La pandémie liée au virus SARS-CoV2 par sa brutalité d’installation a été un révélateur des capacités et des fragilités de notre organisation territoriale de santé.
Eric OZIOL Secrétaire
Général du SYNDIF
Malgré un discours politique initialement flou ou et ambivalent, la carence des outils des mesures « barrière » (masques et SHA), mais surtout des tests PCR en accès et en nombre très limités, les professionnels de santé, et notamment les médecins de terrain (généralistes, urgentistes, médecins hospitaliers de toutes les spécialités concernées, pharmaciens, biologistes etc…) ont rapidement réagi pour compenser ces difficultés et s’organiser. Le partage d’information via le téléphone, les forums de discussion WhatsApp, les forum mail, au niveau régional, national, voire international, mais surtout en proximité dans les territoires de santé entre hospitaliers et professionnels de santé libéraux de terrain, nous a permis d’être moins aveugles sur la situation et de pouvoir faire face à cette épidémie, malheureusement au prix d’une mise « en panne » de l’économie, mais également du reste du système d’accès aux soins.
La connaissance des zones de fragilité populationnelle du territoire, l’implication de tous les acteurs de terrain, l’utilisation et le développement accéléré de la télémédecine, la communication ville-hôpital avec des alternatives de régulation téléphonique, le rôle des MSP (Maisons de Santé Pluriprofessionnelles) et des laboratoires de biologie avec l’organisation rapide de « Centres COVID », et en‑ n des CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé) qui ont trouvé à cette occasion tout leur sens, ont été autant de réponses adaptatives sur le terrain, sans compter sur l’extraordinaire plasticité et réactivité de l’organisation hospitalière.
Bien sûr l’épidémie n’est pas terminée, mais si l’on se compare à nos voisins allemands il y aura beaucoup d’enseignements à tirer sur la réussite de leur système de santé moins hospitalo-centré, qui investit plus dans les soins primaires et le maillage territorial mais qui paradoxalement offre plus de lits d’hospitalisation, notamment de soins intensifs, pour 100 000 ha, pour une part du PIB allouée à la santé comparable à celle de la France, mais avec 1% de moins de dépenses administratives de santé…
En France, il est nécessaire de sortir de l’hospitalo-centrisme à la fois des missions mais aussi de la contrainte budgétaire. L’hôpital public ne peut pas tout faire en coûtant moins ! En effet, l’hôpital public ne peut pas fonctionner correctement sans soins primaires bien organisés sur le territoire, alors qu’il est performant et adaptatif, malgré ses moyens contraints.
Enfin, en préalable aux commentaires sur les propositions de politique territoriale du SEGUR de la Santé, l’INPH réaffirme que rien ne pourra se faire sans une véritable conception médicale du territoire et sans la participation volontaire des praticiens ; s’opposera à toute territorialisation du statut des praticiens (statut uniquement national) ; veillera à la mise en œuvre de contreparties ‑ nancières et statutaires significatives en cas de nécessité de mobilité territoriale médicalement pertinente.
ANALYSE DU TEXTE FINAL DU SÉGUR SUR LES TERRITOIRES
Les engagements clés annoncés
• Améliorer la prise en charge des personnes âgées en pérennisant et en systématisant : les astreintes sanitaires pour les établissements de personnes âgées, les équipes mobiles, les parcours d’admissions directes non programmées.
• Lever les freins à la téléconsultation et pérenniser la prise en charge à 100 %.
• Lutter plus massivement et plus efficacement contre les inégalités de santé.
• Développer l’accès aux soins non-programmés et l’exercice coordonné.
Mesure 24 ASSURER LE DÉVELOPPEMENT DE LA TÉLÉSANTÉ DANS TOUS LES TERRITOIRES
Commentaires
La télésanté ne doit pas être une solution en trompe l’œil aux zones de non accès médical. La télé-expertise sans professionnels de terrain, médecins généralistes ou infirmiers-ères notamment, ne pourra compenser le défaut d’investissement dans le maillage territorial des soins primaires.
Malgré cela la crise du COVID nous a montré toute l’utilité que pouvait avoir la télémédecine, avec une appropriation très rapide par les professionnels de terrain, notamment par les médecins généralistes pour la réalisation de téléconsultations et par les soignants non médicaux pour la télésurveillance, avec des règles de facturation rapidement adaptées compte-tenu de l’urgence épidémique (ex : le 9 mars 2020 un décret met ‑ n à l’obligation d’avoir eu une consultation physique avec son médecin dans l’année précédant une téléconsultation).
En raison du confinement et de la limitation de l’accès physique aux établissements, les centres hospitaliers ont pu également rapidement compléter leur expérience de téléconsultations et de télé-expertises, avec certes ses limites, mais aussi ses opportunités et développements utiles en lien avec les professionnels et structures de soins primaires.
