Isabelle Montet, Michel David, Paul Jean-François, Anne-Sophie Pernel, Gérard Rossinelli
La santé mentale constitue un enjeu de santé publique : c’est ainsi que commencent la majorité et nombreux rapports sur la psychiatrie de ces dernières années. Pour le rapport Robiliard : une personne sur quatre est susceptible de développer un trouble au cours de sa vie, 1 % de la population française souffre de schizophrénie, 2 % présentent des troubles de l’humeur et le taux de suicide, cause de 11 000 décès par an en France, est l’un des plus élevé d’Europe.
L’importance du coût économique, sanitaire et social, est un autre argument avancé pour justifier de l’intérêt des politiques pour la santé mentale : 107 milliards d’euros par an selon la Cour des Comptes dans son rapport d’évaluation du plan psychiatrie et santé mentale.
L’édition 2017 de la DREES sur « Les établissements de santé » montre qu’en 2015 les établissements de santé autorisés en psychiatrie n’ont pas été inactifs : 2 millions de patients ont été suivis en ambulatoire et 420 000 en hospitalisation. En 2015, 461 000 enfants et adolescents ont été pris en charge en ambulatoire, 42 000 en hospitalisation partielle ou complète, nombre en augmentation régulière qui a doublé depuis 1986, et a augmenté de 22 % entre 2007 et 2014.
Pour les adultes, les troubles mentaux liés à l’utilisation de substances psychoactives, la schizophrénie, les troubles de l’humeur et les troubles névrotiques représentent la majorité des prises en charge avec des différences selon le mode de prise en charge : le diagnostic de schizophrénie est le motif le plus fréquent de recours à l’hospitalisation chez les hommes (24 %), les femmes sont davantage hospitalisées pour des troubles de l’humeur (38 %) ; en ambulatoire, les motifs de recours font davantage intervenir des diagnostics relatifs aux facteurs influant sur l’état de santé, dont les difficultés liées aux conditions socio-économiques et psychosociales (surreprésentation des femmes pour les diagnostics de troubles névrotiques, et des hommes pour les troubles du développement psychologique ou les troubles du comportement.
Pour la pédopsychiatrie, selon les chiffres de la DREES, la file active cumulée dans toutes les structures (publiques, associatives et privées) arrive à près de un million de jeunes : les troubles du comportement et troubles émotionnels constituent le motif de recours le plus fréquent en ambulatoire ; pour les prises en charge hospitalières, principalement effectuées en hospitalisation de jour, la majorité des diagnostics sont les troubles du développement psychologique.
Le rapport de la DREES de 2017 sur les établissements de santé souligne que « la psychiatrie présente des caractéristiques spécifiques par rapport aux autres disciplines médicales : faible place des actes techniques, nombreuses structures extrahospitalières, prises en charge récurrentes et diversifiées, etc. ». Des singularités imprègnent bien plus profondément la discipline et orientent ses représentations, considérées avec une ambivalence qui n’est pas sans conséquences sur les décisions qui la touchent.
1.1 Sous influence de l’antipsychiatrie et des choix politiques
Dans son étude sur les antipsychiatries, le professeur Jacques Hochmann évoque sa perplexité de voir au fil des années évoluer de manière négative le regard de l’opinion publique sur la psychiatrie, mais aussi des pouvoirs publics, alors que pourtant, la psychiatrie commençait à bénéficier du renouveau des années soixante et des effets de la psychothérapie institutionnelle, et que le discours « psy » était attendu sur tous les sujets de société. En examinant l’histoire de la psychiatrie dans ses contextes politiques et de société, il fait l’hypothèse que l’époque contemporaine vit un nouvel épisode du procès en légitimité fait à la psychiatrie depuis ses origines et que l’histoire de la psychiatrie est aussi celle de l’antipsychiatrie, façonnée au gré des attaques et des réactions de défense mais aussi des modèles théoriques dominants. Il suggère ainsi que l’antipsychiatrie est indissociable de la psychiatrie, nichée dans ses paradoxes originels :
- La psychiatrie s’adresse à un sujet, humain semblable qui est aussi un autre, un aliéné livré à une force étrangère à la raison.
- C’est une médecine sans lésion, en dépit des progrès des explorations des neurosciences.
- C’est une médecine qui doit concilier soins à la personne et protection de la société, dans des intérêts parfois contraires.
Née en Angleterre sous la forme d’un désaliénisme radical, l’antipsychiatrie comme mouvement, a touché la France sur le terreau favorable de la contestation de mai 68. Le secteur prenait alors son essor marqué d’influences disparates, nourri de psychothérapie institutionnelle, de marxisme et de psychanalyse. La place donnée au groupe, la reconnaissance des soignés comme sujets et leur participation dans la gestion commune, ont influencé la création de nouvelles formes de prise en charge psychiatrique hors de l’hôpital. Des lieux de vie, des structures communautaires, des appartements thérapeutiques, des placements familiaux ont fait la psychiatrie communautaire. Et aussi quelques excès vers les dérives sectaires.
Quelques années plus tard, un mouvement inverse touche la psychiatrie, venu des EtatsUnis dans les années 80, en réponse à plusieurs attaques cumulées contre la psychiatrie :
- L’influence de l’antipsychiatrie qui a marqué philosophes et sociologues ramenant la maladie mentale à un mythe, instrument d’oppression.
- La remise en cause de la psychanalyse, dont les théories freudiennes sur la sexualité ont été associées par les groupes de pressions homosexuels ou féministes à un instrument de domination.
- La vision pragmatique de l’administration Reagan qui a vu dans la désinstitutionnalisation le moyen de réduire les coûts
- La demande de l’opinion et des pouvoirs publics de disposer de méthodes thérapeutiques rapides pour répondre aux besoins de réussite des individus, face à la psychanalyse jugée décevante par ses délais d’action. Face aux critiques, les psychiatres américains sont revenus en force vers le modèle médical et biologique, tandis que l’influence de l’industrie pharmaceutique attirée par le marché que représentait la psychiatrie biologique s’est faite croissante. Le besoin de consolider les savoirs par des études épidémiologiques et de réaliser des échelles d’efficacité a paru indispensable, jusqu’à la création d’une nouvelle classification qui, établie selon des critères et des axes de symptômes, évitait d’avoir à choisir parmi les différentes théories de la psychiatrie : le DSM était né, et la psychiatrie aux allures plus scientifiques a repris le dessus comme réponse à l’antipsychiatrie.
L’antipsychiatrie de l’époque est également alimentée par les mouvements de groupes d’usagers, familles et associations de malades, qui revendiquent un pouvoir d’agir contre une psychiatrie aux savoirs jugés incertains et aux pouvoirs répressifs, tout en réclamant la reconnaissance des droits sociaux à travers la notion de handicap. Le pouvoir d’agir que revendiquent les associations s’est inscrit dans une idéologie utilisée dans les années 60 aux Etats-Unis, en psychologie communautaire, devenue l’empowerment. Sous cette nouvelle influence, la réadaptation dont se chargeait en France la politique de secteur psychiatrique devient rétablissement et réhabilitation psychosociale, pour offrir davantage de place aux patients eux-mêmes dans leur consolidation. Aujourd’hui, l’antipsychiatrie mêle ces différentes influences, de manière toujours paradoxale, et infléchit les choix politiques visant la psychiatrie. Les propos des parlementaires font ressurgir aisément les clichés sur une psychiatrie asilaire, comme lors des débats sur la réforme de la loi de 2011 sur les soins sans consentement, et les amalgames entre dangerosité et maladie mentale lors de faits divers ou des évènements terroristes. Plus agressif, le projet de loi pour la prise en charge de l’autisme déposé en 2017 par un député n’hésite pas à exposer comme argument des liens supposés entre psychiatrie, psychanalyse et maltraitance.
L’observation des évolutions législatives concernant la psychiatrie souligne la contradiction du monde politique sur la question de la santé mentale. Les rapports et les plans nationaux sur la psychiatrie proposent des ouvertures qui sont en contradiction avec d’autres décisions prises rapidement, souvent en lien avec des évènements tragiques, et vont dans le sens d’un renforcement de la sécurité : à l’exception de la période d’instauration du secteur, l’approche politique de la psychiatrie est d’abord sécuritaire.
1.2 Carte d’identité
1.2.1 Une offre de soins majoritairement publique, mixte pour la pédopsychiatrie
Selon la statistique annuelle des établissements de santé (SAE), 621 établissements de santé ont une prise en charge hospitalière en psychiatrie, plus de la moitié appartient au secteur public. Le secteur public assure la quasi-totalité de l’offre ambulatoire en psychiatrie.
En 2011, 829 secteurs de psychiatrie générale, 26 secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, aux activités desquels s’ajoutent celles des secteurs ayant passé une convention avec des établissements pénitentiaires et celles des UHSA.
L’offre de soins en psychiatrie infanto-juvénile est presque exclusivement le fait des établissements publics et privés à but non lucratif avec 320 secteurs de psychiatrie infanto-juvénile en 2014.
Selon les données du répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), les psychiatres déclarant une compétence en pédopsychiatrie sont plus fréquemment d’exercice libéral que pour la psychiatrie « adultes », 48 % ayant un exercice de salariés, 38 % d’exercice libéral.
1.2.2 Des soins d’abord ambulatoires et nécessairement diversifiés
80 % des patients reçus au moins une fois dans l’année sont pris en charge exclusivement en ambulatoire ce qui a représenté en 2015, plus de 21 millions d’actes. La majorité est assurée par les CMP.
Comparée à la psychiatrie générale, la psychiatrie infanto-juvénile est caractérisée par l’importance des prises en charge à temps partiel, solution privilégiée pour limiter la séparation de l’enfant de son environnement familial.
Les capacités d’accueil en hospitalisation à temps plein en psychiatrie générale n’ont cessé de diminuer : 72 000 lits en 1997, 57 000 lits en 2015. Comparativement, la diminution du nombre de lits qui concerne la MCO a été beau coup moins importante, où la baisse concerne surtout le nombre de lits de longue durée (SLD) transformés en lits d’EHPAD qui relèvent alors des établissements médico-sociaux.
La durée moyenne de séjour a été divisée par 3,7 en psychiatrie entre 1980 et 2011 alors qu’elle a été divisée par 2 en MCO ; pendant la période 1990-2011, la durée moyenne des séjours a été réduite de 55 à 29 jours.
1.2.3 Pour des différences entre les régions, des différences d’organisations
L’évaluation de l’activité en psychiatrie se heurte à la difficulté de comparer des secteurs dont les évolutions ont été hétérogènes depuis la circulaire de 1960. Aux différences d’organisation s’ajoutent les inégalités de moyens en temps médicaux et paramédicaux, en équipements (différences de 1 à 13 pour les lits et places en psychiatrie adulte), les inégalités d’environnement et l’appui ou non d’établissements privés et associatifs dans le département ou la région.
Psychiatrie générale : pour l’hospitalisation à temps complet ou partiel, la densité nationale moyenne en lits est de 142 pour 100 000 habitants en 2015, plus élevée dans les départements ruraux du centre de la France. L’offre de soins ambulatoires varie de 1 structure pour 100 000 habitants en Eure-et-Loir à 28 structures pour 100 000 habitants en Lozère.
Pour la psychiatrie infanto-juvénile, l’offre de soins en hospitalisation complète, pour un nombre de lits moyen de 13,8 pour 100 000 jeunes de 0 à 19 ans, est très inégalement répartie : dix départements ne comptent aucun lit (Martinique, Mayotte, la Manche, l’Eure, la Creuse, les Côtes-d’Armor, la Corrèze, l’Aube, l’Ardèche et les Alpes-de-Haute-Provence) alors que le ratio s’élève à 120 dans les Hautes-Alpes .
1.3 Une discipline avec des équipes pluri-professionnelles et des réseaux
En 2011, les professionnels non médicaux représentaient 72 600 ETP en France métropolitaine et étaient composés à 65 % d’infirmiers et de cadres, 24 % d’aides-soignants, 5 % de psychologues et 6 % de personnels de rééducation, éducatifs et sociaux. Entre les territoires de santé (ou départements), cette densité varie fortement de moins de 109 ETP pour 100 000 habitants dans un cinquième des territoires, au double dans un autre cinquième.
Cette règle est particulièrement vraie pour la pédopsychiatrie qui doit aborder la globalité de l’enfant, bébé ou adolescent, dans sa dimension de développement individuel et de contexte familial, et qui doit compléter les soins par un recours en pluridisciplinarité à d’autres professions (orthophonistes, psychomotriciens, psychologues, ...) et en partenariat avec d’autres intervenants institutionnels (éducation nationale, PMI, ASE, ...).
Motion SPH : Politique de santé en pédopsychiatrie
Le SPH, dans sa contribution à la mission sénatoriale sur la psychiatrie des mineurs, souligne la nécessité :
- D’une réelle politique de santé publique concernant les besoins fondamentaux des très jeunes enfants (0-3 ans) et la parentalité, les populations vivant dans la précarité, et les enfants relevant de la protection de l’enfance.
- De l’ouverture d’unités d’hospitalisation pédopsychiatriques sur chaque territoire, afin de permettre des hospitalisations pour des soins intensifs dans les situations aiguës, et d’éviter les admissions d’enfants et d’adolescents dans les secteurs adultes.
- De la création d’unités d’hospitalisation prenant en compte les spécificités de la clinique des grands adolescents et des adultes jeunes, dans une perspective de continuité des soins et de collaboration pédopsychiatrie / psychiatrie des adultes.
- Du remboursement des prestations libérales, prescrites par les pédopsychiatres, des psychomotriciens (sur le modèle des orthophonistes) et des psychologues pour un nombre de séances suffisant.
La pédopsychiatrie doit pouvoir se consacrer à ses missions spécifiques : diagnostics, diagnostics différentiels, évaluations, coordination, soins complexes…
Formation de Psychiatrie de L’Enfant et Adolescent (PEA)
Le SPH, attentif aux revendications des internes et soucieux de l’avenir de la spécialité de psychiatrie infanto-juvénile, critique certaines particularités de la nouvelle maquette de la formation des internes en psychiatrie (avril 2017) :
- Un seul semestre de PEA obligatoire pour le DES de psychiatrie de l’adulte est insuffisant.
- Il faut suffisamment de postes en PEA pour que les internes de la phase socle aient tous fait un stage de PEA (le choix de l’option PEA doit se faire tôt dans l’internat).
- Rappelons que 6 semestres dans la spécialité sont requis dans la réglementation européenne. La maquette française n’exige que 4 semestres.
Le SPH demande une augmentation du nombre de postes d’internes en PEA et deux semestres de pédopsychiatrie.
Chaque CHU doit disposer de au moins un professeur de psychiatrie infanto-juvénile.
Statuts des membres de l’équipe de pédopsychiatrie.
