Soirée oncologie digestive : questionsréponses
Quelle est l’épidémiologie de ces tumeurs ?
Les cancers des voies biliaires en France touchent entre 2000 et 4000 patients par an, avec un âge médian d’environ 75 ans. L’incidence augmente, surtout pour les cholangicarcinomes intra-hépatiques (iCCA). Les altérations moléculaires ciblables sont plus fréquentes chez le patient jeune, particulièrement avec les altérations de FGFR (fibroblast growth factor receptors) qui concernent plus volontiers la femme jeune. Cela reste une tumeur rare mais avec un pronostic qui reste sombre (7 % de survie à 5 ans tout stade confondu)
Quelle est la place de l’endoscopie réalisée par le gastro-entérologue ?
L’endoscopie a deux objectifs : diagnostique (en permettant notamment la réalisation de prélèvements) et thérapeutique. Devant une sténose biliaire par exemple, l’endoscopie permettra de faire des prélèvements à visée diagnostique et potentiellement à visée de drainage biliaire par pose de prothèse. Les diagnostics différentiels des cholangiocarcinomes sont principalement les sténoses post-opératoire, les cholangites à IgG4, les cholangites sclérosantes primitives et les cholangites ischémiques. La preuve histologique est le déFIdiagnostique de l’endoscopiste. Les explorations conventionnelles concernent : la CPRE (cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique) +/le brossage ou la biopsie endo-biliaire. À garder en tête que la combinaison des deux techniques (brossage et biopsie endo-canalaire lors de la CPRE) a une sensibilité de seulement 60 %. L’échographie endoscopique hépatique est l’examen permettant la meilleure visibilité morphologique de la tumeur. Des biopsies peuvent également être réalisées lors de cet examen. Des explorations plus avancées comme la cholangioscopie se développent dans le domaine de l’endoscopie digestive et permet une visualisation directe des parois biliaires et un meilleur guidage des biopsies. Le matériel prélevé reste de faible volume.
Lorsque le cholangicarcinome est connu, se pose alors la problématique du traitement par drainage biliaire. L’endoscopie a alors toute sa place même en phase palliative.
Différentes voies d’abord sont possibles. En fonction de la localisation de la sténose biliaire, le drainage peut être trans-papillaire, par abord percutané sous contrôle radiologique, ou par abord trans-hépatique, trans-duodénal ou encore trans-gastrique lors d’une ponction sous écho-endoscopie.
Les perspectives en endoscopie sont le développement d’outils d’assistance à la navigation comme la modélisation des voies bilio-pancréatiques, le design et la validation d’instruments actifs de nouvelle génération et le trekking et monitoring en temps réel des instruments.
Quelle est la prise en charge des stades localisés ?
Au-delà des considérations anatomiques spécifiques des différentes localisations tumorales, l’objectif de la chirurgie est d’obtenir une résection chirurgicale avec des marges R0 tout en préservant un volume de foie restant adéquat. Toutefois, même après résection R0, la survie à 5 ans ne dépasse pas 5-10 % en cas de cancer vésiculaire et 10-40 % en cas de cholangiocarcinome.
En adjuvant, une première étude comparant le GEMOX à la surveillance seule n’avait pas montré de bénéfice. L’essai britannique BILCAP a randomisé 447 patients entre chimiothérapie adjuvante par capécitabine (8 cycles soit 24 semaines) et surveillance seule (Primrose 2019). La tolérance était bonne, sans effet délétère sur la qualité de vie. Le bénéfice en survie globale (critère de jugement principal) n’a pas atteint la significativité statistique en analyse primaire (médiane : 51,1 vs. 36,4 mois ; HR : 0,81 ; p=0,097), mais l’a atteint après ajustement selon le sexe, le statut ganglionnaire et le grade histologique. Il s’agit du gold-standard aujourd’hui.
Quelle est la prise en charge à ce jour au stade métastatique ?
Au stade avancé ou métastatique, le traitement repose avant tout sur des associations de chimiothérapies.
