Actualités : Réanimation chirurgicale des membres supérieurs chez le patient tétraplégique

Publié le 05 mars 2024 à 14:16
Article paru dans la revue « AJMER / AJMERAMA » / AJMERAMA N°5


La main humaine est un outil puissant pour interagir avec notre environnement, ainsi qu'un moyen très sophistiqué pour les interactions sociales physiques ou non verbales. Les nombreux degrés de liberté de la main, associés au rôle clé des pouces opposables, nous permettent d'effectuer des mouvements complexes, nécessitant force et précision. Cependant les patients tétraplégiques ne peuvent plus utiliser de façon complète leurs mains et de façon plus générale leurs membres supérieurs restreignant alors leur autonomie et limitant leur capacité à réaliser toutes les activités quotidiennes.

Chaque année, 250000 à 500000 personnes dans le monde subissent une lésion de la moelle épinière, dont plus de 50 % entraînent une tétraplégie1. D'après le Dr MÖBERG, chirurgien de la main, pour les patients tétraplégiques «  leurs mains sont leur vie » (“The hands are their life” dans sa version originale, 30 V 1980). L'amélioration de la fonction de la main est l'objectif le plus important pour les patients tétraplégiques2.

Par conséquent, pour maximiser l'autonomie de ces patients, il faut utiliser leur unique capital moteur en effectuant si nécessaire des prises en charge chirurgicales.

Définitions et rappels

  • L'effet ténodèse est l'effet que le mouvement d'une articulation entraîne normalement sur les tendons voisins1. L'extension active du poignet met en tension passivement les fléchisseurs des doigts longs et du pouce. La flexion du poignet met en tension passive les extenseurs des doigts longs et du pouce.
  • Muscles extrinsèques : Ils sont essentiellement des extenseurs de la métacarpo-phalangienne. Ce sont l'extenseur commun des doigts, l'extenseur propre de l'index, et l'extenseur propre de l'auriculaire. Ils participent à la formation de l'aponévrose dorsale du doigt.
  • Muscles intrinsèques : Ils sont fléchisseurs de la métacarpo-phalangienne et extenseur des interphalangiennes. Ce sont les interosseux palmaires et dorsaux et les lombricaux. Ils complètent la constitution de l'aponévrose dorsale. Ils écartent et rapprochent les doigts longs.
  • Position intrinsèque moins : Cette flexion en crochet des doigts longs associe l'extension de la métacarpo-phalangienne et la flexion des deux interphalangiennes. Cette position traduit l'insuffisance des muscles intrinsèques devant la prépondérance des extenseurs extrinsèques.
  • Position intrinsèque plus :  Cette flexion en volet des doigts longs associe la flexion de la métacarpo-phalangienne et l'extension des deux interphalangiennes. Les muscles intrinsèques sont prédominants dans cette position.

Historique de la chirurgie des membres supérieurs du patient tétraplégique4

Dans les années 50-60, les patients tétraplégiques ont montré une augmentation de leur espérance de vie du fait de l'amélioration des prises en charge des troubles respiratoires et urinaires. En parallèle, de nombreux centres de rééducation spécialisés ont pu s'ouvrir ce qui a permis d'envisager des programmes de restauration chirurgicale des fonctions motrices des membres supérieurs à visée fonctionnelle.

Le Dr Sterling  BUNNELL (1882-1957), chirurgien à San Francisco, est le premier, toutes pathologies confondues, à avoir posé les premiers principes de ténodèse et de transferts tendineux. Il s'agissait surtout d'une chirurgie de reconstruction d'une pince et non d'une chirurgie fonctionnelle du membre supérieur (Bunnell S. Surgery of the hand. Philadelphia: Lippincott; 1948).

Il a écrit le premier livre de référence sur la chirurgie de la main en 1944 : « Surgery of the hand » et a fondé en 1946 la première société de chirurgie de la main aux États-Unis. Il est considéré comme le père fondateur de la chirurgie de la main.

