Tumeurs rares : cancers des voies biliaires

Publié le 10 May 2022 à 21:59

Introduction

Les cancers des voies biliaires sont des maladies orphelines en France, avec des taux d’incidence de 1,3 cas/100 000 habitants par an (moins de 2000 cas par an). Ils représentent moins de 1 % de l’ensemble des cancers, environ 2 % des cancers digestifs et 10-15 % des cancers primitifs du foie (après les carcinomes hépatocellulaires).

Ces tumeurs sont hétérogènes, avec tous stades confondus, (i) les tumeurs de la vésicule biliaire (65 %), (ii) les cholangiocarcinomes (CCA) (35 %) intra (15 %) ou extra (25 %) hépatiques (dont les tumeurs périhilaires de Klatskin (60 % des CCA extrahépatiques) et les distaux), (iii) et les ampul- lomes vatériens (Figure 1). Seuls un tiers des cas sont résécables au diagnostic et la survie à 5 ans tous stades confondus ne dépasse pas 5 à 15 %.

Stades résécables, traitements adjuvants et néoadjuvants
Il n’existe pas de place pour les chimiothérapies néoadjuvantes dans les cancers des voies bi- liaires. Aucun essai randomisé n’est disponible et il n’existe pas de standard, l’ictère et l’altéra- tion de l’état général rendant les essais difficiles.

Le traitement adjuvant des can- cers des voies biliaires a récem- ment été l’objet de plusieurs es sais randomisés de phase III. En 2018, l’essai BCAT (Gemcitabine 6 mois vs placebo) était néga- tif, ainsi que l’essai PRODIGE 12 (Gemox 12 cycles vs placebo) en 2019. En 2019 également, l’es- sai anglais BILCAP a comparé la capécitabine à un placebo chez 447 patients, le bénéfice de sur- vie globale (critère de jugement principal) n’a pas atteint la signi- ficativité statistique en analyse primaire (médiane : 51,1 vs. 36,4 mois ; HR : 0,81 ; p=0,097) et les résultats étaient significatifs seulement si ajustement sur des facteurs pronostiques (et des résultats meilleurs que prévus dans le bras contrôle) avec un bénéfice seulement dans les 24 mois après la chirurgie (1). Ainsi, on peut proposer la capécitabine comme une « option standard » en adjuvant.

Stades localement avancés, traitements locorégionaux
Pour les cancers des voies bi- liaires, une radiochimiothérapie (par exemple à base de 5-FU cis- platine) peut apporter un bénéfice chez des patients sélectionnés, avec plus de chirurgie R0 et par- fois des réponses histologiques complètes, mais il s’agissait d’es- sais non randomisés ou avec de petits effectifs. La radiothérapie stéréotaxique, voire la proton- thérapie, offre aussi des perspec- tives de bon contrôle local avec une tolérance acceptable mais au prix de récidives à distance.

Enfin, la radioembolisation (SIRT) permet l’administration de radio- thérapie localement associée à une embolisation (avec des billes de verre ou de résine) et offre des taux de réponse intéressants, avec des possibilités de résection secondaire. Un essai randomisé, SIRCCA, en première ligne est en cours (Cisplatine Gemcitabine vs radioembolisation puis Cispla- tine Gemcitabine).


Figure 1 : Sous-types anatomiques des cancers des voies biliaires. Adk : adénocarcinome  CCA : cholangiocarcinome (modèle de Mind the Graph®)

Stades métastatiques, traitements palliatifs
L’essai de phase III anglais ABC- 02 a montré la supériorité de l’association cisplatine-gemci- tabine (CISGEM) pendant 24 se- maines sur la gemcitabine seule. En tout, 410 patients ont été ran- domisés (score OMS 0-1 : 88 % et bilirubinémie totale < 1,5 N) avec une survie globale : 11,7 vs. 8,1 mois ; HR : 0,64 ; IC : 0,52-0,80 ; p < 0,001). Ces résultats étaient indépendants de la localisation du cancer biliaire (2). Dans cet essai, le cisplatine s’administre à la dose de 25mg/m2 J1, J8, J1 = J21 sans hyperhydratation. Le schéma GEMOX est une op- tion raisonnable, validée par une phase  II internationale (3). L’étude de phase IIR AMEBICA comparant FOLFIRINOX vs CIS- GEM en première ligne, rapportée en 2020, est négative et le schéma CISGEM reste le stan- dard en première ligne. Enfin, une deuxième ligne a été propo- sée à l’ASCO 2019 en montrant la supériorité du FOLFOX après CISGEM (essais ABC-06) avec une amélioration de la survie globale. Cela ne résout pas la question de la 2ème ligne après GEMOX en première ligne (4)

Perspectives
Thérapies ciblées
Les essais étudiant l’associa- tion agent ciblé (type anti-angio- géniques ou anti-EGFR) à une chimiothérapie ont tous été né- gatifs pour les tumeurs des voies biliaires. Néanmoins, ces tumeurs présentent beaucoup d’anoma- lies moléculaires tumorales ac- tionnables avec une forte hété- rogénéité moléculaire (IDH1/2, BRAF, FGFR2, NTRK, HER2, MSI, …). Ces anomalies moléculaires dé- pendent en partie du type histo- logique (HER2 et vésicule biliaire, FGFR2/IDH et CCA intrahépa- tiques). L’essai MOSCATO a révélé que deux tiers des CCA présen- taient une cible actionnable (5).

