Actualités : Un jour un portrait - Être médecin de MPR en équipe mobile

Publié le 23 sept. 2024 à 14:56
Article paru dans la revue « AJMER / AJMERAMA » / AJMERAMA N°7


Dans l'Ajmerama, nous souhaitons mettre en avant la diversité et la richesse de la MPR !

Dans chaque nouveau numéro, vous trouverez une interview d'un médecin MPR qui nous présentera son poste. Dans ce numéro, le Dr Florence Aly va nous présenter son poste de médecin de MPR en équipe mobile au sein de la fédération Handicap 33.

Pouvez-vous vous présenter ?

Médecin généraliste formée à l'université de Bordeaux, j'ai exercé quelques années la médecine générale en libéral, puis en tant que médecin traitant de personnes paralysées cérébrales et polyhandicapées au sein d'un Foyer d'Accueil Médicalisé. Par cette pratique, j'ai souhaité me former davantage pour mieux comprendre et soigner les résidents du foyer. C'est comme cela que j'ai découvert la spécialité de médecine physique et réadaptation ! J'ai fait le DIU de médecine de rééducation avec les enseignements théoriques de la spécialité et plusieurs semaines de stage.

J'ai ensuite évolué (depuis 2013) pour assurer la coordination médicale de l'équipe mobile de réadaptation du CHU de Bordeaux, qui au départ était une équipe dédiée au post AVC.

Actuellement, je suis praticien hospitalier rattachée au service de médecine physique et réadaptation et j'exerce à 0,8 ETP sur cette équipe.

Pouvez-vous nous présenter Handicap 33 ?

«  Handicap 33  » est une fédération de trois équipes mobiles de réadaptation qui exerce sur l'ensemble du territoire de la Gironde (33) financée par l'ARS de Nouvelle-Aquitaine depuis 2019.

Notre objectif est de faciliter le maintien de personnes en situation de handicap à forte «  complexité médico-psycho-sociale  » à leur domicile. La «  complexité  » peut être liée à de nombreux motifs, aussi bien à la personne qu'à son environnement architectural, humain familial ou professionnel, à la maladie et ses complications, qu'à des comorbidités, comme la dépression ou des addictions. Elle peut aussi être due aux freins psychologiques et aux réticences à la mise en place d'aides techniques par exemple, qui peuvent être vécues comme stigmatisantes du handicap.

Ce qui fait l'originalité et la richesse de notre équipe, c'est d'être une équipe pluridisciplinaire, d'être spécialisés dans le handicap et d'intervenir au domicile. Cela permet d'une part, de proposer une analyse approfondie et spécialisée des situations et d'autre part d'être légitime pour définir un projet de soin et parfois orienter un projet de vie.

Cette analyse permet de mettre en place des solutions pour faciliter la vie quotidienne des personnes, les rendre plus autonomes, leur donner des perspectives d'activités qui leur semblaient jusque-là inconcevables. L'intérêt d'être au domicile, c'est d'être vraiment au cœur de la vie de la personne, ce n'est pas seulement elle qui nous la raconte avec le filtre de son analyse de son propre vécu mais nous qui observons  ! Cela permet aussi d'offrir une alternative de soins à des personnes qui ne veulent plus voir les hôpitaux, ou qui ont des difficultés à gérer leurs rendez-vous. Enfin, quand nous observons que le maintien à domicile n'est pas envisageable au long cours, nous construisons avec elle un autre projet de vie et nous faisons appel aux organismes du secteur médico-social.

Nos interventions sont centrées sur des objectifs et nous essayons d'accompagner les personnes sur une durée courte (4 mois  environ), mais cela peut parfois être plus long du fait de l'attente de relais par exemple.

Pouvez-vous présenter son fonctionnement ? Quelle est la composition de l'équipe ?

Chacune des équipes de la Fédération est rattachée à un service de Médecine Physique et Réadaptation (CHU, UGECAM, LADAPT). L'intérêt d'être réunis en Fédération est d'être plus nombreux et mieux organisés pour couvrir l'ensemble du territoire de la Gironde, et d'être positionnés à des points stratégiques du territoire afin de limiter le temps dans les transports. Nous essayons de donner des réponses homogènes et pour cela nous nous voyons régulièrement.

En pratique, les demandes d'interventions sont faites sur un site internet  : www.handicap33.fr. Elles sont complétées par un contact personnel à l'adresseur, par téléphone ou par mail, afin de bien comprendre l'objectif de la demande. Nous n'acceptons que les demandes pluridisciplinaires et réorientons vers d'autres équipes lorsque les demandes ne correspondent pas à ces critères.