L’exercice de la psychiatrie infanto-juvénile repose sur la pluridisciplinarité des équipes. Le SPH alerte sur les difficultés majeures de recrutement des orthophonistes à l’hôpital public et soutient les revendications des orthophonistes hospitaliers dans la revalorisation de leur statut à hauteur de leur formation niveau master.
1.4 La contrainte pour soigner
La contrainte aux soins en psychiatrie a été institutionnalisée par une loi en 1838, créant du même coup des établissements de santé spécifiques pour la mettre en pratique, et avec eux une première planification sanitaire et une identité médicale reconnue à la discipline. En 2017, plusieurs modalités de soins psychiatriques sans consentement ou obligés sont fixées, selon des dispositions du Code de la Santé publique, du Code Pénal, et du Code Civil.
- Les soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État (SDRE) qui remplacent et étendent les anciennes hospitalisations d’office aux autres modalités de soins à temps partiel et ambulatoires. L’atteinte à la sûreté des personnes ou à l’ordre public en sont des caractéristiques.
- Les soins psychiatriques sur demande d’un tiers (SDT) étendent également la contrainte à l’ambulatoire. Deux conditions sont nécessaires : des troubles qui rendent impossible le consentement et un état qui impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante en hospitalisation complète ou une surveillance médicale régulière en ambulatoire ou à temps partiel.
- Les soins psychiatriques en cas de péril imminent (SPI) introduits par la loi du 5 juillet 2011 afin d’insérer dans le soin des personnes isolées ou désocialisées. Les statistiques montrent que cette modalité de soins, en progression, est détournée de son objectif.
Certaines populations de patients entrent dans des procédures spécifiques au sein des SDRE :
- Les soins psychiatriques à destination des personnes déclarées irresponsables pénalement doivent assurer un suivi renforcé.
- Les soins psychiatriques des personnes détenues (D398 du CPP et SDRE article L3214-3) sont spécifiques des personnes incarcérées qui nécessitent des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier en raison de troubles mentaux rendant impossible leur consentement et constituant un danger pour eux-mêmes ou pour autrui. Les soins se font le plus souvent au sein des services de psychiatrie générale. La loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice a prévu la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) dont le programme d’ouverture a débuté en 2010. Les détenus peuvent y être également hospitalisés « librement ». Neuf sont ouvertes et offrent 440 places sur les 17 UHSA et 705 places prévues par l’arrêté du 20 juillet 2010.
Les mineurs peuvent également faire l’objet de soins sans consentement :
- En SDRE.
- Sur ordonnance de placement provisoire (OPP – articles 375-3 et 375-9 du code civil) par décision du juge des enfants ou décision en urgence du procureur avant saisine du juge des enfants.
Les soins psychiatriques peuvent être décidés dans une procédure judiciaire :
- Injonction thérapeutique pour l’usage illicite de stupéfiants et consommation habituelle et excessive d’alcool, par le procureur (article L3243-1 du CSP), par l’autorité judiciaire (L3413-1 du CSP).
- Obligation de soins en contrôle judiciaire pour une personne mise en examen (article 138 du code de procédure pénale), ou en régime de mise à l’épreuve pour une personne condamnée (article 132-45 du code pénal).
- Injonction de soins pour personne condamnée à un suivi socio-judiciaire (article 131-36-4 du Code pénal).
1.4.1 Les soins sans consentement
Il faut rappeler que les soins sans consentement ne constituent qu’une part restreinte des hospitalisations en psychiatrie puisque les soins libres représentent 90 % des admissions.
Selon l’IRDES, en 2015, les établissements publics et privés de santé autorisés en psychiatrie ont accueilli plus de 92000 personnes âgées de 16 ans ou plus en soins sans consentement, soit 5,4 % de la file active totale suivie en psychiatrie.
Cette population se différencie de celle prise en charge librement en psychiatrie par plusieurs aspects :
- Les hommes sont surreprésentés (60 % sans consentement contre 47 % parmi l’ensemble des personnes suivies en psychiatrie).
- Plus jeunes que les personnes suivies en psychiatrie générale (âge moyen de 43 ans, contre 47 ans en moyenne pour l’ensemble de la population suivie).
- Près de la moitié des personnes prises en charge sans consentement a reçu un diagnostic de troubles schizophréniques ou psychotiques (contre 11 % des personnes suivies en psychiatrie) ; les troubles bipolaires (11 %) et troubles de la personnalité (8 %) sont également plus fréquents chez les personnes prises en charge sans leur consentement.
En 2010, avant la réforme de la loi du 27 juin 1990, 71 000 patients ont été hospitalisés sans leur consentement. Après la réforme de 2011, en 2015, c’est 12 000 personnes de plus qu’en 2012 qui ont été prises en charge en soins sans consentement en psychiatrie. Cette augmentation est d’abord liée aux programmes de soins qui étendent les modalités de prise en charge sans consentement aux soins ambulatoires et à temps partiel : le nombre de personnes concernées par des soins sans consentement a augmenté du fait de l’allongement de la durée des soins sans consentement en dehors des murs de l’hôpital.
La plus forte augmentation a concerné les cas de péril imminent (SPI) qui ont plus que doublé depuis la mise en place de cette modalité : 19 500 personnes ont été admises en SPI en 2015 contre 8 500 en 2012. Initialement destinée aux personnes pour lesquelles il était difficile de recueillir la demande d’un tiers, la montée en charge de la mesure dépasse la procédure d’exception. 63 % des patients admis en SPI en 2015 sont passés par un service d’urgence : les urgences sont le lieu principal d’initiation des SPI.
Les différences constatées entre les départements sur la proportion de SPI au sein des soins sans consentement questionnent les pratiques et le respect des libertés des personnes à travers la simplification des procédures d’admission.
1.4.2 Recours à l’isolement et à la contention
1.4.2.1 De l’article 72 aux recommandations HAS
Inspiré des recommandations de la Mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie de 2013, « mission Robiliard », un nouvel article a été introduit dans le projet de loi de Santé par l’adoption d’un amendement du député Denys Robiliard. Présenté comme un pas vers plus de transparence et donc vers un plus grand respect des droits des patients, l’article 72 de la loi de modernisation du système de santé et article L3222-5-1 du CSP, crée un encadrement juridique pour l’isolement et la contention.
Il définit dans quelles conditions la contention et l’isolement peuvent être pratiqués : solutions de derniers recours qui ne peuvent être mises en œuvre que dans le but de « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui », et font l’objet d’une « surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin ».
Il crée l’obligation pour les établissements assurant des soins psychiatriques sans consentement de tenir un registre retraçant pour chaque mesure d’isolement ou de contention « le nom du psychiatre l’ayant décidée, sa date et son heure, sa durée ainsi que le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée » et d’établir chaque année un rapport rendant compte de ces pratiques et des actions mises en place pour en limiter le recours.
Cet article devait répondre aux critiques portées depuis quelques années sur ces pratiques dont l’augmentation est signalée, bien qu’aucune statistique ne puisse l’objectiver. La seule donnée accessible tient dans le pourcentage de journées à temps plein déclarées en isolement par les établissements dans le RIM-P : les chiffres montrent une augmentation (1,5 % en 2008 à 1,9 % en 2012) et auraient concerné 28000 personnes en 2015. Mais rien sur la contention.
L’usage de l’isolement et de la contention ne faisait l’objet d’aucune réglementation et seul un référentiel ANAES de 1998 sans valeur de contrainte pouvait servir de cadre à leur pratique, dont les établissements s’étaient saisis de manière inégale pour établir des protocoles.
Préoccupation des rapports annuels du contrôleur général des lieux de privation de liberté, les raisons avancées pour expliquer leur usage sont également critiquées : non justifiées si la cause en est la diminution du nombre de soignants dans les équipes, la féminisation et le manque de formation des infirmiers et des médecins, inacceptables lorsqu’elles sont utilisées comme sanctions. Une recommandation du CGLPL est formulée en 2009 pour que le recours à l’isolement et à la contention soit consigné dans un registre spécifique pour en faire le suivi. Un avis du CGLPL dénonçait la situation faite aux personnes détenues qui font l’objet d’un placement en chambre d’isolement quasi systématique, indépendamment de leur état de santé. Un rapport complet « Isolement et contention dans les établissements de santé mentale » est publié par le CGLPL début 2016, quelques mois après la promulgation de la loi de modernisation du système de santé.
Les pratiques de contention et d’isolement y sont qualifiées de gravement attentatoires aux droits fondamentaux. Tout en signalant que la contention physique n’est pas l’apanage de la psychiatrie, avec notamment un usage fréquent dans les services d’urgence et en gérontologie, le rapport avertit que ces usages n’y sont pas traités puisque ces lieux et services ne relèvent pas de la compétence du CGLPL.
A propos du débat qui s’était exprimé sur le fait de savoir si la pratique d’isolement et de contention relevait d’une « décision » ou d’une « prescription » médicale, le rapport du CGLPL établit que le défaut de preuves sur leur efficacité thérapeutique est un argument pour trancher pour le terme « décision ». Un autre argument avancé pour privilégier le terme de « décision », est que le statut médical et juridique des pratiques s’en trouve changé : le rapport se réjouit de penser que toute décision d’isolement ou de contention sera susceptible d’un recours devant le juge administratif, puisque désormais dépourvue du caractère présupposé soignant qui s’attache à une prescription médicale.
C’est ce terme de décision qui a été également retenu dans la loi. Pour ne pas négliger complètement le ressenti des équipes soignantes, le rapport préconise une supervision des équipes par des professionnels expérimentés pour faire face à la peur, l’inquiétude, au surmenage et à l’insuffisance des effectifs, facteurs de risque de débordement des patients. La situation exceptionnelle de l’Islande qui a exclu la contention et l’isolement des pratiques psychiatriques est aussi exposée au regard de son taux de soignants, le plus élevé d’Europe : un soignant pour un patient.
En février 2017, la HAS publie des recommandations de bonne pratique sur l’isolement et la contention en psychiatrie générale. Ces recommandations sont la réponse à une saisine par la DGS et la DGOS, visant à obtenir des recommandations pour répondre à la nécessité d’un encadrement plus rigoureux de ces mesures « considérées comme indispensables dans certaines situations » selon les termes de la saisine. La HAS expose qu’en l’absence d’étude ou de leur insuffisance de niveaux de preuve scientifique, la méthode retenue pour les établir repose sur un accord professionnel au sein du groupe de travail constitué et une consultation des parties prenantes, méthode qui ne permet pas d’établir de grade aux recommandations. Il est également préconisé une réflexion à mener dans tous les autres lieux où existe une pratique d’isolement et de contention (pédopsychiatrie, établissements de santé non autorisés à l’accueil de patients en soins sans consentement, urgences, MCO, médico-social, USLD, etc.).
1.4.2.2 Instruction DGOS
Une instruction DGOS DGS est adressée aux établissements en mars 2017 pour préciser les modalités de mise en œuvre du registre prévu par la loi et l’utilisation des données au sein de chaque établissement. L’instruction rappelle que l’article 72 de la loi de santé devait s’appliquer aux établissements dès la publication de la loi, en janvier 2016. Le registre est chargé de recenser les mesures de contention et d’isolement relatives aux patients qui font l’objet de soins sans consentement, différent de celui qui recense les mesures de soins sans consentement. Cette instruction reprend de fait l’essentiel des recommandations de la HAS :
- L’isolement se fait dans un espace dédié et aménagé.
- Le recensement dans un autre lieu « dans le cas d’une indisponibilité temporaire de l’espace dédié » et exceptionnel, doit être distinct.
- La contention mécanique est réalisée dans le cadre d’une mesure d’isolement.
- Dans les cas où la contention est réalisée, à titre dérogatoire, en dehors de l’espace dédié, elles doivent être motivées dans le dossier médical et recensé de façon distincte de manière à permettre un plan d’action pour une mise en conformité des pratiques, en cas de répétition. Le registre est un document administratif sous la responsabilité du directeur d’établissement. Son contenu mentionne l’identifiant anonymisé du patient, le service dont il dépend, le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure de début et de fin, sa durée en heure décimale et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillé.
Les données du registre doivent servir :
- À produire un rapport annuel pour l’établissement qui rend compte des pratiques, de la politique d’établissement pour les réduire et de son évaluation ; le rapport doit être transmis à la commission des usagers, à l’ARS, à la CDSP.
- À alimenter le RIM-P à partir de 2018, au-delà du simple recueil actuel portant sur l’utilisation des chambres d’isolement.
- Pour les ARS à mettre en œuvre une politique régionale de prévention du recours à la contention et à l’isolement. Les efforts menés en matière de prévention et de réduction de ces pratiques pourront être pris en compte dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens.
- Pour la DGOS un recueil semestriel des indicateurs pour un suivi global et statistique du recours à la contention et à l’isolement. Le SPH a protesté dès septembre 2016 avec l’ADESM sur le fait que les organisations professionnelles n’étaient pas associées aux travaux préparatoires de la publication de l’instruction, dénonçant les risques d’obtenir des consignes inapplicables car trop éloignées de la réalité et des conditions de travail des services. Une lecture des recommandations avant leur adoption par le collège de la HAS a de ce fait été proposée aux organisations et la première séance d’installation du comité de pilotage de la psychiatrie a eu à examiner le projet d’instruction DGOS, en présence de la CGLPL invitée.
Les recommandations et les registres sont donc en cours d’installation dans les établissements sans qu’il ne soit prévu de plan d’accompagnement. Les espaces dédiés, les chambres d’apaisement, l’organisation des services et des personnels en nombre suffisant, les formations et l’appel aux supervisions des équipes, les actions pour améliorer « l’ambiance des services », reposent donc uniquement sur les établissements, qui rendront compte de leurs actions dans un rapport annuel.
L’ambiance sécuritaire installée par une certaine politique quelques années plus tôt est bien mentionnée dans le rapport du CGLPL comme élément d’explication du recours excessif à l’isolement et à la contention dans les services de psychiatrie. Les ambiances se nourrissent de nombre de choses impalpables mais à l’époque, les directives sécuritaires s’étaient accompagnées d’un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques de 70 millions d’euros pour créer des places d’isolement et des UHSA.
L’article 72 résulte du choix de passer par amendement la question de l’isolement et de la contention dans la loi de santé. Cette stratégie a fait l’économie de l’étude d’impact qui depuis 2009 accompagne tout projet de loi. Face à l’ambition de réduire, voire faire disparaître ces pratiques, le sujet aurait pu mériter cet effort.
Motion SPH
Contraintes en psychiatrie
Le SPH réuni en assemblée générale à Toulouse le 4 octobre 2017 :
- Rappelle que la mission principale de la psychiatrie est d’assurer les soins conformément au principe constitutionnel de protection de la santé.
- Appelle à une veille et à un recensement des difficultés rencontrées et attend du Comité de pilotage de la psychiatrie un engagement fort dans l’évaluation de la loi.
Le SPH estime que ce travail doit associer professionnels de la santé (soignants et administratifs), de la justice (juges, avocats), les usagers et des universitaires du Droit.