Des investissements structurels et organisationnels dans les établissements en lien avec les professionnels du territoire sont nécessaires, leur financement et la rémunération des actes seront des éléments importants de négociation.
Mesure 25 AMÉLIORER L’ACCÈS AUX SOINS NON PROGRAMMÉS PAR LE DÉVELOPPEMENT DE L’EXERCICE COORDONNÉE
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L’investissement dans l’organisation des soins primaires doit se concentrer sur le développement des MSP (Maisons de Santé pluriprofessionnelles) et des CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé). Les urgences de l’hôpital ou des cliniques ne peuvent être une solution durable de compensation des carences en soins primaires, ni même la seule structure de permanence de soins, dans une perspective de gradation des soins en fonction de la gravité et de l’urgence
Propositions INPH
De la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) au CH(U) : des territoires de soins et de formation, la qualité et l’égalité d’accès doivent être la préoccupation première tant du parcours de soins de la CPTS vers le CHU que de la filière de formation du CHU vers la CPTS. Les CPTS et les médecins libéraux doivent constituer le premier niveau d’accès aux soins et mettre en route le parcours de soins adapté aux malades et à sa pathologie. Idéalement ce niveau devrait déjà tendre vers une permanence des soins.
Mesure 26 CONCRÉTISER LE SERVICE D’ACCÈS AUX SOINS (SAS)
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Toujours dans le même esprit, le centre 15 ne peut rester le seul outil de régulation territorial de l’accès aux soins. Au cours de l’épidémie COVID, l’ouverture immédiate par certains centres hospitaliers de territoire, de lignes téléphoniques dédiées (cellule de régulation d’infectiologie, de gériatrie, de soins palliatifs, etc.) à disposition des professionnels de « ville » ou de terrain, a permis de soulager les appels aux centre 15 et de réguler en pré-hospitalier les hospitalisations par les filières urgences spécifiques, des patients suspects de COVID le nécessitant. Des initiatives pertinentes comme celles-ci doivent être reconnues, améliorées, diffusées et surtout valorisées/‑ financées.
Mesure 27 LUTTER CONTRE LES INÉGALITÉS DE SANTÉ
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La proposition phare de ce chapitre est de : « …créer 500 nouveaux lits haltes soin santé pour atteindre 2 600 places d’ici 2022 offrants un accompagnement sanitaire et social aux personnes sans domicile fixe. »
Cependant les inégalités en santé sont essentiellement la conséquence des inégalités sociales qui relèvent en priorité de la politique de l’emploi, des minimas sociaux, du logement et pas seulement la politique hospitalière. L’hôpital, bien qu’il reste ouvert à tous et à toute heure, ne peut être le seul traitement des maux engendrés par une économie capitaliste dérégulée et brutale.
Mesure 28 METTRE EN PLACE UNE OFFRE DE PRISE EN CHARGE INTÉGRÉE VILLE-HÔPITAL-MÉDICO-SOCIAL POUR LES PERSONNES ÂGÉES
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La crise COVID a montré que dans les EHAPAD le bon fonctionnement des soins et d’un accueil de qualité, ne pouvait juste reposer sur la bonne volonté et l’engagement d’un personnel peu qualifié et insuffisant en nombre, ni seulement sur l’intervention « palliative » dans l’urgence d’équipes mobiles de l’hôpital public. Les EHPADs ne peuvent seulement se réduire à un « bon placement immobilier » pour certains, mais elles ont un devoir impératif éthique de préservation de la dignité humaine et de l’autonomie, jusqu’à la ‑ n de la vie. Une permanence médico-soignante dans les EHPADs, en lien direct avec l’offre hospitalière (consultations, hôpital de jour, hospitalisation programmée ou directe urgente) est nécessaire.
Mesure 29 AMÉLIORER L’ACCÈS AU SOIN DES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP
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Le handicap, la perte d’autonomie, le vieillissement et la paupérisation, qui sont malheureusement souvent combinés, sont de vrais enjeux de la société tout entière bien au-delà de l’hôpital ou des structures médicales ou médico-sociales. Dans tous les cas l’hôpital doit donner un accès le plus adapté à tous, quelle que soit sa situation, souvent complexe et intriquée.
Mesure 30 FAIRE DES HÔPITAUX DE PROXIMITÉ DES LABORATOIRES EN MATIÈRE DE COOPÉRATION TERRITORIALE
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Cette mesure reste assez floue et peu détaillée, mais soulève des questionnements probablement très complexes, avec des situations locales pour ces hôpitaux dits de « proximité » très variables. Quelles structures maintenir ? Avec quelles missions ? Avec quels professionnels et quelle organisation au sein des CPTS ?
