Actualités : Tumeurs ovariennes chez l’adolescente

Publié le 21 oct. 2024 à 16:47
Article paru dans la revue « AIGM / Gynéco Med » / AIGM N°3

Spécificités

Les tumeurs ovariennes, bien que rares, atteignent un pic d'incidence en pédiatrie, au cours de l'adolescence.
Distinctes de chez l'adulte, ayant pour enjeu majeur la préservation de la fertilité, elles nécessitent une stratégie thérapeutique spécifique.
Les tumeurs ovariennes bénignes sont les plus fréquentes, estimées à 80 %, avec en particulier les tératomes matures nécessitant une prise en charge chirurgicale exclusive et conservatrice au maximum du parenchyme ovarien.
Les tumeurs malignes sont plus rares mais leur risque de dissémination et donc leur gravité potentielle exigent une prise en charge standardisée et multidisciplinaire dès le diagnostic. Les plus fréquentes sont les tumeurs germinales malignes avec pour 100 000 femmes, soit une centaine de cas par an, ainsi que les tumeurs des cordons sexuels. Les tumeurs épithéliales malignes sont exceptionnelles en pédiatrie.

Quelles sont leurs origines ?

Les tumeurs germinales dérivent des cellules germinales primordiales. On distingue les tumeurs bénignes (tératome mature), des tumeurs malignes séminomateuses (dysgerminome1) et non séminomateuses. Ces dernières incluent le carcinome embryonnaire (tumeur provenant des tissus embryonnaires épithéliaux peu différenciés), le choriocarcinome (dérivant du trophoblaste) et la tumeur vitelline (issue de la vésicule vitelline). À noter que le tératome immature, dérivant des tissus embryonnaires ecto/méso/endodermiques, se caractérise par une agressivité variable en fonction du grade histologique de Norris2, défini par la quantification du contingent neuroépithélial immature en 3 grades (le grade 3 correspondant au plus agressif).

Les tumeurs des cordons sexuels sont dérivées du parenchyme gonadique ovarien non germinal, correspondant au tissu de soutien, hormono-sécrétant. On distingue les tumeurs de la granulosa juvénile (responsable de sécrétion d'estradiol) des tumeurs de Sertoli-Leydig (responsable de sécrétion d'androgènes). Ces dernières sont souvent associées à des mutations constitutionnelles de DICER1.

Le carcinome à petites cellules hypercalcémiant3 est une tumeur épithéliale d'agressivité extrême, caractérisée par une perte de l'expression nucléaire de SMARCA4, en rapport avec une mutation somatique ou constitutionnelle de SMARCA4/BRG1.

Circonstances de découverte

Les signes cliniques associent de manière variable masse palpable, douleurs abdominales et troubles endocriniens en cas de tumeurs des cordons sexuels4. Ces derniers peuvent se manifester par des signes d'imprégnation estrogénique

(Pseudo-puberté précoce, méno-métrorragies) ou d'hyper-androgénie (hirsutisme, aménorrhée). Il est important de noter que toutes les tumeurs des cordons sexuels ne se présentent pas avec des signes endocriniens.

Les tumeurs ovariennes peuvent également se révéler par une symptomatologie en rapport avec des complications, telles que la torsion ou la rupture d'annexe qui nécessitent une prise en charge chirurgicale urgente.

Comment poser le diagnostic ? Quels examens complémentaires ?

Chez une adolescente, le diagnostic de tumeur maligne de l'ovaire doit être évoqué devant toute tumeur ovarienne et conduire à un bilan standardisé radiologique et biologique.

L'échographie sus-pubienne, vessie pleine, est l'examen de première intention. Le bilan sera complété par une imagerie en coupe, idéalement une IRM abdomino-pelvienne, à la recherche d'éléments d'orientation diagnostique.

Une tumeur bien limitée, solido-kystique avec calcifications et contingent graisseux évoque un tératome mature. La présence d'ascite, de végétations ou de nodules péritonéaux suggèrent un processus malin.

