Sélection d’articles marquants, revue de presse

Publié le 10 Oct 2023 à 16:32

 

Oncologie néphrologie

Par Elise DOMINJON

Article commenté : Revue systématique des protocoles d’hydratation et impact de la supplémentation de magnésium sur la prévention de la néphrotoxicité du cisplatine publié par Juanjuan et al, Clinical and Experimental Nephrology, août 2023.

Les diminutions de dose de cisplatine sont majoritairement dues à sa toxicité rénale.

Le cisplatine est éliminé par voie urinaire. Il s’accumule dans les cellules tubulaires rénales en y entrant via les récepteurs Ctr1 et OCT2. La formation d’adduits, c’est-à-dire des ponts inter ou intra-brin d’ADN (ADN-platine-ADN) par le cisplatine se fait au niveau de l’ADN notamment mitochondrial qui a des capacités réduites de réparation. Les cellules tubulaires ont une densité importante de mitochon dries expliquant une sensibilité particulière au cisplatine.

La fuite de magnésium rénale est un des premiers marqueurs de la toxicité tubulaire induite par cette chimiothérapie. Le cisplatine bloque également l’absorption gastrique du magnésium. Ces 2 mécanismes provoquent des hypomagnésémies importantes. Certaines études (Cf. sources) ont montré que le magnésium et le calcium sont impliqués dans le fonctionnement des transporteurs actifs d’efflux du cisplatine des cellules tubulaires rénales. Les hypomagnésémies augmentent donc la concentration du cisplatine dans les cellules tubulaires et donc leur nécrose et/ou apoptose.

La prévention de la néphrotoxicité est évidemment primordiale lors de l’utilisation de ce sel de platine. À ce jour, la seule recommandation pour la prévention de la toxicité rénale du cisplatine est l’hyperhydratation pour diminuer la demi-vie, le temps de transport tubulaire et la concentration urinaire du cisplatine. Il n’existe pas de préconisation de volume ou de durée d’hydratation.

Les auteurs présentent leur article en 2 temps : revue des protocoles d’hydratation puis méta-analyse sur l’efficacité de la supplémentation en Mg2+ dans la néphroprotection :

Revue systématique des protocoles d’hydratation

Les auteurs ont sélectionné 33 articles (issus de Cochrane, pubMed et Embrase) publiés avant septembre 2020. Le critère de jugement principal des études devait être la survenue d’une néphrotoxicité induite par le cisplatine. Les patients ont reçution en magnésium quelle que soit la dose et en particulier pour les petites dose (< 40 mg/m2).Les principales limites de cette méta-analyse sont une hétérogénéité importante des études sélectionnées avec un indi-ceI2 de 47 % ainsi que l’inclusion d’études rétrospectives de faible niveau de preuve uniquement.différents protocoles d’hydratation péricisplatine, sans critère de dose.

5 protocoles principaux d’hydratation ont été identifiés dans les études choisies

Hydratation
per os Hydratation
courte Diurèse forcée Hydratation
de bas volume Hydratation
supplémentation
en magnésium : 2 études incluses :
1 randomisée,
1 rétrospective 9 études incluses :
1 prospective et
8 rétrospectives 7 études incluses :
5 rétrospectives,
1 prospective +
1 randomisée 2 études incluses :
2 rétrospectives 13 études incluses :
2 randomisées,
1 prospective et
10 rétrospectives 500 ml minimum
jusqu’au maximum
possible par
le patient Entre 1000 ml
et 2050 ml en 4
à 6H IV Utilisation de
furosémide et/
ou mannitol ou
acétazolamide 1700 ml à 2500 ml
IV et une partie PO Supplémentation
IV avec dose
différente +/-
supplémentation
oral 2 études indiquent
que la voie orale
est aussi sûre que
la voie IV. Toutes concluent
que ce protocole
est sûr même avec
des doses jusqu’à
100 mg/m2 Les conclusions
divergent : absence
de bénéfice,
aggravation
(pour l’étude
randomisée) ou
amélioration de la
toxicité rénale Conclusion :
Ce protocole est
sûr et réalisable
sans sur-risque
rénale. Conclusion : à
l’unanimité, la
supplémentation
permet de
prévenir toxicité
rénale du
cisplatine

 

Méta-analyse concernant la survenue de néphrotoxicité chez les patients hydratés avec ou sans supplémentation de magnésium

Cette analyse inclut 11 études rétrospectives. Le critère de jugement principal était la né-phrotoxicité définie par la diminution du DFG ou diminution de la clairance de la créatinine ou augmentation de la créatinine ou augmentation de l’urée.

L’ensemble des études conclut à une diminution de la toxicité rénale lors de la supplémentation en magnésium quelle que soit la dose et en particulier pour les petites dose (< 40 mg/m2).

Les principales limites de cette méta-analyse sont une hétérogénéité importante des études sélectionnées avec un indi-ceI2 de 47 % ainsi que l’inclusion d’études rétrospectives de faible niveau de preuve uniquement.

Pour conclure, les auteurs présentent la supplémentation en magnésium comme un moyen sûr et peu coûteux pour améliorer la néphroprotection à faire entrer dans les recommandations officielles.

Sources :

- Bodnar L, Wcislo G, Gasowska-Bodnar A, Synowiec A, Szarlej-Wcislo K, Szczylik C. Renal protection with magnesium subcarbonate and magnesium sulphate in patients with epithelial ovarian cancer after cisplatin and paclitaxel chemotherapy: a randomised phase II study. Eur J Cancer. 2008; 44 (17): 2608-14. doi:10.1016/j.ejca.2008.08.005. PubMed PMID:18796350.

- Sobrero A, Guglielmi A, Aschele C, et al. Current strategies to reduce cisplatin toxicity. J Chemother 1990;2:3–7.

Oncologie psychiatrie

Par Adrien ROUSSEAU

Article commenté : Potter AL, Haridas C, Neumann K, et al. Incidence, Timing, and Factors Associated With Suicide Among Patients Undergoing Surgery for Cancer in the US. JAMA Oncol. 2023;9 (3):308–315. doi:10.1001/jamaoncol.2022.6549.

Jusqu’à présent, aucune étude récente n’a évalué l’épidémiologie du suicide chez les patients ayant subi une chirurgie carcinologique, alors qu’un nombre important rapportent des troubles de l’humeur après une chirurgie.

Il s’agit d’une étude observationnelle sur base médico-administrative, avec pour objectifs d’évaluer l’incidence du suicide après une chirurgie carcinologique, examiner la temporalité des suicides et les facteurs de risque associés. Elle repose sur la base de données du SEER (surveillance, epidemiology and end results program), recoupant 18 registres étatsuniens représentant 28 % de la population des USA. Il s’agit de données individuelles, sur les caractéristiques des patients, de leur tumeur, des traitements et des causes de mortalité.

17 cancers ont été sélectionnés (cerveau, sein, col utérin, colon, endomètre, oesophage, rein, larynx, foie, poumon, cavité oral, ovaire, pancréas, pharynx, rectum, estomac, vessie). La période d’intérêt était de 2000 à 2016 et le critère d’inclusion était d’avoir une chirurgie pour un de ces 17 cancers, identifiés par code ICD. Les patients avec de multiples tumeurs étaient exclus. Des ratios de mortalité standardisé (SMR)

ont été calculés et comparés à l’incidence de suicide dans la population générale américaine. La standardisation était sur l’âge, le sexe, l’éthnie et l’année de décès. Pour les patients inclus de 2000 à 2011, un taux de survie globale à 5 ans était calculé par cancer. Une association entre ce taux et la durée médiane au suicide par cancer était étudiée, à l’aide d’une régression linéaire pondérée par le nombre de suicide par site de cancer. Une analyse pour recherche des caractéristiques associée à l’augmentation du risque de suicide était également recherchée, à l’aide d’un modèle

multivarié de Fine & Gray avec risques compétitifs (suicide vs décès d’autre cause). Un facteur d’interaction a été ajouté entre le sexe et le statut marital. La sélection des variables pour le modèle multivarié et le choix d’intégrer un facteur d’interaction ne sont pas justifiés par les auteurs.

L’analyse a porté sur 1 811 397 patients, dont 1494 (0.08 %) sont décédés par suicide. Les patients de moins de 50 ans représentaient environ 20 % de la population et les femmes environ 75 %. Les sujets étaient en majorité caucasiens (81 %), mariés (56 %) et avec un cancer localisé (56.6 %). Le cancer du sein était le plus fréquent (41 %), sans chimiothérapie (63.7 %) et sans radiothérapie (67.8 %). Le registre californien était le plus représenté (39.8 %). L’incidence standardisée du suicide dans cette population était plus élevée que dans la population générale (SMR, 1.29; 95 % CI, 1.23-1.36). Les SMR étaient significativement élevés pour les cancers suivants : cerveau, vessie, colon, rectum, oesophage, larynx, poumon, cavité orale, pharynx, ovaire, pancréas et estomac. Ils n’étaient pas significativement élevés dans les cancers suivants : sein, col utérin, endomètre, rein et foie.

L’incidence standardisée du suicide était inversement corrélée avec le taux de survie à 5 ans, autrement dit plus le pronostic de la tumeur était péjoratif, plus l’incidence de suicide était élevée.