Propositions INPH
Les hôpitaux de proximité doivent permettre d’assurer les « petites urgences », les hospitalisations ne nécessitant pas de plateau technique, les soins de suite et l’hébergement d’aval, la ‑ n de vie à proximité du domicile et de la famille des malades.
Les centres hospitaliers doivent prendre en charge les soins courants sur plateaux techniques et offrir des consultations avancées ultra spécialisées.
Les CHU doivent être l’endroit où sont délivrés les soins ultra spécialisés, tout en assurant les activités de recours, mais aussi de soins courants et de proximité pour la population avoisinante.
Les établissements privés trouvent leur place dans cette hiérarchisation de l’offre de soins, quel que soit le niveau, en fonction de leurs capacités.
Mesure 31 RENFORCER L’OFFRE DE SOUTIEN PSYCHIATRIQUE ET PSYCHOLOGIQUE DE LA POPULATION
Cf. article et commentaires sur l’état de la psychiatrie, notamment hospitalière en France, par Michel Triantafyllou dans le présent numéro (page 35).
Mesure 32 RENFORCER LES MISSIONS ET L’INDÉPENDANCE DES CONFÉRENCES RÉGIONALES DE LA SANTÉ ET DE L’AUTONOMIE (CRSA) AFIN D’EN FAIRE DES VÉRITABLES PARLEMENTS DE SANTÉ
Commentaires
En fait il n’y a que des questionnements et pas réellement de commentaires. Quid de la représentation des professionnels de santé du territoire aux CRSA : URPS, CPTS, MSP, CME, etc. ? Quel a été leur rôle réel jusqu’à présent ? Quelle représentation ? Temps consacré pour ses membres ? Bénévolat ? Quels moyens de travail et d’autonomie ?
Enfin, une phrase du texte n’est pas claire : « Concertation avec les acteurs et notamment les associations de patients et élus locaux pour modification législative et réglementaire du code de la santé publique en 2021 ». De quelle modification législative et réglementaire s’agit-il ?
Mesure 33 ÉVOLUTION DES ARS : RENFORCER LE NIVEAU DÉPARTEMENTAL ET L’ASSOCIATION DES ÉLUS
Commentaires
« Une place plus grande pour les élus » … mais quelle place pour les professionnels de santé (URPS, CPTS, CME…) ? Faut-il un renforcement des ARS ou plutôt une modification drastique de leur fonctionnement, qui actuellement est en « tuyaux d’orgue » et ne fonctionne que dans un seul sens : descendant voire condescendant ou par « souffle d’injonctions » pas toujours harmonieuses ? Cependant l’ARS a la lourde charge de tenter de faire la synthèse d’un système de santé comprenant de nombreux acteurs administratifs comme les directions du ministère de la Santé (DGOS, DSS, DREES), les agences (ATIH, ANAP, HAS, ANSM), la CNAM, ce qui rend son action malheureusement parfois plus « conceptuelle » que réelle. L’ARS ne pourra se passer de l’expertise des professionnels de santé du territoire que ce soit pour les pathologies chroniques, pour les personnes âgées et dépendantes, l’accès aux soins, mais aussi, l’expérience du COVID nous le montrant, pour les crises sanitaires épidémiques, quelles qu’elles soient. Il convient de décloisonner les services pour le développement d’une véritable intelligence collective au service des spécificités des populations de chaque territoire.
En conclusion
Globalement les annonces du SÉGUR de la santé semblent excellentes en matière de politique territoriale sous réserve du ou « exécutif » de l’évolution des CRSA et des ARS.
L’aspect territorial de la formation professionnelle, chère à l’INPH, n’est malheureusement pas spécifiquement abordé par ces mesures.
Cependant au-delà d’une simple lettre d’intentions, il conviendra de veiller au respect d’un certain nombre de priorités d’investissement (financement) et d’organisation (gouvernance), à savoir :
• La réduction de la mille-feuille administrative d’un système de santé trop complexe et donc la possibilité d’une réduction de ses coûts.
• D’investir en priorité dans l’organisation territoriale des soins primaires (MSP, CPTS) en lien avec les structures hospitalières du GHT (Groupement Hospitalier de Territoire).
• De mieux dimensionner l’offre hospitalière avec une meilleure disponibilité de lits d’hospitalisation non programmée et de soins intensifs.
• De recentrer l’hôpital sur ses missions coordonnées avec tous les acteurs médico-sociaux du territoire de santé.
• D’améliorer la participation des organisations représentatives des professionnels de santé à la politique de leur territoire au sein des régions et des CRSA, ainsi qu’auprès des ARS.
Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°19