Revue de presse

Publié le 04 May 2023 à 08:08

L’équipe de la revue de presse se réunit une fois par mois.
Chaque membre se voit attribuer une revue et y sélectionne un article de son choix, qu’il a trouvé important, original, novateur…
La revue de presse n’a pas vocation à être exhaustive mais plutôt à faire découvrir des articles et à amener discussion et réflexion.
Bonne découverte !

Sélection d'Adrien Rousseau
Interne d’oncologie médicale

Nivolumab Plus Ipilimumab Versus EXTREME Regimen as First-Line Treatment for Recurrent/Metastatic Squamous
Cell Carcinoma of the Head and Neck: The Final Results of CheckMate 651
R Haddad et al, JCO 2022

Introduction

Les carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou (SCCHN) sont une entité fréquente, présente généralement à un stade localement avancé. La majorité des patients bénéficiant d’un traitement multimodal rechutent localement ou à distance. L’étude CheckMate 651, propose en première ligne une combinaison de nivolumab (anti PD-1) et d’ipilimumab (anti CTLA-4) en comparaison au standard de traitement historique, la polychimiothérapie par protocole EXTREME (platine, 5-FU, cetuximab).

Il faut déjà noter que le standard de traitement actuel en 1ère ligne récurrente ou métastatique, depuis la publication de l’étude KEYNOTE-048, est le pembrolizumab associé ou non à une chimiothérapie pour les tumeurs exprimant au moins 1 % de PDL1.

Néanmoins les inclusions de la CheckMate avaient déjà débuté lors de la publication de cet essai. C’est pourquoi le bras comparateur peut paraître inadapté en 2023.

Le nivolumab quant à lui bénéficie d’une autorisation en deuxième ligne métastatique après échec des platines.

Méthodes

La population d’étude était les patients avec : • Un SCCHN de la cavité orale, l’oropharynx, l’hypopharynx ou du larynx ; • Inéligibles à un traitement curatif ;

  • Mesurable en RECIST et avec un PD-L1 et p16 documentés ;
  • PS 0-1 ;
  • Pas de traitement récurrent/méta, pas d’anti EGFR ;
  • Pas de progression dans les 6 mois après le traitement loco-régional s’il a eu lieu.

La randomisation était équilibré en 1:1 et stratifiée sur : positivité du PD-L1, statut p16, précédente chimiothérapie. Le bras expérimental comportait du nivolumab 3mg/kg toutes les 2 semaines et de l’ipilimumab 1mg/kg toutes les 6 semaines, le bras standard de l’EXTREME selon le protocole décrit dans le NEJM princeps. Le crossover entre les bras n’était pas autorisé.

Les critères de jugements étaient les suivants :

  • Co-primary end points :

Survie globale (OS) en population générale.

  • OS chez PD-L1 ≥ 20% (CPS).
  • Critères secondaires :
  • OS chez PD-L1 ≥ 1%.

Survie sans progression (PFS) par comité d’adjudication en aveugle.

Taux de réponse (ORR) par comité d’adjudication en aveugle.

Durée de réponse (DOR) par comité d’adjudication en aveugle.

  • Critères exploratoires :

OS, PFS, ORR et DOR dans différents sous-groupes de population.

  • Tolérance.

 Patients-reported outcomes (PRO) à base d’échelle de qualité de vie générales ou spécifiques des SCCHN.

Il n’est pas précisé si la mesure du PD-L1 était centralisée, mais elle a été réalisée chez tous les patients avec la même technique (Dako PD-L1 immunohistochemistry 28-8 pharmDx assay).

Les auteurs ont pris en compte l’inflation du risque de première espèce de plusieurs façons : • Seuil fi xé à α = 0.025 en bilatéral pour chacun des critères de jugement principaux.

  • Analyse hiérarchique de l’OS dans la population ≥ PD-L1.