Au niveau du timing du suicide, 3 % survenait dans le premier mois, 21 % dans la première année et 50 % dans les 3 ans suivant la chirurgie. Le temps médian au suicide variait selon la localisation, passant de 11.5 mois pour les tumeurs cérébrales à 78.0 mois. Plus le SMR de suicide était élevé et plus celui-ci intervenait précocement.

Dans l’analyse multivariée, les facteurs associés avec un plus grand risque de suicide étaient : caucasien, âge jeune, sexe masculin, divorcé ou célibataire. Il existait une interaction entre le sexe et le statut marital : les femmes veuves n’avaient pas de risque augmenté par rapport aux femmes mariées, alors que les hommes veufs avaient un risque augmenté par rapport aux hommes mariés. Recevoir une radiothérapie et avoir une chirurgie pour une métastase étaient associés à un risque plus faible de suicide.

Au total, ces résultats sont cohérents avec les facteurs de risque de suicide de la population générale. Les chirurgies carcinologiques sont associées avec une augmentation de l’incidence des suicides. Par ailleurs, plus le cancer associé est grave et plus les suicides sont fréquents et précoces. Le risque particulièrement élevé avec les cancers ORL, et on pourrait y voir un lien avec le caractère délabrant et handicapant de la chirurgie. Les cancers sénologiques et gynécologiques ne sont pas associés à une augmentation de la mortalité par suicide. On pourrait y voir plusieurs explications : bien qu’il y ait eu une standardisation sur le sexe, il s’agit de cancers quasi exclusivement féminins, population qui réalise plus de tentatives mais avec une létalité plus

faible que les hommes. Or ici ce sont les suicides et non les tentatives qui sont mesurés. Une autre explication pourrait être que la dimension « après-cancer » est mieux intégrée dans ces filières de soins, et des soutiens psychologiques pourraient être plus fréquents.

Cette étude présente des limitations. Le reporting n’est pas-parfait : pas de flow-chart, procédure de sélection des variables non décrite, absence de représentation de courbes d’incidences cumulées et absence de mesure des HR risque-spécifique en plus des HR de sous distribution. On peut aussi s’interroger sur la validité externe de la population, composée en majorité de californien et aux 3/4 de femmes (ce qui s’explique par l’absence du cancer de prostate dans les tumeurs étudiées). De plus, la base de données du SEER ne contient pas d’information sur les comorbidités psychiatriques et somatiques qui pourraient influencer le risque suicidaire.

Il s’agit toutefois d’une étude importante dans la prise en charge des patients de chirurgie du cancer, pour laquelle doivent être développées des filières de soins de prise en charge globale.

 

Oncologie urologique

Par Arthur PEYROTTES

Cancer de la prostate localement avancé : prostatectomie, radiothérapie, intensification... Où en sommes-nous ?

Article commenté : How To Manage T3b Prostate Cancer in the Contemporary Era : The Benefits of Surgery ; European Urology Open Science ; 2023

Le cancer de la prostate (CaP) est le cancer le plus fréquent chez l’homme et se situe au troisième rang des décès par cancer. Environ 80 % des cancers de prostate sont diagnostiqués au stade localisé. Parmi eux, le cancer à haut risque représente une entité hétérogène que les différents praticiens doivent savoir prendre en charge. Le pronostic des malades atteints de CaP dépend de paramètres clinique (cT au toucher rectal), biologique (PSA), anatomo-pathologique (score ISUP, anciennement score de Gleason) et radiologique (IRM prostatique). Ces critères permettent de classer les malades selon leur risque de récidive biochimique et d’adapter le traitement à chaque individu.

L’avènement de l’IRM multiparamétrique a permis de mieux caractériser la taille et la localisation des lésions prostatiques, ainsi que de mieux appréhender le risque d’envahissement locorégional. Plus d’un tiers des CaP considérés comme localisés au toucher rectal seraient reclassés T3a (invasion de la capsule prostatique) ou T3b (invasion des vésicules séminales) après IRM. Ces patients présentent donc une maladie localement avancée pour laquelle un traitement curatif reste indiqué. Dans cette situation, la prostatectomie est souvent délaissée au profit de la radiothérapie par crainte d’une résection non carcinologique. Cette « idée reçue » n’est basée sur aucun niveau de preuve. En réalité, la chirurgie apparaît comme une option thérapeutique valide et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, les recommandations françaises (AFU 2022) et européennes (EAU 2023) placent la prostatectomie comme traitement de référence dans le cadre d’une stratégie multimodale. Bien que les patients atteints de CaP localement avancé présentent un risque accru de marges positives et d’envahissement ganglionnaire, ceux traités par chirurgie ont une survie sans maladie à 10 ans comprise entre 80 % et 95 %, en fonction du nombre de critères de mauvais pronostic (ISUP>3, >cT2 et PSA>20ng/mL). Sur la base de ces critères, leur survie ne diffère pas de celle des patients traités par radiothérapie. Par conséquent, la chirurgie ne doit pas être exclue chez des patients bien sélectionnés.

Deuxièmement, la chirurgie est la pierre angulaire du traitement multimodal. Si un traitement complémentaire est né-cessaire après prostatectomie, celui-ci dépend du score ISUP, des marges chirurgicales et de la présence d’un envahisse ment ganglionnaire. Un certain nombre de patients atteints de CaP localement avancé ne présenteront aucun de ces critères et ne recevront jamais de radiothérapie complémentaire. Dans l’étude ARTISTIC – méta-analyse démontrant la non-infériorité de la radiothérapie différée par rapport à la radiothérapie adjuvante chez des patients ayant un risque de récidive élevé – plus de la moitié des patients présentant un seul facteur de risque ne recevaient jamais de radiothérapie, réduisant ainsi significativement les toxicités associées.

Troisièmement, l’étendue locale de la maladie peut être surestimée par l’IRM. Soeterik et al. (2021) ainsi que Draulans et al. (2021) ont rapporté jusqu’à 20 % de «downstaging» entre l’IRM préopératoire et la pièce de prostatectomie. Ne pas proposer de chirurgie dans cette situation reviendrait à priver 1 malade sur 5 d’une option thérapeutique valide.

Enfin, si l’on se penche sur l’alternative que représente la radiothérapie, cette dernière n’est pas dépourvue de limites, notamment en ce qui concerne le choix du traitement à la rechute biologique. Alors que les traitements de rattrapage après chirurgie sont bien codifiés (radiothérapie plus ou moins associée à l’hormonothérapie), l’arsenal thérapeutique de la prise en charge des CaP en récidive initialement traités par radiothérapie est hétérogène et s’accompagne d’une toxicité urinaire et digestive significative. La stéréotaxie semble réduire ces effets indésirables et pourrait jouer un rôle dans cette indication.

Il convient cependant de rappeler que tous les patients atteints d’un CaP localement avancé ne sont pas éligibles à la prostatectomie. L’essai STAMPEDE M0 a récemment démontré que les patients à très haut risque (cN1 ou présentant 2 des 3 critères suivants : PSA>40ng/mL, ISUP>3, >cT2) traités par radiothérapie bénéficiaient d’une amélioration en survie globale d’une intensification par abiratérone (HR 0,60 ; 0,48-0,73 ; p<0,0001). Les données de deux essais similaires (ENZARAD pour l’enzalutamide et ATLAS pour l’apalutamide) devraient venir confirmer ces résultats. Sur le même schéma, des essais d’intensification ont été lancés dans le contexte périopératoire : l’essai PROTEUS (apalutamide en néoadjuvant) et l’essai français SUGAR porté par l’Association Française d’Urologie, qui compare le darolutamide avant et après chirurgie au placebo.

Au total, la prise en charge du CaP localement avancé n’est pas univoque et doit faire l’objet de discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire. La chirurgie garde sa place en particulier dans le cadre d’une stratégie multimodale. Les résultats de l’essai prospectif multicentrique SPCG-15 comparant la radio-hormonothérapie à la chirurgie dans ce contexte sont vivement attendus.

 

Par Arthur PEYROTTES

Résultats à très long terme de l’essai PROTECT : chirurgie, radiothérapie ou surveillance pour le cancer de prostate localisé ?

Article commenté : Fifteen-Year Outcomes after Monitoring, Surgery, or Radiotherapy for Prostate Cancer ; New England Journal Of Medicine ; 2023.

Les résultats à 15 ans de l’essai PROTECT (PROstate TEsting for Cancer and Treatment) ont récemment été dévoilés dans le New England Journal of Medicine. Pour rappel, il s’agit d’un essai clinique prospectif randomisé comparant la prostatectomie, la radiothérapie et la surveillance chez des patients atteints d’un cancer de prostate (CaP) localisé. Plus de 82 000 hommes âgés de 50 à 69 ans ont été screenés sur la base du PSA entre 1999 et 2009 au Royaume-Uni. Un CaP localisé a été diagnostiqué chez 2 664 d’entre eux. Parmi ces derniers, 1 643 ont été inclus, 553 dans le bras chirurgie, 545 dans le bras radiothérapie et 545 dans le bras surveillance (« active monitoring »). La surveillance comprenait un dosage du PSA tous les 3 mois la première année puis tous les 6 à 12 mois. Des examens complémentaires étaient réalisés si le PSA avait augmenté de plus de 50 % sur l’année précédente. Le critère de jugement principal était la mortalité spécifique. Les critères de jugement secondaires correspondaient à la mortalité toute cause confondue, l’apparition de métastase et la progression clinique (critère composite). D’un point de vue démographique, plus d’un tiers des patients inclus présentaient un cancer de prostate de risque intermédiaire ou élevé au moment du diagnostic.

