Tumeurs rares - Les cancers du poumon avec mutation RET

Publié le 22 Feb 2024 à 16:34
Article paru dans la revue « AERIO / RIO » / RIO N°6

Adrien ROUSSEAU
Interne d'oncologie médicale

Les cancers bronchiques non à petite cellule (CBNPC) présentent dans 2  % des cas une fusion de RET (1). RET est un proto-oncogène codant un récepteur de tyrosine kinase, impliqué dans des syndromes héréditaires comme la néoplasie endocrinienne multiple de type 2, il est également anormal de façon somatique dans 2.6 % des cancers, notamment les CBNPC mais aussi les adénocarcinomes colo-rectaux et les carcinomes médullaires de la thyroïde.

Les fusions de RET sont souvent retrouvées de manière isolée, mais ne sont pas exclusives et peuvent être concomitantes d’autres mutations (comme TP53, PI3K, EGFR ou ALK). Elles sont un mécanisme de résistance off-target des inhibiteurs d’EGFR (2). Il existe une douzaine de partenaires de fusion connus. L’exposition à une irradiation semble être un facteur de risque. Concernant la détection des fusions, le NGS (next generation sequencing) est considéré comme la technique de référence (3), la sensibilité du RNA-seq étant supérieure à celle du DNA-seq. Les autres méthodes sont des outils de dépistage qui nécessitent confirmation. La RT-PCR et l’himmuno-histochimie sont trop peu sensibles, tandis l’hybridation in situ (FISH) avec sondes break apart ne parvient pas à identifier les partenaires de fusion et est source de faux-positifs.

Au niveau épidémiologique, dans la cohorte multicentrique RETMAP, l’âge médian se situait autour de 63 ans, les adénocarcinomes prédominaient à 93 %, les femmes représentaient 56 % des patients et 41 % d’entre eux étaient fumeurs (4). Leurs tumeurs présentaient une charge mutationnelle et une expression du PD-L1 faibles. Le partenaire de fusion le plus fréquent était KIF5B. L’invasion du système nerveux central était fréquente et concernait près d’un patient sur cinq au diagnostic et un tiers des patients au cours du suivi. Dans une cohorte rétrospective française, 48 % des patients avec une fusion de RET présentaient un événement thrombo-embolique, dont 29  % d’embolie pulmonaire et 15  % d’accident vasculaire cérébral (5).

Pour les patients au stade métastatique, des inhibiteurs multi-kinases comme le cabozantinib, le vandetanib ou le lenvatinib ont été utilisés avec une efficacité modeste : taux de réponse (ORR) de l’ordre de 15 à 30 %  (2). Récemment, une nouvelle génération d'inhibiteurs de tyrosine kinase a été développée.

Le selpercatinib est un inhibiteur sélectif de RET, qui a été étudié lors de l’étude de phase I/II LIBRETTO-001 (6). 316 patients ont reçu le selpercatinib en continu, à une dose progressive jusqu’à 160mg x2 par jour. Parmi les 69 patients naïfs de tout traitement, l’ORR était de 84  % (contre 61 % chez les pré-traités), la durée de réponse médiane de 20.2 mois, la survie sans progression (PFS) médiane de 24.9 mois. La survie globale (OS) était immature. Le taux de réponse intracrânien était de 85 %. Le profil de tolérance était acceptable, avec comme toxicités de grade 3-4 fréquentes : de l’hypertension (19 %) et des élévations de transaminases (11  %). Quelques cas de pneumopathies sévères imputées au selpercatinib ont été rapportés. Des cas d’hypersensibilités ont été également été observés, et ceux-ci prédominaient (77  % des cas) chez les patients ayant déjà été exposés à l’immunothérapie (7).

Le pralsetinib est aussi un inhibiteur sélectif de RET, dont les premiers résultats ont été rapportés dans la phase I/II ARROW (8). 233 patients ont reçu le pralsetinib en continu, à une dose progressive jusqu’à 400mg  x  2 par jour. L’ORR était de 61  %, et même de 70  % chez les 27 patients naïfs de précédents traitements. Le taux de réponse intracrânien était de 56 %. Des réponses étaient observées quel que soit le partenaire de fusion. Les effets secondaires de grade 3-4 les plus fréquents étaient la neutropénie (18  %), l’hypertension (11  %) et l’anémie (10 %). Quelques cas de pneumopathies sévères imputées au pralsetinib ont été rapportés.

Il est improbable que ces thérapies permettent la guérison de ces patients, l’apparition de mutation comme RET G810 ayant déjà été identifiée comme mécanisme de résistance secondaire au selpercatinib ainsi que l’activation by-pass d’autres voies de signalisation. Ces résultats restent toutefois impressionnants, en comparaison de la chimiothérapie (55  % ORR et PFS médiane de 8 mois dans RET-MAP). Dans RET-MAP, les patients traités par inhibiteurs de RET survivaient significativement plus longtemps (50.6 mo [37.7- 72.1] versus 16.3 mo [12.7-28.8], p < 0.0001). La Haute Autorité de Santé a refusé d’ouvrir un accès précoce à ces médicaments aux patients présentant une tumeur avec fusion RET, sous l’argument d’absence d’étude randomisée. Cela peut aussi s’expliquer par un coût-efficacité peu favorable, une analyse récente estimant pour le pralsetinib un coût de plus d’un million de dollar par année de vie de qualité gagnée (9).

Une nouvelle génération d’inhibiteur est déjà en développement, avec le LOXO-260 actuellement en phase I pour les patients ayant présenté une résistance sous inhibiteur sélectif de première génération.