Le dosage des marqueurs tumoraux (AFP et HCG totale) est crucial dans la démarche diagnostique.

En effet, une augmentation de l'AFP orientera plutôt vers une tumeur vitelline, là où une sécrétion importante d'HCG signe une spécificité du choriocarcinome, contrairement aux tumeurs séminomateuses qui en sécrètent faiblement. De leur côté, les tératomes matures sont non sécrétants.

En l'absence de positivité des marqueurs AFP et HCG, le bilan doit être complété par des dosages hormonaux (FSH, LH, estradiol, testostérone, Inhibine B et AMH) dans l'hypothèse d'une tumeur des cordons sexuels. Le dosage de la calcémie est également essentiel, car l'hypercalcémie doit faire évoquer un carcinome à petites cellules hypercalcémiant de l'ovaire.

Du fait du risque de dissémination, la biopsie est formellement contre-indiquée dans les tumeurs ovariennes localisées.

En dehors de la situation d'urgence, il est essentiel avant tout geste chirurgical de discuter en RCP, si possible mixte oncogynécologique et pédiatrique, de la stratégie thérapeutique en intégrant dans le processus décisionnel les éléments cliniques, radiologiques et biologiques discutés ci-dessus.

Intervention chirurgicale ? À quel moment ?

La chirurgie est une étape indispensable du traitement. En dehors des situations d'urgence citées ci-dessus, sa temporalité dépend de l'extension tumorale. La chirurgie première est la règle si la tumeur est localisée.

En cas d'imagerie compatible avec une tumeur bénigne de l'ovaire, de type tératome mature et en l'absence d'élévation des marqueurs tumoraux et d'anomalie du bilan hormonal, le geste sera autant que possible conservateur du parenchyme ovarien, par kystectomie ou tumorectomie.

En cas de suspicion de malignité, le traitement sera non conservateur de l'ovaire primitivement atteint. L'exérèse de la lésion primitive sera réalisée par ovariectomie ou annexectomie unilatérale en prenant garde de ne pas rompre la tumeur en per-opératoire.

Une exploration du péritoine sera systématiquement réalisée afin d'analyser l'ensemble de la cavité abdominale et s'assurer de l'absence de lésions secondaires. Une cytologie péritonéale première sera effectuée et toute lésion péritonéale suspecte biopsiée. La stadification péritonéale est en effet un élément majeur pour la décision d'un potentiel traitement adjuvant. Aucun geste ganglionnaire systématique ne sera réalisé.

Place de la chimiothérapie

L'indication de chimiothérapie pour les tumeurs germinales malignes et les tumeurs des cordons sexuels (granulosa juvénile et Sertoli-Leydig) dépend de la stadification tumorale.

Une tumeur ovarienne localisée opérée d'emblée par ovariectomie ou annexectomie unilatérale, sans rupture pré ou per opératoire et sans dissémination péritonéale (cytologie négative et aucune lésion suspecte péritonéale constatée en peropératoire), classée FIGO-IA, ne nécessitera pas de chimiothérapie adjuvante. Une surveillance étroite sera proposée associée à de la chimiothérapie en cas de rechute, avec une très bonne chance de contrôle tumoral. À noter, que ceci est discuté pour les tumeurs de Sertoli-Leydig peu différenciées, de mauvais pronostic, en cas de récidive.

En cas de maladie disséminée, une chimiothérapie adjuvante sera proposée dont le type et le nombre de cures (trois à quatre) sera discuté en fonction du stade et du dosage des marqueurs, en RCP.

Pour les tumeurs à petites cellules hypercalcémiantes, un traitement multimodal est d'emblée recommandé, y compris pour les stades IA du fait de leur extrême agressivité et de leur pronostic particulièrement sombre. Il associe chirurgie non conservatrice, chimiothérapie/haute dose et radiothérapie. Actuellement, est testé l'ajout d'une immunothérapie.

Pronostic sur le long terme ? Préservation de la fertilité ?

Les tumeurs germinales sont de très bon pronostic, découvertes en majorité à un stade précoce.