Dix ans plus tard, en 1958, le Dr LIPSCOMB a écrit le premier article chez les patients tétraplégiques C6-C7 en décrivant les transferts tendineux permettant la restauration d'une main plus fonctionnelle5.

Par la suite, quatre grands chirurgiens ont réfléchi plus spécifiquement au sujet tétraplégique dans les années 60-70. Il s'agissait de l'Américain FREEHAFER, de l'Ecossais LAMB, de l'Argentin ZANCOLLI et du Suédois MÖBERG.

Malgré différentes approches chirurgicales, lors de la première Conférence Internationale sur la Chirurgie Fonctionnelle du Membre Supérieur Tétraplégique à Edimbourg en 1978, ces 4 chirurgiens ont pu s'accorder sur plusieurs points tels que l'importance de la restauration de l'extension active du coude et de la pince pouce index ou key grip, l'importance d'une main souple et l'importance de la sensibilité du revêtement cutané des doigts pour contrôler la position, la motricité et la force de la main.

Par la suite le Pr Yves ALLIEU en France, a fait la  synthèse des principes chirurgicaux des écoles de ZANCOLLI et de MÖBERG. Les travaux de ZANCOLLI sont intéressants pour apprendre la réalisation d'une main intrinsèque associée à une stabilisation des articulations métacarpo-phalangiennes. Le but est d'obtenir la pince la plus forte possible. Les travaux de MÖBERG privilégient la pince termino-latérale et appuient sur le fait qu'il faille toujours restaurer l'extension active du coude dans un premier temps. Les études de FREEHAFER sont intéressantes pour leur réflexion concernant la réanimation de l'ouverture des doigts par transfert actif chaque fois que cela peut être possible.

Au fil du temps et des Conférences Internationales sur la Chirurgie Fonctionnelle du Membre Supérieur Tétraplégique, l'approche est devenue de plus en plus multidisciplinaire dans un but de rendre l'acte chirurgicale le plus sûr possible par une bonne sélection et une bonne rééducation pré-opératoire et par la suite de diminuer la durée d'immobilisation post-opératoire.

Quand opérer et qui opérer ?

Le Pr ALLIEU insiste sur des principes qui nous sont chers en Médecine Physique et de Réadaptation consistant à oublier les concepts classiques de reconstruction chirurgicale et à se tourner vers les désirs de chaque patient pour qu'il puisse vivre au mieux sa tétraplégie. Chaque patient est unique avec ses propres capacités restantes, ses souhaits et ses attentes. L'établissement d'indications chirurgicales ne peut être basé uniquement sur un niveau lésionnel.

Les principales questions à se poser d'après le Pr ALLIEU sont : Quand et qui opérer6 ?

Quand opérer ?

Un patient peut être opéré entre 6 mois et 1 an de stabilité neurologique selon les différentes écoles. En effet, il ne doit présenter aucune amélioration motrice. Les contre-indications à la chirurgie fonctionnelle du membre supérieur peuvent être une escarre, des troubles urinaires ou anorectaux, des douleurs non prises en charge et une spasticité trop importante. De plus, le patient doit pouvoir s'asseoir dans un fauteuil roulant afin de mouvoir son membre supérieur contre pesanteur. La prise en charge psychologique du patient n'est absolument pas négligeable ; un suivi par un psychologue avant la réalisation d'une chirurgie du membre supérieur est une condition préalable.

Il ne doit pas être non plus opéré trop tard car le patient ne doit pas avoir le temps de “s'adapter à sa blessure”. Le patient aurait dans ce cas des résultats académiques mais présenterait des difficultés pratiques lors de l'utilisation de ce « nouveau membre supérieur opéré ».

Qui opérer ?

Un patient motivé, bien informé, en bonne santé psychologique et dont les besoins en rééducation sont précis et réalistes est un bon choix pour une prise en charge chirurgicale. Il ne faut opérer que des patients qui sont psychologiquement prêts et qui comprennent la planification chirurgicale, les objectifs et les résultats possibles d'une telle chirurgie.