Le traitement de première ligne est une association par cisplatine à petites doses et gemcitabine (CISGEM), qui a montré sa supériorité à la gemcitabine seule dans l’essai ABC-02 publié en 2010. Le Gemox est une option chez les patients non éligibles au cisplatine. Le FOLFIRINOX a échoué à montrer sa supériorité au cisplatine dans l’essai français AMEBECA. En 2ème ligne, une chimiothérapie par FOLFOX est un standard depuis l’essai ABC06 qui comparait cette association de chimiothérapie aux soins de support exclusifs. Le bénéfice en survie globale, bien que significatif, était modeste dans cette étude, soulignant le besoin de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques dans ces cancers. D’autres schémas de chimiothérapie ont été essayés en seconde ligne mais aucun n’est actuellement clairement validé.
Deux nouvelles armes thérapeutiques ont fait leur apparition dans la prise en charge de ces cancers. La première est l’immunothérapie. L’essai TOPAZ-1, qui comparait l’association CISGEM+Durvalumab (anti-PD-L1) au CISGEM seul en première ligne a montré un bénéfice en survie globale, et ce schéma devient dès lors un standard, au moins théorique, de première ligne. Autorisé par la FDA, les discussions sont en cours au niveau européen et français. Les résultats d’un essais similaire mais avec le pembrolizumab en association au CISGEM sont en attente.
La seconde est la thérapie ciblée, guidée par la biologie moléculaire, détaillée juste après.
Il est à noter que ces thérapies ne concernent malheureusement par la majorité des patients. Dans une étude récente portant sur les données de PMSI, 60 % des patients pris en charge en France pour un cholangiocarcinome intra-hépatique (iCCA) recevaient des soins de support exclusif d’emblée dans leur prise en charge.
Quelle est la place de la biologie moléculaire ?
La biologie moléculaire (Testing ADN et ARN (pour la recherche de fusions de gènes)) prend une place centrale dans la prise en charge de ces tumeurs depuis la mise en évidence de nombreuses altérations ciblables en thérapeutique. Elle doit être réalisée dès la première ligne. Cela est parfois difficile car le matériel tissulaire est souvent limité car ces tumeurs sont peu accessibles.
Parmi les anomalies les plus fréquentes, on trouve :
- Les mutations d’IDH1. Quasi exclusivement dans les iCCA. Ciblables en thérapeutique par l’Ivosidenib (Etude de phase III ClarIDHy). Traitement oral, bien toléré, accessible actuellement en accès précoce.
- Les fusions de FGFR2. Il existe des mutations et des fusions. Les fusions nécessitent une analyse ARN. Il convient de les rechercher même en l’absence de mutation retrouvée. Les fusions sont retrouvées majoritairement chez les femmes, jeunes et les cholangiocarcinomes intra-hépatiques. Ciblables par le Pemigatinib, un inhibiteur de FGFR 2. Thérapie par voie orale, également accessible en France.
Effets secondaires : dysphosphorémie (peu de données sur leur impact clinique), décollement séreux de rétine (en pratique : transitoires, pouvant diminuer spontanément ou à la diminution de dose, ne laissant qu’exceptionnellement des séquelles), toxicité unguéale, syndrome main-pied et sécheresse oculaire.
D’autres inhibiteurs sont développés, comme le futibatinib, récemment autorisé aux USA ou le RLY récemment présenté à l’ESMO. Un des enjeux est de surmonter la résistance secondaire, qui est polyclonale, contrairement à celle rencontrée avec les inhibiteurs d’EGFR dans les cancers bronchiques, et donc qui représente un challenge en thérapeutique.
- Les mutations de BRAFV600E : ciblables par l’association dabrafenib + trametinib, d’après les données de l’essai de phase 2 ROAR. Non accessible en théorie en France dans cette indication mais faisable en pratique car le traitement est accessible en ville.
- HER2 : Il existe des données sur l’association trastuzumab
+ pertuzumab (essai de phase 2 My Pathway), le neratinib et, plus récemment, le trastuzumab deruxtecan (essai Herb). Aucun n’est autorisé en routine. Il faut favoriser l’inclusion de ces patients dans des essais cliniques. L’utilisation d’une association chimiothérapie + trastuzumab est réalisée dans certains centres en off label.