L'analyse des résultats de la dernière étude pédiatrique française TGM2013 montre une survie globale à 5 ans, supérieure à 90 % pour les tumeurs de bas risque (FIGO-IA), et autour de 70-80 % pour celles à plus haut risque.

Les tumeurs des cordons sexuels sont beaucoup plus agressives et moins chimio-sensibles. Par conséquent, il est indispensable qu'une prise en charge standardisée ne grevant pas le pronostic initial soit réalisée, pour éviter toute dissémination péritonéale per-opératoire.

La préservation de la fertilité est une préoccupation majeure, conduisant à proposer une chirurgie conservatrice de l'utérus et de l'ovaire controlatéral. Les indications de chirurgie non conservatrice sont exceptionnelles chez l'adolescente et nécessitent une discussion en comité expert.

Au décours du traitement, du fait de l'ovaire unique restant, du risque d'atteinte controlatérale (quel que soit le processus étiologique) et de la toxicité gonadique potentielle de la chimiothérapie, nous recommandons la réalisation d'un bilan de réserve ovarienne et la discussion d'une préservation secondaire de fertilité par recueil d'ovocytes. Avant toute stimulation ovarienne, un avis en RCP est nécessaire pour s'assurer de l'absence de contre-indication.

Take Home Messages

• Les tumeurs ovariennes chez l'adolescente, bien que rares, nécessitent une prise en charge multidisciplinaire spécialisée et individualisée afin de préserver au mieux leur fertilité.

• Elles sont en majorité représentées par les tumeurs germinales.

• Leur diagnostic repose sur des arguments radiologiques et le dosage de marqueurs tumoraux.

• Leur stade précoce de découverte et leur bonne réponse thérapeutique leur permettent d'obtenir un taux de survie élevé.

 

Solène MERLANT
Interne de 4ème semestre de Pédiatrie
Paris

Dr Brice FRESNEAU
Institut Gustave-Roussy,
Département de cancérologie de l'enfant et de l'adolescent
Villejuif

Références

1. Duhil de Bénazé G, Pacquement H, Faure-Conter C, et al. Paediatric dysgerminoma: Results of three consécutive French germ cell tumours clinical studies (TGM-85/90/95) with late effects study. Eur J Cancer. 2018 ;91 :30-37. doi: 10.1016/j.ejca.2017.11.030.

2. Pavone R, Dijoud F, Galmiche L, et al. Pure pediatric ovarian immature teratomas: The French experience. Pediatr Blood Cancer. 2020 ;67(4): e28186. doi :10.1002/pbc.28186.

3. https://www.ovaire-rare.org/

4. Fuentes, Clemence et al. “Oncological and endocrinological outcomes for children and adolescents with testicular and ovarian sex cord-stromal tumors. Results of the TGM13 National Registry.” Pediatric blood & cancer vol. 71,4 (2024) : e30864. doi :10.1002/pbc.30864.

5. Schneider DT, Orbach D, Ben-Ami T, et al. Consensus recommendations from the EXPeRT/PARTNER groups for the diagnosis and therapy of sex cord stromal tumors in children and adolescents. Pediatr Blood Cancer. 2021 ;68 Suppl 4 : e29017. doi :10.1002/pbc.29017.

6. Fresneau B, Orbach D, Faure-Conter C, et al. Sex- Cord Stromal Tumors in Children and Teenagers : Results of the TGM-95 Study. Pediatr Blood Cancer. 2015 ;62(12) :2114-2119. doi :10.1002/pbc.25614.

7. Faure-Conter, C., Orbach, D., Sudour-Bonnange, H., Verité, C., Mansuy, L., Rome, A., Dumesnil, C., Thebaud, E., Renard, M., Hameury, F., Flechon, A., Blanc, E., Dijoud, F., Fresneau, B., & Chabaud, S. (2023). Extracranial germ cell tumours in children and adolescents : Results from the French TGM13 protocol. Pediatric blood & cancer, 70(3), e30117. https://doi.org/10.1002/pbc.30117.

 

Publié le 1729522071000