionnelle, nous avons utilisé le LC-OCT (DAMAE, Paris, France). Cette analyse a confirmé une invasion dermo-épidermique par de grosses cellules rondes atypiques, isolées, regroupées en amas dermiques ou disposées en thèques, désorganisant l'épiderme et détruisant la jonction dermo-épidermique.
Ces amas sont associés à des arcs noirs correspondant au signe du clefting (Figure 3).
Ce cas illustre l'intérêt des technologies modernes dans le diagnostic des lésions cutanées suspectes. Grâce à la dermatoscopie polarisée, la microscopie confocale et le LCOCT, nous avons pu analyser cette lésion en détail. Comme quoi, avoir des « yeux d'abeille » peut parfois changer la donne et affirmer un diagnostic dans des conditions psychologiques très particulières !

Figure 3 : Colocalisation LC-OCT et dermoscopie confirmant la destruction de la jonction dermo-épidermique (crochet orange), la présence de cellules atypiques isolées en ascension pagétoïde (flèches rouges), ainsi que des amas cellulaires ou thèques détruisant la jonction (cercle bleu), associés à un clefting (flèches jaunes).

JL. PERROT
Dermato-Oncologie-Allergologie, CHU NORD,
Saint-Etienne, France

C. DORADO CORTEZ
Dermato-Oncologie-Allergologie,
CHU NORD, Saint-Etienne, France