Le calcul du nombre d’événements nécessaires n’était pas détaillé dans le manuscrit principal, alors qu’il s’agit d’une information capitale ! Heureusement, il est détaillé dans le supplément. Dans la population générale, 741 évènements étaient requis pour détecter un HR de 0.845 avec une puissance de 97 %. Dans la population PD-L1 ≥ 20 %, 372 évènements étaient requis pour détecter un HR de 0.788 avec une puissance de 99 %.

Les tests statistiques ont été réalisés via un Log-Rank stratifié et un modèle de Cox stratifié. Les auteurs ont anticipé la non-proportionnalité des risques et programmé une analyse de sensibilité avec un test de Fleming-Harrington. Les analyses de survie étaient en ITT, celles de safety en per-protocole.

Résultats

947 patients ont été randomisés. La moitié avait au moins 61 ans, et certains étaient inclus jusqu’à 86 ans ! 80 % étaient des hommes, 35-40 % avaient un PD-L1 d’au moins 20 %, 30 % n’étaient pas métastatiques. La répartition des localisations était oropharynx > cavité orale > larynx > hypopharynx. 20 % était p16 positifs et la moitié avait déjà reçu une chimiothérapie. Il n’y avait pas de déséquilibre entre les groupes. Il n’y avait que 2 perdus de vu.

La figure A représente l’OS dans la population générale. On peut remarquer plusieurs choses :

  • Il y a violation de l’hypothèse des risques proportionnels.

Par exemple :


Les censures sont équitablement réparties.

  • Les « queues » de courbe ne sont pas interprétables car faible nombre de sujets encore à risque.

On a les mêmes conclusions avec la figure B qui représente l’OS dans la population PD-L1 ≥ 20 %. Les deux tests du log-rank sont non significatifs quelle que soit la population. L’analyse de sensibilité essayant de prendre en compte la non-proportionnalité des risques était également non significative (résultats non montrés). Une analyse exploratoire post hoc a été réalisée en ajustant sur le fait que 46 % des patients du bras EXTREME ont reçu une immunothérapie de seconde ligne contre seulement 6 % des patients du bras IPI+NIVO, et elle montrait un bénéfice significatif dans les deux populations.

Les durées médianes de réponses étaient supérieures avec l’IPI+NIVO dans les deux populations, mais les médianes de PFS et les ORR étaient significativement plus faibles dans le groupe IPI+NIVO.


Le profil de safety était favorable au bras immuno. Les profils d’effets secondaires étaient classiques et attendus.

Conclusion

Il s’agit d’une étude à la méthodologie rigoureuse, d’effectif important et sans biais flagrant. Il est tout à fait possible de conclure dans le sous-groupe PD-L1 ≥ 20 %, du fait d’une pré-spécification, d’une gestion du risque α et surtout d’un calcul du nombre d’événements adapté.

Elle inclue des patients assez âgés, ce qui doit être salué et encouragé pour améliorer la validité externe des essais cliniques randomisés.

Le critère de jugement principal dans la population générale n’est pas atteint. Concernant la population PD-L1 ≥ 20 %, il faut débattre du sur-risque de mortalité précoce avec l’immuno.

En effet, en l’absence de proportionnalité des risques, le test du log-rank perd en puissance, augmentant le risque d’une différence non-significative. De plus, le nombre d’évènements nécessaires n’était pas atteint (372 décès requis vs 363 patients inclus), aggravant le problème de puissance insuffisante. Toutefois, ce calcul tablait sur une puissance de 99 %, ce qui est énorme par rapport aux 80 % habituels. Même en l’absence d’un NSN atteint, la puissance restait donc importante. L’analyse de sensibilité par Fleming- Harrington n’a pas non plus rendu une association significative.

Ces éléments tendent à faire penser, que même s’il existe un bénéfice numérique à long terme chez les PD-L1 ≥ 20 %, la sur-mortalité précoce ne rend pas l’équation « rentable ».

