Radiothérapie externe dans les tumeurs cutanées

Publié le 22 Oct 2024 à 16:56
Article paru dans la revue « SFJRO / le mag » / SFJRO N°6

Carcinomes épidermoïdes cutanés et carcinomes basocellulaires

Les carcinomes épidermoïdes cutanés (CEC) et les carcinomes basocellulaires (CBC) sont des tumeurs développées à partir des kératinocytes de l'épiderme, survenant chez des patients de plus de 50 ans dont le principal facteur de risque est l'exposition solaire.

Le traitement de référence reste la chirurgie. La radiothérapie est discutée en post-opératoire selon la qualité de l'exercice et certains critères histologiques. Néanmoins, elle est une alternative validée chez les patients non opérables ou dans certaines localisations où la chirurgie a de mauvais résultats fonctionnels ou esthétiques.

Carcinomes basocellulaires

Le CBC se caractérise par une progression locale qui peut s'avérer être délabrée notamment au niveau de la face.

La localisation anatomique a une valeur pronostique en distinguant 3 zones : zone à faible risque (tronc et membres), zone à risque intermédiaire (front, joue, menton, cuir chevelu et cou) et zone à haut risque (zones périorificielles).

On distingue plusieurs sous-types histologiques : superficiel, nodulaire, infiltrant, sclérodermiforme et métatypique, les 3 derniers étant les formes les plus agressives.

Les CBC sont des tumeurs radiosensibles. La radiothérapie permet un contrôle local dans plus de 90 % des cas et même dans près de 80 % en cas de carcinome basocellulaire récidivant.

Dans une méta-analyse, le taux de récidive locale après radiothérapie était de 3,5 %, similaire à celle obtenue par chirurgie [1].

En situation post-opératoire, elle est recommandée en cas de chirurgie macroscopiquement incomplète (R2) lorsque la reprise chirurgicale est récusée.

En cas de résection histologiquement incomplète (R1), une surveillance peut être proposée même en l'absence de reprise chirurgicale. Néanmoins, elle peut être discutée en cas d'envahissement péri-nerveux extensif ou de situation de récidive même si l'exérèse est en marges saines.

La radiothérapie exclusive est souvent indiquée comme alternative à la chirurgie dans les CBC récidivants ou ceux avec un envahissement osseux ou cartilagineux.

Cependant, la radiothérapie n'est pas recommandée chez les sujets de moins de 60 ans et sur certaines zones anatomiques : jambes (en raison d'un risque plus élevé de radionécrose du fait d'une vascularisation plus pauvre, en particulier chez les patients âgés), oreilles, mains, pieds, organes génitaux externes.

La radiothérapie est contre-indiquée en cas de syndromes génétiques prédisposant aux cancers cutanés (naevomatose basocellulaire et xeroderma pigmentosum).

Carcinomes épidermoïdes cutanés

Le CEC est plus agressif à risque d'extension métastatique ganglionnaire et à distance.

En cas d'atteinte ganglionnaire, un curage chirurgical est recommandé. La radiothérapie adjuvante est indiquée en cas de résection histologiquement incomplète (R1), si une reprise chirurgicale n'est pas possible. En cas de résection complète (R0), l'intérêt de la radiothérapie adjuvante est davantage discuté.

La méta-analyse de Kim et al., incluant des CEC non métastatiques à haut risque opérés en marge négative n'a montré aucune différence statistiquement significative entre la chirurgie seule et la chirurgie suivie d'une radiothérapie adjuvante en termes de contrôle locorégional [2]. Cependant, dans l'étude rétrospective de Ruiz et al. Portant sur 508 CEC, la radiothérapie post-opératoire réduisait le risque de récidive locorégionale dans les tumeurs récidivantes, celles de taille > 6 cm ou avec une invasion osseuse, et celles qui associaient 4 facteurs de haut risque de récidive [3].

La radiothérapie peut être proposée en présence d'un ou de plusieurs critères de mauvais pronostiques suivants :

• Tumeur récidivante ;

•Engainements péri-nerveux visibles à l'image-rie ou en per-opératoire, ou à l'examen histologique autour des nerfs de calibre ≥0,1mm ou situés au-delà du derme ;

• Engainements péri-nerveux plurifocaux ;

• Taille > 4 cm ;

• Épaisseur > 6mm ou envahissement en profondeur au-delà de la graisse sous cutanée ;

• Emboles vasculaires ;

• Tumeurs peu différenciées ;

• Tumeurs desmoplastiques ou infiltrantes chez les patients immunodéprimés.