Après une médiane de suivi de 15 ans (11-21 ans), 45 (2,7 %) patients sont décédés de leur cancer : 12 (2,2 %) dans le groupe de prostatectomie, 16 (2,9 %) dans le groupe radiothérapie et 17 (3,1 %) dans le groupe surveillance (p = 0,53). La mortalité globale était répartie de manière homogène entre les groupes avec un total de 356 (21,7 %) décès. 26 (4,7 %) patients du groupe prostatectomie ont développé des métastases, 27 (5,0 %) dans le groupe radiothérapie et 51 (9,4 %) dans le groupe surveillance. Concernant l’initiation d’un traitement médicamenteux, 69 (12,7 %) patients du groupe surveillance ont reçu une hormonothérapie au long cours, 40 (7,2 %) dans le groupe prostatectomie et 42 (7,7 %) dans le groupe radiothérapie. Parmi les 259 hommes (15,8 %) présentant une progression locale, 141 (25,9 %) étaient issus du groupe surveillance, 58 (10,5 %) du groupe prostatectomie et 60 (11,0 %) du groupe radiothérapie. Enfin, au terme du suivi, 61 % des patients initialement randomisés dans le groupe surveillance ont bénéficié d’un traitement curatif contre 90 % et 92 % dans les groupes prostatectomie et radiothérapie.

Concernant la qualité de vie, il n’y avait pas de différence entre les groupes, et ce pour tous les scores utilisés. Au bout de 12 ans de suivi, le taux d’incontinence urinaire et de dysfonction érectiles étaient respectivement de 24 % et de 87 % dans le groupe prostatectomie, 11 % et 83 % dans le groupe surveillance, 8 % et 85 % dans le groupe radiothérapie. Le taux d’incontinence fécale était en défaveur du groupe radiothérapie (12 % contre 6 % pour les groupes surveillance et chirurgie).

Ces résultats appellent plusieurs commentaires.

Premièrement, il semble ne pas y avoir de différence en termes de mortalité par cancer de la prostate entre les différents groupes. Bien que la survenue de métastases, l’ajout d’hormonothérapie et le taux de progression soient significativement en défaveur du groupe surveillance, ces données n’ont pas de traduction en survie spécifique et en survie globale.

Deuxièmement, on pourrait penser que l’essai a inclus en grande majorité des patients à faible risque chez qui la surveillance active est l’option recommandée. En réalité, 28 à 34 % des patients étaient classés à risque intermédiaire ou élevé en fonction des critères de stratification utilisés. Dans les analyses en sous-groupe, les patients à risque intermédiaire ou élevé traités par surveillance ne décédaient pas plus de leur cancer de prostate, que ce soit en comparaison à la chirurgie ou à la radiothérapie.

Par ailleurs, les critères de surveillance (« active monitoring ») diffèrent de ceux dictés par nos recommandations (« active surveillance », à savoir PSA/6 mois, toucher rectal annuel, IRM annuelle et biopsies anniversaires). Malgré son intensité moins « agressive » par rapport à la suveillance active contemporaine, la survie spécifique du groupe « active monitoring » ne diffère pas de celle des traitements curatifs, renforçant l’intérêt du suivi dans ce contexte. Cette attitude de plus en plus expectative permettrait de réduire le surtraitement des patients.

Toutefois, cette étude reste critiquable sur certains aspects. D’abord sur le fait que le CaP est une maladie hétérogène qui ne peut être réduite à 3 groupes pronostiques. Bien que la part de cancers à risque intermédiaire ou élevé ne soit pas négligeable dans cet essai, il convient de rappeler que 77 % des patients présentaient un ISUP 1 et que le PSA médian était de 4,6 ng/mL. Se pose donc la question de l’extrapolation de ces résultats à une population plus large de CaP. Ensuite sur le fait que les outils diagnostiques et thérapeutiques ont évolué depuis l’initiation de l’essai. Sur la période de recrutement de l’étude, les investigateurs n’utilisaient pas d’IRM dans le bilan diagnostique. Le patient ne pouvait donc pas bénéficier de biopsies avec fusion d’image. Or nous savons depuis les essais MRI-FIRST et PRECISION que les biopsies ciblées par IRM détectent plus de CaP cliniquement significatifs et diminuent le risque de diagnostiquer des CaP non cliniquement significatifs. Les résultats de PROTECT ne sont pas applicables à notre démarche diagnostique et thérapeutique contemporaine. Enfin, de nouvelles méthodes de stratification de risque ont vu le jour depuis l’initiation de cette étude. Au-delà du stade clinique, du PSA et du score ISUP, des tests génomiques sont actuellement disponibles et peuvent fournir des informations pronostiques importantes. Le test STOCKHOLM-3 par exemple a prouvé son utilité dans la détection précoce du CaP et l’aide à la décision thérapeutique.

En conclusion, la survie des patients atteints de cancer de prostate localisé reste élevée après une médiane de suivi de 15 ans (96-97 %). La surveillance telle que décrite dans cet essai semble être une option valide en comparaison aux traitements curatifs. Cependant, la population était majoritairement représentée par des patients à faible risque de récidive. Malgré cela, le groupe surveillance présentait un surrisque de développer des métastases. L’amélioration de la stratégie diagnostique et de la stratification du risque permettrait de mieux sélectionner nos malades et d’éviter un éventuel surtraitement.

 

Par Elliot TOKARSKI (relecture A. Peyrottes)

La fin de la cystectomie ? Pas pour tout de suite...

Article commenté : Radical cystectomy versus trimodality therapy for muscle invasive bladder cancer: a multi-institutional propensity score matched and weighted analysis ; Lancet Oncology ; 2023.

Zlotta et al. ont récemment publié une étude rétrospective multicentrique comparant les résultats oncologiques de la cystectomie à ceux du traitement trimodal (TMT) dans le cadre des tumeurs de vessie infiltrant le muscle (TVIM) localisées. Le TMT associait une résection transurétrale de vessie (RTUV) à une radio chimiothérapie et pouvait être potentialisé par une chimiothérapie (néo)adjuvante. Les patients étaient éligibles s’ils présentaient un carcinome urothélial unique, classé cT2-T4N0M0, de moins de 7 cm, sans hydronéphrose bilatérale et sans CIS diffus. Les autres types histologiques et l’atteinte concomitante du haut appareil urinaire représentaient des critères d’exclusion. Chaque patient était éligible aux deux alternatives thérapeutiques.

Au total, 722 patients ont été inclus, 440 dans le groupe cystectomie et 282 dans le groupe TMT.

Le critère de jugement principal était la survie sans métastases. Les critères de jugement secondaires correspondaient à la survie globale, la survie spécifique et la survie sans maladie. Les analyses ont été menées après appariement des patients à l’aide d’un score de propension selon deux méthodes différentes.

Après un suivi médian plus de 4 ans, les auteurs ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre les deux modalités de traitement. La survie sans métastases à 5 ans était de 74 % (IC95 70-78 %) pour la cystectomie et de 75 % (IC95 70-80 %) pour le TMT (HR 0,89, IC95 0,7-1,2 ;

p=0,40). De même la survie spécifique ne différait pas entre les deux groupes avec 81 % (IC95 77-85 %) de survie spécifique à 5 ans dans le groupe cystectomie et 84 % (IC95 79-89 %) dans le groupe TMT (HR 0,72, IC95 0,5-1,04 ; p=0,071). Étonnement, la survie globale (OS) était en faveur du groupe TMT avec une OS à 5 ans (66 % vs 73 %, HR 0,70 IC95 0,53–0,92 ; p=0,010).

Commentaire

En 2018, le cancer de la vessie était le dixième cancer le plus fréquent dans le monde, et son traitement comptait parmi les plus couteux. Selon GLOBOCAN, 573 000 nouveaux cas de cancer de vessie ont été diagnostiqués dans le monde en 2020, pour 213 000 décès.

La cystectomie associée à une chimiothérapie péri-opératoire à base de cisplatine représente le traitement historique (et de référence) des TVIM localisées. Les dernières décennies ont vu se développer des techniques de préservation vésicale en alternative à la chirurgie radicale.

Parmi elles, le traitement trimodal est la seule recommandée. Ce dernier comprend une RTUV maximaliste suivie d’une radiothérapie associée à une chimiothérapie potentialisatrice (Cisplatine ou association 5-FU-Mitomycine).

Les recommandations actuelles (EAU 2022, AFU 2022) préconisent un TMT comme alternative à la cystectomie chez des patients répondant à des critères stricts : lésion localisée (T2-T3N0MO), sans CIS diffus ni hydronéphrose, avec une vessie de bonne qualité. Ces directives sont basées sur des études rétrospectives qui n’on

pas montré de différence entre TMT et traitement de référence. En 2011, Krause et al. présentaient une série de 473 patients atteints de TVIM cT2/3 traités par RTUV et radio (chimio)thérapie. La survie médiane était de 57,5 mois et les survies globales à 5, 10 et 15 ans respectivement de 49 %, 30 % et 19 %. Ces chiffres semblent superposables à ceux des patients traités par cystectomie. Kulkarni a réalisé en 2017 une analyse par score de propension comparant la cystectomie au TMT chez 162 patients et n’a pas retrouvé de différence significative en termes de survie globale (TMT : HR 0,85 ; IC95 0,43-1,66 ; p=0,63) ni de survie spécifique (HR 0,92 ; IC95 0,41-2,04 ; p=0,83).

