Auteur
Laura DELSARTE
Interne au CHU de Brest
Relecture
Cécile TROMEUR
MCU-PH en Pneumologie au CHU de Brest
Introduction
La maladie veineuse thromboembolique (MTEV) est la 3e pathologie la plus fréquente des syndromes cardio-vasculaires aigus, après l’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral (AVC)1. L’Embolie pulmonaire (EP) et la thrombose veineuse profonde (TVP) en sont les deux principales manifestations cliniques.
Prise en charge diagnostique de l’EP
La démarche diagnostique doit être basée sur une probabilité clinique obtenue par un algorithme diagnostique validé (grade IA) (algorithme diagnostique classique de l’EP comprenant le score de Wells ou de Genève simplifié associés aux D-dimères en cas de probabilité clinique non forte ou l’algorithme YEARS).
L’algorithme YEARS (Figure 1) a fait l’objet d’une évaluation publiée dans le Lancet en 20172. En cas de suspicion d’EP, cet algorithme associe l’utilisation de 3 critères cliniques simples issus du score de Wells et un seuil de D-dimères différent en fonction de la présence d’au moins un des critères cliniques. Les critères cliniques utilisés sont : la présence d’hémoptysie, les signes de TVP, et l’absence de diagnostic différentiel. En l’absence d’un de ces trois critères cliniques, le seuil de Dimères est à 1000 ng/ml tandis qu’en la présence d’un seul de ces trois critères le seuil de D-dimères est de 500 ng/ml. L’utilisation de cet algorithme a montré une diminution du nombre d’angio-scanner pulmonaire de 14 % par rapport à un protocole classique, et la réduction du temps de passage aux urgences3. Cet algorithme a également été validé chez la femme enceinte (voir plus bas).
L’algorithme classique validé doit toujours être utilisé. Les patients ayant une faible probabilité ou une probabilité intermédiaire d’EP, le dosage des DDimères est indiqué en première intention (grade IA). Le seuil de D-dimère est de 500 ng/ml et ne varie pas en fonction de la probabilité clinique. Par ailleurs, l’utilisation d’une valeur seuil de D-dimères ajustée à l’âge après 50 ans (âge*10 ug/l pour les patients > 50 ans), permet d’augmenter la performance du test diagnostique, et peut être utilisée en toute sécurité afin d’exclure le diagnostic d’EP (grade IIA).
Figure 1 : Algorithme Years
Stratification du risque de mortalité précoce à 30 jours d’une EP
Lorsque l’EP est diagnostiquée, il est recommandé de stratifier le risque de mortalité précoce (à l’hôpital ou dans les 30 jours (grade IB). La premie re étape consiste à rechercher la présence d’une instabilité hémodynamique définie selon des crite res précis (tableau 1). En cas d’instabilité hémodynamique, l’EP est classée à haut risque de mortalité. Sa prise en charge consiste en l’instauration rapide d’un traitement anticoagulant par héparine non fractionnée, l’hospitalisation dans un service de lits scopés et l’instauration d’une thrombolyse en absence de contre- indications.
pulmonaire PAS < 90 mmHg ou nécessité d’amines
pour avoir une PAS > 90 mmHg
ET
Signes d’hypoperfusion d’organes
(trouble de la conscience, froideur, oligo
anurie, augmentation des lactates) PAS < 90 mmHg ou baisse > 40 mmHg
de la PAS > 15 min sans autre cause
retrouvée (arythmie, hypovolémie ou
sepsis)
Tableau 1 : Définition de l’instabilité hémodynamique dans l’EP
L’échocardiographie ne doit pas être systématiquement utilisée en routine dans le diagnostic de l’EP sans instabilité hémodynamique mais plutôt aider au diagnostic différentiel. Cependant dans le cas d’une suspicion d’une EP à haut risque de mortalité, l’absence de dysfonction ventriculaire droite ou de signe de surcharge droite, sont de bons éléments pour écarter l’EP comme cause de l’instabilité hémodynamique. En cas d’EP sans instabilité hémodynamique, les deux étapes suivantes consistent en la réalisation d’un score Pulmonary Embolism Severity Index (PESI) ou simplified (sPESI) (grade IIa) et l’évaluation de la dysfonction VD.