En cas d'atteinte ganglionnaire, il y a une indication de radiothérapie post-opératoire au niveau des aires atteintes. Pour des patients opérés pour des tumeurs cutanées de la face et du cou avec une atteinte ganglionnaire, une méta-analyse a mis en évidence une amélioration de la survie globale avec une radiothérapie adjuvante [4]. Par contre, il n'y a pas d'intérêt démontré à réaliser une radiothérapie prophylactique des aires ganglionnaires chez les patients avec un statut N0 clinique et radiologique.

L'ajout d'une chimiothérapie à une radiothérapie post-opératoire ne diminue pas le risque de rechute locorégionale dans un essai de phase III mené avec du carboplatine hebdomadaire [5].

Pour les tumeurs localement avancées, le bénéfice de la chimioradiothérapie concomitante à base de cisplatine par rapport à la radiothérapie seule n'a pas non plus été démontré, mais elle se justifie par analogie avec les cancers épidermoïdes de la tête et du cou. L'ajout du cétuximab est également une option.

Technique d'irradiation : volumes et doses

Pour la radiothérapie exclusive, le volume d'irradiation est en fonction du groupe pronostique : comme pour la chirurgie, il est proposé d'ajouter des marges de sécurité minimales de 5 mm pour des tumeurs à faible risque, et de 10 mm pour les tumeurs à très haut risque par rapport au volume tumoral voire plus pour les CBC de type sclérodermiforme.

En cas d'engainements péri-nerveux extensifs, le trajet des nerfs doit être couvert par le volume irradié, avec une vigilance particulière pour les nerfs crâniens dans la région tête et cou, où une IRM peut être utile pour la délinéation.

De nombreuses prescriptions de dose sont utilisées ; si des doses équivalentes de 50 à 60 Gy en EQD2 (α/β= 10) sont possibles dans les tumeurs de moins de 2 cm, il est préférable de délivrer des doses de 65 à 70 Gy en EQD2 pour les tumeurs ≥ 2 cm afin d'améliorer le taux de contrôle local. En fonction de l'état général du patient, on peut proposer des irradiations hypo fractionnées : dans la méta-analyse de Zaorsky et al. évaluant des CBC et des CEC de stades T1 et T2 traités en radiothérapie exclusive, les résultats étaient similaires à ceux du fractionnement conventionnel, aussi bien en termes de taux de contrôle local que de résultat cosmétique, avec des protocoles délivrant 50 Gy en 15 fractions ou 35 Gy en 5 fractions [6]. NCCN recommande pour les schémas hypo fractionnés de délivrer des doses équivalentes en BED10 de 56 Gy minimum. Pour la radiothérapie post-opératoire, une dose totale de 50 à 54 Gy en fractionnement conventionnel est recommandée en cas de résection R0 et de 60 à 66 Gy en présence de critères histologiques de mauvais pronostic (résection R1 ou adénopathies en rupture capsulaire).

Tumeurs à cellules de Merkel

Il s'agit d'un carcinome neuro-endocrine cutané dérivé des cellules de Merkel (mécanorécepteurs qui synthétisent plusieurs neuromédiateurs) lié dans la plupart des cas au polyomavirus à cellules de Merkel. Cela survient souvent chez les personnes âgées dans les zones du corps exposées au soleil.

La chirurgie est le traitement de référence. Une exploration ganglionnaire avec une exérèse du ganglion sentinelle est recommandée : en effet, on observe une atteinte ganglionnaire dans 30 % des patients de stade clinique ou radiologique N0 [7].

La radiothérapie post-opératoire sur le site primitif est indiquée de manière systématique car elle améliore la survie sans progression et la survie globale d'après des données de registres américains et de méta-analyses [8-9]. Elle doit être réalisée dans les 8 semaines qui suivent la chirurgie.

Concernant le traitement des aires ganglionnaires, en l'absence d'évaluation ganglionnaire par le ganglion sentinelle, en particulier dans la région tête et cou, il est recommandé d'irradier les aires de drainage.

En cas d'atteinte ganglionnaire microscopique (ganglion sentinelle positif), l'irradiation ganglionnaire peut être proposée en alternative au curage ganglionnaire. En cas d'atteinte ganglionnaire macroscopique, après un curage ganglionnaire, la place de la radiothérapie adjuvante n'est pas clairement démontré mais elle peut être proposée en cas d'atteinte ganglionnaire multiple et/ou d'adénopathies en rupture capsulaire. La radiothérapie exclusive au niveau ganglionnaire ne doit être proposée qu'en cas de contre-indication à la chirurgie, mais elle permet aussi d'obtenir un contrôle régional satisfaisant [7].