L’étude présentée ici par Zlot-ta s’avère être plus puissante, comprendre plus de malades et moins de biais que celles retrouvées dans la littérature. Elle présente ainsi certains atouts qu’il faut souligner.

Premièrement, tous les patients inclus pouvaient recevoir de manière équivalente le TMT ou la cystectomie. Ce respect fondamental du principe d’équipoise n’est malheureusement pas observé dans toutes les études

(les critères d’éligibilité au TMT étant stringents, certains auteurs réservent la radiochimiothérapie aux patients inéligibles à la chirurgie).

Deuxièmement, un score de propension a été utilisé afin de prendre en compte certains facteurs confondants tels que l’âge, le sexe, le stade de la maladie, l’hydronéphrose, et les modalités de chimiothérapie. Rappelons que l’unique moyen de s’affranchir d’éventuels facteurs confondants est la randomisation réalisée dans le cadre d’un essai clinique. Cependant la randomisation entre cystectomie et traitement conservateur semble difficile pour le malade, souvent désireux de conserver son réservoir vésical. En 2017, Hudart et al. ont lancé l’essai SPARE6, étude de faisabilité randomisant les patients atteints de TVIM entre TMT et cystectomie. L’étude a dû étre clôturée précocement faute de recrutement, la plupart des patients refusant l’intervention chirurgicale comme alternative à la radio-chimiothérapie. Le score de propension, en pondérant les résultats selon les caractéristiques de chaque patient, permet de corriger au mieux le défaut de randomisation.

Enfin, les critères d’inclusion choisis par les auteurs étaient larges (hydronéphrose, CIS, T4...) ce qui permet une meilleure extrapolabilité des résultats.

L’article présente cependant plusieurs limites.

La première, et certainement la plus importante, est le caractère rétrospectif de l’analyse. Les biais de sélection et de mesure inhérents à la nature de ce type d’étude diminuent drastiquement la validité interne des résultats. Les auteurs évoquent cette limite et se justifient en avançant la difficulté de réaliser un essai clinique randomisé dans ce contexte.

Par ailleurs, le critère de jugement principal choisi par les auteurs (survie sans métastase) n’a pas encore été validé comme critère intermédiaire de la survie globale des TVIM localisées. De même, le suivi médian était de 4,38 ans ce qui limite l’analyse des données en survie globale, quand nous savons que l’OS à 5 ans des TVIM opérées est d’environ 55 %. Il semble donc difficile de tirer des conclusions formelles sur les résultats de cette étude.

Enfin, les patients recevant ici une cystectomie bénéficiaient d’une chimiothérapie péri-opératoire dans 40 % des cas, tandis que la littérature rapporte une fréquence de plus de 50 %. Les résultats du groupe cystectomie peuvent avoir été sous-évalués par un traitement suboptimal.

En conclusion, cette étude rétrospective multicentrique renforce la place du traitement trimodal comme alternative à la cystectomie chez des patients atteints de TVIM soigneusement sélectionnés. Des données prospectives (et si possible randomisées) semblent toutefois nécessaires pour valider ces données à plus long terme.

 

Par Louise DUFFAUT (relecture A. Peyrottes)

Everolimus adjuvant après chirurgie dans le carcinome rénal

Article commenté : Adjuvant everolimus after surgery for renal cell carcinoma (EVEREST): a double-blind, placebo-controlled, randomised, phase 3 trial ; The Lancet ; 2023

L’étude EVEREST, essai randomisé, prospectif et multicentrique de phase III mené en double aveugle, a évalué l’efficacité de l’Everolimus à la dose de 10 milligrammes per os quotidiennement pendant 54 semaines après traitement chirurgical d’un carcinome rénal.

Les patients étaient inclus s’ils présentaient un carcinome à cellules rénales confirmé histologiquement, dont la résection chirurgicale était complète (marges saines) et avec un fort risque de récidive. Le risque de récidive était dichotomisé en « intermédiaire-haut » si les patients présentaient une tumeur

non métastatique de stade 1b ISUP 3/4, de stade 2 quel que soit le grade ou de stade 3a ISUP 1/2 et à « très haut risque » s’ils présentaient une tumeur de stade 3a ISUP 3/4, de stade ≥ 3b quel que soit le grade ou à partir du moment où ils présentaient des métastases ganglionnaires. Les critères d’exclusion étaient représentés par les carcinomes médullaires et des canaux collecteurs (tumeur de Bellini) ou les tumeurs métastatiques. La randomisation, effectuée après chirurgie, était équilibrée en 1:1 et stratifiée sur le groupe de risque, l’histologie et le performance status.

Le critère de jugement principal était la survie sans récidive définie comme le temps entre la randomisation et la récidive du carcinome rénal (confirmée histologiquement ou par imagerie) ou le décès du patient. Les critères de jugement secondaires étaient la survie globale et les données de toxicité.

Les caractéristiques des patients étaient bien équilibrées entre les groupes. 70 % des malades présentaient une maladie classée T3 et 55 % des patients appartenaient au groupe à très haut risque de récidive. La grande majorité des patients ont bénéficié d’une néphrectomie totale (90 %) et seulement 17 % présentaient un carcinome non à cellules claires.

Au total, 1545 patients ont été inclus entre avril 2011 et septembre 2016, parmi lesquels 1499 ont pu être analysés (755 dans le groupe Everolimus et 744 dans le groupe placebo). 479 patients (355 dans le bras Everolimus et 124 dans le bras placebo) n’ont pas pu recevoir la totalité du schéma thérapeutique. La médiane de suivi était de 76 mois (IQR 61-92).

La survie sans récidive était plus longue dans le groupe Everolimus (67 % de survie sans récidive à 5 ans vs 63 % dans le groupe placebo ; HR 0,9 (0,72-1) ; p=0,05) sans atteindre le seuil de significativité préspécifié. Les analyses en sous-groupe ont montré un bénéfice de l’Everolimus dans le groupe à très haut risque avec un HR de 0,79 (0,65–0,97; p=0,022). La médiane de survie globale n’a été atteinte dans aucun des deux groupes au terme du suivi (HR 0,90 ; 0,71–1,13; p=0,36). Le taux de survie globale estimé à 5 ans était de 87 % (95 % CI 84–89) dans le groupe Everolimus et 85 % (82–87) dans le groupe placebo. Sur le plan de la toxicité, 343 (46 %) événements indésirables (EI) de grade 3 ou plus ont été recensés dans le groupe Everolimus, contre 79 (11 %) dans le groupe placebo. Les EI de grade ≥ 3 les plus communs étaient la mucite (14 %), l’hypertriglycéridémie (11 %) et l’hyperglycémie (5 %). Aucun décès toxique n’a été rapporté.

Cette étude s’inscrit dans une période où des questionnements émergent concernant l’intensification thérapeutique des tumeurs à cellules rénales présentant un risque élevé de récidive. Historiquement, l’étude S-TRAC – essai contrôlé randomisé comparant le Sunitinib au placebo dans ce contexte – a montré un bénéfice de l’inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) en survie sans récidive sans bénéfice en survie globale. Du côté de l’immunothérapie, l’étude KEYNOTE 564 comparant le Pembrolizumab à un placebo en traitement adjuvant des cancers du rein localisés opérés est, à ce jour, le seul essai à avoir montré la supériorité des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire(ICI), sans avoir le recul suffisant pour l’analyse de la survie globale.

Le choix de l’Everolimus semble surprenant à l’heure où cette molécule est relayée à la 3eligne du traitement des cancers rénaux métastatiques en cas d’échec ou d’inéligibilité aux ITK et aux ICI (cf ESMO guidelines, EAU guidelines). Cependant, faut-il le rappeler, cette étude a  été conçue dans les années 2010 à l’époque où l’immunothérapie faisait ses débuts.

Il convient toutefois de souligner les forces de cette étude. Tout d’abord son design d’essai clinique, prospectif, multicentrique avec un schéma de randomisation bien mené et une stratification sur des critères d’intérêt en font une étude puissante. Par ailleurs, l’analyse des données de survie en intention de traiter et des données de toxicité en per protocole permet de limiter les biais statistiques inhérents aux données manquantes. Enfin, le choix des études en sous-groupe notamment basées sur les groupes à risque est intéressant et permet de mettre en lumière une population qui pourrait bénéficier de l’Everolimus en péri-opératoire. Cependant ces données sont exploratoires et les résultats de l’essai sur la population globale restent négatifs.

Au total, les résultats de l’étude EVEREST ne sont pas en faveur de l’utilisation de l’Everolimus en adjuvant chez les patients opérés d’un carcinome rénal à fort risque de récidive. Cet essai apporte du grain à moudre à la discussion de l’intensification du traitement des cancers du reins localisés dans un contexte où son indication est plus que débattue.