Le SPH demande des mesures à la hauteur d’un plan pour réduire le recours aux mesures de contention et d’isolement comportant notamment :
- Formation initiale et continue des personnels.
- Moyens humains en nombre suffisant pour une proximité du temps soignant auprès des patients Soutien et analyse institutionnelle et clinique des pratiques.
- Des moyens pour une amélioration des locaux pour une humanisation des lieux d’hospitalisation.
Le SPH demande une loi spécifique à la psychiatrie, et l’abrogation de la loi actuelle du 5 juillet 2011.
1.5 Punir et soigner
1.5.1 Les soins psychiatriques en prison : des enjeux déontologiques, éthiques et politiques
Selon les chiffres du Ministère de la justice, 40 % des détenus seraient atteints de syndromes dépressifs, 33 % souffrent d’anxiété généralisée, 21 % ont des troubles psychotiques et 7 % sont schizophrènes. 8/10 hommes détenus sont atteints de troubles psychiatriques ou d’addictions. Le taux de suicide est 10 fois supérieur à celui de la population générale.
Pour y répondre, 26 services médico-psychologiques régionaux, 93 secteurs de psychiatrie qui interviennent dans les établissements pénitentiaires au sein des UCSA, et un programme de construction de 17 UHSA.
Depuis la création de la prison et de l’hôpital modernes, les débats sont ininterrompus sur la question de la prise en charge des personnes présentant des troubles mentaux en prison, en relation avec la difficulté de déterminer les limites claires entre ce qui relève de la pathologie mentale et de la déviance sociale. En conséquence, même si le ministère de la Santé et celui de la Justice tentent par des guides méthodologiques de clarifier les missions de chaque groupe professionnel, l’organisation de leurs soins et leur orientation soulèvent des enjeux quotidiens pour les professionnels, identitaires, moraux et éthiques :
- En milieu carcéral, le socle éthique sur lequel repose la pratique des soins psychiatriques est le consentement aux soins : le contexte de privation de liberté du monde pénitentiaire nécessite que le soin psychiatrique en milieu pénitentiaire reste un espace de relative liberté et d’intimité pour y placer sa confiance. Si des soins s’imposent et que le patient les refuse ou n’est pas en mesure de consentir, une hospitalisation est diligentée sur décision du préfet.
- Le contexte pénitentiaire a des conséquences sur les conditions de travail et la déontologie des soignants : hébergés dans les locaux gérés par l’administration pénitentiaire, les services ont à tenir compte des contraintes carcérales, avec ses rythmes, ses modalités de circulation, ses obligations sécuritaires, et la confidentialité d’une consultation ne peut y être garantie.
- Le personnel soignant en prison doit lutter pour maintenir deux principes indispensables à l’exercice des soins, l’indépendance et le secret professionnels. La participation obligatoire des soignants aux commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) les assigne à un rôle de pseudo auxiliaires de justice même si une circulaire de 2012 aux services pénitentiaires précise que « En aucun cas les propos échangés en CPU ne peuvent porter sur des informations couvertes par le secret médical ».
Les enjeux sont aussi politiques et économiques. Les tensions autour du mandat des équipes psychiatriques en milieu carcéral rejoignent les questions du financement de leurs moyens, et les choix politiques pour la prison s’inscrivent dans un mouvement de défense sociale qui peut avoir les atours humanistes du soin : ces considérations ont alimenté les débats sur la création des UHSA.
1.5.2 Les soins sous contraintes judiciaires : quelle évaluation ?
1.5.2.1 L’injonction de soins (IS)
nstaurée par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, l’injonction de soins (IS) est une modalité du suivi socio-judiciaire qui a depuis été étendue par les lois de prévention de la récidive aux crimes et délits de l’article 706-47 du code de procédure pénale. Elle peut constituer une peine principale en matière correctionnelle, ou complémentaire en matière criminelle ou correctionnelle complétant une peine de prison. Ordonnée par une juridiction de jugement ou d’application des peines, après une expertise psychiatrique, elle s’exerce en milieu ouvert. Non respectée, elle peut conduire à une incarcération.
Elle sollicite plusieurs acteurs : le juge d’application des peines (JAP), le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et ses conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), un médecin coordonnateur (MC) et des thérapeutes, médecin traitant le plus souvent psychiatre ou psychologue, et les infirmiers dans les CMP selon la politique de soin de chaque institution.
Ce dispositif peine à se mettre en œuvre, souvent par manque de médecins coordonnateurs. Cette fonction, bien qu’ayant bénéficié de revalorisations tarifaires, n’attire pas car complexe, demandant des compétences cliniques et juridiques spécifiques et faisant craindre une mise en cause en cas de récidive délinquante du condamné. Le rapport de février 2011 de l’IGAS et de l’IGSJ relatif à l’évaluation du dispositif de l’IS recense environ 3800 mesures en cours et estime que le nombre moyen devrait se stabiliser autour de 7800 mesures d’ici quelques années. Les médecins coordonnateurs n’étaient que 237 en septembre 2011. Sans coordinateur, le dispositif est impossible. Avec un médecin coordonnateur, tous les problèmes ne sont pas résolus car il faut trouver des thérapeutes.
1.5.2.2 L’obligation de soins (OS)
Il s’agit d’une mesure prévue dans le code de procédure pénale depuis 1958. L’OS est prise par une juridiction, sans expertise préalable, en accompagnement d’un sursis avec mise à l’épreuve. Le décret du 23 décembre 2014 relatif à l’exécution des peines prévoit une mesure d’obligation de soins ordonnée en cas de trouble mental ayant altéré le discernement.
Le dispositif ne prévoit pas de médecin coordonnateur, donc pas d’articulation santéjustice. Les soignants sont souvent réticents à répondre à ces demandes qui semblent le plus souvent purement formelles afin d’obtenir une attestation de suivi, le patient disant venir à la demande du juge sans information précise et n’ayant que rarement une demande, même si l’indication peut être opportune. Les CMP encombrés par les soins habituels sont réticents à utiliser les plages de consultations disponibles pour des personnes peu motivées.
Il est difficile d’apprécier le nombre et encore plus l’efficacité des mesures d’OS, croissantes. Il serait donc important que ces soins sous contraintes judiciaires puissent faire l’objet d’une évaluation en rapport avec les rôles et les moyens que la société veut lui octroyer.
1.5.2.3. L’injonction thérapeutique
Elle peut être décidée comme alternative aux poursuites pour le majeur et le mineur de 13 ans, comme peine complémentaire ou en modalité d’exécution d’une peine dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve, pour les personnes ayant fait un usage illicite de stupéfiants ou ayant une consommation habituelle et excessive d’alcool.
Un médecin habilité autre que le soignant est désigné en qualité de médecin relais : après avoir procédé à une évaluation de la situation de la personne afin de vérifier si la mesure est opportune, il assure l’interface entre l’institution judiciaire et les soignants chargés de son suivi. Il informe ainsi l’autorité judiciaire de l’évolution de la situation de dépendance de l’intéressé.
1.6 Déstigmatiser?
La psychiatrie est la seule discipline médicale dont les patients font l’objet d’une stigmatisation de masse. Les enquêtes auprès de la population générale ou de l’image médiatique qui en est donnée montrent que la maladie mentale est associée le plus souvent à l’irresponsabilité, à l’incurabilité et à la dangerosité. Les effets des campagnes de déstigmatisation décidées depuis quelques années au niveau international sont toujours attendus : Conférence ministérielle européenne de l’OMS à Helsinki en 2005, Commission Européenne et de son livre vert, European pact for mental health and well-being en 2008, Plan Psychiatrie et Santé mentale 2005-2008 avec ses campagnes d’information du grand public sur la dépression et la schizophrénie.
L’image de la dangerosité semble être celle qui occupe le plus les opinions, même si le rapporteur de la loi du 5 juillet 2011 luimême exposait que « la réalité, c’est que les personnes atteintes de troubles psychiatriques dans la population générale… sont douze fois plus victimes d’agressions physiques, 130 fois plus victimes de vols et ont vingt-cinq ans d’espérance de vie en moins que leurs concitoyens ». Le rapport en 2004 produit après les meurtres de Pau, « Violence et santé mentale » (Anne Lovell) montrait que 2,7 % seulement des actes violents sont commis par des personnes souffrant de troubles psychiatriques.
Mais les rapports parlementaires qui font le lien entre dangerosité et troubles mentaux sont plus nombreux : rapport « Santé, justice et dangerosité » en 2005, rapport « Mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses » du Sénat en 2006, rapport du député Garraud en 2006 « Réponses à la dangerosité ». La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté fera envisager par certains parlementaires que la rétention puisse se faire à l’hôpital psychiatrique, avant que ne soient retenus les centres socio-médico-judiciaires. La loi prévention de la délinquance élaborée durant l’année 2006 projetait à l’instigation du ministre de l’intérieur Sarkozy, d’inclure un volet modifiant dans le code de la santé publique plusieurs articles sur les hospitalisations en psychiatrie, finalement retiré sous la pression des organisations professionnelles, syndicales et des associations.
La psychiatrie publique doit toujours évoluer entre la méfiance qu’elle inspire par les contraintes appliquées aux malades, et le reproche de ne pas assez contrôler la dangerosité des troubles mentaux : l’article 72 de la loi de santé pour réduire les pratiques d’isolement et de contention, glissé par simple amendement, a été voté par des parlementaires convaincus, sans qu’une étude d’impact n’ait eu à évaluer les besoins nécessaires pour que les recommandations soient réellement applicables. A l’opposé de cette sommation de faire disparaître la contrainte en psychiatrie, c’est le Ministre de l’Intérieur qui annonce quelques mois plus tard que les hôpitaux psychiatriques vont jouer un rôle dans la prévention du terrorisme, soutenu par un président de la République qui parle de la « libération » des malades des hôpitaux psychiatriques dans son discours aux préfets pour évoquer les risques de sorties de patients en programmes de soins.
Cette stigmatisation du malade touche par contamination les professionnels qui les prennent en charge, y compris dans les propos de certains personnages politiques : on se souvient du discours de Nicolas Sarkozy à Antony distribuant le sens des responsabilités et de la conscience des risques de manière non favorable aux soignants. « Et vous êtes du côté du malade, mais si vous ne l’étiez pas, qui le serait ? C’est normal ! C’est le rôle des praticiens. C’est le rôle des soignants que d’être en quelque sorte inconditionnels du malade et de sa guérison. Mais je ne peux pas, moi, me mettre sur le même plan… C’est dans la rencontre de nos deux responsabilités qu’on trouvera le bon équilibre ».
Parmi les conséquences, on peut relever que les représentations du travail de l’infirmier en psychiatrie sont négatives. Sa méconnaissance, sa dévalorisation de la part des soignants en soins généraux et les motivations des étudiants infirmiers à choisir cette discipline ont été ciblées dans une recherche action : les résultats font conclure à des représentations défavorables chez tous les soignants, avec un travail perçu comme générateur de perte de savoir technique, renvoyant à la violence, et à une moindre charge de travail.
Du côté médical, l’observation des choix de spécialités des étudiants en médecine montre que la psychiatrie fait partie des spécialités les moins prisée, classée cette année 2017 par indice d’attractivité en fin de liste avant la santé publique, la gériatrie, la biologie médicale, la médecine générale et la médecine du travail.
1.7 Questions de formation
Dans un contexte d’équivalence des diplômes au niveau européen pour permettre aux infirmiers de travailler dans tous les secteurs d’activité, l’arrêté du 23 mars 1992 crée le Diplôme d’Etat Polyvalent qui met fin à la formation spécifique des infirmiers de secteur psychiatrique (ISP). Pour compenser, le « décret de compétences » du 15 mars 1993 ajoute des actes spécifiques en psychiatrie, une circulaire DGS/DHOS du 10 juillet 2003 énonce des recommandations aux IFSI sur le renforcement de l’enseignement de la psychiatrie, et en 2004, un nouvel article R4311-6 mentionne : « Dans le domaine de la santé mentale…, l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes et soins suivants : entretien d’accueil du patient et de son entourage, activités à visée socio-thérapeutique individuelle ou de groupe ; surveillance des personnes en chambre d’isolement, surveillance et évaluation des engagements thérapeutiques qui associent le médecin, l’infirmier et le patient ».
Le plan santé mentale 2005 a souligné le manque de formation des infirmiers en psychiatrie depuis la réforme de 1992 et préconise la création d’un groupe de travail sur une formation complémentaire pour les infirmières titulaires du DE venant travailler en psychiatrie. A l’issue de ce travail 2 circulaires paraissent :
- La circulaire du 8 juillet 2004 qui propose la mise en œuvre d’une formation complémentaire de 15 jours pour les nouveaux infirmiers exerçant en psychiatrie.
- La circulaire du 16 Janvier 2006 qui préconise la mise en place d’un tutorat pour les infirmiers nouvellement diplômés ou qui débutent en psychiatrie.
En 2009, le rapport COUTY constate que les professionnels issus de la formation générale connaissent des difficultés d’adaptation à la spécificité de la prise en charge des patients psychiatriques, et qu’il est très difficile de leur confier, des missions de première évaluation et d’orientation. Il reprend l’idée de créer un diplôme d’infirmier spécialisé en psychiatrie (master professionnel de spécialisation) et préconise la poursuite de la formation de consolidation des savoirs et du tutorat. Le rapport Milon de 2009 recommande également le master en psychiatrie.
En mars 2010, l’Ordre National Infirmier édite un rapport de synthèse et se positionne pour une formation de deux années après la formation initiale en master 1 (spécialisation clinique) et en master 2 (pratiques avancées).
Motion SPH
Formation initiale, DPC
Le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux réuni en Assemblée générale le 4 octobre 2017 à Toulouse :
- Rappelle la situation démographique alarmante de la profession psychiatrique, notamment en pédopsychiatrie et demande une augmentation du numérus clausus ainsi qu’un rétablissement du stage obligatoire en psychiatrie pour les étudiants en médecine.
- Critiquent le rôle prépondérant des exigences scolaires de type ECN dans la sélection des futurs spécialistes, et en particulier des futurs psychiatres, et le développement du bachotage au détriment de la formation clinique initiale et du développement personnel.
Le SPH déplore que les praticiens hospitaliers non universitaires, hospitaliers et libéraux n’aient pas été associés à la réforme du 3ème cycle, et observent que la nouvelle formation s’applique de façon très variable et non sans heurt : en effet les psychiatres des hôpitaux participent à la formation des internes et demandent donc que leur rôle d’enseignement soit reconnu dans leur exercice professionnel, et intégré dans les tableaux de service, en incluant en particulier les tâches de supervision requises pour la formation des internes.
