Actualités : Tumeur borderline de l’ovaire - Interview du Dr Bentivegna

Publié le 21 juil. 2025 à 11:13
Article paru dans la revue « AGOF / Le Cordon Rouge » / AGOF N°27

Bonjour Dr Bentivegna, et merci de nous accorder votre temps !
Vous êtes chirurgienne gynécologue à l'Hôpital européen Georges Pompidou et experte dans la prise en charge des tumeurs borderline de l'ovaire. Ces tumeurs, bien que rares, surviennent en moyenne autour de 40 ans et présentent un excellent pronostic lorsqu'elles sont diagnostiquées à un stade précoce, avec un taux de survie proche de 100 %. Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer en quoi les tumeurs ovariennes borderline se distinguent des tumeurs ovariennes invasives ?

 

Merci beaucoup à l'AGOF de m'avoir conviée à échanger sur ce sujet qui me passionne depuis de nombreuses années ! Effectivement, ce type de tumeur survient chez des patientes jeunes, avec une moyenne d'âge de 40 ans, soit 10 ans d'avance par rapport à la survenue d'une lésion de type invasive. Il s'agit d'une lésion qui est de très bon pronostic, voire excellent, autour de 100 % lorsque diagnostiquée à un stade précoce, mais cela reste également vrai pour les stades plus avancés. Par exemple, pour un stade III, on observe un pronostic/survie supérieur à 90 % à 10 ans.

Comme je l'explique à mes patientes, la tumeur borderline présente des caractéristiques intermédiaires entre les lésions malignes et bénignes. De la lésion bénigne, elle prend la caractéristique de ne jamais être létale par le biais des métastases ou des lésions non traitables, et de la lésion maligne, elle prend la capacité de pouvoir récidiver. Ainsi, bien qu'elle puisse récidiver, la tumeur borderline n'engage pas le pronostic vital de la patiente et il y a toujours un traitement à proposer. De même, ce traitement sera toujours un traitement chirurgical et, à la différence des tumeurs malignes, il n'y aura pas d'indication de réaliser une chimiothérapie ou une thérapie ciblée.

Dans le parcours diagnostique des tumeurs borderline, quels rôles jouent la clinique, l'imagerie et l'anatomopathologie ? Pourriez- vous nous guider à travers les étapes clés de l'évaluation diagnostique ?
Tout d'abord, au sein des tumeurs borderline, nous différencions deux types histologiques principaux : le type mucineux et le type séreux.
Le type séreux est le plus fréquent, souvent de petite taille avec des lésions exophytiques, et il a la caractéristique d'être bilatéral au niveau des ovaires ou de donner des localisations péritonéales (implants non invasifs ou invasifs). Lorsque les localisations péritonéales de la tumeur ovarienne borderline séreuse ont des caractéristiques invasives, il faut les considérer comme un adénocarcinome séreux de bas grade de l'ovaire, entrant ainsi dans la classification des tumeurs malignes invasives. Pour la tumeur borderline séreuse avec des implants non invasifs, ces implants peuvent être classés en implants épithéliaux ou desmoplastiques. Une autre caractéristique importante de la tumeur borderline séreuse est la présence d'une composante micropapillaire qui indique un potentiel prolifératif accru et donc un risque plus élevé de récidive.

Le type mucineux est l'autre type histologique borderline le plus fréquent et fait partie d'un groupe de pathologies mucineuses où il représente une sorte d'étape intermédiaire entre la transformation de lésions mucineuses bénignes en lésions mucineuses malignes. La tumeur mucineuse borderline est quasi toujours une lésion unique, localisée à un seul ovaire, très souvent de grande taille, ce qui va guider la stratégie thérapeutique (indication fréquente de laparotomie). Ces lésions sont très difficiles à classer car il se pose la question du diagnostic différentiel avec une lésion d'origine digestive, et en raison de leur grande taille, un échantillonnage anatomo- pathologique exhaustif de la pièce est essentiel.

Il est donc très important de demander une relecture systématique pour toutes les tumeurs borderline mucineuses au centre expert d'anatomopathologie. Pour les tumeurs borderline séreuses, une relecture est systématique uniquement si elles présentent des caractéristiques péjoratives, comme la présence d'implants ou d'une composante micropapillaire.

La découverte d'une tumeur borderline séreuse est souvent fortuite, lors d'une échographie de routine ou d'un bilan pour infertilité. À l'inverse, la tumeur mucineuse borderline est souvent repérée en raison d'une augmentation progressive du volume abdominal, une présentation classique étant la patiente remarquant qu'elle ne peut plus fermer son pantalon.

Toute masse ovarienne suspecte doit être évaluée dans un centre de référence, conformément aux recommandations de prise en charge des cancers gynécologiques. L'imagerie est donc relue systématiquement en RCP pour déterminer ses caractéristiques et permettre un diagnostic radiologique assez précis du type de tumeur borderline. Elle permet ainsi d'orienter le diagnostic, mais la confirmation reste anatomopathologique.