IDH1 peut être muté dans 10 à 20  % des CCA intra-hépatiques ce qui aboutit notamment à la production de 2-hydroxygluta- rate, très spécifique. Le déve- loppement d’inhibiteurs d’IDH comme l’ivosidénib améliore la survie sans progression des pa- tients présentant une mutation d’IDH. Le taux médian de survie sans progression à 6 et 12 mois était de 32 % et 22 % respective- ment avec l’ivosidénib, contre 0 % et 0  % dans le groupe placebo. L’amélioration en survie globale était également significative après ajustement sur le cross-over.

Les anomalies concernant FGFR, principalement FGFR2, repré- sentent 10 à 20 % des tumeurs des voies biliaires. Elles semblent être associées à un pronostic plus favorable (et sont excep- tionnellement associées à une mutation d’IDH). Plusieurs inhi- biteurs de FGFR2 ont été déve- loppés tels que le TAS120, avec des résultats prometteurs. Des essais de phase III sont en cours pour valider ces inhibiteurs.

Enfin, un essai de phase I/II a évalué le larotrectinib, un inhi- biteur sélectif de NTRK, chez des patients atteints de 17 types de tumeurs différents avec fusion NTRK, avec 75  % de réponse (dont l’un des deux patients at- teints de CCA). Le larotrectinib peut être une option dans les tumeurs des voies biliaires avec fusion NTRK.

Immunothérapies
Le nivolumab, le pembrolizumab ou le durvalumab ont été tes- tés dans des études de phase I ou II. Un signal d’efficacité a été observé notamment avec le ni- volumab avec 19 % de réponses partielles, parfois prolongées, chez des patients mutlitraités, en monothérapie. Le pembro lizumab a également été testé dans un essai de phase II com- prenant 61 patients avec un score PDL1 de plus de 1, le taux de réponse global était de 6,6 %, avec une PFS médiane de 2 mois et un profil de toxicité favorable. Notons que 2 cas de réponse complète ont été rapportés en 2ème ligne après pembrolizumab seul. Plusieurs essais de phase II ou III sont en cours dans les cancers des voies biliaires, dont l’essai de phase III IMMUNOBIL (PRODIGE 57) qui évalue durva- lumab-tremelimumab en 2ème ligne après une première ligne à base de platine.

Conclusion
Les tumeurs des voies biliaires sont des tumeurs dont l’arsenal thérapeutique a largement évolué dans les dernières années. En plus des modifications de standard, notamment sur le plan métasta- tique avec le CISGEM dans les cancers des voies biliaires, les thérapies ciblées deviennent une part importante du traitement des cancers des voies biliaires, l’un des cancers avec le plus d’anomalies actionnables. L’immunothérapie offre également des perspectives potentielles pour les cancers des voies biliaires. Le pronostic sombre de ce type de cancer doit inciter à proposer les essais théra- peutiques à tous les patients éligibles.

Références
1 - Primrose JN, Fox RP, Palmer DH, Malik HZ, Prasad R, Mirza D, et al. Capecitabine compared with observation in resected biliary tract cancer (BILCAP): a randomised, controlled, multicentre, phase 3 study. Lancet Oncol. mai 2019;20(5):663-73.
2 -
Valle J, Wasan H, Palmer DH, Cunningham D, Anthoney A, Maraveyas A, et al. Cisplatin plus gemcitabine versus gemcitabine for biliary tract cancer. N Engl J Med. 8 avr 2010;362(14):1273-81.
3 -
André T, Reyes-Vidal JM, Fartoux L, Ross P, Leslie M, Rosmorduc O, et al. Gemcitabine and oxaliplatin in advanced biliary tract carcinoma: a phase II study. Br J Cancer. 16 sept 2008;99(6):862-7.
4 -
Lamarca A, Palmer DH, Wasan HS, Ross PJ, Ma YT, Arora A, et al. ABC-06 | A randomised phase III, multi-centre, open-label study of active symptom control (ASC) alone or ASC with oxaliplatin / 5-FU chemotherapy (ASC+mFOLFOX) for patients (pts) with locally advanced / metastatic biliary tract cancers (ABC) previously-treated with cisplatin/gemcitabine (CisGem) chemo- therapy. JCO. 20 mai 2019;37(15_suppl):4003-4003.
5 -
Verlingue L, Malka D, Allorant A, Massard C, Ferté C, Lacroix L, et al. Precision medicine for patients with advanced biliary tract cancers: An effective strategy within the prospective MOSCATO-01 trial. Eur J Cancer. 2017;87:122-30.

Alice Boilève

Article paru dans la revue “Association des Jeunes en Médecine Physique et de Réadaptation” / AJMER n°02

Publié le 1652212766000