Le patient doit bénéficier d'une prise en charge rééducative en pré-opératoire qui a pour but de permettre un maintien des amplitudes articulaires et de poursuivre le renforcement moteur pour ne pas perdre de point sur l'échelle MRC lors de la phase pré-opératoire.

Cette phase rééducative  pré-opératoire est capitale et en voici les grands principes d'après le Pr ALLIEU6  :

  • La flexion passive de l'articulation métacarpo-phalangienne doit être suffisante.
  • Il faut éviter et traiter l'hyperflexion précoce de l'articulation interphalangienne proximale causée par une hypertonie des fléchisseurs des doigts longs. Cette hyperflexion prolongée peut entraîner un affaiblissement des extenseurs des doigts.
  • Le pouce et l'index doivent être bien positionnés dès le début en position termino-latérale.
  • Il faut lutter contre la raideur du poignet en flexion pour permettre l'ouverture du pouce et de l'index grâce à l'effet ténodèse.  L'extension passive du coude doit être complète pour permettre le verrouillage du coude en  extension (ce qui facilite à terme les transferts).
  • La contracture en supination doit être évitée par la rééducation dès le premier jour de la tétraplégie. La correction de la contracture de supination est importante car elle évite la raideur du poignet en extension due à la gravité et aux extenseurs restants du poignet et permet, lors de la mise en pronation, l'action des extenseurs du poignet.

D'après certains auteurs, jusqu'à 75  % des patients tétraplégiques pourraient bénéficier d'une chirurgie du membre supérieur7. Or seulement moins de 10  % des patients sont opérés ce qui peut être dû notamment à une méconnaissance des gains fonctionnels que ces chirurgies peuvent apporter8.

Classification internationale de Giens et évolution9, 10

La classification internationale de Giens répertorie les muscles actifs au-dessous du coude côtés à au moins 4/5 sur l'échelle MRC chez le patient tétraplégique. Cette classification très précise permet d'évaluer les possibilités motrices de chaque patient et de réfléchiraux différentes prises en charges chirurgicales possibles. Chacun des membres supérieurs est à coter séparément. Cette classification va de 0 à  10  : plus la lésion médullaire est basse, plus le groupe coté est élevé à l'exception du groupe 10 qui caractérise les « exceptions et atypies ».

Si un patient est classé dans le groupe 0, cela signifie qu'il n'a aucun muscle plus distal que le coude qui soit au moins côté à 4/5 sur l'échelle MRC. Si un patient est classé dans le groupe 1 cela signifie qu'il peut fléchir activement le coude et qu'il existe un brachio-radial supérieur ou égal à 4/5 et ainsi de suite pour les autres groupes.

Il est important de faire la distinction entre les groupes 2 et 3 : dans le groupe 2 il ne faut pas affaiblir l'extension active du poignet car elle n'est possible que par l'action du long extenseur radial du carpe (ECRL). Dans le groupe 3, les patients présentent une extension forte car ce mouvement est effectué par l'ECRL et le court extenseur radial du carpe (ECRB). Par conséquent, il est possible d'utiliser dans ce groupe l'ECRL comme muscle moteur pour effectuer un transfert car le court extenseur pourra compenser et l'extension du poignet sera conservée. Le classement des patients tétraplégiques entre les groupes 2 et 3 est primordial mais pas toujours évident. Pour cela la méthode pré-opératoire clinique par le test de Mohammed (1992) peut être utilisée : lorsque l'ECRB et l'ECRL sont cotés à 5/5 sur l'échelle MRC, l'extension contre résistance se fait sans inclinaison latérale et une gouttière entre les deux insertions tendineuses se dessine et est palpable. Si l'ECRL est fort et l'ECRB absent ou faible, une inclinaison radiale a lieu lors de l'extension du poignet. S'il existe le moindre doute, ou si le mouvement d'extension est fatigable, il faut classer le patient dans le groupe 2.

Les patients classés dans le groupe 4 peuvent effectuer les deux mouvements précédents (flexion du coude et extension du poignet) ainsi qu'une pronation de l'avant-bras par le rond pronateur (PT) qui doit être à 4 ou 5 sur l'échelle MRC.

