Actualités : Une petite histoire de la fièvre puerpérale

Publié le 21 juil. 2025 à 18:36
Article paru dans la revue « AGOF / Le Cordon Rouge » / AGOF N°27

Premiers regards historiques

Décrite dès l'Antiquité dans le corpus hippocratique (Épidémies, livre I), l'histoire de la fièvre puerpérale nous fait voyager à travers les siècles, à la croisée du développement de la médecine périnatale et de la découverte de la microbiologie.

Ainsi nommée pour la première fois par Thomas Willis en 1659 dans son « Opera Omnia », cette febris puerperarum ou fièvre puerpérale désigne un syndrome d'origine utérin survenant généralement quelques jours après un accouchement et dont les principaux symptômes sont une fièvre importante, des douleurs pelviennes et des lochies anormales ou malodorantes.

Des cas isolés de fièvre puerpérale sont régulièrement évoqués tout au long du Moyen-Âge et de la Renaissance. Des personnages historiques comme Lucrèce Borgia, Jeanne Seymour ou Catherine Parr (deux des épouses du roi Henri VIII d'Angleterre) décèdent notamment de cette affection inexpliquée. Cela entretient les mythes autour de la mortalité des femmes en couches, mais l'ampleur du phénomène est encore peu documentée.

C'est à partir du XVIIème siècle et l'émergence des grandes épidémies que la fièvre puerpérale devient un enjeu majeur de la santé des femmes.

Les grandes épidémies
Le début du XVIIème siècle marque une étape importante pour l'histoire de la médecine et de la structure du système de soin. En 1656 en France, Louis XIV crée « l'Hôpital général » pour assainir les rues. Il inspire également le développement des grands hospices qui deviendront plus tard nos centres hospitaliers, comme l'hôtel-Dieu à Paris.

Le monde médical s'organise et, soignants et malades se rassemblent au sein de ces structures. Les maternités accueillent les patientes – souvent issues de milieux défavorisés – dans de grandes salles communes et, les médecins et les étudiants en médecine succèdent peu à peu aux sages-femmes dans les salles d'accouchement.

Cependant, le développement de maternités hospitalières et la médicalisation de l'accouchement des femmes favorise aussi la contagion de l'infection et l'émergence des grandes épidémies de fièvre puerpérale qui vont se propager dans toute l'Europe et dans le monde pendant près de deux siècles.

Au XVIIIème siècle, toute l'Europe connaît régulièrement des épidémies : à Francfort en 1723, à Londres en 1760, à l'Hôtel-Dieu de Paris en 1778 ou encore à Vienne en 1793. La fièvre puerpérale devient rapidement la principale cause de mor- talité maternelle. Les épidémies s'intensifient jusqu'à la fin du XIXème siècle avec une mortalité maternelle atteignant jusqu'à 70 % des patientes.

Quelle cause pour la fièvre puerpérale ?
La cause de la fièvre puerpérale a longtemps été l'objet d'un débat très animé. L'émergence des épidémies depuis la création des maternités hospitalières inspire au XVIIIème siècle les premières théories contagionistes et infectionistes attribuant la hausse des cas de fièvre puerpérale à la contamination des accouchées saines par d'autres malades dans les salles communes, ou bien directement par des « miasmes » de pourriture dans l'air.

En 1795, Alexander Gordon (1752-1799), médecin écossais suggère que l'infection se transmet par le contact des soignants d'une accouchée à l'autre, à l'instar de l'érysipèle, mais cette idée est rapidement rejetée par la communauté médicale internationale. À partir du début du XIXème siècle l'anatomie-pathologique décrit les premières lésions de l'endomètre et du péritoine dues à la fièvre puerpérale, dorénavant appelée « endométrite » sans pour autant permettre d'identifier la cause exacte de ces lésions.

 

 

Philippe Ignace Semmelweis (1818-1865), médecin hongrois de l'hôpital de Vienne est le premier à proposer une explication complète concernant cette pathologie. En comparant les taux de mortalité de la clinique viennoise tenue par des étudiants en médecine aux taux de mortalité d'une seconde clinique tenue par des sages-femmes, Semmelweis se rend compte que le taux de mortalité de la première clinique est dix fois supérieur à celui de la seconde. Il explique ces chiffres par le manque d'hygiène des étudiants en médecine, passant directement des amphithéâtres d'autopsies aux salles d'accouchement.