L’écart important à la proportionnalité des risques (non testé mais visuellement évident avec le croisement des courbes de survie) ne permet pas d’interpréter les coefficients des modèles de Cox. Il ne faut donc pas accorder trop d’importance aux HR présents dans cet article, et se concentrer sur les tests du Log - Rank. L’analyse de sensibilité sur les traitements ultérieurs par immunothérapie tend à montrer que l’immunothérapie de deuxième ligne dans le bras EXTREME permet d’en améliorer la survie. D’un côté on pourrait penser que cela doit renforcer notre conviction dans une supériorité de NIVO+IPI vs chimio, mais d’un autre côté c’est la stratégie globale qu’il faut évaluer, c’est-à-dire NIVO+IPI puis chimio vs chimio puis immuno.

Ce schéma thérapeutique ne concurrencera pas le pembrolizumab, qui avait réussi à montrer un bénéfice chez les PD-L1 ≥ 1 %, alors qu’ici on échoue même au seuil 20 %. La chimiothérapie apparaît comme restant un acteur majeur des SCCHN, les hyperprogressions ou progressions primaires mettant à risque la vie des patients (asphyxie, hémorragies, infections, …).

 




Adrien Rousseau

 

Sélection d'Arnaud Saillant
Interne d’oncologie médicale

Asso ciation of Autologous Tumor Lysate-Loaded Dendritic Cell Vaccination with Extension of Survival Among Patients with Newly Diagnosed and Recurrent Glioblastoma. A Phase 3 Prospective Externally Controlled Cohort Trial. Liau LM et al.
Publié dans JAMA Oncol en Novembre 2022.

Contexte

Le glioblastome est une pathologie peu fréquente (environ 3500 cas par an en France) mais au pronostic sombre (médiane de survie entre 15 et 17 mois, survie à 5 ans inférieure à 5 %). Depuis 2005, et la validation du protocole STUPP, la première ligne de traitement consiste en une chirurgie suivie d’une radiochimiothérapie concomitante à base de temozolomide. Depuis, il y a eu très peu d’essais concluants dans cette maladie.

Dans cet essai de phase 3, multicentrique, international en cross-over, conduit entre août 2007 et novembre 2015 (avec un arrêt de 3 ans au milieu en raison de la crise financière), évaluant le DCVax-L (autologous tumor lysate-loaded dendritric cell vaccine) en première ligne en association avec la radio chimiothérapie concomitante.

Il s’agit d’une immunothérapie, basée sur le recueil de cellules dendritiques à partir de la pièce tumorale associé à des leucocytes prélevés par leukaphérèse. Les cellules dendritiques, provenant de la tumeur, présentent des antigènes spécifiques tumoraux multiples aux cellules de l’immunité, notamment les lymphocytes T pour ensuite aller exercer un effet antitumoral. Après manufacture, le vaccin est injecté à intervalle régulier par voie sous-cutanée.

Patients et méthodes

331 patients ont été inclus avec une randomisation 2:1, l’âge médian était de 56 ans, 89 % des patients étaient caucasiens. Les patients inclus recevaient le vaccin (ou placebo) à J0, J10, J20 puis à M2, M4, M8, M12, M18 M24 et M30 en association avec le Témozolomide (standard of care).

Un cross over était prévu pour les patients du groupe placebo en progression. À noter que les patients en rechute précoce post-chirurgical ou avec un Karnofsky inférieur à 70 n’ont pas été inclus.

L’objectif principal était la survie globale, avec un risque alpha à 2.5 %. En raison du cross-over important, la comparaison était faite par rapport à une population témoin externe à l’étude composée de 1366 patients appareillés.

Résultats

OS à 19.3 mois versus 16.5 mois dans la population externe de contrôle (p=0.002), avec 15.7 % des patients encore vivant à 48 mois de l’inclusion versus 9.9 % dans la population contrôle. Parmi les 99 patients du groupe contrôle de l’essai, lors de la récidive, 64 patients ont pu bénéficier du cross-over et du traitement vaccinal, avec une survie médiane de 13.2 mois après la récidive (versus 7.8 dans le groupe externe contrôle, p <0.001).

Le profil de tolérance était bon, à noter uniquement 3 patients ayant présenté un oedème cerebral post-injection (1 grade 2, 2 grade 3), 1 cas de nausée grade 3 et 1 cas d’infection locale (grade 3).