Dans le groupe 5, les trois mouvements précédents peuvent être effectués ainsi qu'une flexion active du poignet par le fléchisseur radial du carpe (FRC). Il est intéressant de souligner que le triceps brachial est actif à partir du groupe 5.

Dans le groupe 6, il existe aussi une extension des doigts par l'action de l'extenseur commun des doigts (EDC) et dans le groupe 7 une extension du pouce par l'extenseur propre du pouce (EPL).

Les patients tétraplégiques présents dans le groupe 8 peuvent effectuer en plus des 6 mouvements précédents une flexion faible des doigts par mise en jeu des fléchisseurs communs des doigts. Dans le groupe 9, la flexion est forte pour tous les doigts et les patients présentent une main intrinsèque moins. Pour rappel une main est dite intrinsèque moins car la force des muscles intrinsèques (interosseux palmaires et dorsaux et les lombricaux) est moindre que celle des extrinsèques (extenseur commun des doigts, extenseur propre de l'index et extenseur propre de l'auriculaire). Les muscles intrinsèques complètent la constitution de l'aponévrose dorsale. Ils écartent et rapprochent les doigts longs. Ils sont fléchisseurs de la métacarpo-phalangienne et extenseur des interphalangiennes. Les muscles extrinsèques participent à la formation de l'aponévrose dorsale du doigt et sont essentiellement extenseurs de la métacarpo-phalangienne.

Comme expliqué précédemment, les membres supérieurs des patients ne pouvant être classés dans les neuf groupes précédents sont classés dans le groupe 10 qui regroupent les exceptions et atypies.

La classification de Giens ne tient pas compte de tous les muscles du membre supérieur : il est primordial de tester le triceps et les muscles de l'épaule.

GROUPE MUSCLES (≥ 4 MRC*) FONCTION 0 Pas de muscle actif au dessous du coude     1

BR

(Brachioradialis)

Huméro-stylo-radial

FLEXION

DU COUDE

2

+ ECRL

(extensor carpi radialis longus)

+1er Radia

EXTENSION 

DU POIGNET

3

+ ECRB

(extensor carpi radialis brevis)

+2e Radial

EXTENSION FORTE

DU POIGNET

4

+ PT

(pronator teres)

+ Rond Pronateur

PRONATION

DE L'AVANT-BRAS

5

+ FCR

(flexor carpi radialis)

+ Grand Palmaire

FLEXION

DU POIGNET

6

+ EDC

(extensor digitorum communis)

+ Extenseur commun des doigts

EXTENSION 

DES DOIGTS

7

+ EPL

(extensor pollicis longus)

+ Extenseur propre

du pouce

EXTENSION DU POUCE 8

+ FDC

(flexor digitorum communis)

+ Fléchisseurs  des doigts

FLEXION FAIBLE

DES DOIGTS

9 Main intrinsèque moins  

FLEXION FORTE

DES DOIGTS

10 Exceptions et Atypies    

Classification internationale de Giens, site du COFEMER, McDowell C.L. et al., 19799

Par la suite, le Pr ALLIEU et son équipe ont modifié la classification de Giens9 pour différencier trois groupes principaux de patients tétraplégiques pouvant bénéficier de différentes chirurgies du membre supérieur. Cette classification reste didactique et schématique servant de guide pour la chirurgie car chaque patient est unique.

Les patients ont été classés en trois types de tétraplégie : haute, moyenne et basse.

  • La tétraplégie de haut niveau (groupes 1 et 2 de la classification de Giens ) est caractérisée par un seul muscle transférable : le muscle brachioradial pour permettre soit une extension de poignet (groupe 1), soit une key grip active (groupe 2).
  • La tétraplégie de niveau moyen (groupes 3, 4 et 5) est défi nie par une forte extension du poignet due à l'ECRB. Dans ces trois groupes l'ECRL peut être transféré, et dans les groupes 4 et 5 le rond pronateur peut aussi l'être.
  • La tétraplégie de bas niveau (groupes 6, 7, 8 et 9) est définie par des extenseurs du coude et du poignet présents. Dans ces 4 groupes, il s'agit d'effectuer chez les patients une chirurgie de la main paralytique.