 

Dans le cadre de la prise en charge chirurgicale, quels sont les objectifs principaux de l'intervention ? Est-ce que tous les patients doivent systématiquement passer par la chirurgie ?
Le traitement de toutes les tumeurs suspectes d'être borderline repose entièrement sur la chirurgie. Si ces lésions ne sont pas opérées et restent en place, elles évoluent : la tumeur séreuse peut se disséminer dans le péritoine et la tumeur mucineuse peut poursuivre sa transformation en lésion invasive.

L'étape chirurgicale est l'étape princeps de la prise en charge des tumeurs borderline, et la planification de l'intervention repose sur un équilibre subtil entre l'exérèse complète de la maladie et la préservation de la fertilité des patientes jeunes.

En fonction de l'atteinte ovarienne, différentes stratégies peuvent être adoptées : une kystectomie pour retirer la lésion tout en conservant le tissu ovarien sain, ou une annexectomie lorsque l'ovaire est entièrement compromis.

L'annexectomie bilatérale n'est pas systématiquement recommandée, car elle impacte la fertilité et l'état hormonal des patientes. Le fait de réaliser une kystectomie uni- ou bilatérale n'influence pas la survie globale, mais permet la préservation de la fertilité.

En revanche, une stadification péritonéale est essentielle, notamment pour les tumeurs séreuses, en raison de leur potentiel de dissémination. Cette stadification repose sur la cytologie péritonéale, des biopsies péritonéales multiples et une omentectomie infracolique. Enfin, on rappelle qu'il n'y a pas d'indication de réaliser une hystérectomie, car cela n'améliore ni la survie ni le risque de récidive.

Y a-t-il des spécificités dans la stratégie chirurgicale en fonction du sous-type de tumeur ?
Effectivement, là encore, on distingue la prise en charge des tumeurs séreuses et mucineuses : Comme nous l'avons dit, les tumeurs séreuses sont souvent localisées aux deux ovaires, et l'approche peut inclure une annexectomie d'un côté et une kystectomie de l'autre, voire une double kystectomie. Conserver les ovaires n'affecte pas la survie globale de la patiente, mais augmente le risque de récidive (de 0 à 10 % après annexectomie bilatérale à 30 % après kystectomie). Toutefois, ces récidives sont toujours traitables chirurgicalement, comme nous l'avons déjà mentionné.

En ce qui concerne les tumeurs mucineuses, elles sont généralement volumineuses et uni- latérales, ce qui nécessite plus souvent une annexectomie du côté atteint, avec préservation de l'ovaire controlatéral.

Ainsi pour les patientes plus jeunes, souvent désireuses de préserver leur fertilité, comment adaptez-vous la prise en charge ?
Chez les patientes jeunes, la question de la préservation de la fertilité doit toujours se poser, et la chirurgie mini-invasive est à privilégier, sauf pour les tumeurs mucineuses borderline les plus volumineuses, qui nécessitent une laparotomie médiane. Cette stratégie est particulièrement indiquée en cas de récidive.

Il est essentiel de réaliser un bilan d'imagerie préopératoire, notamment une IRM abdominopelvienne, qui permet, en cas de tumeurs séreuses borderline, d'évaluer la quantité et la qualité du parenchyme ovarien restant. Concernant les marqueurs tumoraux, le dosage du CA125, CA19-9 et ACE est recommandé, mais il n'y a pas d'indication à doser d'autres marqueurs, comme par exemple ceux des tumeurs non épithéliales.

En cas de récidive chez une jeune patiente, le dosage de l'AMH peut être utile pour évaluer la balance entre préserver un parenchyme ovarien malade ou éviter une intervention non bénéfique pour la fertilité.

Pour conclure, quels conseils donneriez-vous aux jeunes gynécologues qui rencontrent un cas de tumeurs borderline de l'ovaire ?
Face à une suspicion de tumeur borderline, il est crucial de ne pas se précipiter dans la prise en charge de la patiente. Ces lésions évoluent lentement, il est donc recommandé de :

Demander un avis auprès d'un centre expert pour la relecture de l'imagerie.

Réaliser une chirurgie dans un centre spécialisé, garantissant aussi une analyse anatomopathologique précise.

Éviter de réaliser une chirurgie radicale (annexectomie) d'emblée chez les patientes jeunes, même en cas de doute sur une lésion maligne de l'ovaire. Il est essentiel d'être conservateur sur l'utérus, évidemment, mais aussi sur au moins un des deux ovaires ainsi que de faire la stadification en même temps, et non pas de devoir programmer une intervention de rattrapage pour de la stadification.

La prise en charge chirurgicale doit se dérouler en deux temps : on enlève la lésion de façon intacte tout en faisant la stadification. En cas de tumeur mucineuse volumineuse, il faut savoir éviter la kystectomie, qui expose à un risque de rupture tumorale. L'appendicectomie peut également être nécessaire pour distin- guer une lésion mucineuse ovarienne d'une origine digestive. En fonction des résultats de l'analyse anatomopathologique et après discussion en RCP et avec la patiente, une seconde intervention peut être nécessaire.

Enfin, il est impératif d'enregistrer toutes les tumeurs borderline dans les bases de données nationales. Le site dédié permet à la fois une relec- ture en RCP TMRG mais aussi de constituer une base solide pour des études futures sur ces lésions rares (https://www.ovaire-rare.org/Default.aspx)

Radostina VASILEVA
Pour l'AGOF

Publié le 1753089222000