Lors de l’ESMO 2023 ont été présenté les résultats de l’essai LIBRETTO-431 (10) qui évaluait l’ajout du selpercatinib en première ligne de traitement chez des patients métastatiques ou avancés, en comparaison du doublet de chimiothérapie plus ou moins immunothérapie à la discrétion de l’investigateur. Les patients avec un performance status a 2 étaient autorisés, tout comme ceux avec des métastases cérébrales. En revanche, les patients avec une autre addiction oncogénique, une maladie cardiovasculaire active, une atteinte péricardique ou pleurale actives et une infection non contrôlée étaient exclus. Les fusions de RET étaient détectés par NGS ou PCR, pouvaient être testées localement mais subissaient une relecture centralisée avant inclusion. Le switch du bras contrôle vers le bras selpercatinib après progression était autorisé. 261 patients ont été randomisés au total. Sur la première analyse intermédiaire du critère de jugement principal, la PFS était améliorée (24.8 mois en médiane) avec un HR=0.46 (95% CI, 0.31-0.70; P<0.001) en faveur du selpercatinib. Le temps médian de réponse était de 1.45 mois pour un taux de réponse de 84  % et une durée médiane de réponse de 24.2 mois. Les données de survie globale sont encore immatures, mais l’incidence cumulée de métastases cérébrales à 12 mois était de 6 % avec le selpercatinib contre 20 % dans le bras contrôle.

Il faut espérer que cet essai randomisé positif permette un accès à ces molécules pour nos patients. En attendant, l’accès et l’adressage des patients vers des essais cliniques est primordial. Les différents essais ouverts sont les suivants :

  • Étude LIBRETTO-432, phase 3 randomisée étudiant le selpercatinib en situation adjuvante.
  • Étude LIBRETTO-201, programme d’accès élargi du selpercatinib en situation métastatique pour les patients prétraités.
  • Étude BLU-667-2303, phase 3 randomisée étudiant le pralsetinib en situation métastatique en première ligne.

La liste des centres dans lesquels le recrutement est ouvert est disponible sur le registre des essais cliniques de l’INCa

Adrien ROUSSEAU,
Mihaela ALDEA & Benjamin BESSE

Références

  • 1. Addeo A, Miranda-Morales E, den Hollander P, Friedlaender A, O Sintim H, Wu J, et al. RET aberrant cancers and RET inhibitor therapies: Current state-of-the-art and future perspectives. Pharmacol Ther. févr 2023;242:108344.
  • 2. Cascetta P, Sforza V, Manzo A, Carillio G, Palumbo G, Esposito G, et al. RET Inhibitors in Non-Small-Cell Lung Cancer. Cancers. 1 sept 2021;13(17):4415.
  • 3. Andrini E, Mosca M, Galvani L, Sperandi F, Ricciuti B, Metro G, et al. Non-small-cell lung cancer: how to manage RET-positive disease. Drugs Context. 11 juill 2022;11:2022-1-5.
  • 4. Aldea M, Marinello A, Duruisseaux M, Zrafi W, Conci N, Massa G, et al. RET-MAP: An International Multicenter Study on Clinicobiologic Features and Treatment Response in Patients With Lung Cancer Harboring a RET Fusion. J Thorac Oncol Off Publ Int Assoc Study Lung Cancer. 13 janv 2023;S1556-0864(22)01994-3.
  • 5. Aldea M, Marinello A, Guyon D, Gazzah A, Barlesi F, Planchard D, et al. Prevalence of Thromboembolic Events in Patients With Non–Small Cell Lung Cancer and RET Fusions. JAMA Oncol [Internet]. 14 sept 2023 [cité 7 nov 2023]; Disponible sur: https://doi.org/10.1001/jamaoncol.2023.3625
  • 6. Drilon A, Subbiah V, Gautschi O, Tomasini P, de Braud F, Solomon BJ, et al. Selpercatinib in Patients With RET Fusion-Positive Non-Small-Cell Lung Cancer: Updated Safety and Effi cacy From the Registrational LIBRETTO-001 Phase I/II Trial. J Clin Oncol Off J Am Soc Clin Oncol. 10 janv 2023;41(2):385-94.
  • 7. McCoach CE, Rolfo C, Drilon A, Lacouture M, Besse B, Goto K, et al. Hypersensitivity Reactions to Selpercatinib Treatment With or Without Prior Immune Checkpoint Inhibitor Therapy in Patients With NSCLC in LIBRETTO-001. J Thorac Oncol. 1 juin 2022;17(6):768-78.
  • 8. Gainor JF, Curigliano G, Kim DW, Lee DH, Besse B, Baik CS, et al. Pralsetinib for RET fusion-positive non-small-cell lung cancer (ARROW): a multi-cohort, open-label, phase 1/2 study. Lancet Oncol. juill 2021;22(7):959-69.
  • 9. Liu W, Huo G, Li M, Chen P. First-line versus second-line use of pralsetinib in treatment of rearranged during transfection (RET) fusion-positive advanced non-small cell lung cancer: a cost-eff ectiveness analysis. Transl Lung Cancer Res. 28 sept 2023;12(9):1949-58.
  • 10. Zhou C, Solomon B, Loong HH, Park K, Pérol M, Arriola E, et al. First-Line Selpercatinib or Chemotherapy and Pembrolizumab in RET Fusion–Positive NSCLC. N Engl J Med [Internet]. 21 oct 2023 [cité 7 nov 2023]; Disponible sur: https://www. nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa2309457?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori%3Arid%3Acrossref.org&rfr_dat=cr_pub++0pubmed
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    Publié le 1708616048000