De plus, il est important d'évaluer la sensibilité du membre supérieur car l'on pense que la sensibilité de la main peut déterminer la qualité des résultats. Cependant une absence de sensibilité n'est pas une contre-indication à la chirurgie pour le Pr ALLIEU (contrairement à l'école de MÖBERG)11.

La trophicité et l'état articulaire sont à prendre en compte comme dans toute chirurgie.

De plus, il reste important d'évaluer la spasticité du membre supérieur. Si elle est très élevée, elle doit être traitée avec précaution. Le but des interventions concernant la spasticité est de rééquilibrer les forces en atténuant la spasticité, en libérant les rétractions musculaires et/ou articulaires, et en réanimant les fonctions paralysées12. Pour cela, un traitement par injections de toxine botulinique ou par allongement des fléchisseurs peuvent être effectués. Si la spasticité reste trop importante, elle peut être une contre-indication chirurgicale. Il reste important de souligner que dans certains cas, la spasticité peut être utile et peut permettre des mouvements de préhension et de pincement du fait d'une légère spasticité des fléchisseurs lorsque le pouce est bien positionné.

Groupe Muscles côtés M4 (MRC) Muscles transférables Triceps G0 Aucun muscle au-dessous du coude    

Tétraplégie haute

G1

G2

Brachioradialis

+ ECRL

Brachioradialis

Brachioradialis

-

-

Tétraplégie moyenne

G3

G4

G5

+ ECRB

+Pronator teres

+Muscle fl échisseur radial du carpe

ECRL

ECRL, pronator teres

ECRL, pronator teres

+/-

+/-

+/-

Tétraplégie basse

G6

G7

G8

G9

G10

Extenseurs des doigts

Extenseurs du pouce

Fléchisseurs des doigts

Main intrinsèque moins

Exceptions et atypies

ECRL, pronator teres + autres

ECRL, pronator teres + autres

ECRL, pronator teres + autres

ECRL, pronator teres + autres

 

Tableau inspiré de la classification de Giens modifiée

Les différentes chirurgies

Extension active du coude10, 13, 14

La reconstruction de l'extension active du coude est nécessaire bilatéralement dans les tétraplégies de haut niveau et de façon unilatérale ou bilatérale dans les tétraplégies de niveau moyen. L'objectif est d'orienter la main dans l'espace et de permettre l'extension de la préhension au-dessus de la tête. La reconstruction de l'extension active du coude stabilise le coude et concentre l'action de flexion du coude du BR en distalité ce qui permet d'utiliser le BR pour restaurer la préhension de la main.

Par conséquent, la restauration de l'extension active du coude est la première étape et précède généralement celle de la main.

Retrouver une extension de coude peut permettre au patient de gagner fortement en autonomie car il pourra propulser son fauteuil, faire ses transferts plus facilement (par exemple de la position couchée à la position assise ou du lit au fauteuil roulant), et pourquoi pas, suite à une intense rééducation, réussir à se sonder si une entérocystoplastie avec Mitrofanoff est aussi créée (cf. article de neuro-urologie du Dr  Chloé PACTEAU de ce numéro). La pratique de sports tels que la natation et le tennis de table redevient possible13.

  • Transferts tendineux
  • Le deltoïde postérieur (DP) et le biceps brachial (BB) sont les deux muscles qui peuvent être transférés sur le triceps paralysé pour rétablir une extension active du coude. Il est important d'évaluer la stabilité antérieure de l'épaule. En effet, s'il existe une instabilité antérieure de l'épaule (déficit du grand pectoral et/ou du deltoïde antérieur), le transfert du deltoïde postérieur sur le triceps  entraîne une rétropulsion d'épaule limitant alors la qualité de l'extension du coude.