(ECP = external control population).

Conclusion

Une étude évaluant une immunothérapie positive par rapport à un groupe contrôle externe à l’essai, dans une tumeur réputée « froide », et une nouvelle preuve d’efficacité des vaccins en cancérologie solide.

 




Arnaud Saillant

 

Sélection de Lucie Houdou
Interne d’oncologie-radiothérapie

Risk Factors for Local Failure Following Chemoradiation and Magnetic Resonance Image–Guided Brachytherapy in Locally Advanced Cervical Cancer: Results From the EMBRACE-I Study Maximilian P., Journal of Clinical Oncology, 2023

Le cancer du col de l’utérus est le quatrième cancer le plus fréquent chez la femme dans le monde et représente un problème majeur de santé publique. Le traitement standard pour les formes localement avancées correspond à une radio- chimiothérapie suivie d’une curiethérapie. Tandis que les techniques de radiothérapie ont bien évolué depuis 25 ans, les techniques de curiethérapie ont peu changé. L’étude EMBRACE I a montré de très bons résultats concernant le contrôle local et la survie globale de la curiethérapie guidée par l’IRM, avec une toxicité acceptable.

Le but de cette étude est d’explorer la base de données d’EMBRACE-I pour les caractéristiques cliniques, facteurs de risque, relations dose-réponse pour le contrôle local des patientes avec un cancer du col de l’utérus localement avancé ayant été traitées par curiethérapie guidée par IRM. Le critère de jugement principal était le contrôle local et les critères de jugement secondaires : le contrôle pelvien, ganglionnaire, survie globale, survie sans maladie, qualité de vie.

1318 patientes ont été suivies. La radiothérapie a été délivrée entre 45-50 Gy en 25-30 fractions +/- associé à un boost jusqu’à 60- 65 Gy en concomitance avec du cisplatine hebdomadaire 40 mg/ m² en 5-6 cycles. La curiethérapie comportait un matériel endocavitaire +/- aiguilles interstitielles. Pour rappel, la D90 pour le CTV(HR) correspond à la dose reçue par 90 % du volume cible considéré à haut risque. 81 patientes avaient une maladie persistante 3 mois après la fi n du traitement. La médiane de survie après échec local était de 10 mois. La survie globale à 5 ans était de 23 % chez les patients présentant une récidive locale. Que la réponse complète soit obtenue à 3 mois ou 6-9 mois ne modifiait pas les résultats. Pour les sous-types histologiques non-carcinome épidermoïde : il est nécessaire d’augmenter la D90 du CTV(HR) pour obtenir la même réponse que dans les épidermoïdes. Les facteurs de risque de rechute locale retrouvés ont été : diamètre maximal et nécrose tumorale en IRM au diagnostic, sous type non épidermoïde, infiltration basse de l’utérus au diagnostic et avant curiethérapie, infiltration du mésorectum avant curiethérapie, la durée de traitement, la D90 pour CTV(HR). 14.6 % des patientes ont eu des effets secondaires >= grade III.

Par rapport aux données historiques, il existe une amélioration de la survie globale à 5 ans de 67 % à 74 %, amélioration du contrôle pelvien et local pour les stades FIGO IIIB de 14 % à 17 %. EMBRACE I a démontré la sécurité et validité des recommandations GYN GEC-ESTRO pour la définition du volume cible et fournit des preuves à grande échelle pour la prescription de dose et les facteurs de risque de rechute locale des cancers du col de l’utérus localement avancés traités par curiethérapie guidée par l’IRM. Il s’agit de la première étude prospective multicentrique internationale à grande échelle qui étudie la morbidité tardive liée à ce traitement. Néanmoins, il s’agit d’une étude observationnelle, non comparative avec des biais de sélection potentiels.

L’étude EMBRACE III va chercher à identifier des groupes de patientes à risque, le but étant de proposer une médecine personnalisée et performante.






Lucie Houdou

Article paru dans la revue « Association pour l'Enseignement et la
Recherche des Internes en Oncologie » / AERIO N° 5

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Publié le 1683180504000