Chacune des équipes est composée d'un médecin de MPR (Médecin de Médecine Physique et de réadaptation), ergothérapeute, assistante sociale et secrétaire. La fédération bénéficie des services d'une psychologue clinicienne et d'une neuropsychologue qui sont des professionnelles mutualisées pour les trois équipes.

L'avis médical de MPR au domicile, c'est parfois des diagnostics, le plus souvent des avis, beaucoup d'explications, de discussions avec des personnes qui sont parfois fâchées avec la médecine mais qui en ont cruellement besoin.

Il y a ensuite l'évaluation de l'autonomie en situation écologique par l'ergothérapeute, avec l'intérêt d'être au plus près de la situation réelle. Elle amorce un réentraînement, réalise des essais d'aides techniques, oriente vers la reprise d'activités.

La neuropsychologue peut faire des bilans, du réentraînement cognitif en complément de l'orthophoniste libérale et des mises en place d'outils de compensation. Elle a aussi un rôle de formation de l'environnement à la gestion des troubles cognitifs et du comportement.

La psychologue, en général, est sollicitée pour travailler l'acceptation du handicap et des aides techniques, aborder la question de l'aide aux aidants, inciter l'orientation vers une prise en charge psychologique ou psychiatrique qui sont des démarches parfois compliquées à faire pour ces personnes.

Enfin, l'assistante sociale explique et contribue à faire les démarches nécessaires pour protéger les personnes et défendre leurs droits, favoriser leur réinsertion, ou encore permettre le financement des projets définis par l'équipe (mesure de protection juridique, dossiers MDPH, inscriptions au sein des structures médico-sociales, transport adapté, etc.).

Dans quel cadre l'équipe mobile peut-elle être sollicitée ?

L'équipe est utile après un séjour en soins aigus ou en structure de Soins Médicaux et de Réadaptation, à défaut de MPR ou pour réintégrer la filière spécialisée en MPR.

Le travail ne sera pas le même en fonction de l'adresseur  : les MPR nous sollicitent en général pour consolider un projet de sortie d'hospitalisation dans un environnement fragile, pour proposer un projet de réadaptation spécialisé sans passer par un service de médecine physique et réadaptation, ou encore pour poursuivre un projet de réadaptation incomplet ou apporter un soutien nécessaire dans l'attente de l'UEROS ou d'un SAMSAH.

Si la demande émane du secteur polyvalent (médecins généralistes ou spécialistes hors MPR, paramédicaux libéraux, dispositifs sociaux), le rôle en général sera plus lié à l'analyse pluridisciplinaire spécialisée. Parfois, nous avons recours à l'aide des services de MPR, soit pour des bilans médicaux, soit pour des stages de rééducation en hospitalisation complète ou de jour.

Pouvez-vous nous expliquer une semaine type ?

Une semaine type commence par un lien avec le service de MPR lors d'un staff médical organisationnel, suivi d'un staff avec notre équipe mobile  : nous passons en revue chaque patient de la fi le active (actuellement cela représente une centaine de personnes), discutons de l'avancée des objectifs de l'équipe, organisons les prochaines visites à domicile... Nous analysons également les nouvelles demandes et décidons de la suite à donner. Cette réunion est réalisée une fois par mois avec les deux psychologues.

Dans la semaine, j'ai ensuite environ cinq ou six visites à domicile, avec parfois jusqu'à une heure de route  pour rejoindre un domicile ! Il s'agit soit de visites de nouveaux patients, en général en binôme avec un ergothérapeute, soit de patients déjà connus mais revus afin de discuter de certains objectifs, souvent avec des personnes «  clés  » du domicile (médecin généraliste, paramédical, famille, auxiliaire de vie...), afin d'essayer d'avancer dans le projet de soin ou de vie.

Le travail de bureau occupe la plus grande partie de mon temps, entre les écrits, la gestion de l'équipe, le travail institutionnel et les innombrables contacts mails et téléphoniques. Ces contacts, c'est en réalité presque le cœur de l'activité  : auprès de l'ensemble des professionnels qui gravitent autour de la personne, nous cherchons à vraiment bien comprendre la situation, croiser les informations, trouver des leviers. C'est aussi la prise d'avis de confrères, ou encore la participation à une RCP troubles psycho-comportementaux.

Quand je parle de travail institutionnel, je pense à toutes les démarches de développement de réseau, de rencontres de partenaires et de discussion autour des missions, quelques cours pour les paramédicaux, réunions institutionnelles du CHU, participation à l'association MPR locale (AMPRA). Par ailleurs, nous organisons une journée de colloque qui rassemble environ 250 personnes chaque année, afin de réfléchir collectivement à des problématiques difficiles, rencontrer et mieux connaître nos partenaires et leurs missions.

Pouvez-vous nous raconter une prise en charge qui vous a particulièrement marquée ?