    ▷ Transfert du deltoïde postérieur sur le triceps

    Cette technique a été créée par le chirurgien MÖBERG ; elle consistait à transférer le deltoïde postérieur sur l'insertion inférieure du triceps brachial avec interposition d'une greffe tendineuse (constituée par les tendons extenseurs des orteils). L'inconvénient de cette technique est le manque de force dans les derniers degrés d'extension. ALLIEU utilise donc un tendon artificiel inextensible enveloppé dans le fascia lata pour renforcer l'extension.

    Transfert du deltoïde postérieur sur le triceps 1 : deltoïde postérieur, 2 : triceps brachial, 3 : humérus, 4 : biceps brachial,  5 : ligament synthétique, 6 : fascia lata, 7 : olécrâne

    ▷ Transfert du biceps sur le triceps

    C'est la technique de ZANCOLLI qui consiste à transférer le biceps brachial sur l'insertion du triceps sural. Cette technique est surtout utilisée dans les cas de tétraplégie de haut niveau. Cette chirurgie est plus aisée à réaliser que la précédente. La rééducation est plus simple et les résultats sont plus constants. L'inconvénient de cette technique est la perte de force du coude (de 35  % en moyenne)14.

    Le Dr Caroline LECLERCQ, chirurgien de la main reconnu, explique que les tenants de ces deux techniques chirurgicales, n'ont pas encore tranché au regard des avantages et inconvénients de chacune d'entre elles.

  • Transferts de nerfs15
  • Plus récemment, diverses techniques de transferts de nerfs ont pu s'avérer pertinentes et prometteuses dans la chirurgie du membre supérieur. Les transferts de nerfs sont une option chirurgicale intéressante parce qu'ils permettent une réanimation directe du muscle anatomiquement et biomécaniquement conçu pour cette fonction.

    Les transferts de nerfs peuvent réanimer plus d'un muscle à la fois, contrairement aux transferts de tendons qui nécessitent généralement un seul tendon pour reconstruire une seule fonction. De plus, plusieurs transferts de nerfs peuvent être réalisés simultanément.

    Les transferts de nerfs nécessitent une incision chirurgicale plus petite et une durée d'immobilisation ou d'attelle nettement plus courte après l'opération. En outre, les transferts de nerfs évitent les difficultés techniques liées à la chirurgie de tendon (mise en tension peropératoire du tendon) et par conséquent les défaillances mécaniques postopératoires (rupture du tendon, adhérence ou étirement). Les options de reconstruction et le nombre de fonctions restaurées sont importantes et ce d'autant plus que les transferts de nerfs peuvent être combinés à des transferts de tendons.

    Pour restaurer l'extension active de coude, il est effectué un transfert du nerf alimentant le teres minor ou la partie motrice du nerf axillaire postérieur ou même les deux, sur le chef long et le chef médial du triceps.

    L'étude de VAN ZYL et al14, présente la plus grande série prospective de transferts de nerfs chez les patients tétraplégiques. L' extension de coude est cotée à 3/5 en moyenne suite à un transfert de nerf ce qui est similaire aux résultats retrouvés dans des séries de transferts tendineux16.

    Rétablissement de la préhension10, 14

    Saisir et pincer sont des actions clés qui permettent l'indépendance dans de nombreuses activités de la vie quotidienne telles que l'auto-alimentation, l'écriture, la prise d'objets lourds, l'autosondage, et l'utilisation du fauteuil roulant.

    Il existe deux types de reconstruction de la préhension de la main : la création d'une prise par pincement latéral key grip (pouce appui sur la phalange) et la création d'une prise de force par flexion des doigts.

    Transferts tendineux

    Création d'une Key Grip passive

    En règle générale, la construction d'une key grip passive est effectuée chez les patients classés dans le groupe 1. Elle nécessite une procédure en deux étapes : la réanimation de l'extension du poignet puis la réanimation de l'articulation du pouce par la création d'une key grip. Entre ces deux étapes, le patient effectue une rééducation intensive de l'extension du poignet.

