Soirée oncologie et psychiatrie : question-réponse

Publié le 10 May 2022 à 21:07


Ce question-réponse fait suite à la soirée de formation de mars 2021

Je suis face à un patient triste en consultation. Quand dois-je penser à un syndrome dépressif caractérisé / une dépression ?

Il faut tout d’abord essayer d’en savoir un peu plus sur l’histoire récente du patient. La temporalité des symptômes dépressifs est importante. Les symptômes dépressifs sont-ils réactionnels à un évènement aigu récent (comme une annonce, un évènement familial ou personnel) ? Dans ce cas les symptômes peuvent être transitoires et normaux, s’intégrant dans un processus normal d’adaptation suite à évènement dépressif difficile. Il faut s’interroger sur un syndrome dépressif caractérisé en cas de persistance des symp-tômes dépressifs pendant plus de 2 semaines et devant une altération du fonctionnement du patient dans sa vie personnelle, professionnelle ou familiale.

Les symptômes physiques de la dépression comme l’asthénie, l’anorexie, la perte de poids ou même les troubles du sommeil sont à interpréter avec précaution en psycho-oncologie. En effet, ces symptômes peuvent se recouper avec ceux de l’altération de l’état général due à la pathologie oncologique ou à ses traitements (avec la chimiothérapie notamment). Les symptômes les plus spécifiques sont une tristesse de l’humeur associée à des cognitions négatives dépressives, comme une auto-dévalorisation ou une culpabilité, ainsi que la perte des envies et du plaisir au quotidien entrainant un désinvestissement des activités habituelles.

Il faut par ailleurs s’assurer du contrôle de la douleur et ne pas hésiter à adapter ou faire adapter le traitement antalgique avant de réévaluer la thymie du patient.

Je revois mon patient en consultation après 2 semaines et il passe toujours la majeure partie de sa journée au lit, mange peu et rapporte Aune asthénie importante. Je pense donc au diagnostic d’épisode dépressif majeur, puis-je débuter un antidépresseur sans avis psychiatrique ?

Un avis n’est pas nécessaire si le tableau clinique est évident et la situation simple. En l’absence de facteur de gravité de la dépression (idées suicidaires, symptomatologie mélancoliforme) et si le patient doit être revu régulièrement par son oncologue, unsion (idées suicidaires, symptomatologie mélancoliforme) et si le patient doit être revu régulièrement par son oncologue, untraitement antidépresseur peut être prescrit. En cas de doute diagnostique, un avis psychiatrique semble indiqué, pour confirmer le diagnostic et choisir une prescription adaptée d’antidépresseur. De plus, un avis psychiatrique est nécessaire chez tout patient avec une pathologie psychiatrique chronique ou devant des antécédents de dépression. Enfin, en casA d’antécédent ou de protocole de traitement limitant la possibilité de choix de molécules, un avis du psychiatre, en plus de l’avis des autres spécialistes concernés, peut aider.

Quels antidépresseurs prescrire en première intention et pour combien de temps ?
La classe à privilégier est celle des inhibiteurs de recapture de la sérotonine (ISRS) comme l’Escitalopram (SEROPLEX®), la Sertraline (ZOLOFT®) et le Citalopram (SEROPRAM®). Ce dernier peut avoir son utilité car peut être utilisé son forme IV. Il convient de toujours commencer par la dose minimale et d’augmentation jusqu’à la dose minimale efficace. Le traitement doit être pris jusqu’à la disparition des symptômes dépressifs et pendant au moins 6 mois qui suivent pour prévenir de la rechute. En cas de doute sur la pertinence du maintien d’un traitement antidépresseur sur un plus long cours, un avis psychiatrique est indiqué, comme devant des antécédents multiples de dépression ou d’autres comorbidités psychiatriques.

Certaines situations spécifiques peuvent orienter le choix de la molécule.

Comme dit ci-dessus, chez un patient dont la voie orale/entérale est impossible ou risque de l’être (cancer ORL par exemple), le Citalopram peut être une bonne option car convertible en voie IV. En cas de douleur neuropathique, l’utilisation d’IRSNA (Duloxetine) peut permettre d’agir sur les plans thymique et antalgique. 

Chez les patients en perte de poids, on pourra privilégier des molécules comme la Paroxétine, la Miansérine ou la Mirtazapine qui sont orexigènes.

Au contraire, chez des patients chez qui on veut limiter la prise de poids, on pourra privilégier la Fluoxétine ou la Setraline.

En cas d’insuffisance rénale, on utilise la Sertraline.

Au fait, y-a-t-il des contre-indications aux antidépresseurs en oncologie ?
Les antidépresseurs peuvent altérer le métabolisme des chimiothérapies en interagissant avec les systèmes cytochromiques (P450, P3A4…). Une interaction classique est celle de la Paroxétine (DEROXAT®) et de la Fluoxétine (PROZAC®) avec le Tamoxifène, qui sont donc à éviter dans ce cas. Il convient de toujours vérifier les interactions. De plus, si le patient est en cours de traitement dans un essai clinique, il ne faut pas hésiter à aller chercher l’information dans le protocole de l’essai.

Quelle est la place du psychologue ?
Une évaluation psychologique est pertinente en cas de symptômes anxieux ou dépressifs légers, qui sont fluctuants donc non présents tous les jours, ne rentrant ainsi pas dans le diagnostic de syndrome dépressif caractérisé. De plus, cela peut s’envisager devant tout mal-être exprimé en lien avec la pathologie oncologique et son traitement. Cela convient parfaitement devant une détresse qui persiste après une annonce de progression, d’arrêt de traitement curatif ou pour accompagner le patient lors d’une prise en charge lourde. À noter que votre écoute et accompagnement en tant qu’oncologue, d’autant plus en tant que référent, a une importance primordiale pour le patient et ne doit pas être minimisée ou remplacée par une prise en charge psychologique.

Dr Pascal Rouby, psychiatre à l’Institut Gustave Roussy
Timothée Lacombe, interne en psychiatrie
Matthieu Delaye, interne en oncologie
Article paru dans la revue “Association pour l'Enseignement et la Recherche des Internes en Oncologie” / AERIO n°02

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