Cette question est compliquée  !  Il est rare que les prises en charge qu'on nous adresse soient anodines. Maintenant, quand nous nous déplaçons dans Bordeaux ou même en Gironde, nous nous souvenons d'untel ou unetelle, nous avons l'impression d'être passés sur toutes les routes et nous nous remémorons les personnes et leurs maisons…

S'il faut choisir une personne emblématique, je vous donne l'exemple de Mme P., qui nous a été adressée par les services sociaux, la «  plateforme territoriale d'appui  » (gestion non médicalisée et non spécialisée de situations complexes).

«  Une dame qu'on n'arrive plus à lever et qui mord ses aidants  ».

Bien que l'intérêt soit dans les détails, je vais essayer d'être succincte  : quarantenaire, elle cumule les difficultés médicales  : une obésité, une SEP alors mise sur le compte d'une myélite de Goujerot Sjogren sans poursuite de suivi spécialisé, ainsi qu'une vulnérabilité liée à l'environnement, aussi bien architectural que personnel.

Elle est alitée depuis un mois, car n'est plus capable de faire ses transferts suite à une entorse au genou. De toute manière, son fauteuil roulant ne passe pas l'encadrure de la porte.

Sur le plan médical, l'examen clinique met en évidence une évolution du déficit neurologique, et le lien avec une collègue neurologue permet de revoir le diagnostic «  sur dossier  » au profit d'une SEP et ainsi d'organiser la prise en charge qui en découle. Dans ce contexte, un séjour hospitalier est prévu en étroite collaboration entre les services de neurologie et d'endocrinologie pour initier le traitement immunosuppresseur indiqué, mais précédé du nécessaire bilan général en endocrinologie, chez cette dame obèse sortie depuis des années de tout système de soin.

Sur le plan cognitif, nous proposons un bilan neuropsychologique afin d'accompagner la famille et les aidants à comprendre les troubles cognitifs et comportementaux et amorcer une prise en charge en orthophonie.

Sur le plan fonctionnel, le rôle de l'ergothérapeute a été ici de réajuster le matériel adapté aux déficiences et à la morphologie bariatrique, pour permettre, en lien avec la kinésithérapeute libérale, au moins de lever la patiente au fauteuil.

Sur le plan social, le lien étroit avec la MDPH justifie l'urgence de réévaluer le plan d'aide sans toucher à l'allocation «  aidant familial  » du conjoint, légitime et source de revenu. L'objectif est de prévoir des auxiliaires pour effectuer la toilette en binôme, condition d'intervention d'IDE libérales. Le précédent cabinet IDE, à bout de souffle, avait abandonné la prise en charge le jour de l'admission à l'hôpital.

Ô combien d'échanges pour accompagner cette situation !

Ce modèle de prise en charge est-il développé dans d'autres régions ?

Oui, les équipes mobiles de réadaptation sont développées dans de nombreuses régions, avec une hétérogénéité dans les missions et les personnes accompagnées. Elles complètent toujours l'offre de soin du territoire, les besoins de chacun ne sont pas tous les mêmes. À ma connaissance, la plupart des équipes sont davantage centrées sur le « retour au domicile » que le «  maintien au domicile  », avec souvent moins de temps donc de rôle médical.

Avez-vous des projets pour développer davantage Handicap 33 ? 

Se développer ne dépend pas seulement de nous, car il s'agit d'un financement public. Devant l'affluence des demandes et la complexité des situations accompagnées, nous aimerions augmenter le temps de travail des professionnels de l'équipe pour ne pas renoncer à la réactivité ou la «  polyvalence du handicap  » accueilli. Nous réfléchissons aussi à développer des partenariats plus forts avec des structures déjà existantes pour ne pas multiplier les dispositifs, mais plutôt les potentialiser entre eux.

Un financement par le dispositif de droit commun serait la condition qui permettrait à chaque région de développer  ces équipes, mais elles sont l'inverse des actes médicaux lucratifs et rentables. Ce travail de l'ombre permet de faire des ponts entre l'hôpital et la ville, le sanitaire et le médico-social. Il «  met de l'huile dans les rouages  », «  complète les trous de la raquette  », de la filière de MPR. Le service qui est rendu pour les personnes a un intérêt pour le système de santé  : il cible les hospitalisations sur des objectifs médicaux précis et programmés, évite les errances et les surconsommations médicales pour la population vulnérable de personnes en situation de handicap présentant une complexité médico-psycho-sociale. 

Un grand merci au Dr Florence Aly d'avoir accepté de répondre à mes questions et de nous permettre de découvrir une nouvelle facette de notre spécialité  !

Interview réalisée par le Dr Justine TREBUCQ

Publié le 1727096212000