    Cette technique chirurgicale a été développée par MÖBERG dès 1975. L'extension du poignet est réalisée par le transfert du BR sur l'ECRB. L'extension active du poignet permet d'avoir une key grip passive par effet ténodèse. Par la suite il est possible d'améliorer la stabilité de la pince latérale par des procédés passifs associés de ténodèses et d'arthrodèses telles une ténodèse du long fléchisseur du pouce au radius, avec ou sans ténodèse du long extenseur du pouce, une stabilisation de la colonne du pouce. Cette prise est dépendante de la position du poignet et permet de saisir des objets très légers.

    Création d'une Key Grip active

    Cette opération est réalisée notamment dans les patients du groupe 2. Le BR est transféré sur le muscle long fléchisseur du pouce. Le patient peut utiliser cette pince sans extension du poignet contrairement à la key grip passive. Le patient doit contracter le BR pour utiliser cette pince qui est donc qualifiée d'active. Comme dans le groupe 1, des interventions de stabilisation de la colonne du pouce sont effectuées. Le patient peut saisir des objets plus lourds qu'avec une pince passive.

    Le positionnement du pouce sans arthrodèse a l'avantage de maintenir une main souple. Si l'on opère les deux membres supérieurs, deux keys grips différentes peuvent être construites avec arthrodèse d'une part et une double ténodèse d'autre part.

    Construction d'une prise de force

    En cas de tétraplégie moyenne avec deux muscles transférables (BR et ECRL), il est possible de construire non seulement une key grip active en transférant le BR sur le long fléchisseur du pouce mais aussi une prise de force par le transfert de l'ECRL sur les fléchisseurs profonds des doigts.

    L'ouverture de la main reste passive par l'effet ténodèse des extenseurs. L'ouverture passive de la main est réalisée grâce à une arthrodèse de la trapézométacarpienne, une ténodèse des extenseurs sur le radius et une stabilisation des  métacarpo-phalangiennes (MCP) par une chirurgie des intrinsèques type House par exemple. Cette chirurgie n'est pas systématiquement utilisée. Elle a pour but de stabiliser les MCP en flexion pendant la flexion active des doigts et la mise des interphalangiennes (IP) en extension lors de l'ouverture passive de la main. Pour cela, les bandelettes du fléchisseur commun superficiel des doigts sont sectionnées et retournées pour être fixées à elles-mêmes ; les MCP sont mises à 40° de flexion. Ce geste reproduit la manœuvre de Bouvier qui consiste à empêcher les doigts de se fermer en griffe après la réanimation des fléchisseurs.

    Avec une prise de force et une key grip, les patients récupèrent une grande autonomie pour l'habillage et la toilette de la partie supérieure du corps ainsi que pour la prise des repas.

    Le fléchisseur radial du carpe n'est pas utilisé pour effectuer des transferts tendineux pour ne pas altérer la flexion active du poignet qui permet l'ouverture de la main grâce à l'effet ténodèse (des extenseurs des doigts).

    Voici quelques exemples selon les différents groupes des patients :

    • Dans les groupes 4 et 5, le BR peut être utilisé dans un premier temps pour activer l'extension des doigts longs en le transférant sur l'extenseur commun des doigts et le long extenseur du pouce. L'ECRL peut, quant à lui, dans un deuxième temps, être transféré sur le fléchisseur commun profond des doigts et le long fléchisseur du pouce.
    • Dans les groupes 6 et 7, il est important de souligner que la présence des extenseurs crée une “main plate” rendant l'utilisation de l'effet ténodèse impossible et par conséquent la création d'une key grip délicate. Il peut être effectué un transfert de l'ECRL sur les fléchisseurs des doigts et du BR sur le long fléchisseur du pouce. Une réanimation de l'opposition du pouce par le long palmaire peut être réalisée.
    • Les patients des groupes 8 et 9 se font quant à eux plus rarement opérer et la chirurgie fonctionnelle qui peut leur être proposée n'est pas spécifique du patient tétraplégique.

    Transferts de nerfs15

    Pour réanimer l'extension des doigts et du pouce et donc permettre une ouverture de la main, il peut être effectué un transfert du nerf alimentant le muscle supinateur (un rameau du nerf radial) sur le nerf interosseux postérieur.