En cas de score sPESI < 1, l’EP est classée à faible risque de mortalité tandis qu’en cas de sPESI > à 1, l’EP est dite à risque intermédiaire de mortalité. En cas d‘EP à risque faible, le patient doit bénéficier d’une prise en charge ambulatoire (retour à domicile ou hospitalisation < à 48h).
L’évaluation du ventricule droit se fait par l’angio-scanner thoracique ou par l’ETT (rapport VD/VG) et aussi grâce aux dosages des enzymes cardiaques (BNP et troponine). Si deux de ces critères sont présents, l’EP est classée à risque intermédiaire haut (traitement par héparine et hospitalisation en lit scopé) tandis que si un seul de ces critères est présent, l’EP est classée à risque intermédiaire faible (hospitalisation standard). Les nouvelles recommandations de l’ESC 2019 insistent toutefois sur l’importance de la dysfonction ventriculaire droite, y compris en cas d’EP à risque faible, car elle aurait un impact sur la mortalité (grade IIa). Ainsi, en cas de dysfonction VD et malgré une EP classée à risque faible, le patient doit bénéficier d’une hospitalisation.
Figure 2 : Stratification du risque de mortalité d’embolie pulmonaire.
Traitements à la phase aiguë (excepté la femme enceinte et le cancer)
L’anticoagulation doit être initiée immédiatement à partir du moment où il existe une suspicion d’EP à probabilité intermédiaire ou élevée, sans attendre les résultats des examens permettant le diagnostic (grade IC).
EP sans instabilité Hémodynamique
En cas d’initiation d’une anticoagulation orale, il faudra privilégier les anticoagulants oraux directs (AOD) en l’absence de contre-indication plutôt que les AVK (grade IA).
A noter que les AOD sont contre-indiqués durant la grossesse, l’allaitement, et en cas de SAPL (grade III) dans le SAPL il faut privilégier les AVK (grade I).
En cas d’initiation d’une anticogulation parentérale, il faudra privilégier les HBPM et le Fondaparinux (Grade IA).
En cas d’altération de l’hémodynamique, le recours à la thrombolyse est devenu une recommandation grade IB.
La thrombectomie et la thrombolyse in situ sont passées d’un grade IIb à grade IIa.
EP avec instabilité Hémodynamique
Il n’y a pas de modification des traitements par rapport aux précédentes recommandations. La thrombectomie en cas de contre-indication à la thrombolyse reste indiquée (grade IC).
L’utilisation de l‘Extra Corporeal Membrane Oxygenation (ECMO)4 comme seul traitement, ou en association la thrombolyse ou la thrombectomie n’a pas montré une amélioration sur la survie dans les EP graves, il n’est donc pas conseillé d’y avoir recours (grade IIb).
Durées et modalités du traitement anticoagulant au long cours
Une anticoagulation minimale de 3 à 6 mois est recommandée pour tous les patients atteints d’une EP (grade IA).
La durée du traitement anticoagulant est fonction du risque de récidive de MVTE au long cours, du risque hémorragique et de la préférence du patient.
De plus, les nouvelles recommandations de l’ESC 2019 abandonnent le terme d’EP provoquée et non provoquée.
Le risque de récidive au long terme est maintenant classé en risque faible, intermédiaire ou élevé (Tableau 2).
Cette classification se rapproche de celle des recommandations françaises de 20195. Il existe une différence notable dans la classification de l’ESC. En cas d’EP survenant dans un contexte hormonal (grossesse/post-partum, contraception oestro-progestative ou de traitement hormonal de la ménopause), le risque de récidive est considéré comme à risque intermédiaire de récidive de MVTE, contre un risque faible de récidive dans les recommandations françaises.
Tableau 2 : Caractérisation du risque de récidive au long cours de la MTEV.
Dans les EP secondaires à un facteur de risque majeur transitoire ou réversible, c’est-à-dire un risque faible de récidive, la durée de traitement anticoagulant recommandée est de 3 mois (grade IB). La poursuite de l’anticoagulation au long cours est indiquée en cas de récidive de MVTE en l’absence d’un facteur de risque transitoire ou réversible majeur identifié (grade IB), mais également en cas de SAPL (grade IB).