Le SPH soutient la participation des psychiatres non universitaires, associés à l’enseignement et maîtres de stage aux commissions pédagogiques régionales, dans les commissions locales et régionales de coordination du DES, dans les commissions d’agrément et dans la commission de répartition régionale. La place incontournable des généralistes aux différents temps des prises en charge, et le développement de la collaboration entre généralistes et psychiatres rendent nécessaire un enseignement clinique et une initiation à la thérapeutique psychiatrique pendant le 3ème cycle des études de médecine générale. La profession psychiatrique toute entière s’alarme des menaces qui pèsent sur la pédopsychiatrie et craint que la réforme actuelle aggrave encore la situation.
Le SPH rappelle le droit statutaire à la formation des praticiens hospitaliers et constate qu’il est sous-employé. Ce droit à la formation est pourtant un des éléments d’attractivité.
Le SPH demande aux établissements d’informer les praticiens hospitaliers des budgets disponibles, en début d’année, pour l’exercice de ce droit.
Le SPH exige que les décrets consolidant l’action des Conseils Nationaux Professionnels soient rapidement publiés pour permettre aux professionnels d’exercer un rôle véritable dans l’organisation du DPC.
2.1 Croissance de la file active, diminution des effectifs
Selon la DREES, l’évolution de la file active des patients en psychiatrie de 1991 à 2003 montre une augmentation de 62 % pour la psychiatrie générale et de 82 % pour la psychiatrie infanto-juvénile. Elle augmente tous les ans pour les secteurs de 3 à 5 %.
2.1.1 Infirmiers et autres professionnels : baisse du temps personnel disponible auprès du patient
En 2011, les professionnels non médicaux représentaient 72 600 ETP en France métropolitaine et étaient composés à 65 % d’infirmiers et de cadres, 24 % d’aides-soignants, 5 % de psychologues et 6 % de personnels de rééducation, éducatifs et sociaux.
Selon l’IRDES, en 2010 au sein du personnel non médical, ce sont les effectifs infirmiers, cadres supérieurs de santé, ergothérapeutes, agents des services hospitaliers et les autres personnels non médicaux affectés au secteur dont les effectifs ont le plus décru (-8 % à -47 % en quinze ans selon les catégories) tandis que ceux des psychologues, aidessoignants et secrétaires médicales ont vu leur nombre augmenter sur la période.
Rapportée à la forte croissance de la file active moyenne annuelle par secteur et à la réduction du temps de travail mise en place dans les établissements de santé en 2001, cette diminution renvoie à une baisse du temps de personnel disponible auprès du patient.
2.1.2 Psychiatres hospitaliers : des postes vacants, des praticiens vieillissants, peu de PUPH
Ils représentent 7,2 % des emplois médicaux des établissements de santé publics et privés. L’âge moyen est de 51,1 ans en 2017, à dominante féminine.
- Praticiens hospitaliers
Au 1er janvier 2015, le centre national de gestion compte 5 451 praticiens hospitaliers exerçant en psychiatrie.
15 régions sur les 26 sont en-dessous de la moyenne nationale de 8 PH pour 100 000 habitants. Le taux de vacance statutaire des PH temps plein en psychiatrie est de 27 % Pour les PH temps partiel, le taux de vacance statutaire s’établit à 46 %. Les sorties définitives du corps des praticiens hospitaliers temps plein sont principalement dues au départ à la retraite des PH.
- Praticiens hospitalo-universitaires
Au 1er janvier 2015, le CNG compte 92 hospitalo-universitaires en psychiatrie d’adultes et 31 en pédopsychiatrie. L’offre hospitalouniversitaire en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent n’est que de 0,73 % de professeurs parmi l’ensemble des professeurs de médecine. Plusieurs facultés sont dépourvues de professeurs en pédopsychiatrie susceptibles de former les internes : Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Saint-Etienne, Tours.
- Autres statuts
En 2015, les praticiens contractuels en psychiatrie sont 610 en CHU, et 2006 en CH. Tous statuts confondus, 39,5 % sont affectés sur un poste de PH.
Motion SPH
Statuts des médecins hospitaliers
Après cinq années de combat syndical, un certain nombre de mesures d’attractivité ont été obtenues (prime d’engagement de carrière hospitalière, prime d’exercice territorial, revalorisation des astreintes et de l’indemnité d’engagement de service public exclusif).
Malgré ces avancées, le SPH s’interroge sur le suivi de la mise en œuvre du plan d’attractivité et de ses insuffisances. Il estime que l’attractivité n’est pas là et qu’il est nécessaire d’activer un comité de suivi national pour améliorer les dispositifs existants et élaborer d’autres mesures.
Le SPH exige Le renforcement des mesures d’attractivité en début et fin de carrière :
- Suppression des 5 premiers échelons de la carrière de praticien hospitalier.
- Création d’un 14ème échelon.
Du fait des conséquences sur l’exercice professionnel des praticiens de la création des GHT :
La prime d’exercice territorial doit être attribuée en fonction des projets médicaux territoriaux et ne pas être assujettie à des critères de distance kilométrique.
Les modalités de décompte du temps de travail des personnels médicaux hospitaliers : Le SPH exige que l’horarisation du temps de travail devienne la règle et le décompte en demi-journées l’exception. Même dans ce cas, le décompte en demi-journées ne peut s’exonérer d’un décompte global du temps de travail en heures, sans pour autant nécessiter des horaires fixes qui pourraient être préjudiciables à la souplesse d’organisation nécessaire à l’exercice de certaines spécialités. Le SPH propose, en lien avec les cinq intersyndicales de praticiens hospitaliers, que 24 heures de temps de travail soient équivalentes à 5 demi-journées et non pas 4.
La mise en place d’un véritable plan de gestion des carrières médicales hospitalières, décliné en 3 phases : début, milieu et fin de carrière :
- Les débuts de carrière (attractivité, rémunération, accompagnement social, valences).
- Les milieux de carrière (qualité de vie au travail, motivation, reconversion éventuelle, valences, engagement dans la vie institutionnelle).
- Les fins de carrière (transmission du savoir, valences, retraite progressive, tuilage sur les postes).
L’extension du dispositif de retraite progressive aux personnels médicaux hospitaliers :
- Le seul dispositif juridique de cessation progressive d’activité avant la retraite applicable aux praticiens hospitaliers est la retraite progressive. Ce choix est opposable si le PH le retient comme une manière de terminer sa carrière. Toutefois, il est nécessaire que ce dispositif soit étendu aux praticiens dont le temps de travail n’est pas décompté en heures.
Le pouvoir d’achat des PH doit être amélioré :
Le gouvernement a décidé le transfert des cotisations d’assurance maladie et chômage qui pèsent actuellement sur les salariés vers la CSG qui a une assiette plus large. Au 1er janvier 2018, la CSG va augmenter de 1,7 %. Pour les salariés du secteur privé, cette augmentation sera compensée par une suppression des cotisations d’assurance maladie (0,75 %) et chômage (2,4 %).
Puisque les praticiens hospitaliers ne paient pas les cotisations chômage, ils seront perdants si une compensation spécifique ne leur est pas attribuée. Le SPH exige une amélioration du pouvoir d’achat, comme pour les salariés du secteur privé.
Le SPH déplore que le droit syndical des PH, embryonnaire, se résume à la possibilité de créer des syndicats, d’y adhérer et de bénéficier d’autorisations d’absence pour leurs représentants élus. Le SPH exige les mesures suivantes :
- L’introduction au sein des établissements publics de santé et des GHT d’une représentation syndicale des personnels médicaux hospitaliers dans les instances de dialogue social existantes telle le CHSCT et la Conférence territoriale de dialogue social des GHT.
- La publication du décret sur le Conseil Supérieur des Personnels Médicaux Hospitaliers (CSPMH) prévu par l’article 194 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Cette publication est d’autant plus urgente que des élections professionnelles sont programmées à la fin 2018 par le CNG.
- Les moyens mis à disposition des syndicats doivent être proportionnels à la représentativité en voix obtenue à l’occasion des élections au Conseil supérieur. Ces moyens doivent être équivalents à ceux des autres agents publics.
- La relance du dialogue social au sein de toutes les ARS par la convocation des CRP dont le rôle doit être renforcé au moment où les mesures d’attractivité décidées par le précédent gouvernement ne sont toujours pas mises en œuvre.
Le SPH rappelle qu’il subsiste toujours des différences entre les statuts de PH temps plein et temps partiel, en particulier sur le niveau des cotisations à l’Ircantec. Il demande la fusion des statuts afin de mettre fin à ces inégalités.
Le SPH soutient le maintien du statut public des praticiens détachés en établissement de santé privé d’intérêt collectif. L’année probatoire doit être validée en ESPIC
Le SPH exige le respect du droit statutaire à l’exercice des activités d’intérêt général, trop souvent contesté localement.
- Harmonisation et homogénéisation sur l’ensemble de l’Outre-mer de l’indexation vie chère à 40 % pour l’ensemble des PH et contractuels de l’ensemble des rémunérations.
- Garantir une formation continue régulière en Métropole avec délais route 1j aller 1j retour, crédits formation alignés sur ceux du personnel non médical du fait éloignement et prix billet avion.
2.2 Casse-tête législatif et jurisprudence
Il est utile de rappeler que l’introduction du juge des libertés et de la détention (JLD) pour le contrôle systématique des procédures de soins sans consentement est le résultat d’une décision du Conseil Constitutionnel après une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi du 27 juin 1990. La réforme de la loi était alors en cours, conformément à la volonté présidentielle exprimée en décembre 2008 à Antony. Ce contrôle systématique du juge n’y avait pas été envisagé et c’est au contraire le renforcement des contrôles administratifs des avis médicaux qui était préconisé. Le texte avait donc dû, pour se conformer à la décision du conseil constitutionnel, insérer en urgence ce nouvel acteur chargé d’améliorer les droits des personnes sur une armature orientée par la volonté de sécuriser la société contre les malades.
Un assemblage de logiques différentes qui tentent de trouver l’équilibre a ainsi créé la loi de 2011. C’est aussi une QPC portée par l’association CRPA qui a poussé aux modifications de la loi 2013, portant initialement sur les conditions des patients en UMD et en UHSA, auxquelles se sont jointes des rectifications portées par Denys Robiliard, député et avocat.
Des ajustements au droit constitutionnel sans complète réécriture de la loi ont accouché d’un texte dont l’application et la jurisprudence illustrent le caractère complexe. A la jurisprudence visible s’ajoutent, pour plus de 90 000 mesures de soins sans consentement sur une année, la multitude de manœuvres invisibles pour assurer les soins face à des procédures mais aussi à leurs interprétations incertaines et démultipliées par le nombre de maillons de la chaîne décisionnelle.
C’est surtout l’exacerbation formaliste qui paraît l’avoir emporté.
Les soins sans consentement doivent aujourd’hui concilier sur le plan juridique :
- Le Code de la Santé publique.
- Les exigences de Droit administratif comme les lois du 17 juillet 1978 et du 11 juillet 1979 relative à l’amélioration des relations entre administration et public qui imposent qu’une décision administrative individuelle n’est opposable que si elle a été préalablement notifiée à la personne visée et ordonnent que l’administration doit informer la personne « sans délai » d’une décision défavorable.
- Les obligations du code de procédure civile parmi lesquelles les exigences du débat contradictoire.
Sur la prise en charge d’un patient interviennent : préfecture, juge des libertés, avocat, plusieurs médecins. Le patient recevra une information sur ses droits et sur les décisions administratives le concernant, de manière supposée être adaptée à sa capacité de compréhension, et devra signer de multiples documents pour que l’établissement puisse produire la preuve que cette information lui a été fournie.
Le JLD est chargé de s’assurer que l’atteinte à la liberté individuelle que constitue l’hospitalisation psychiatrique sans consentement est nécessaire et proportionnée, et il a compétence pour décider une mainlevée de la mesure. Depuis janvier 2013 l’unification du contentieux administratif et judiciaire (examen de la régularité de la décision d’admission et examen du bienfondé de la mesure) fait que la régularité des décisions administratives ne peut maintenant être contestée que devant le juge judiciaire. Le TGI apprécie et statue sur les réparations du préjudice éventuel occasionné par la décision administrative. Toute irrégularité constitue une atteinte aux droits de la personne et entraîne une nullité juridique de la mesure. Il en résulte un formalisme important pour respecter les procédures, fortement ressenti dans les établissements. Une étude menée par la Cour de Cassation sur les décisions des juges de 2012 et 2013 souligne une jurisprudence hésitante, conséquences des difficultés de contrôle de régularité des actes.
2.2.1 Les chiffres des saisines
Le nombre total de saisines du juge connaît une augmentation régulière, conforme à la hausse du nombre de personnes suivies sans leur consentement. Cette augmentation est d’autant plus importante que la révision de la loi en 2013 a raccourci à 12 jours le délai maximum d’intervention du juge pour statuer sur la nécessité du maintien en hospitalisation complète.
En 2013, selon le ministère de la justice, 65 857 saisines de JLD ont eu lieu pour des hospitalisations sans consentement. 5 118 levées d’hospitalisation soient 7,7 % du total ont été ordonnées, soit pour nullité de procédures, soit parce que la contrainte est apparue non justifiée ou disproportionnée.
Les saisines dites « obligatoires » représentent 96,8 % des saisines en 2015, contre 94,4 % en 2013. Une diminution conjointe des saisines « facultatives » est constatée (respectivement de 5,2 % en 2013 contre 3,1 % en 2015) qui pourrait être une conséquence de la réduction du délai à 12j maximum de la saisine obligatoire.
L’amélioration avec la loi de 2011 de l’information du patient sur ses droits constitue une avancée de principe pour le respect des droits des personnes mais la faible proportion de saisines facultatives, et donc de l’usage que fait le patient de ce droit, interroge l’effectivité de cet accès au droit et aux voies de recours.
En 2015, près de 1/10e des saisines aboutissent à une mainlevée de la mesure de contrainte, avec des variations importantes entre départements. La proportion de mainlevées est plus élevée dans le cas de saisines facultatives effectuées par les personnes ou leurs proches (13,5 %) que pour les saisines obligatoires. Elles sont encore plus élevées en cas de désaccord entre psychiatres et préfet (25 % de ces saisines aboutissent à une mainlevée de la mesure mais ces saisines pour ce type de désaccord n’ont concerné que 72 cas en 2015.
Le taux d’appel contre les décisions du JLD est de 0,9 % en 2012 et de 1,3 % en 2013, contre une moyenne nationale pour d’autres contentieux de 15 %. Les appels sont formulés en majorité par le patient (83 %), et 6 % par le ministère public. 85 % des cours d’appel ont confirmé la décision de soins sans consentement.
En cour d’appel, si la majorité des décisions judiciaires confirment les soins sans consentement, des mainlevées sont prononcées dans 34 % des contestations de régularité :
- Pour absence d’information du patient ou de sa consultation sur le maintien de la mesure (13 %).
- Pour absence de motivation de l’acte administratif (3 %).
- Pour impossibilité pour le patient de s’adresser à l’équipe médicale (2 %).
2.2.2 Effets de jurisprudence
Un inventaire de la jurisprudence depuis 2011 réalisé par J.M. Panfili est publié sur le site du CRPA. Des enseignements sont tirés des cas de mainlevée.