    Pour réanimer la flexion du pouce, de l'index et du majeur (préhension et création d'une pince), il est effectué un transfert du nerf alimentant l'ECRB (rameau du nerf radial) ou de celui alimentant le muscle brachial ou le muscle supinateur au nerf interosseux antérieur.

    La prise en charge post-opératoire17

    La prise en charge en rééducation post-opératoire se fait en unité spécialisée contrairement à la prise en charge pré-opératoire qui peut s'effectuer en kinésithérapie libérale. La durée d'hospitalisation est de deux à trois mois pour chaque chirurgie d'extension du coude et de deux mois à chaque temps chirurgical sur chaque main.

    Rééducation de l'extension de coude

    Durant la phase d'immobilisation post-opératoire, le patient bénéficie d'un entretien articulaire et musculaire du membre supérieur. Un travail extrêmement prudent de la contraction isométrique est possible pour permettre au patient de prendre conscience du nouveau muscle transféré et ce dès le septième jour post-opératoire.

    Durant les trois premières semaines, le membre supérieur, hors des temps de rééducation, est immobilisé par une orthèse sur mesure plutôt qu'une résine pour effectuer une surveillance du revêtement cutané ce qui est d'autant plus indispensable chez le patient tétraplégique. Par la suite, un déverrouillage progressif de l'orthèse de coude pourra être effectué. Ce port d'orthèse permet aussi de protéger les sutures. Ensuite, le renforcement musculaire est intensifié progressivement : après les trois semaines d'immobilisation stricte, un travail uniquement progressif en flexion par palier de 15 à 20° par semaine est effectué. La flexion ne peut être augmentée que si le transfert permet une extension active du coude dans le palier précédent. Il est important de prévenir le patient qu'il ne pourra pas mobiliser son fauteuil pendant quatre semaines et qu'il sera alors propulsé par un tiers. Un travail à visée fonctionnelle au fauteuil est à débuter dès que possible. Au bout de la quatrième semaine post-opératoire, il pourra utiliser un fauteuil roulant électrique et la propulsion au fauteuil roulant manuel ne sera possible qu'à partir de la 10ème semaine post-opératoire.

    Concernant les transferts de nerfs, la courte durée d'immobilisation de 10 jours (dans une écharpe) contre les 6 à 12 semaines d'immobilisation dans une attelle nécessaires pour les transferts de tendon, font des transferts de nerf pour l'extension du coude une option d'autant plus intéressante15.

    Rééducation de la main

    Les protocoles sont peu codifiés mais quelques grands principes se dégagent d'après Fattal et al, 200817 :

    • Une dynamisation précoce est nécessaire dans les sept à dix jours post-opératoires des transplants sur un mode isométrique (la résine est alors bivalvée précocement) ;
    • Une dynamisation dès la quatrième semaine, en actif aidé puis en actif du transplant, poignet et doigts en position de protection du transplant ;
    • Un  renforcement progressif de la flexion dorsale du poignet ;
    • Une reprise des transferts et de la propulsion à partir de la neuvième semaine post-opératoire.

    Pour conclure, la chirurgie du membre supérieur est un excellent exemple de coopération entre médecins MPR et chirurgiens. D'après le Dr Caroline LECLERCQ, les transferts tendineux ou de nerfs ne restaurent pas la fonction normale de la main mais améliorent significativement la capacité fonctionnelle des patients tétraplégiques. Cette chirurgie resterait cependant insuffisamment proposée aux patients du fait d'un manque de connaissance de ces pratiques chirurgicales et d'un nombre insuffisant d'équipes chirurgicales formées en France pour réaliser ces prises en charge. L'acceptation par le patient peut aussi s'avérer être un frein du fait de la sur-médiatisation de « pratique miracle réparant la moelle épinière » entraînant un refus de modifier son corps. Notre rôle est donc, actuellement, d'amener nos patients éligibles à ces chirurgies dites palliatives à la lésion médullaire et non curatives, pour leur faire gagner un maximum d'autonomie dans leur vie quotidienne.

    Bibliographie

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  • Dr Camille NOËL

     

     

    Publié le 1709644602000