La poursuite de l’anticoagulation après 6 mois de traitement initial doit être considérée pour les patients avec un premier épisode d’EP, sans facteur de risque identifié (grade IIa) ou en cas de facteur de risque persistant autre que le SAPL (grade IIa) (comme déjà présent dans les recommandations de 2014), mais également si présence d’un facteur de risque mineur/réversible (grade IIa). Dans cette situation, si une anticoagulation orale prolongée est envisagée, les AOD demi-doses pourraient être choisis en l’absence de cancer, soit par Apixaban 2,5 mg*2/jour ou Rivaroxaban 15 mg/j (grade IIa). Ces recommandations sont basées sur deux études (Einstein Choice6 et Amplify Extention7) dont la méthodologie est discutable. En effet, l’anticoagulation mi-dose y est comparée soit à un placebo soit à l’aspirine. De plus, l’anticogualtion mi-dose n’est pas comparée à l’anticoagulation pleine dose. Actuellement, l’étude RENOVE évalue le traitement anticoagulant mi-dose versus mi-dose après 6 mois d’une anticoagulation curative chez les patients à haut risque de récidive.
Selon l’ESC 2019, la survenue d’une EP durant la grossesse ou le peripartum ou dans un contexte de prise d’une contraception oestro progestative est considérée comme à risque intermédiaire de récidive de MVTE et devrait bénéficier d’un traitement anticoagulant au long cours à demi-dose (grade IIa niveau C). Cette recommandation est discutable, étant donné le faible risque de récidive auquel ces femmes sont exposées une fois l’exposition hormonale écartée.
Les recommandations de la SPLF 2019 considèrent l’exposition hormonale comme à risque faible de récidive de MVTE, et n’ayant donc pas d’indication à la poursuite d’une anticoagulation au-delà de 3 à 6 mois.
Cas particulier de la femme enceinte
Deux algorithmes sont maintenant validés chez la femme enceinte. L’algorithme YEARS adapté à la femme enceinte8 et l’algorithme associant le score de Genève et les D-dimères adaptés à la probabilité clinique9 permettent d’écarter avec sécurité l’EP.
Figure 3 : Algorithme diagnostique de l’EP chez la femme enceinte et dans les 6 semaines post-partum.
Les doses d’irradiation entre l’angio-scanner thoracique (avec un protocole faible dose) et la scintigraphie de perfusion sont équivalentes pour le foetus. Cependant l’angio-scanner thoracique induit plus d’irradiation mammaire chez la femme ce qui est un élément important à prendre en considération chez la femme jeune. Pourtant, bien que les seuils d’irradiation pour le foetus soient bien en dessous du risque de tératogénicité au cours d’une scintigraphie pulmonaire ou d’un angio-scanner thoracique, l’ESC 2019 recommande l’angio-scanner pulmonaire faible dose au même titre que la scintigraphie de perfusion en cas de radiographie pulmonaire normale (grade IIa).
En cas de radiographie anormale, l’angio-scanner est à envisager en première intention (grade IIa).
Particularités du patient en oncologie
L’Edoxaban (non disponible en France) et le Rivaroxaban constituent une alternative aux héparines de bas poids moléculaire (HBPM) chez les patients présentant une EP dans un contexte de cancer (excepté gastro-intestinal et urologique), (grade IIa). Le traitement anticoagulant doit être poursuivi au long cours ou au moins jusqu’à rémissions du cancer (grade IIa).
Conclusion
L’ESC 2019 propose ainsi des nouvelles recommandations marquées par la présence de nouveaux algorithmes diagnostiques validés dans la population générale et la femme enceinte.
L’indication d’une anticoagulation mi-dose au long cours semble élargie à toutes les populations considérées à risque fort et intermédiaire de récidive de MTEV. Toutefois, les résultats de l’étude RENOVE, actuellement en cours devraient permettre de répondre clairement à la question de la dose d’anticoagulation au long cours.
Références bibliographiques
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°9