 

Par Julie BECLIN

Everolimus adjuvant après chirurgie dans le carcinome rénal

Article commenté : KENOTE-B61 : Pembrolizumab + Lenvatinib en 1ère ligne dans les cancers du rein non à petite cellule avancés.

Les cancers du rein sont une grande famille de tumeurs. On différencie aujourd’hui au moins 16 sous-types histologiques.

Le sous-type le plus fréquent est le carcinome rénal à cellules claires (ccRCC) pour lequel de nombreuses études ont permis d’établir des recommandations claires sur la prise en charge thérapeutique de ces tumeurs.

En revanche en ce qui concerne les Carcinomes rénaux non à cellules claires (non-ccRCC), qui représentent 25 % des tumeurs du rein, il n’existe aucune recommandation claire, car trop peu représentés dans les études.

En pratique, plusieurs options thérapeutiques sont prescrites par analogie avec les stratégies des ccRCC utilisant des TKI et des immunothérapies, seuls ou en association.

KEYNOTE-B61 est la première étude de phase 2 évaluant l’efficacité et la tolérance de l’association du Pembrolizumab avec le Lenvatinib dans les non-ccRCC.

Cette étude a été développée dans 28 centres dans 14 pays.

158 patients ont été inclus. 71 % des patients étaient des hommes, 81 % des patients étaient caucasiens et seulement 8 % des patients était dans le groupe de risque IMDC défavorable.

Sur le plan histologique 59 % avaient un carcinome papillaire, 18 % avaient un carcinome chromophobe, 13 % avaient un carcinome non classé, 4 % avaient un carcinome à translocation et 6 % avaient d’autres sous-types plus rares.

Étaient exclus les tumeurs de Bellini (carcinome des canaux collecteurs) qui sont des tumeurs agressives traitées en 1ère ligne par chimiothérapie à base de sels de platine et les patients avec des métastases cérébrales évolutives ou atteints d’une méningite carcinomateuse.

Les patients étaient traités par une prise quotidienne de 20 mg de lenvatinib et d’une perfusion de pembrolizumab 400 mg toutes les 6 semaines

Le critère de jugement principal était le taux de réponse objective, correspondant aux patients présentant une réponse partielle ou complète confirmée par 2 imageries espacées d’au moins 4 semaines.

Dans cette étude 49 % des patients ont présenté une réponse objective dont 6 % de réponse complète.

Les carcinomes à translocation avaient le meilleur taux de réponse (67 %) et les carcinomes chromophobes étaient ceux qui répondaient le moins avec seulement 28 % de réponse objective. Par ailleurs les taux de réponses étaient semblables dans les différents sous-groupes analysés (selon le sous-type histologique, le statut IMDC, ou la présence ou non d’un contingent sarcomatoide)

39 % des patients ont progressé ou sont décédés pendant l’étude. Les durées de réponse étaient prolongées. La proportion de patient présentant une réponse d’au moins 12 mois était estimée à 75 %, la médiane de durée de réponse n’a pas été atteinte pendant l’étude. Le profil de tolérance dans cette étude était comparable aux autres études testant cette même association.

Au total dans cette étude l’association Pembrolizumab - Lenvatinib semble être une association prometteuse dans le traitement des carcinomes rénaux non à cellules claires avec des taux et une durée de réponses supérieurs à ceux retrouvés dans les différentes études sur l’utilisation des TKI et des immunothérapies en monothérapies dans les non-ccRCC.

Les carcinomes à cellules chromophobes semblent être moins sensibles à cette association. Des précédentes études de phase 2 semblent montrer une plus grande sensibilité de ces tumeurs aux inhibiteurs de mTOR qui pourrait être une piste de traitement encourageante.

Ces résultats doivent maintenant être confirmés par des études contrôlées de phase 3, notamment dans les carcinomes papillaires où l’association cabozantinib - nivolumab a également donné de très bons résultats dans une étude de phase 2.

Actuellement la stratégie thérapeutique de ces tumeurs rares doit être discutée dans des centres spécialisés.

L’inclusion dans un essai thérapeutique reste fortement recommandée. De plus, devant le développement de la médecine moléculaire comme pour beaucoup de tumeurs rares, il est encouragé de de les inclure dans les programmes de séquençage à haut débit (SEQUOIA ou AURAGEN).

 

Sénologie

Par Adrien ROUSSEAU

Article commenté : Cisplatin with Veliparib or placebo in metastatic triplenegative breast cancer and BRCA mutation-associated breast cancer (S1416): a randomised, double-blind, placebocontrolled, phase 2 trial Eve Rodler et al. Lancet Oncology february 2023.

Les cancers du sein triplement négatifs aux récepteurs à la progestérone, aux œstrogènes et à l’HER2 représentent 15 % des cancers du sein. Il s’agit d’un groupe pronostique avec un taux de récidive plus fréquent et une survie après récidive plus faible. Ce sous-type a vu de récentes avancée avec l’arrivée de la chimio-immuno-thérapie en phase métastatique avec l’essai KEYNOTE-355 et en phase localisée avec l’essai KEY-NOTE-522 et des cytotoxiques conjugués à des anticorps (ADC) en phase métastatique avec les essai ASCENT (sacituzumab- govitecan) et DESTINY-Breast04 (trastuzumab-deruxtecan).

Une autre piste d’exploration concerne la voie de la recombinaison homologue. En effet, les cancers du sein triple négatifs présentent fréquemment des déficits dans la voie de la recombinaison homologue de l’ADN (HRD), de manière constitutionnelle ou somatique. 10 à 20 % de ces patientes présenteraient des mutations constitutionnelles de BRCA1/2 et 40 à 60 % un phénotype HRD. En ce sens, l’olaparib et le talazoparib ont déjà montré une amélioration de la progression-free survival (PFS) par rapport à une monochimiothérapie dans les cancers du sein HER2 négatif métastatiques avec une mutation constitutionnelle de BRCA1/2.

Le veliparib est un inhibiteur de PARP, avec une capacité de trapping plus faible, dont l’hémato-toxicité serait moindre, et qui a montré une activité clinique dans les cancers du sein et de l’ovaire métastatiques.

Cet essai, S1416, est une étude de phase II visant à mesurer si l’addition de valiparib à une chimiothérapie à base de platine, montre des signes d’activité clinique chez les patientes avec un cancer du sein triple négatif métastatique, sans mutation constitutionnelle de BRA-CA1/2 mais avec un phénotype BRCA-like.

Méthodes

Il s’agit d’une phase II, multicentrique, avec un bras placebo et un double aveugle, comparant cisplatine-veliparib à cisplatine-placebo.

La population source était :

  • Femme ou Homme d’au moins 18 ans.
  • Cancer du sein métastatique ou en récidive.
  • Récepteurs aux hormones négatifs (définition ASCO2013, dont <1 %) et HER-2 négatif (définition ASCO2013).
  • RH+/HER2neg mais avec mutation constitutionnelle BRCA1/2 prouvée ou suspecté
  • 1 seule ligne métastatique précédente autorisée.
  • Pas de carboplatine pendant au moins 12 mois.
  • Pas de cislatine ou d’inhibiteurs de PARP.
  • Fonction d’organe « adéquate ».
  • PS 0-2.
  • Métastases cérébrale et symptômes neurologiques autorisés, si contrôlés et traités localement il y a plus de 14 jours.
  • Pas de neuropathie périphérique >G1 persistante, pas d’ototoxicité >G1.

La randomisation était stratifiée sur la présence d’une précédente ligne de traitement.

Le cisplatine était administré à la dose de 75mg/m² J1=J21, et le veliparib 300mgx2/j de J1 à J14. La toxicité était évaluée à la fin de chaque cycle. Une réduction de veliparib était possible, selon des critères protocolaires. Après 4 cycles, le cisplatine pouvait être arrêté, à la discrétion du praticien.

Après la randomisation, les patients ont été testés de manière centralisée pour les mutations

BRCA1/2 ou like, afin d’être classifiés entre 3 groupes : mutation BRCA1/2 constitutionnelle, BR-CA-like, non BRCA-like (ainsi qu’un 4ème : indéterminé).

Pour le groupe BRCA-like, 4 biomarqueurs ont été utilisés : instabilité génomique, BRCA1/2 somatique, méthylation du promoteur de BRCA1 et mutation constitutionelle de la recombinaison homologue.

Le critère de jugement principal était la PFS dans les 3 sous-groupes préspécifiés

Les critères de jugement secondaires étaient :

  • Survie globale (OS).
  • Toxicité liée au traitement.
  • Taux de réponse objective (ORR).

3 nombres de sujets nécessaires (NSN) ont été calculés pour les groupes de biomarqueurs, avec des risques beta de 20 % et des risques alpha de 10 % en unilatéral et un effet d’attendu de HR=0.57. Un nombre initial de 235 patients était prévu, mais en raison des patients non typables, un amendement a été réalisé et le NSN élevé à 324 patients.

Les analyses d’efficacité ont été réalisée en intention de traiter et les analyses de tolérance en per-protocole. Le test du log-rank a été utilisé pour l’analyse du critère de jugement principal. Les modèles de Cox ont été utilisés pour les analyses multivariées, et leurs hypothèses vérifiées avec la visualisation graphique des résidus de Schoenfeld.