Il attribue la cause de la fièvre puerpérale au transport de substances de putréfaction issues de cadavres aux accouchées en l'absence d'une hygiène correcte des mains. Devenu assistant à la maternité en 1847, il impose le lavage des mains par solution chlorée aux médecins avant d'entrer en salle d'accouchement. En moins d'un an, la mortalité s'effondre de 11,5 % à 2,7 %. En 1843, Oliver Wendel Holmes recommande également le lavage des mains aux Etats-Unis. Toutefois, ces recommandations se heurtent à nouveau au rejet de l'Establishment médical et c'est seulement avec l'essor de la microbiologie après la mort de Semmelweis que sa théorie est finalement retenue et le lavage des mains popularisé dans toutes les maternités. C'est donc à l'obstétrique que l'on doit la naissance de l'asepsie !

À partir des années 1860, les travaux de Louis Pasteur, Carl von Rokitansky puis Joseph Lister mettent en évidence le rôle des micro-organismes en tant que pathogènes dans de nombreuses pathologies. En 1884, Rosenbach identifie le Streptococcus Pyogenes, appelé plus tard Streptocoque A, comme étant la bactérie majoritairement responsable de la fièvre puerpérale. L'antisepsie s'impose, et des compresses imbibées de solutions phéniquées ou à base de mercure sont appliquées au niveau des voies génitales féminines pour soigner l'infection.

Au XXème siècle, le progrès médical s'intensifie. La découverte des antibiotiques est un tournant majeur dans la réduction de la mortalité : les sulfamides (1935) puis la pénicilline (1944) traitent efficacement la fièvre puerpérale et permettent la diminution drastique de ses complications.

Depuis 1970, le streptocoque B succède au streptocoque A en tant que micro-organisme responsable de l'endométrite. L'identification de ce pathogène et de son portage asymptomatique chez 4 à 35 % des femmes enceintes motive le dépistage et le traitement systématique du streptocoque B permettant de réduire d'autant plus la morbi-mortalité maternelle.

Quelles perspectives aujourd'hui ?
Entre 1990 et 2015, la mortalité mondiale due à la fièvre puerpérale diminue encore de plus de 45 %.

Toujours première cause de décès maternel dans certains pays en développement, l'endométrite est pourtant aujourd'hui une cause curable dans l'immense majorité des cas dans les pays développés.

La quasi-totalité des décès maternels des suites d'une endométrite a lieu dans les pays dans lesquels les politiques de santé publique sont peu efficaces. À titre de comparaison, en France en 2015, on compte environ 8 décès maternels pour 100 000 naissances, contre plus de 546 décès pour 100 000 naissances dans les pays d'Afrique sub-saharienne, région qui représente à elle seule plus de 20 % des décès dans le monde.

Bibliographie

• Audrey Alloyer. Histoire de la fièvre puerpérale : la peste noire des femmes. Mémoire.Sciences du Vivant.

• OMS, Tendances de la mortalité maternelle : 1990-2015, estimations de l'OMS, l'UNICEF, l'UNFPA, le Groupe de la Banque Mondiale et la Division de la population des Nations Unies.

• Hippocrates et Emile Littré, Œuvres complètes d'Hippocrate : traduction nouvelle avec le texte grec en regard.

• Martial Dumont, Histoire de l'obstétrique et de la gynécologie, Lyon, Simep.

• Emmanuelle Mathieu, « Suites de couches pathologiques », La Revue du Praticien.

• Tarnier S. Recherches sur l'état puerpéral et sur les maladies des femmes en couches.

• SEMMELWEIS, Céline L-F, Dauphin J-P, Godard H professeur de littérature), Sollers P. Semmelweis. Paris : Gallimard, impr. 1999.; 1999. (Collection L'Imaginaire: 406).

Agathe BRULIARD

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