- La compétence de l’auteur des décisions administratives est appréciée sur des pièces justificatives où doivent figurer, signature, mention lisible des nom, prénom, qualité du signataire de la décision, et s’il s’agit d’une délégation du directeur, de la nature et la durée de cette délégation, qui doit de plus être publique au sein de l’établissement.
- La compétence légale du médecin est appréciée sur le respect des exigences du Code de la Santé Publique : le médecin auteur d’un certificat doit selon le type d’hospitalisation, exercer ou non dans l’établissement d’accueil (péril imminent, SDRE), ne peut être le même pour établir les certificats d’admission et de 72h dans le cas de la procédure d’urgence.
- Versailles, la cour de Cassation a confirmé en application de l’article L3213-1, qu’un médecin non psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil du patient admis en SDRE peut bien être certificateur de cette mesure, parce que n’étant pas psychiatre. - Les décisions administratives doivent être motivées : le juge doit disposer des certificats médicaux, et ces certificats sont incorporés à la décision de soins sans consentement.
- Le délai entre l’admission physique de la personne qui serait retenue contre son gré pour un risque de danger imminent, et l’admission administrative de soins sans consentement ne peut dépasser un certain délai : sur le plan légal « le temps strictement nécessaire » à la mise en œuvre des mesures de soins sans consentement est toléré, qui selon une décision du conseil d’Etat de 1993 évoque « quelques heures ».
- Si le juge n’est pas saisi dans les délais, l’hospitalisation est une rétention arbitraire : la mainlevée est ordonnée et immédiate.
- Le tiers doit avoir eu des relations antérieures avec le patient : le JLD peut en demander la preuve explicite. Et le tiers doit agir dans l’intérêt du patient : des cas de conflits comme les conflits conjugaux et procédures de divorce peuvent entraîner une décision de mainlevée si l’un des époux a la qualité de tiers.
- Dans le cas où le patient exprime un refus de prévenir sa famille, l’établissement doit obtenir du patient les coordonnées d’une autre personne capable d’agir dans son intérêt. La famille ou un proche doit être informé de la mesure pour permettre la saisine du juge si la mesure est considérée comme illégale.
- Dans le cas du péril imminent, l’établissement doit procéder à la recherche du tiers ; tenu à une obligation de moyens, il doit pouvoir justifier que cette recherche, dès l’admission et dans un délai de 24h, a été infructueuse.
- Un patient doit recevoir dès son admission ou dès que son état le permet une information sur sa situation juridique et sur ses droits et recours. La notification de ses droits dès l’admission et après chaque décision doit être prouvée ; le défaut ou le retard doit être justifiée pour raison médicale, ou constitue une irrégularité et une atteinte grave à une liberté fondamentale qui provoque une mainlevée.
- Un patient non francophone doit disposer d’un interprète pour recevoir l’information sur ses droits et être en capacité de faire ses observations et recours.
- Pour chaque décision d’admission ou de maintien des soins sans consentement, le patient doit faire valoir ses observations, avant chaque décision : l’obligation repose sur l’autorité administrative, directeur ou préfet.
- Le patient peut avoir accès aux pièces du dossier transmises au JLD. Il doit pouvoir faire parvenir ses observations au greffe du JLD par écrit.
- Si le patient est un majeur protégé, le CSP n’exige pas la présence du mandataire à l’audience, mais le code civil prévoit dans son article 468 que le curateur doit être présent pour une action ou une défense en justice : le défaut d’information et de convocation du curateur pour l’audience par l’établissement a déjà été sanctionné par la cour de cassation.
- Le défaut de motivation des certificats médicaux justifiant la décision est un motif de mainlevées, comme l’absence des caractères de dangerosité ou de troubles à l’ordre public dans les mesures de SDRE et dans le cas de SDT, la motion de consentement aux soins ou la disparition de la qualité de péril imminent.
- De manière générale, la charge de la preuve repose sur l’établissement d’accueil : le défaut de production d’un des éléments figurant à la procédure peut entraîner pour le JLD un motif de mainlevée :
- Le défaut de preuve du respect de l’obligation de procéder à un examen somatique dans les 24h suivant l’admission a entraîné une mainlevée à Lille.
- Un juge en appel a pris une décision de mainlevée pour défaut de respect des obligations relatives à la pratique de contention et isolement. La décision n’a pas été confirmée en cassation mais crée un précédent qui illustre que les juges peuvent se reconnaître une extension de domaines de compétences. - Les programmes de soins, sur lesquels le JLD n’a pas compétence, alimentent une jurisprudence qui montre l’imprécision des textes. Ce sont les conditions de réintégration en hospitalisation complète qui constituent les situations de cette jurisprudence :
- L’arrêté préfectoral de réintégration doit précéder l’admission du patient dans l’établissement.
- Pour la cour d’appel de Versailles, la réintégration du patient en hospitalisation complète équivaut à une nouvelle mesure et doit respecter le même formalisme que pour l’entrée dans la mesure de soins sans consentement, avec la production de nouveaux certificats de 24h, de 72h.
- Pourtant pour la cour de cassation, un retour en hospitalisation complète d’un patient en SDRE ne nécessite pas de trouble à l’ordre public ou de dangerosité, et donc la continuité de la même mesure de soins sans consentement.
2.2.3 Droits des patients, risques et responsabilités
La réforme de 2013 a introduit la présence systématique d’un avocat à l’audience. Cette avancée en termes de renforcement des droits de la personne ne va pas sans soulever des questions que le Syndicat des Avocats de France (SAF) a souligné comme questions déontologiques et de conscience inédites : il s’agit de défendre des patients qui n’ont pas commis de délits, qui ne sont pas directement demandeurs d’assistance et qui, à la différence des situations en droit pénal, peuvent commettre des actes après l’obtention de leur mise en liberté.
L’avocat est encouragé à utiliser tout élément de forme pour obtenir l’annulation de la mesure, motifs qui peuvent être aisés à saisir considérant la complexité de la loi et la jurisprudence.
Au niveau pénal, le Code de la Santé Publique prévoit des sanctions pour le directeur d’établissement qui ne respecterait pas les procédures ; cas à ce jour théoriques. Le médecin peut au niveau pénal avoir à répondre de faux et usage de faux, situation qui s’est déjà produite pour la rédaction de certificats de soins sans consentement. Quant au JLD, il peut assortir sa décision de sortie d’hospitalisation, d’un délai de 24h, motivé, supposé permettre au psychiatre, s’il le souhaite, de transformer la mesure d’hospitalisation complète en programme de soins. Cette mesure décidée sur une question de droit ne correspond que rarement à la motivation médicale de la modalité de soins. Aussi, il peut être tentant pour les psychiatres d’initier une nouvelle mesure de soins sans consentement après une décision de levée par le JLD.
Cette situation s’est produite avec le cas d’une transformation de SDT que le JLD avait levée, en SDRE sur initiative du médecin : une nouvelle mainlevée de la mesure de SDRE a été décidée par le JLD de Versailles sur motif de « détournement de pouvoir », l’examen médical qui devait permettre de motiver le programme de soins ayant été selon le JLD détourné pour déclencher une mesure de SDRE.
A l’opposé, la cour de cassation a en juillet 2015 cassé une décision d’appel pour le maintien d’une SDRE, en estimant que le risque de rechute ne pouvait constituer un motif suffisant de maintien en hospitalisation complète, et que le principe de précaution ne pouvait être utilisé pour la privation de liberté.
2.3 Expertiser : toujours plus de demandes et des obstacles
Le psychiatre expert doit éclairer l’Institution judiciaire dans de nombreuses procédures, en Droit pénal, Droit civil, Droit administratif, pour les auteurs de délits et des victimes, potentiels ou reconnus, et de tous les âges. Historiquement, les psychiatres exerçaient un rôle expertal dans les hôpitaux psychiatriques en relation avec les hospitalisations sans consentement. Il reste de cette tradition le fait que les experts psychiatres judiciaires exercent en majorité en milieu hospitalier public, et remplissent donc une mission complémentaire de service public.
Il existe désormais des difficultés majeures liées à l’accroissement des réquisitions et des commissions d’expertises judiciaires, dans des délais toujours plus resserrés, alors que la démographie des experts psychiatres judiciaires chute et qu’un désinvestissement des psychiatres en exercice pour la pratique expertale se manifeste. Les changements dans la pratique psychiatrique depuis le développement de la psychiatrie de secteur ont diminué l’intérêt des psychiatres pour l’expertise. L’insuffisance caricaturale des rémunérations expertales, les retards ou défauts de paiement des tribunaux et l’imbroglio des charges sociales et fiscales constituent aussi des facteurs dissuasifs. Les conditions pour réaliser les expertises ajoutent aux contraintes avec la multiplication des expertises en urgence dans les situations de comparution immédiate où dans des délais trop courts, il faut fournir un avis sur la responsabilité pénale de la personne, mais aussi sur son pronostic et son éventuelle dangerosité. Lorsque l’expert doit déposer, il doit bouleverser son agenda d’activités pour se rendre au tribunal, de façon de plus en plus éloignée de son domicile, et perd ½ journée ou une journée d’activité qui lui sera rémunérée à hauteur de 40 euros.
En quelques années, de 800 inscrits sur les listes de Cour d’Appel ou agrées par la Cour de Cassation, les experts judiciaires sont passés à moins de 500, dont certains en position honoraire. Certains multiplient les rapports, au point d’être taxés par leurs confrères de « serial experts ».
La Loi HPST avait de plus modifié le cadre d’exercice des expertises des praticiens hospitaliers en les renvoyant avec d’autres activités au statut de la fonction publique, comme activités accessoires. Ce qui devait se traduire par la nécessité de réaliser les expertises en dehors des locaux professionnels, en dehors du temps de travail, et avec l’autorisation du directeur de l’hôpital. Autant d’obstacles potentiels à la réalisation des expertises. La mobilisation syndicale a permis la publication d’un décret lié à la loi de programmation de l’exécution des peines, qui en fixant la limite du cumul d’activités pour les PH « dans la limite de deux demi-journées par semaine, cette durée étant calculée en moyenne sur une période de quatre mois » permet aux praticiens hospitaliers de réaliser les expertises mais « en cas d’exercice de missions d’expertise judiciaire ordonnées en application du code de procédure pénale ». Le décret ne concerne donc pas l’ensemble des expertises (civiles, administratives).
En janvier 2016, une nouvelle fronde est menée avec mouvement de grève des expertises. En cause, un décret du 30 décembre 2015 qui évite à la justice le paiement des charges sociales dues aux médecins experts judiciaires en les excluant de la liste des collaborateurs occasionnels de service public (COSP), ce qui les bascule du régime général de la Sécurité sociale vers le régime social des indépendants (RSI) : il en résulte une baisse drastique de leurs revenus de 20 à 40 % de leur rémunération nette, puisque forcés dans ce cas de payer des cotisations supplémentaires, sans contrepartie. La confusion prévaut : l’expert est en effet considéré, en tant que COSP comme salarié pour les cotisations sociales mais il est considéré comme un travailleur indépendant aux yeux du régime fiscal, ce qui l’assujettit à la TVA.
Sous la mobilisation, un nouveau décret (décret du 2 juin 2016 modifiant le décret du 30 décembre 2015) modifie une partie du précédent décret sans l’annuler, en réintégrant les experts judiciaires médecins salariés de l’hôpital public au sein des COSP. Les praticiens qui ont une pratique libérale, quel que soit leur statut, restent exclus du régime des COSP. Or, à la suite d’un recours de l’Association Nationale des Psychiatres Experts Judiciaires contre le décret de 2015, un arrêt du Conseil d’Etat en date du 17 mars 2017 annule l’article premier du décret de décembre 2015. Depuis le décret du 2 juin 2016 et avec le décret du 27 février 2017 relatif aux modalités de fixation des tarifs des actes prescrits, une augmentation partielle des rémunérations a eu lieu mais avec une dissociation entre COSP et médecins libéraux : la situation reste des plus floues quant aux modalités d’exécution, de paiement, de réalisation de l’expertise psychiatrique judiciaire.
Des mesures urgentes, législatives et réglementaires méritent d’être prises pour sauver l’expertise psychiatrique judiciaire, aboutir à un véritable statut, rénover la pratique expertale pour la rendre attractive.
2.3.1 Formation et inscription
Les futurs psychiatres doivent recevoir à nouveau, dans le cadre du D.E.S de psychiatrie une formation systématique en psychiatrie médico-légale. La formation des futurs experts psychiatres devrait s’assoir sur la création d’un D.E.S.C de psychiatrie médico-légale ou d’une formation dans un Institut de l’expertise, formation qualifiante mais pour laquelle il apparait essentiel que la formation médicale relève du ressort de l’autorité médicale dont les objectifs, l’éthique et l’approche ne se confondent pas avec l’abord judiciaire. Une formation complémentaire criminologique doit être dispensée, consolidant le fait que les champs psychiatriques et criminologiques sont complémentaires mais non confondus. La formation criminologique doit s’intégrer dans un cadre pluridisciplinaire partagé avec d’autres professions qualifiées de niveau 3e cycle universitaire.
Il faut différencier l’expertise pénale de l’examen médical spécialisé que représentent le constat médical psychiatrique de garde à vue, l’avis sur la compatibilité du port du bracelet électronique ou d’une indication d’injonction de soins : cet examen devrait pouvoir être pratiqué par tout psychiatre, ce qui nécessite une formation en psychiatrie légale des psychiatres en formation.
S’il est logique que l’autorité judiciaire procède seule aux décisions d’inscriptions des experts volontaires sur les listes de Cour d’Appel, l’avis des pairs devrait être pris en compte car eux seuls peuvent connaître la qualité professionnelle et les capacités expertales des impétrants.
2.3.2 Rémunérations
L’indécence des rémunérations des expertises dont les tarifs n’ont pas augmenté en quinze ans (172 euros pour un psychologue, 277 pour un psychiatre) pour une somme de travail conséquente entre consulter le dossier, rencontrer l’intéressé – qui se trouve souvent en prison –, l’examiner et rédiger le rapport, a été dénoncée à plusieurs reprises. Une réevaluation immédiate des indemnités scandaleuses des dépositions en cours d’assises doit être obtenue. Les rémunérations sont insuffisantes en regard de la complexité et des compétences nécessaires.
2.3.3 Clarifier les textes
Le décret du ministère de la Santé régissant les modalités de pratique d’expertises par les PH doit être corrigé pour permettre notamment la réalisation des différents types d’expertise psychiatrique (civile, tutelle, pénale...). La situation statutaire des experts psychiatres COSP et libéraux suite aux récents textes règlementaires et arrêt du conseil d’État doit être clarifiée. Le choix optionnel d’être reconnus COSP doit exister pour les praticiens libéraux. La rémunération différentielle entre COSP et libéraux ne peut exister qu’à la hauteur des cotisations sociales pour les praticiens optant pour le statut libéral.