Les analyses en sous-groupe ont été réalisés de manière post-hoc. Une analyse intermédiaire pour futilité et s’informer sur les nombres d’inclusion selon le groupe de biomarqueur a été réalisé.

Résultats

355 patients ont été randomisés, mais 15 étaient inéligibles et exclus des analyses. Parmi les 320 analysés, 73 étaient indéfinis au niveau moléculaire. La population d’étude consistait en une quasi-totalité de femmes, majoritairement caucasiennes. 40 % environ avaient un PS de 1 ou 2, entre 2 et 7 % n’étaient pas triple négatives, 70 % étaient en première ligne métastatique, 65 % avaient une maladie métastatique viscérale. Seules 10 % avaient reçu précédemment du carboplatine et 4 % des inhibiteurs de checkpoint immunitaire. Il n’y avait pas de déséquilibre majeur entre les deux groupes.

Parmi les 294 patientes testées, 13 % avaient une mutation BRCA1/2 constitutionnelle, 34 % un phénotype BRCA-like et 38 % un phénotype non BRCA-like.

Le suivi médian était de 11.1 mois, la proportionnalité des risques était vérifiée. Les survies sans progression médianes étaient :

  • 6.2 vs 6.4 mois, p=0.54, dans le groupe mutation constitutionnelle de BRCA1/2
  • 5.9 vs 4.2 mois, p=0.01, dans le groupe BRCA-like
  • 4 vs 3 mois, p=0.57, dans le groupe non BRCA-like

Il n’y avait pas de différence significative en survie globale ou en taux de réponse objective, bien que ces deux critères soient numériquement plus importants dans le bras veliparib pour les patientes BRCA-like.

Il y avait plus d’effet secondaire sérieux dans le groupe veliparib : 19 % de G4 vs 5 %, une augmentation portée par les neutropénies. Aucun cas de leucémie aigüe ou de myélodysplasie n’était rapporté dans le bras veliparib.

Discussion

Le veliparib en combinaison avec la chimiothérapie chez les patientes avec mutation BRCA1/2 constitutionnelle avait déjà montré son efficacité lors d’une phase III randomisée (BROCADE3). Cette nouvelle étude de phase II, indique une activité dans les cancers du sein BRCA-like. Il s’agit donc d’une étape positive pour évaluer l’efficacité en phase III dans cette population.

Cet essai a plusieurs points forts :

  • L’effort du double aveugle qui était nécessaire car la PFS comme la tolérance sont des critères soumis à des mesures subjectives
  • Les survies observées sous chimiothérapie seule ou sous inhibiteurs de PARP sont cohérentes avec les données de la littérature
  • La présence de plusieurs bras avec et sans mutation permet d’affirmer le caractère prédictif du phénotype BRCA-like pour l’activité du véliparib

Cet essai a eu plusieurs défauts :

  • Comparaisons multiples non prises en compte : une analyse intermédiaire et un critère de jugement principal « triple », sans ajustement du risque alpha
  • Le NSN pour le groupe BRCA1/2, fixé à 63, n’a pas été atteint (37 patients), en raison de la disponibilité des inhibiteurs de PARP hors essai clinique pour ces patientes. Ainsi, on ne peut pas interpréter les résultats du groupe BRCA1/2 constitutionnelle
  • Contrairement à ce qui est annoncé, l’analyse en ITT n’en est pas vraiment une, vu que tous les patients indéfinis en sont exclus. Ainsi, un biais de sélection peut être suspecté
  • Contrairement à ce qui est annoncé dans le titre, il n’y pas que des triples négatifs
  • Le suivi est pour l’instant trop court pour évaluer la toxicité hématologique à long terme
  • Pas de précision sur une autorisation du cross-over entre les bras ? Même si cela a très peu d’influence sur l’évaluation de la PFS
  • Les patientes étaient peu exposées à l’immunothérapie, contrairement au nouveau standard thérapeutique

Le design de phase II randomisée présente à la fois des avantages et des inconvénients [1]. Certains méthodologistes avancent que la randomisation assure une meilleure comparaison que les contrôles historiques et donc une meilleure chance d’avoir un succès en phase III. D’autres affirment qu’il n’y a pas d’étude ayant fait la démonstration de cette supériorité de succès en phase III. Le design randomisé est particulièrement utile en médecine moléculaire, car permet d’avoir plusieurs bras, comme dans cette étude, et ainsi d’évaluer le caractère pronostique voir prédictif de biomarqueurs. De plus, il s’agit d’un design qui inspire plus la confiance des autorités de régulation et favorise donc un accès précoce sur le marché. En revanche, les phases II mono-bras sont plus simples à mettre en place, rencontrent moins de problèmes majeurs et vont plus souvent à complétion. Il faut environ 4 fois moins de patients, et on peut donc être plus exigeants sur les risques alpha et beta (qui sont souvent plus élevés dans les phases II randomisées). De plus, la randomisation dans une situation de petits effectifs ne garantit pas forcément l’équilibre des facteurs de confusion.

Au total cette étude est positive et va permettre la poursuite du développement en phase 3, dans la population BRCA-like. Mais plusieurs interrogations restent en suspens, comme la place après immunothérapie et surtout le positionnement vis-à-vis des ADC. Ainsi, si le bras contrôle reste le platine en monothérapie, le comparateur sera critiquable et la position du veliparib sera difficile à déterminer.

Références

Gan HK, Grothey A, Pond GR, Moore MJ, Siu LL, Sargent D. Randomized phase II trials: inevitable or inadvisable? J Clin Oncol. 2010

May 20;28 (15):2641-7. doi: 10.1200/JCO.2009.26.3343. Epub 2010 Apr 20. PMID: 20406933.

 

Oncologie gynécologique

Par Lucie HOUDOU

Article commenté : Dostarlimab for Primary Advanced or Recurrent Endometrial Cancer, Mansoor R. Mirza, Dana M. Chase, Brian M et al, The New England Journal of Medicine, publié en mars 2023.

Le cancer de l’endomètre, quatrième cancer le plus fréquent chez les femmes en France, totalise près de 8000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année. Il s’impose comme la première cause de cancer gynécologique. En ce qui concerne les cancers de l’endomètre avancés ou récurrents, leur traitement standard repose sur un doublet de chimiothérapie composé de carboplatine et de paclitaxel. Le Dostarlimab, un anticorps monoclonal anti-PD1, a prouvé son efficacité dans le traitement des cancers de l’endomètre avancés ou récurrents dMMR-MSI-H ayant progressé pendant ou après une chimiothérapie à base de platine. Cette étude examine l’efficacité et la sécurité du Dostarlimab en association avec le carboplatine et le paclitaxel, par rapport à un placebo combiné avec le carboplatine et le paclitaxel chez des patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre avancé ou en récidive.

L’étude RUBY, internationale, en double aveugle, randomisée et contrôlée par placebo, a inclus des patientes atteintes de cancer de l’endomètre de stade avancé III ou IV ou en première récidive. Les patientes ont été aléatoirement assignées à recevoir soit du dostarlimab (500 mg), soit un placebo, en complément d’une chimiothérapie à base de carboplatine et de paclitaxel, toutes les trois semaines (pour six cycles), suivi d’une administration de dostarlimab (1000 mg) ou de placebo toutes les six semaines jusqu’à progression de la maladie, toxicité, retrait du consentement ou décès, pour une durée maximale de trois ans.

Les objectifs principaux étaient la survie sans progression selon l’investigateur et la survie globale. Les critères de jugement secondaires incluaient la survie sans progression selon une évaluation par un comité indépendant, la réponse objective, la durée de la réponse, le temps jusqu’à la seconde progression, la qualité de vie, la tolérance, l’étude de la pharmacocinétique et l’immunogénicité.

Parmi les 494 patientes randomisées, 118 (23,9 %) présentaient des tumeurs dMMR-MSI-H. Dans cette population, la survie sans progression estimée à 24 mois était de 61,4 % dans le groupe dostarlimab contre 15.7 % dans le groupe placebo. Pour la population globale, la survie sans progression à 24 mois était de 36.1 % avec le dostarlimab contre 18,1 % avec le placebo. La survie globale à 24 mois atteignait 71.3 % avec le dostarlimab contre 56 % avec le placebo. Nous avons observé une réduction de 72 % du risque de progression ou de décès dans la population dMMR-MSI-H et de 36 % dans la population globale.

Les effets secondaires les plus courants étaient la nausée, l’alopécie et la fatigue, avec une occurrence plus élevée d’événements indésirables sévères et graves dans le groupe dos-tarlimab. Les effets secondaires immuno-induits les plus fréquemment rencontrés étaient l’hypothyroïdie, l’éruption cutanée, les arthralgies et l’augmentation des ALAT.

Pour conclure, l’addition de dos-tarlimab à une chimiothérapie à base de carboplatine paclitaxel a significativement amélioré la survie sans progression chez les patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre avancé ou récurrent, offrant un bénéfice substantiel dans la population dMMR-MSI-H.

 

Par Julie BECLIN

Article commenté : Eskander RN, Sill MW, Beffa L, Moore RG, Hope JM, Musa FB, et al. Pembrolizumab plus Chemotherapy in Advanced Endometrial Cancer. New England Journal of Medicine. 8 juin 2023.