- MSI/d-MMR : Les données de la Keynote-158 montraient des taux de réponse très intéressants avec le Pembrolizumab dans cette population.
- KRAS G12C : Des premières données sont intéressantes avec les inhibiteurs de KRAS G12C. Plusieurs essais sont en cours. Des inhibiteurs actifs sur d’autres mutations sont en développement.
- NTRK (fusion très rare) : Le Larotrectinib et l’entrectinib, des inhibiteurs de TRK ont une AMM européenne tumeur-agnostique dans les cancers avec fusion de NTRK. Ils ne sont cependant pas remboursés et donc non accessibles en France. Ces patients peuvent en revanche être inclus dans les essais cliniques.
Quelles perspectives pour 2023 et après ?
Nous pouvons suggérer plusieurs perspectives :
- Avancée dans les lignes ? Plusieurs essais sont en cours. Certains essais, notamment avec les inhibiteurs de FGFR2 ont du mal à recruter.
- Meilleure compréhension des mécanismes de résistance.
- Développement de nouveaux inhibiteurs.
- Ciblage de nouvelles cibles thérapeutiques. 3. Accessibilité sur le territoire et remboursement du diagnostic moléculaire et des nouvelles thérapeutiques.
LE PROGRAMME DES FORMATIONS DE LA RENTRÉE ET LES PROJETS À VENIR
Les soirées de formation continuent de plus belle !
À raison d’environ une session par mois, ce sont des intervenants experts de chaque pathologie, qu’ils soient oncologues médicaux/radiothérapeutes, chirurgiens, anatomopathologistes, radiologues qui viennent nous faire part de leur expérience, des avancées actuelles de leur domaine en complétant la formation à la fac et à l’hôpital.
Sous forme de cas cliniques interactifs ou de cours magistraux, le contenu dépend du sujet traité. Les soirées se déroulent en général à Paris en présentiel mais sont disponibles pour la plupart en retransmission en direct via Zoom. L’occasion d’apprendre, de se rencontrer mais aussi de discuter avec nos confrères internes d’autres spécialités !
Nous avons déjà réalisé en octobre une soirée sur les cancers des voies biliaires en partenariat avec l’AFIHGE (association des jeunes gastro-entérologues).
Les soirées sont enregistrées et seront ensuite publiées pour nos adhérents sur notre site internet.
Pour le programme de cette année riche en formation :
- Début décembre 2022 : Soirée autour de la médecine nucléaire dans le Cancer de la prostate : Indications diagnostiques et thérapeutiques, focus autour du Lu-PSMA. En collaboration avec l’ANAIMEN (association des jeunes nucléaristes).
L Mi-décembre 2022 : Soirée onco-dermatologie en partenariat avec la FDVF (jeunes dermatologues).
- Janvier 2023 : Soirée onco-rhumatologie : prise en charge des métastases osseuses, effets indésirables rhumatologiques de l’immunothérapie, prise en charge de l’ostéoporose chez le patient oncologique. En partenariat avec la REF (association des internes en rhumatologie).
- Février 2023 : Soirée onco-neurologie : prise en charge des localisations secondaires cérébrales. Focus sur le glioblastome.
- Mars 2023 : Soirée onco-gynécologie : Cancer du col de l’utérus localisé et métastatique. Stratégies thérapeutiques. Focus prévention primaire.
- Avril 2023 : Soirée onco-radiologie : Techniques innovantes de radiologie interventionnelle. Modalités d’évaluation radiologique en oncologie.
- Mai 2023 : Soirée oncofertilité : modalités de préservation de fertilité, estimation du risque, contraception.
Ce planning peut être amené à être modulé d’ici la fin de l’année. D’autres projets sont également en cours et des informations les concernant arriveront au compte-goutte.
Pour le programme des autres soirées à venir, n’hésite surtout pas à nous contacter si un sujet t’intéresse particulièrement et que tu trouves pertinent qu’on en fasse une soirée !
Baudouin COURTIER
Paul MATTE
Julie BECLIN
Article paru dans la revue “ Internes en Oncologie” / AERIO N°04