Des groupes de travaux interministériels associant les ministères de la Justice et de la Santé devraient donc être mis en place pour des projets statutaires en relation avec les projets de réforme judiciaire.
Motion SPH
Expertises
Réuni en assemblée générale le 4 octobre 2017 à Toulouse : Le SPH tient à rappeler le rôle historique de l’expertise psychiatrique pénale dans l’individualisation de la psychiatrie comme spécialité médicale. Il s’agit d’une mission qui s’inscrit dans la continuité du service public avec une majorité des experts qui sont des praticiens hospitaliers.
Le SPH constate une chute démographique des psychiatres experts judiciaires au cours de ces dernières années et invite les autorités à prendre en urgence des mesures incitatives pour rendre la pratique expertale plus attractive, car les effectifs des experts psychiatres conditionnent la qualité de l’exercice de leur mission.
L’expertise psychiatrique pénale comporte différents niveaux et il conviendrait de distinguer l’expertise présentencielle d’évaluation de la responsabilité pénale de l’expertise post-sentencielle à visée pronostique qui implique une compétence supplémentaire en psychocriminologie et une pluridisciplinarité.
Le SPH rappelle l’importance d’une formation en psychiatrie légale en formation initiale (internat) et continue, en raison de la place du droit dans la pratique psychiatrique et pour tenir compte de la multiplication des structures psychiatriques à vocation médico-légale. Il demande l’instauration d’un tutorat pour former et accompagner les psychiatres qui se choisissent l’activité d’expertise judiciaire avec une mise en œuvre en concertation avec les associations professionnelles.
Le SPH réclame l’extension de l’autorisation statutaire de pratiquer des expertises pénales sur le temps de travail à raison de deux demijournées par semaine aux autres expertises civiles et administratives et aux examens médicaux effectués sur demande des magistrats et des autorités administratives.
Le SPH souhaite que le traumatisme psychique des victimes directes ou indirectes soit mieux pris en compte et reconnu dans les procédures d’évaluation du dommage corporel. Cette évaluation du préjudice psychique doit être effectuée par des psychiatres formés à la victimologie et/ou ayant une expérience dans ce domaine.
Le SPH réclame que l’ensemble des experts, quel que soit leur statut, puisse recourir à la tarification des expertises psychiatriques dites hors normes pour tenir compte de la complexité du dossier, de la qualité du travail fourni et du temps consacré.
Le SPH exige des autorités une clarification du statut social et fiscal des praticiens hospitaliers, collaborateurs occasionnels du service public dans le cadre de leur activité d’expertise judiciaire. La décision du Conseil d’État d’annuler le décret sur les COSP a entraîné un vide réglementaire et le SPH demande à être associé à la rédaction du nouveau décret sur ce statut.
Le SPH proteste vivement contre l’instrumentalisation de la psychiatrie notamment les déclarations de certaines personnalités politiques et ministérielles visant à établir systématiquement un lien entre les actes terroristes et la pathologie mentale.
Le SPH constate que certains faits divers dramatiques sont l’occasion, dans leur traitement médiatique, d’une recherche de boucs émissaires et de la mise en cause des psychiatres et de la psychiatrie et ce d’autant plus lorsque l’auteur a eu, dans son parcours de vie, un contact même bref avec la psychiatrie. La psychiatrie prend sa part dans la démarche de compréhension psychopathologique de certains passages à l’acte mais l’acte criminel, quelle qu’en soit la nature et l’émotion qu’il suscite, n’est pas nécessairement lié à une pathologie mentale.
2.4 Des coûts mal cernés
En mai 2017, l’Assurance-maladie a présenté à partir de la consommation de soins en 2015 pour 57 millions de bénéficiaires du régime général, un coût annuel « de la santé mentale » de 19,3 milliards d’euros, qui a progressé de 1,3 milliard d’euros entre 2012 et 2015. Ce coût est en fait estimé à partir des données d’hospitalisation et de consultation pour maladie psychiatrique, et la consommation de médicaments psychotropes, qui sont aussi prescrits à des patients sans pathologie psychiatrique.
Elargie à la santé mentale, l’évaluation des coûts avance la somme de 109,2 milliards d’euros, soit un tiers des dépenses de l’Etat français, distribuée entre : 65,1 Milliards € de coût de perte de qualité de vie, 24,4 Milliards € de coût de perte de productivité, 13,4 Milliards € de coût pour le secteur sanitaire et 6,3 Milliards € de coût pour le secteur social et médico-social.
Pour le secteur sanitaire psychiatrique, les dépenses recouvrent différentes réalités de prise en charge :
- Des dépenses hospitalières pour les établissements sous dotation annuelle de financement (DAF), recouvrant pour l’activité de secteur activité hospitalière à temps plein et partiel, et ambulatoire.
- Les dépenses pour pathologies mentales en établissements de MCO sous T2A et SSR dont le mode de financement vient d’être réformé (passage d’un financement DAF à une modulation à l’activité (MAF))
- Les dépenses de cliniques privées au financement à l’activité sous objectif quantifié national (OQN).
- En secteur libéral, les dépenses des consultations de médecine générale, de psychiatres et autres consultations de spécialistes dans le cadre de la prise en charge de pathologies mentales, la consommation de médicaments, les dépenses relatives aux transports médicaux, analyses de biologie et aux soins délivrés par des auxiliaires médicaux.
- Directement financés par les ménages, les consultations auprès de psychologues libéraux et psychanalystes, de dépassements d’honoraires de psychiatres en activité libérale et la part hôtelière des établissements.
A noter que le décret du 5 mai 2017 relatif aux expérimentations (dans 3 régions) visant à organiser la prise en charge de la souffrance psychique des jeunes, selon l’article 68 de la loi de financement de la sécurité sociale 2017, prévoit la prise en charge sous forme de forfait de 12 consultations au maximum par des psychologues libéraux, sur prescription par un médecin généraliste, un médecin scolaire ou un pédiatre, pour des jeunes de 11 à 21 ans en situation de « souffrance psychique ». A différencier des « troubles psychiatriques et des crises suicidaires », qui sont orientés alors en « soins spécialisés ».
Pour le secteur médico-social, pour les adultes et enfants handicapés souffrant de déficiences psychiques, les différentes sources de financement pour la prise en charge des pathologies mentales, sont estimées en 2007 à 41 % par l’Etat, 38 % par l’Assurance maladie, 18 % par les conseils généraux / départementaux, 2 % par les ménages et 1 % par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA).
En 2016, l’ATIH a lancé une enquête des coûts en psychiatrie à partir des données analytiques d’une liste d’établissements des secteurs DAF et OQN. L’objectif est d’analyser des données d’activité et des informations sur les caractéristiques de la structure (capacités, effectifs) et notamment permettre un recueil plus détaillé sur l’activité des centres médicopsychologiques (CMP) et centres d’activités thérapeutiques à temps partiel (CATTP).
Distingué de la santé mentale, le coût réel de la psychiatrie est donc toujours difficile à circonscrire.
2.5 Faire évoluer le financement
En 2017, la loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) a été préparée pour des mesures d’économies des budgets publics. Le rapport Laforcade chargé par le gouvernement précédent de proposer des solutions « concrètes pour la mise œuvre de la politique de santé mentale », prône d’abord les réorganisations et le recours à des expériences jugées innovantes plutôt que des moyens. La psychiatrie publique peut toujours protester que l’évolution de l’ONDAM psychiatrie est inadaptée à la politique de santé mentale que les gouvernements successifs prétendent vouloir mener.
2.5.1 DAF
La psychiatrie de secteur public et privée à but non lucratif, est encore financée par une dotation annuelle de financement (DAF), enveloppe budgétaire globale attribuée pour l’année civile et délivrée pour couvrir la dépense du 1er janvier au 31 décembre de l’année N. Pour chaque enveloppe, le ministère détermine par arrêté « DR » un plafond de ressources par région (5 dotations régionales environ dans l’année). Des circulaires budgétaires complètent dans l’année cet arrêté, détaillant le montant et la nature des missions financées par ces dotations.
Les 2 modes de financements des établissements de santé, publics et privés, sont régis par des modalités et un calendrier différents, déterminés en amont par la LFSS et la fixation de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) :
- Le bloc ODMCO (tarifs) évolue en fonction d’un arrêté annuel fixant le montant de chaque tarif dans ces activités, pris fin février avec effet au 1er mars de l’année.
- Le bloc DAF / MIGAC / USLD / FMESPP : sa répartition est déterminée par une circulaire diffusée début mars, avec effet au 1er janvier de l’année en cours.
Le site du ministère de la Santé fait toujours figurer à propos du financement des établissements le projet d’extension du modèle T2A à la psychiatrie, en cours d’étude, vers un type de financement mixte associant un compartiment tarification à l’activité, un compartiment MIGAC, une liste de produits remboursables, etc. Les spécificités de la psychiatrie constituent des obstacles à sa réalisation (atomisation de ses structures, organisation territoriale, poids des soins ambulatoires, juxtaposition et chevauchement des modes de prise en charge).
Depuis 2007 le résumé d’information médicale en psychiatrie (RIM-P) qui constitue le nouveau recueil d’activité doit permettre une évaluation nationale des coûts (ENC) spécifique. Le RIM-P géré par l’ATIH recueille les informations relatives à chaque prise en charge des patients : données démographiques (âge, sexe, code postal de domicile), lieu de la prise en charge (code établissement, type de prise en charge hospitalière ou ambulatoire, durée), et code de l’affection prise en charge, le cas échéant complété des codes correspondant à des pathologies associées. Les données d’activité concernent les séjours en hospitalisation à temps complet et toutes les autres prises en charge à temps complet (séjour en postcure psychiatrique, hospitalisation à domicile, placement familial, centres de postcure psychiatriques), les séjours à temps partiel (hospitalisation de nuit, hospitalisation de jour, atelier thérapeutique et CATTP (Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel) et les données concernant l’ambulatoire.
En 2011, la Cour des comptes établissait dans son rapport sur le plan psychiatrie et santé mentale que les sources statistiques disponibles pour la psychiatrie étaient insuffisantes pour une planification pertinente. Ces sources reposent sur :
- Le fichier FINESS (fichier national des établissements sanitaires et sociaux) qui recense les hôpitaux et les cliniques, mais ne fait pas l’inventaire des structures et services alternatifs à l’hospitalisation complète.
- Les enquêtes SAE (statistiques annuelles des établissements) gérées par la DREES, qui comportent depuis 2006 une enquête spécifique à la psychiatrie, et recueillent des données sur les ressources en équipement, en personnel et l’activité exprimée en journées pour les prises en charge à temps complet, en venues pour les prises en charge à temps partiel (hôpital de jour) et en actes pour les soins ambulatoires : elles ne rendent pas compte de la variété des dispositifs de psychiatrie ; ainsi, l’hospitalisation complète regroupe sans les différencier les activités de postcure, de centres de crise et d’appartements thérapeutiques ; les lits d’hospitalisation de nuit et les places d’hôpitaux de jour ne sont pas distingués ; les alternatives à l’hospitalisation n’apparaissent pas en dehors des places d’hospitalisation à domicile.
- Les rapports annuels de secteur (RAS) qui rendaient compte de la dimension sectorielle mais pas des moyens et des activités non sectorisés. Etendus aux établissements non sectorisés, ils sont devenus en 2009 les rapports d’activité de psychiatrie (RAPSY), sous forme d’enquête ponctuelle réalisée par la DREES auprès de l’ensemble des établissements. Ils ont pour défaut la complexité des enquêtes pour des résultats parcellaires.
A titre de comparaison, les activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) qui étaient également sous DAF connaissent depuis début 2017 une réforme de financement, prévue dans la loi LFSS de 2016 avec une mise en œuvre progressive jusqu’en 2018. Leur financement consiste en une dotation modulée à l’activité (DMA) selon un compartiment d’activité basée sur l’étude ATIH du PMSI des établissements, à laquelle s’ajoutent un financement de missions d’intérêt général, de crédits d’aide à la contractualisation et du dispositif d’incitation financière à la qualité (IFAQ) qui prévoit le versement d’une dotation complémentaire aux établissements sur la base des résultats obtenus via des indicateurs de qualité et de sécurité des soins.
En octobre 2004, le comité de pilotage chargé d’élaborer un PMSI en psychiatrie, à l’origine du Rim-Psy, s’était vu confier par le ministère la mission de proposer un modèle pluraliste de financement. Le PMSI-PSy, renommé « Valorisation de l’activité en psychiatrie » (VAP) était présenté, composé de 4 compartiments :
- Un compartiment en relation avec l’activité, à partir du RIM-P.
- Un compartiment géo-populationnel prenant en compte les facteurs géographiques, épidémiologiques et socio-démographiques sur le plan régional, territorial et sectoriel.
- Un compartiment décrivant des missions d’intérêt général (MIG).
- Un compartiment pour les médicaments onéreux.
Le modèle s’avère complexe et nécessite des indicateurs médico-économiques fiables. En 2014 un rapport DGOS relatif à la réforme du modèle de financement des établissements de santé, signale à propos de la psychiatrie, qu’il n’est plus question que de travaux qui « permettront à long terme, d’envisager une classification adaptée à l’activité de psychiatrie et, sur cette base, d’être en mesure de mener une réflexion sur le financement de parcours types ou des modes de prise en charge issus de référentiels » : la VAP comme modèle de financement est donc abandonnée.
En référence au modèle du parcours (de soins, sanitaire et de vie) qui lie psychiatrie et santé mentale, les données médico-économiques doivent s’étendre au secteur social et médicosocial. Une enquête est réalisée par la DREES tous les quatre ans sur les établissements et services sociaux pour les personnes en situation de handicap mais elle ne permet pas de différencier les données sur les personnes souffrant de troubles psychiatriques de celles sur les personnes ayant une déficience intellectuelle : le modèle d’information médicoéconomique pour l’activité de psychiatrie qui s’y exerce s’avère insuffisant.
2.5.2 Modulation des DAF
D’autres enjeux résident dans la modulation des DAF par les ARS et dans la mise en pratique de péréquation. Une enquête pour les Journées d’information médicale et de contrôle de gestion en psychiatrie, montre une grande variation de situations : en 2016 seulement deux ARS ne menaient aucune modulation des DAF, la modulation a été mise en place à des degrés divers par les autres ARS, pour généralement 1 % des DAF. Seule la région PACA a pratiqué les modulations dès 2011, et a programmé une modulation à 10 % des dotations de 2015 à 2019, puis à 15 % de 2019 à 2022.
Les objectifs des modulations affichés par les ARS sont globalement similaires : réduire les inégalités de financement, favoriser le virage ambulatoire et réduire les séjours longs. Louis Breuls de Tiecken auteur de l’enquête s’inquiète cependant que, pour 8 ARS, la modulation des DAF vise également à répartir les efforts d’économies entre établissements. Comparant la situation de 2014 à 2016, l’étude montre que le nombre de critères pour calculer la péréquation des dotations a doublé, pour prendre plus en compte les besoins de la population, le type de prise en charge et favoriser l’ambulatoire. En moyenne, les ARS en utilisent quatre. Les exemples de critères utilisés sont :
- La population, les besoins populationnels (précarité), la part de bénéficiaires de la CMUC.