Le cancer de l’endomètre est le 4ème cancer chez la femme, en augmentation ces dernières années. Il touche principalement les femmes caucasiennes à la ménopause.

Même si les progrès récents permettent aujourd’hui de guérir 95 % des patientes à un stade localisé, la mortalité des cancers de l’endomètre à un stade avancé reste toujours en augmentation avec 20 % de survie à 5 ans.

La biologie moléculaire est aujourd’hui un élément essentiel du diagnostic des tumeurs de l’endomètre que ce soit du point de vue du pronostic qu’au niveau de la stratégie thérapeutique.

4 groupes moléculaires se distinguent actuellement : les tumeurs POLE hypermutées de très bon pronostic, quasiment jamais métastatiques qui aujourd’hui se font poser la question d’une désescalade des traitements adjuvants, les tumeurs pMMR et les tumeurs dMMR de pronostic intermédiaire et les tumeurs mu-tées p53 de mauvais pronostic.

Cette étude évalue l’association du Pembrolizumab au Carbopla-tine - Paclitaxel, en 1ère ligne des tumeurs endométriales non opérables, soit localement avancées soit métastatiques, jusqu’alors traitées par Carboplatine-Pacli-taxel seul pour 6 cycles.

Cette étude de phase 3 était multicentrique dans 4 pays, en double aveugle, contrôlée par placebo. Les patientes étaient séparées en 2 cohortes selon leur statut MMR puis randomisées en 2 bras, le bras pembro-lizumab et le bras placebo.

Les patientes de l’étude recevaient Carboplatine AUC 5 - Pa-clitaxel 175 mg/m2 - Pembrolizu-mab ou placebo 200 mg toutes les 3 semaines pour 6 cycles puis un traitement de maintenance par Pembrolizumab ou Placebo 400 mg toutes les 6 semaines pour 14 cycles.

Le critère de jugement principal était la PFS, les critères de jugement secondaires étaient la survie globale, la tolérance et la qualité de vie.

Les patientes devaient avoir plus de 18 ans, être en bon état général, avoir eu un diagnostic de cancer de l’endomètre de stade III ou IV ou une récurrence non opérable, le statut MMR devait être disponible. Étaient exclus les carcinosarcomes et les patientes ayant reçu une chimiothérapie à base de sel de platine dans les 12 mois.

Au total 591 patientes ont été inclues dans la cohorte pMMR, 295 ont été randomisées dans le bras à l’essai et 296 dans le bras placebo et 225 ont été inclues dans la cohorte dMMR, 112 ont été randomisées dans le bras à l’essai et 113 dans le bras placebo.

Les sous-types histologiques les plus représentés étaient les carcinomes endométriaux suivis des carcinomes séreux.

La plupart des patientes avaient été opérées, et n’avaient jamais reçu de chimiothérapie ni de ra-diothérapie. Les caractéristiques initiales étaient semblables entre les 2 groupes en dehors du traitement à l’essai.

Résultats

Dans la cohorte pMMR, la survie sans progression est supérieure dans le bras pembrolizumab par rapport au bras placebo avec un HR à 0,54 et un gain en PFS de 9,4 mois.

Dans la cohorte dMMR, la supériorité du bras pembrolizumab est encore plus marquée dans avec une diminution de 70 % du risque récidive ou de décès chez les patientes traitées avec pembrolizumab. Les courbes se séparent précocement avec un effet plateau qui semble se maintenir pendant toute la durée du suivi. La médiane de survie sans progression est à 8,7 mois chez les patientes du bras contrôle et n’était toujours pas atteinte à la fin de l’étude dans le bras pembrolizumab.

Ces résultats sont retrouvés dans tous les sous-groupes. Le profil de tolérance est semblable aux autres études associant de l’immunothérapie à la chimiothérapie.

Parallèlement l’essai RUBY évaluant l’association DOSTAR-LIMAB + chimiothérapie en 1ère ligne métastatique dans les tumeurs de l’endomètre a également donné de très bons résultats en PFS et en OS en population globale (HR-OS 0.64) et en sous-groupe dans les tumeurs dMMR (HR-OS 0.3) avec aussi un effet plateau après 1 an de suivi.

Au total l’ajout d’une immunothérapie à la chimiothérapie semble très prometteur dans le traitement de 1ère ligne des tumeurs de l’endomètre métastatique, en particulier dans les tumeurs dMMR et devrait probablement faire évoluer les pratiques dans un futur proche.

 

Par Lucie HOUDOU

Article commenté : Relacorilant 1 Nab-Paclitaxel in Patients With Recurrent, Platinum-Resistant Ovarian Cancer : A Three-Arm, Randomized, Controlled, Open-Label Phase II Study. Nicoletta Colombo, Toon Van Gorp, Ursula A. Matulonis, et al., Gynecologic Cancer, 2023.

En France, le cancer de l’ovaire est une problématique de santé publique majeure, entraînant chaque année plus de 3 000 décès sur les 4 500 nouveaux cas diagnostiqués. Malgré les avancées thérapeutiques, les résultats demeurent médiocres pour les patientes atteintes de cancer de l’ovaire résistant au platine, particulièrement dans le cas des maladies initialement réfractaires au platine, pour lesquelles les essais thérapeutiques sont souvent inaccessibles. Cette étude repose sur l’idée que le cortisol, par son activation du récepteur aux glucocorticoïdes (GR), altère les mécanismes d’apoptose, diminuant de ce fait l’efficacité des traitements de chimiothérapie. Une expression élevée du GR a été constatée précédemment au sein des tumeurs ovariennes. Les inhibiteurs de microtubules tels que le nab-paclitaxel provoquent l’apoptose des cellules tumorales via les activités de BCL2 et FOXO3a, mais ces voies sont inhibées par les gènes cibles du GR. Le relacorilant, un Modulateur Sélectif du Récepteur des Glucocorticoïdes (MSRG), contrarie les effets du cortisol, permettant ainsi de rétablir les voies nécessaires à l’apoptose des cellules tumorales induite par le nab-paclitaxel, améliorant ainsi l’efficacité de la chimiothérapie.

Cette étude de phase II, ouverte et contrôlée, inclut des femmes d’au moins 18 ans atteintes d’un cancer de l’ovaire récurrent, résistant/réfractaire au platine, de haut grade séreux ou endo-métrioïde de l’épithélium ovarien, du péritoine primaire, de la trompe de Fallope ou d’un carcinosarcome ovarien, ayant reçu jusqu’à quatre cycles de chimiothérapie antérieurs.

Parmi un total de 178 femmes, trois groupes distincts ont été formés aléatoirement :

1)nab-paclitaxel (80 mg/m²) combiné à du relacorilant intermittent (150 mg la veille, le jour et après le nab-paclitaxel).

2)nab-paclitaxel (80 mg/m²) combiné à du relacorilant continu (100 mg/jour). 3)monothérapie de nab-paclitaxel (100 mg/m²).

L’objectif principal était la survie sans progression (SSP). Les critères secondaires incluaient le taux de réponse objective (TRO), la durée de la réponse (DOR), la survie globale (SG) et

la tolérance. L’association du relacorilant intermittent et du nab-paclitaxel a permis une amélioration de la SSP et de la DOR par rapport à la monothérapie de nab-paclitaxel, tandis que le TRO restait comparable entre les groupes. La SG a également été améliorée, alors que l’association du rela-corilant continu et du nab-paclitaxel n’a pas amélioré la SSP par rapport à la monothérapie. La tolérance était comparable entre les trois groupes. Les effets indésirables de grade ≥3 les plus couramment observés étaient la neutropénie, l’anémie, la neuropathie périphérique et l’asthénie.

l s’agit de la première étude contrôlée et randomisée sur ce sujet. Même si l’étude n’a pas rempli son objectif majeur, l’association intermittente de rela-corilant et de nab-paclitaxel a conduit à une amélioration de la SSP, de la DOR et de la SG par rapport à la monothérapie, tout en maintenant un bon niveau de tolérance. De plus, une analyse pharmacodynamique a validé que cette combinaison pouvait inhiber les gènes cibles du GR. Une étude de phase III en cours vise à confirmer ces résultats.

 

Oncologie digestive

Par Adrien ROUSSEAU

Cancer du rectum, avancée dans la stratégie péri-opératoire avec l’essai PROSPECT ?

Article commenté : Schrag D, Shi Q, Weiser MR, et al., Treatment of Locally Advanced Rectal Cancer. N Engl J Med. 2023 Jun 4. doi : 10.1056/NEJMoa2303269. Epub ahead of print.

Le cancer du rectum concerne 125 000 personnes en Europe chaque année. Des facteurs de risque comme l’obésité ou le diabète sont reconnus, mais 13 % des cancers du rectum seraient liés à un défaut de réparation des mésappariements de l’ADN (dMMR). Les tumeurs à 15 cm ou moins de la marge anale sont concernées. En plus d’un examen clinique, un scanner thoraco-abdomino-pelvien et une rectoscopie sont recommandés pour le staging. L’écho-endoscopie et l’IRM sont également indispensables. Les toutes petites tumeurs (cT1N0) peuvent bénéficier d’une résection endoscopique, tandis que les autres tumeurs localisées bénéficieront d’une résection totale du mésorectum. A partir du stade localement avancé (T3-4 ou N1-2) la radiothérapie voire radio-chimiothérapie avant chirurgie est recommandée. Les conséquences à long terme de ces traitements peuvent être des douleurs chroniques, de l’incontinence fécale et des difficultés sexuelles.