Technique d'irradiation : volumes et doses

Les volumes d'irradiation couvrent le lit tumoral post-opératoire ou la tumeur en place avec une marge minimale de 1 voire 2 cm. Pour la radiothérapie post-opératoire, la dose totale est de 50 Gy en fractionnement conventionnel. Des données issues de registres américains montrent qu'une dose plus faible de 40 à 50 Gy pour les tumeurs opérées du tronc ou des extrémités n'altère pas la survie [10]. En revanche, la dose de 50 à 55 Gy doit être maintenue pour les tumeurs opérées au niveau de la région tête et cou. En cas de marges microscopiques positives (R1), la dose doit être augmentée à 60 Gy, et en cas de marges macroscopiquement positives (R2) ou de tumeurs en place, à 66 Gy. Pour les patients âgés, un traitement modérément hypofractionné peut être proposé [11].

Dr France NGUYEN
Institut Gustave Roussy

Bibliographie

1. Drucker AM, Adam GP, Rofeberg V, Gazula A, Smith B, Moustafa F, et al. Treatments of primary basal cell carcinoma of the skin: a systematic review and network meta-analysis. Ann Intern Med 2018; 169:456–66.

2. Kim Y, Lehrer EJ, Wirth PJ, Khesroh EA, Brewer JD, Billingsley EM, et al. Adjuvant radiotherapy may not significantly change outcomes in high-risk cutaneous squamous cell carcinomas with clear surgical margins: a systematic review and meta-analysis. J Am Acad Dermatol 2022; 86:1246–57.

3. Ruiz ES, Kus KJB, Smile TD, Murad F, Zhou G, Ilori EO, et al. Adjuvant radiation following clear margin resection of high T-stage cutaneous squamous cell carcinoma halves the risk of local and locoregional recurrence: a dual-center retrospective study. J Am Acad Dermatol 2022;87:87–94.

4. Sahovaler A, Krishnan RJ, Yeh DH, Zhou Q, Palma D, Fung K, et al. Outcomes of cutaneous squamous cell carcinoma in the head and neck region with regionallymph node metastasis: a systematic review and meta-analysis. JAMA Oto-laryngol Head Neck Surg 2019; 145:352–60.

5. Porceddu SV, Bressel M, Poulsen MG, Stoneley A, Veness MJ, Kenny LM, et al. Postoperative concurrent

chemoradiotherapy versus postoperative radiother-apy in high-risk cutaneous squamous cell carcinoma of the head and neck: the randomized phase III TROG 05.01 trial. J Clin Oncol 2018; 36:1275–83.

6. Zaorsky NG, Lee CT, Zhang E, Keith SW, Galloway TJ. Hypofractionated radiation therapy for basal and squamous cell skin cancer: a meta-analysis. Radiother Oncol 2017;125:13–20.

7. Gauci ML, Aristei C, Becker JC, Blom A, Bataille V, Dreno B, et al.; European Dermatology Forum (EDF), the European Association of Dermato-Oncology (EADO) and the European Organization for Research and Treatment of Cancer (EORTC). Diagnosis and treatment of Merkel cell carcinoma: European consensus-based interdisciplinary guideline - Update 2022. Eur J Cancer. 2022 Aug; 171:203-231.

8. Bhatia S, Storer BE, Iyer JG, Moshiri A, Parvathaneni U, Byrd D, et al. Adjuvant radiation therapy and chemotherapy in merkel cell carcinoma: survival analyses of 6908 cases from the National Cancer database. J Natl Cancer Inst 2016; 108(9).

9. Petrelli F, Ghidini A, Torchio M, Prinzi N, Trevisan F, Dallera P, et al. Adjuvant radiotherapy for Merkel cell carcinoma: a systematic review and meta-analysis. Radiother Oncol 2019; 134:211–9.

10. Patel SA, Qureshi MM, Sahni D, Truong MT. Identifying an optimal adjuvant radiotherapy dose for extremity and trunk Merkel cell carcinoma following resection: an analysis of the National Cancer database. JAMA Dermatol 2017; 153:1007–14.

11. Liu KX, Milligan MG, Schoenfeld JD et al. Characterization of clinical outcomes after shorter course hypofractionated and standard-course radiotherapy for stage I–III curatively-treated Merkel cell carcinoma. Radiother Oncol 2022; 173: 32–40.

Publié le 1729609007000