- Activité, DAF par jour d’activité, file active ambulatoire, file active globale, file active par type d’activité.
- Dépenses d’Assurance Maladie par habitant.
- La surface de territoire.
- Taux HDJ/Hospitalisation Temps partiel, Valorisation File active HTP et HDJ pondérées par Durée Moyenne d’Hospitalisation, file active HTTP au long cours / Nombre d’habitants Durée Moyenne d’Hospitalisation, Taux de recours standardisé à l’HTP, Taux de recours standardisé/âge et sexe en HTP.
Au congrès SIP SPH de Bruxelles 2016, le Dr Morfoisse, directeur adjoint de l’ARS Occitanie a présenté dans le cadre d’une table ronde sur le financement de la psychiatrie, des travaux menés sur l’évolution de son mode de financement. Partant du constat des insuffisances des DAF pour répondre à l’activité complexifiée de la psychiatrie publique, il relève comme problèmes : Inégalité entre les régions et entre les territoires, déconnexion de l’activité, difficultés à prendre en compte l’évolution des besoins (démographie, population défavorisée, accès aux soins), difficultés de financement des activités innovantes : traitements, équipes mobiles, hospitalisation à domicile.
Un modèle moins complexe que la VAP basé sur 4 compartiments pourrait être envisagé pour les régions, intégrant le montant de la DAF historique, avec des indicateurs établis à partir du Rim-P et de l’INSEE :
- Un compartiment activité, pour 35 % de la dotation (indicateurs : nombre de séjours, nombre de venues et demi-venues, et nombre d’actes en ambulatoire).
- Un compartiment file active, pour 35 % de la dotation (indicateurs : nombre de patients vus au moins une fois pendant l’année par un ou plusieurs membres des équipes soignantes).
- Un compartiment besoin populationnel pour 20 % de la dotation (indicateurs : la population à partir des résultats du recensement disponible (INSEE), avec un ajustement statistique selon le taux de précarité à partir d’une méthodologie validée par l’INSEE).
- Un compartiment « étendue du secteur » pour 10 % de la dotation (indicateur : superficie en km² des secteurs adultes et enfants des établissements).
Motion SPH
Financement de la psychiatrie
Le SPH réuni en Assemblée générale le 4 octobre 2017 à Toulouse :
- Réaffirme sa volonté de voir évoluer les dotations vers une plus grande équité entre les territoires. Pour ce faire il exige que l’approche partant des besoins de la population soit privilégiée et que l’on ne reparte pas dans les errements du passé sur le financement sur la base de critères d’activité.
- Demande à ce que soit construit un modèle d’évolution et de modulation des DAF basé sur des critères géo-populationnels (population, taille du territoire, indice de précarisation, données épidémiologiques et selon l’offre existante sur un territoire...). Celui-ci devrait être différencié selon des spécificités des besoins des populations, en psychiatrie adulte et psychiatrie infantojuvénile. Il devra tenir compte du poids respectif du secteur libéral, de l’importance et de la médicalisation du secteur médicosocial. L’explicitation de ces critères devra se faire avec les organisations syndicales représentatives.
- Dénonce la stagnation de l’ONDAM psychiatrie, les mises en réserves prudentielles visant à atténuer les effets inflationnistes de la T2A du secteur MCO, les effets délétères des décisions régionales de fongibilité asymétrique. Tous ces éléments concourent à une dégradation sans précédent de nos organisations soignantes.
- Exige une remise à niveau de l’enveloppe globale dévolue à la psychiatrie publique et la disparition des mises en réserves prudentielles et la transparence sur les critères de péréquations inter et intra régionales. L’explicitation de ces critères devra se faire avec les organisations syndicales représentatives
3.1 Des réformes hospitalières successives et la fin d’une organisation spécifique
En janvier 2016, le secteur de psychiatrie a été transformé en mission.
L’article 69 de la nouvelle réforme de santé a ainsi fait aboutir les offensives antérieures sur l’organisation territoriale originale de la psychiatrie publique pour résoudre le problème de faire rentrer la psychiatrie dans les réformes du système de santé. Déjà, le plan Hôpital 2007 qui avait supprimé la carte sanitaire et installé le SROS comme seul outil de planification, confrontait l’organisation géographique en secteurs de la psychiatrie à une nouvelle logique d’organisation des soins, qui n’a fait que s’amplifier avec les réformes de santé ultérieures, quels que soient les gouvernements. La loi HPST a ensuite fait disparaître les spécificités du statut de psychiatre hospitalier dans le statut général des Praticiens Hospitaliers, et éclipsé les chefs de secteurs face aux chefs de pôles.
La pyramide des âges des psychiatres qui a favorisé avec les départs en masse à la retraite, l’abandon de certaines références théoriques, a facilité la propagation de l’idée qu’une réorganisation était nécessaire, d’autant plus que la profession adresse depuis plusieurs années aux ministres une plainte sur la difficulté d’assumer l’inflation des demandes. Démocratie sanitaire, déploiement dans l’espace public de la catégorie « handicap psychique » et primauté de la santé mentale au nom d’une psychiatrie communautaire renouvelée, ont facilité avec une modernisation de l’antipsychiatrie, les choix politiques pour déloger la sectorisation des modèles d’organisation.
Les rapports officiels dénonçant l’insuffisance du secteur, trop daté, source d’inégalités et de maintien de l’asile, ont pu s’adoucir avec l’affaiblissement des résistances pour un discours plus subtil, où le secteur psychiatrique est finalement méritant, voire modèle de la vision territoriale de l’offre sanitaire, mais dépassé par l’accroissement des missions de santé mentale. Le temps de sa « rénovation » arrivé, le rapport de la Cour des Comptes de 2011 sur le bilan du Plan psychiatrie et santé mentale 2005- 2008 a fait le constat que le secteur avait bel et bien disparu du Code de la Santé Publique, privé avec les réformes successives de support juridique pour continuer à faire ce qui lui était demandé : la recommandation inespérée de la Cour de Comptes de créer une mission de service public reprenant les principes de la sectorisation a alors rencontré l’approbation des organisations professionnelles.
Cinq ans plus tard, c’est la loi de santé qui crée avec l’article 69 cette mission de psychiatrie de secteur. Pourtant, si l’identité du secteur et la valeur de ses missions de service public sont en apparence préservées, le code de la santé publique a perdu la sectorisation : elle s’évanouit des textes tandis que la dimension régionale et la notion de territoire se sont imposés comme outils de planification. Face aux remaniements d’importance que sont les GHT obligatoires dans la loi de 2016, les représentants des professionnels de la psychiatrie ont choisi d’accueillir avec satisfaction l’existence de cet article spécifique pour la psychiatrie. L’énergie employée à défendre des décrets, publiés tardivement, pour définir les communautés psychiatriques de territoire (CPT) et les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) créés par la loi, devait servir une politique cohérente de santé mentale et un rôle pour la psychiatrie dans le pilotage sur les territoires. Mais face à des GHT rapidement et fortement incités, le retard pris dans la publication des textes pour la psychiatrie fait passer cette volonté pour une simple tentative de sauver les meubles.
3.2 Le secteur dans les nouvelles organisations sanitaires
Il reste qu’à distance d’une bonne santé mentale idéalisée, la psychiatrie est fortement implantée dans les territoires, que les secteurs y ont tissé au fil des ans une politique concrète de partenariats, que la loi sur les soins sans consentement lui assigne des territoires d’interventions et de responsabilité médico-légale en référence au modèle des secteurs, et que la psychiatrie publique est toujours fortement sollicitée. Le récent décret sur le projet territorial de santé mentale lui assigne de multiples tâches, depuis l’accès facilité aux soins psychiatriques, pour tous et à tous les âges, au soutien aux professionnels du social et du médico-social, qui paraissent reconnaître à la psychiatrie un rôle indispensable. Mais comme selon le décret, les outils de pilotage ou même de simple coordination ne lui appartiennent plus, tant sont nombreux les partenaires pour définir un projet de santé mentale, floues les instances décisionnelles pour l’animer et imprécis le périmètre du territoire où ses interventions sont attendues, tout reste à faire pour les professionnels pour installer ou préserver dans les territoires des outils de soins cohérents.
3.2.1 Le secteur, c’est quel niveau de recours ?
En 2009, la loi HPST remplace les ARH par les ARS et les chargent de définir de nouveaux territoires de santé dont la vocation est d’organiser la politique de santé, plus seulement à partir des structures hospitalières, mais en impliquant les praticiens d’activité libérale. Des contrats de service public sont signés entre les ARS et les cliniques privées, preuves qu’une nouvelle conception du service public est mise en œuvre selon laquelle, comme le formule Nicolas Sarkozy à Neufchateau en 2008 : « Le service public hospitalier, c’est une mission plus qu’un statut ». Dans une opération de lissage des spécificités public – privé – MCO – psychiatrie, les praticiens hospitaliers en psychiatrie perdent leur mode de nomination spécifique qui avait été maintenu par les politiques antérieures.
L’organisation territoriale de la santé selon la loi HPST introduit également une hiérarchie des soins établie en fonction de leur difficulté technique, selon une idée originaire du RoyaumeUni et reprise par l’OMS. Le modèle promu pour les systèmes de santé est d’organiser les soins selon la complexité des soins requis qui définit des niveaux de recours :
- Les soins de premier recours sont les soins usuels pour les pathologies légères, dispensés par les médecins généralistes.
- Les soins de second recours sont les soins complexes dispensés par les médecins spécialistes.
- Un troisième niveau de soins se caractérise par la nécessité du recours à un plateau technique important ou à une médecine de pointe : les soins hospitaliers.
La logique territoriale qui est déduite de cette logique technique des soins est que les soins de premier recours doivent être présents dans chaque commune, que les soins spécialisés peuvent n’être présents que dans un ou plusieurs centres urbains et que les soins hospitaliers de pointe peuvent n’être présents que dans les villes les plus importantes.
Le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat établi sur le projet de la loi HPST soulignait tout de même l’ambiguïté de la notion de soins de premiers recours, du fait que trois logiques potentiellement antagonistes sont prises en compte pour les définir : la logique territoriale, la logique technique et la logique financière. Dans la logique financière, la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie instaure avec le parcours de soin, un rôle de régulation pour le médecin généraliste, en lui octroyant l’identité de « médecin traitant » dont la prescription conditionne le remboursement des soins de deuxième et de troisième recours. Mais comme un spécialiste, de second recours, peut aussi être choisi comme médecin traitant, de premier recours, les deux logiques, financière et technique, se juxtaposent. De plus la loi de 2004 a préservé l’accès direct sans prescription par le médecin traitant pour certaines spécialités médicales que sont l’ophtalmologie, la gynécologie et la psychiatrie pour les 16-25 ans.
Aussi, avec HPST, la volonté d’organiser les soins selon des niveaux de recours sur les territoires comme le préconise l’OMS et en renforçant le médecin généraliste pour leur régulation, s’avère inaboutie. Les spécificités de la psychiatrie sectorielle se heurtent aussi à cette logique, puisque à la fois soins de spécialité ambulatoire (second recours théorique), et hospitaliers (3e recours théorique), les principes du secteur se fondent sur la facilitation d’accès aux soins à partir des CMP considérés comme pivot des soins psychiatriques et de premier recours.
3.2.2 Le secteur de psychiatrie : soin primaire ou hospitalier ?
3.2.2.1 Les soins primaires
La loi de modernisation du système de santé de 2016 poursuit ce que la loi HPST a entamé pour la régulation territoriale de l’ensemble des soins, hospitaliers et ambulatoires, après des réformes d’organisation des soins focalisées au départ sur les équipements et l’hôpital.
La dénomination « soins primaires », empruntée à l’OMS, est présente dans la loi HPST et dans la loi de modernisation du système de santé de 2016. Elle sert la création d’un modèle normatif et hiérarchisé des soins ambulatoires. La loi de santé définit l’équipe de soins primaires comme un ensemble de professionnels de santé constitué autour de médecins généralistes de premier recours. Les soins de premiers recours sont quant à eux définis par l’article L1411-11 comme chargés de :
- 1° La prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients.
- 2° La dispensation et l’administration des médicaments, produits et dispositifs médicaux, ainsi que le conseil pharmaceutique.
- 3° L’orientation dans le système de soins et le secteur médico-social.
- 4° L’éducation pour la santé.
La loi de santé crée un autre niveau de régulation avec des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) composées de professionnels de santé regroupés en équipes de soins primaires, qui sont les acteurs assurant les soins de premier et de second recours, ainsi que les acteurs médico-sociaux et sociaux. Les CPTS ne sont pas obligatoires, mais il est prévu qu’en l’absence d’initiative des professionnels, les ARS puissent prendre les mesures nécessaires à leur constitution. Or les professionnels de santé libéraux s’étaient montrés très réactifs contre le projet de loi initial, accusant le « service public territorial de santé » (SPTS) qui était prévu, d’être un salariat déguisé. Le SPTS a disparu du texte final, mais le renforcement des pouvoirs de l’ARS sur l’organisation des professionnels de santé est prévu grâce à des contrats territoriaux de santé.
Le défaut de lisibilité de cette organisation territoriale qui multiplie les outils de coordination qui doivent en outre coexister avec d’autres supports de type conventionnels, est déjà dénoncée par certains.
3.2.2.2 Dans les groupements hospitaliers de territoire
- La cohérence de reconnaître les spécificités de la psychiatrie
Guidée, comme les réformes précédentes, par une réorganisation de l’offre hospitalière selon une logique territoriale régionale « graduée », la loi HPST avait instauré le regroupement des hôpitaux sous la forme de communautés hospitalières de territoire (CHT). Mais là où les CHT étaient simplement encouragées par la loi HPST, la loi de santé en a fait une obligation pour les établissements publics de santé, forcés de constituer des groupements hospitaliers de territoire (GHT).
Chaque GHT doit reposer sur un projet médical partagé qui devait être transmis aux ARS le 1er juillet 2017 au plus tard et qui comprend notamment l’organisation par filière d’une offre de soins graduée. Au 1er juillet 2017, 135 GHT ont été enregistrés, dont 5 GHT psychiatriques, tandis qu’une dizaine d’établissements obtenaient une dérogation provisoire pour ne pas constituer de GHT.