Dans cette situation de cancer du rectum localement avancé, il a été démontré que la radio chimiothérapie diminuait le risque de récidive, au prix d’une toxicité plus élevée et que ce bénéfice était majoré en situation néo-adjuvante. Il y a également des données sur l’efficacité en termes de taux de réponse du FOLFOX dans ce schéma. Ainsi, l’essai PROSPECT a été construit pour tester l’hypothèse de la non-infériorité du FOLFOX en comparaison à la radio chimiothérapie en thérapie néo-adjuvante des cancers du rectum localement avancés éligibles à une chirurgie préservant le sphincter.

PROSPECT est un essai académique de phase II/III randomisé en ouvert, multicentrique et de non-infériorité.

Population source

Adulte avec un cancer du rectum non traité prouvé histologiquement.

  • T2N+ ou T3Nindifférent.
    • Chirurgien devait considérer une radio chimiothérapie néo-adjuvante suivie d’une chirurgie pré servant le sphincter anal comme le traitement approprié
  • ECOG 0-1-2.

Étaient exclus :

  • T4, au moins 4 N+, tumeurs dans les 3mm de la marge radiale.
  • Précédente radiothérapie pelvienne ou chimiothérapie dans les 5 ans.
  • Bilan biologique anormal.

Interventions

Les patients étaient évalués par IRM, mais elle n’était pas obligatoire. Une combinaison de scanner + échoendoscopie était suffisante.

Le bras contrôle était traité ainsi :

  • Radiothérapie pelvienne de 50.4Gy en 28 fractions, 3D ou IMRT au choix du radio théra-peute.
  • Concomitante à du 5FU en IV continue 225mg/m2 par jour ou capécitabine 825mg/m2 x2/j 5 jours par semaine, au choix de l’oncologue médical.
  • Chimiothérapie adjuvante de 8 cycles de Folfox suggérée mais pas obligatoire.

Le bras expérimental était traité ainsi :

  • 6 cycles de FOLFOX modifié : oxaliplatine 85mg/m2 à J1, 5FU 400mg/m2 en bolus suivi d’une infusion sur 22h de 600mg/m2, J1=J14.
  • Restaging par imagerie pelvienne et rectoscopie.
  • Puis chirurgie. Modalités (robot, laparoscopie, laparotomie) au choix du chirurgien.
  • Si moins de 5 cycles réalisés (pour toxicité) ou diminution tu

morale inférieure à 20 %, alors chimio radio thérapie de rattrapage (3D ou IMRT au choix du radiothérapeute).

  • Si chirurgie R1 ou R2, alors chimiothérapie adjuvante recommandée. Schéma libre, mais 6 cycles de FOLFOX étaient suggérés.

Sur le plan statistique

Il s’agissait d’une phase 2 transformée en phase 3, après avis de l’Independent Data Monitoring Committee (IDMC), prévu a priori. La randomisation stratifiée sur l’ECOG. Le critère de jugement principal était la survie sans maladie (DFS). Les critères secondaires étaient : la survie globale (OS), survie sans récidive locale.

Un amendement du protocole a eu lieu en 2016, motivé par le faible nombre d’événements. Initialement un co-critère de juge ment principal était prévu (DFS+ taux de récidive) mais il a été changé en DFS uniquement. Le statisticien ayant refait le design n’était pas au courant des données. Il y a eu d’autres amendements au protocole plus mineurs au cours de l’étude.

La borne de non-infériorité a été définie comme un HR à 1.29, soit une survie à 5ans inférieure de 5 % dans le bras expérimental (FOLFOX). Un panel d’une 50aine d’experts (médecins et patients) a considéré qu’il s’agissait d’une marge acceptable lors d’un sondage interactif.

Le risque alpha unilatéral a été partagé entre l’analyse intermédiaire (0.001) et l’analyse finale (0.049). L’analyse a été réalisée en per-protocole. Un modèle de Cox à risque proportionnel a été utilisé avec comme variables d’ajustement l’âge et le statut ganglionnaire.

Population étudiée

1194 patients ont été randomisés. 46 ont retiré leur consentement dans le bras radio chimiothérapie contre seulement 5 dans le bras FOL-FOX. Le suivi médian était de 58 mois.

L’âge moyen était de 57 ans, il y avait environ ⅔ d’hommes, majoritairement blancs (85 %). Près de 40 % des patients présentaient une obésité. La localisation de la tumeur était en médiane à 8 cm de la marge anale. Entre 60 et 65 % des patients avaient une maladie ganglionnaire et 15 % n’ont pas pu bénéficier d’IRM.

Les femmes étaient plus nombreuses dans le bras FOLFOX (36.9 % vs 31.9 %).

Résultats d’efficacité

L’intervalle de confiance à 90.2 % du HR de la DFS ne rejoignait pas la borne de non-infériorité, l’essai est donc positif, HR=0.92 (0.74-1.14). La survie sans maladie à 5ans était de 80.8 % dans le bras FOLFOX et de 78.6 % dans le bras radiochimiothérapie. La proportionnalité des risques était respectée et les résultats étaient reproduits dans l’analyse en ITT.

La survie globale était similaire, avec une survie à 5 ans de 89.5 % dans le bras FOLFOX» plutôt et de 90.2 % dans le bras radio-chimiothérapie. Tout comme le taux de récidive à 5 ans qui était de 1.8 % chez les FOLFOX contre 1.6 % dans le bras radiochimio-thérapie.

La chirurgie intervenait en médiane 19.0 semaines après la randomisation dans le bras FOLFOX, contre 15.6 chez les radiochi-miothérapie. Les résultats en termes de réponse post opératoire étaient similaires. 10.4 % patients du bras FOLFOX ont dû recevoir une radiochimiothéra-pie néo- adjuvante, qu’ils ont quasiment tous complété en totalité.

Le taux de chimiothérapie adjuvante était similaire entre les deux groupes (74.9 % et 77.9 %). La durée médiane du traitement était de 35.6 semaines dans le bras FOLFOX contre 37.0 semaines dans le bras radiochimio-thérapie.

 

Résultats de tolérance

Les effets secondaires sévères étaient plus fréquents dans le groupe FOLFOX (41.0 % vs 22.8 %), ce qui pourrait aussi s’expliquer par une période sous traitement plus longue (12 vs 5.5 semaines). La neuropathie tout grade était plus fréquente chez le groupe FOLFOX (82 % vs 17 %). En néo-adjuvant, les toxicités sévères les plus fréquentes du groupe FOLFOX étaient la neutropénie (20.3 %), la douleur (3.1 %) et l’hypertension (2.9 %), tandis que pour le groupe radiochimiothéra-pie, il s’agissait de la lymphopénie (8.3 %), la diarrhée (6.4 %) et l’hypertension (1.7 %).

Discussion

Cet essai pourrait montrer qu’avec les schémas modernes de FOL-FOX, de stadification par IRM et excision totale du mésorectum, la radiochimiothérapie n’est plus nécessaire à l’obtention d’une guérison. Pendant la conduite de cet essai, l’essai RAPIDO a été publié et a montré qu’une radiothérapie néoadjuvante de courte durée avec une chimiothérapie par par CAPOX faisait mieux en termes de récidives locales que la radiochimiothérapie néo-adjuvante. Il est difficile d’intégrer les résultats de PROSPECT et de RA-PIDO, d’autant plus que RAPIDO intégrait des patients T4. D’après la base SEER, la population de PROSPECT pourrait représenter jusqu’à 50 % des patients avec un cancer du rectum.

Dans la présente analyse, le traitement censé être moins toxique présente deux fois plus d’effets secondaires sévères que le traitement usuel. Les données de toxicité à long terme et de qualité de vie, qui sont mesurées mais pas encore matures, seront importantes à surveiller à l’avenir.

On peut également s’interroger sur le fait que les techniques de radiothérapie et de chirurgie étaient au choix du médecin. Elles ne sont pas rapportées dans l’article, donc on ignore si les deux groupes ont eu les mêmes modalités. L’absence d’IRM systématique est également problématique. La population européenne est probablement moins obèse que la population américaine de cet essai, ce qui pourrait influencer les toxicités, qui sont pourtant l’intérêt principal de cet alternative thérapeutique.

Enfin, la borne de non-infériorité a été justifiée et fixée par une large discussion d’experts, ce qui est un point fort de l’étude. Pourtant, on peut se poser la question si accepter que le traitement soit inférieur de 29 % sur la DFS soit vraiment une marge pertinente ? D’autant plus que le risque alpha était de 0.049 en unilatéral, soit 0.098 en bilatéral classique.

En conclusion, il s’agit d’un essai bien conduit, qui établit la chimiothérapie néo-adjuvante par FOLFOX comme une alternative à la radio chimiothérapie néo-adjuvante, dans les cancers du rectum localement avancé à l’exclusion des T4 et des N+>4. Le choix devrait se porter sur le profil de toxicité susceptible d’être le mieux accepté par le patient.

Article paru dans la revue « Association pour l'Enseignement et la Recherche des Internes en Oncologie » / AERIO RIO HORS SERIE N°3

 

 

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Publié le 1696948350000