Pour la psychiatrie, le défaut de prise en compte de la singularité de ses missions et de son identité dans les réorganisations s’est révélé d’emblée, d’autant que les textes d’application de la loi pour la constitution des GHT ont largement pris les devants sur les décrets attendus pour la psychiatrie. 93 % des secteurs de psychiatrie générale seront désormais gérés dans le cadre d’un GHT polyvalent. Le principe de constitution des GHT repose sur la définition de filières supposées garantir une organisation des soins graduée selon des activités pour la prise en charge pour un patient, et d’une pathologie donnée dans un territoire de santé. L’identification de ces filières doit selon le rapport Martineau et Hubert sur les GHT privilégier une approche par pathologie plutôt que par discipline. Or pour la psychiatrie, c’est l’organisation sectorisée de la psychiatrie qui correspond à cette « organisation par filière d’une offre de soins graduée » de l’article R6132-3. En effet, la définition de la « filière » du rapport Martineau et Hubert préfigurateur de l’organisation en GHT, comporte :
- Un parcours ou une succession d’approches de soins que sont les consultations, les hospitalisations, les SSR, etc.
- Des indications de prise en charge analogues.
- Des profils de patients homogènes.
Appliquée à la psychiatrie, cette définition correspond à celle du secteur qui organise les parcours de soins selon une succession de séquences :
- Les soins de premier recours que sont l’accueil en CMP, ou en services d’urgences (soit spécifiques psychiatriques, soit par une évaluation psychiatrique aux urgences générales), ou en psychiatrie de liaison, ou en centre de crise.
- L’éventuelle hospitalisation, à temps complet ou à temps partiel en hôpital de jour voire en hôpital de nuit.
- Des soins de réadaptation spécifiques à la psychiatrie comme le CATTP, des unités de réhabilitation, des visites à domicile, des HAD psychiatrique.
- Parfois des soins de suite et de longue durée comme en centres de postcure psychiatrique, en services d’hospitalisation longue durée, en appui à l’orientation en structure médico-sociale adaptée.
A la fois activité et filière de soins gradués, la psychiatrie organisée en secteurs répond, par ses spécificités, aux attentes du projet médical de GHT de l’article R6132-3. La psychiatrie doit donc avoir une place à part dans les réorganisations territoriales.
Un autre motif pour tenir compte des spécificités de filière qu’aucune autre discipline médicale ou chirurgicale ne détient, c’est qu’il est demandé à la psychiatrie de répondre aux obligations de la loi sur les soins sans consentement : si les soins débutent obligatoirement par une phase d’hospitalisation complète, les conditions d’un aménagement de la mesure de soins sans consentement dans le cadre d’un programme de soins prévu par les lois du 27 septembre 2013 et du 5 juillet 2011, doivent être prévues ; ces différentes formes de soins sont celles de la filière spécifique de la psychiatrie (consultations, hospitalisation à temps partiel, CATTP, etc.) et sont placés sous la responsabilité d’un établissement de santé désigné par le directeur général de l’ARS conformément à l’article L3222-1 du CSP, sur une zone géographique tenant compte des modalités d’organisation en secteurs de psychiatrie.
Une autre spécificité de la psychiatrie comme filière tient dans ses relations particulières avec le médico-social au point de dessiner les projets territoriaux de santé mentale créés par la loi.
Il en résulte que la dérogation aux GHT ou à défaut un GHT spécialisé en psychiatrie, est une position cohérente pour les établissements ayant la psychiatrie comme activité principale. Et si l’autorisation d’activité de psychiatrie est exercée en hôpital général, la filière psychiatrique doit pouvoir participer au projet territorial de santé mentale à tous les niveaux de recours de soins (ambulatoire et hospitalier).
- Mise en application ?
Un premier bilan de la place laissée à la psychiatrie dans les GHT a été fait aux 5e Journées d’information médicale et de contrôle de gestion en psychiatrie, par l’examen de plusieurs conventions de GHT. La prise en compte des spécificités de la psychiatrie au sein des GHT peut y apparaître sous forme de déclaration de « respect du secteur psychiatrique dans la définition de la politique des GHT et l’existence d’axe ou de filière psychiatrique dans les objectifs stratégiques ». Pour l’application de ce principe, selon les conventions des GHT, on trouve :
- Une sous-commission de l’instance médicale « filière santé mentale ».
- La détermination que l’EPSM du GHT est l’établissement support de la filière psychiatrie et santé mentale pour une large autonomie de gestion, dans le cadre des moyens spécifiques dont il dispose.
- Un comité stratégique de psychiatrie regroupant les directeurs, PCME et directeur des soins des établissements autorisés en psychiatrie dont il est attendu un vote pour toute décision relative à l’organisation des soins de la filière psychiatrique et/ou ayant un impact budgétaire et financier.
D’autres garanties pour les EPSM ont été recherchées, comme le principe selon lequel lorsqu’un seul EPSM est membre du GHT, il a la charge de la définition et de la mise en œuvre de la politique de psychiatrie et santé mentale.
L’obligation de mutualiser certaines fonctions dans le GHT tel que le système d’information, a fait réapparaître la question des spécificités pour la psychiatrie : l’une des conventions établit que chaque établissement conserve des logiciels spécifiques pour l’exercice de certaines spécialités. Ainsi que l’obligation d’intégrer dans le GHT les besoins spécifiques de l’EPSM concernant le RIMP et les soins sans consentement. 2 GHT prévoient même un DIM spécifique à la psychiatrie.
Les GHT ont aussi des conséquences sur les conditions d’exercice : la répartition des emplois médicaux est traitée par le projet médical partagé. L’organisation des équipes poussées à être communes selon une logique de mutualisation, et sur des territoires étendus, est un enjeu de défense de l’exercice professionnel. Dans un contexte de difficultés démographiques, de problèmes d’attractivité hospitalière, de responsabilité médico-légale liée en particulier aux soins sans consentement, et de développement des soins ambulatoires sur des territoires de santé mentale aux contours peu définis, les conditions d’exercice des psychiatres hospitaliers peuvent se voir bouleversées et l’action syndicale ravivée.
3.2.3 Secteurs psychiatriques et parcours de soins, de santé, et de vie
Le modèle du parcours a depuis plusieurs années la faveur des décisions fixant la politique de santé orientée par la maîtrise des coûts, depuis que, coordonné et confié au médecin généraliste, la loi portant réforme de l’Assurance Maladie de 2004 l’a institutionnalisé. Comme les cibles de la réduction des dépenses de santé sont les effets du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques, la réflexion sur les coûts de santé a incorporé celle sur les réponses aux besoins sociaux face à la perte d’autonomie : le modèle d’un parcours favorisant le décloisonnement entre les secteurs, la coordination entre les aidants, les professionnels de santé et d’accompagnement, mais aussi les redistributions des enveloppes budgétaires, s’est imposé. Les rapports du Haut Comité de l’Avenir de l’Assurance Maladie et la Haute Autorité de Santé font donc depuis plusieurs années la promotion du parcours, de 3 types :
- Le parcours des soins, qui concerne les soins ambulatoires et hospitaliers.
- Le parcours de santé, qui vise les mesures de prévention et d’accompagnement médico-social.
- Le parcours de vie, supposé répondre aux besoins de la personne dans son environnement.
Les soins dits primaires, à partir du lieu de vie du patient, sont alors placés en position d’élément pivot du parcours traduit dans l’appel au « virage ambulatoire » pour l’organisation hospitalière et au renforcement de la place du médecin généraliste et/ou traitant, aux transferts de compétences (création du métier d’« infirmiers cliniciens »). Mais aussi à l’incitation à l’échange d’informations entre « équipes de soins » de l’article L1110-12 créé par la loi de santé, définie comme « un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à leur coordination », en complément des dispositions qui ont créé le dossier médical personnel (DMP) rebaptisé en 2015 en dossier médical partagé.
Ce qui n’est pas sans soulever des questions sur le respect du secret médical face aux notions de secret professionnel et de secret partagé, et sur la capacité réelle du patient à consentir ou à s’opposer à la transmissions d’informations le concernant.
Pour la mise en pratique de ce modèle de l’amélioration des parcours, les 19 recommandations du « comité des sages » présidé par Alain Cordier qui ont alimenté la « stratégie nationale de santé » restent les références.
Pour la psychiatrie, la tentation pour la politique de santé mentale pourrait être grande de s’appuyer sur les considérations autour de la prise en charge des maladies chroniques, alimentées par le succès de la notion de situations dites « complexes » qui définit la situation de personnes associant des problèmes sanitaires et des difficultés sociales, tant pourraient paraître communes les problématiques. La diffusion de la catégorie « handicap psychique » dans l’espace public en s’associant à la notion de perte d’autonomie, pourrait aussi accroître cette tendance. En se gardant du risque d’en faire un modèle pour la santé mentale, quelques enseignements pourraient être tirés de l’évaluation que la DREES vient de faire du programme PAERPA (Personnes Agées En Risque de Perte d’Autonomie), pour éviter les écueils qui menacent les futurs PTSM de la loi de santé : la DREES souligne en effet dans un bilan qualifié de mitigé, les points faibles liés aux problèmes de pilotage, quand il est question de mobiliser nombre de partenaires, professionnels, associations, du secteur public et libéral.
C’est bien de fait ce qui guette les PTSM : le défaut de pilotage et de coordination. Les CPT auraient toute leur place dans ce cadre.
Même si la loi de santé a réduit la sectorisation à l’instruction d’une mission, et en même temps au flou de la délimitation par les projets d’établissements de territoires dits de proximité, la référence aux secteurs de psychiatrie garde sa légitimité pour la logique des « parcours » : avec des aménagements, le secteur est le plus à même de garantir les principes d’une offre de soins coordonnée et complémentaire en guidant une organisation territoriale des soins gradués selon 3 niveaux :
- 1er niveau, sectoriel et généraliste : le secteur, base du maillage du réseau psychiatrique territorial « généraliste », doit conserver en propre l’équipement et les outils nécessaires à la proximité, la continuité et à l’accessibilité des soins : CMPCATTP-HAD (soins de proximité), hospitalisation temps plein en service libre et en hospitalisation sous contrainte (troubles aigus ou subaigus), HDJ, et alternatives à l’hospitalisation complète qui peuvent être intersectorielles : appartements, placement familial thérapeutique, etc.
- 2e niveau, intersectoriel et spécialisé, de recours pour le territoire de santé mentale défini : le niveau intersectoriel est garant de la complémentarité et de la coordination des soins pour le territoire qui lui est attribué. Son objectif est de faciliter les actions de coopération et de complémentarité, auxquelles peuvent participer les structures médico-sociales et les structures psychiatriques des cliniques privées. Les structures intersectorielles psychiatriques publiques qui répondent à des besoins transversaux peuvent être à temps plein, à temps partiel ou ambulatoires : service d’urgence, psychiatrie de liaison, équipe mobile en faveur des populations en situation de précarité, unité d’accueil pour adolescents, centre de crise, unité de psycho-gériatrie, unité de réinsertion et d’accompagnement professionnel, prise en charge des addictions/alcool, malades « difficiles », patients nécessitant une hospitalisation prolongée…
- 3e niveau, supra sectoriel : recours de niveau régional ou interrégional (UMD, UHSA, centres socio-médico-judiciaires, centres ressources, etc.) pour certaines structures très spécialisées implantées sur le territoire et répondant à des besoins spécifiques mais plus limités en nombre.
Face à l’échelle régionale de planification sanitaire, la psychiatrie ne peut jouer pleinement son rôle dans la santé mentale que si le territoire de santé mentale défini garde une taille « humaine » pour permettre les coordinations entre les acteurs. De plus, la perspective d’une politique de santé mentale favorisant les partenariats entre secteurs sanitaire et médico-social ou hôpital public et médecine libérale, s’associe aux spécificités de la psychiatrie pour rendre nécessaire l’intégration du niveau départemental dans son organisation territoriale :
- Les champs de compétence des Agences Régionales de Santé étendus au secteur médico-social doivent tenir compte des instances d’organisation du médicosocial de niveau départemental (conseils départementaux).
- La loi du 5 juillet 2011 qui maintient l’autorité administrative préfectorale pour les soins sans consentement, renforce le niveau du département dans l’organisation de ces missions particulières de la psychiatrie.
3.3 De l’importance des communautés psychiatriques de territoires
L’organisation sectorisée s’est structurée au fil des décennies par une ouverture à l’ambulatoire et aux conventions de partenariats avec les institutions et le secteur médicosocial qui n’est pas prise en compte par la logique hospitalocentrée des GHT, en majorité polyvalents, qui se sont imposés, aidés par un calendrier qui a fait passer la parution des décrets attendus pour la psychiatrie et la santé mentale bien après la mise en route des projets médicaux partagés. Les regroupements obligatoires d’établissements dans les GHT, pensés d’abord pour les disciplines de MCO, imposent un périmètre de territoires défini par la somme des territoires d’établissements membres, et une logique de filière qui prétend coordonner la somme des activités techniques et de soins dont devrait bénéficier un même patient pour une pathologie. Cette vision est bien trop étriquée pour la psychiatrie qui depuis la naissance du secteur a intégré dans son organisation les nécessités d’appui à l’insertion et la réadaptation sociale hors de l’hôpital. Nécessité qui doit incorporer la question des conditions de vie du patient (moyens financiers, rôle de l’entourage, autonomie) et impose d’offrir des formes de prise en charge les plus variées pour répondre à la diversité des pathologies, à leur évolution, à la variabilité de l’expression des pathologies et des facteurs de décompensation.
La loi sur les soins sans consentement impose en outre aux secteurs de disposer des modalités différentes de prise en charge hors de l’hospitalisation à temps complet, adaptées aux programmes de soins.
Lorsque la loi de modernisation du système de soins s’est préoccupée de la psychiatrie, c’est en créant de nouveaux outils d’organisation en remplaçant le chapitre « Sectorisation psychiatrique » du CSP par le chapitre « Politique de santé mentale et organisation de la psychiatrie » : un projet territorial de santé mentale (PTSM), un diagnostic territorial de santé mentale (DTSM), des communautés psychiatriques de territoires (CPT) et des contrats territoriaux de santé mentale (CTSM), en symétrie avec d’autres outils d’organisation générale que sont le projet régional de santé (PRS), le diagnostic territorial de santé (DTS), les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les contrats territoriaux de santé (CTS).
Au sein de la santé mentale, l’organisation de la psychiatrie doit coordonner le secteur sanitaire avec l’accompagnement social et médico-social selon une logique de parcours de vie. Mais noyée dans les GHT polyvalents, la psychiatrie ne peut prendre sa place dans le PTSM que grâce à un dispositif réglementaire qui permette de compenser la tendance à l’hospitalocentrisme de la logique de regroupements d’établissements, où aucun établissement psychiatrique n’a été désigné comme établissement support de GHT.
La communauté psychiatrique de territoire chargée de fédérer « les acteurs de la psychiatrie et de la santé mentale » comme le stipule l’article D6136-1 CSP peut jouer ce rôle. A condition d’y être encouragée et d’en avoir les moyens. On observe que le décret relatif aux CPT est arrivé en octobre 2016, après le dépôt des conventions constitutives de GHT dont l’échéance de transmission était fixée au 1er juillet 2016. Elle n’a pas de caractère obligatoire, et « peut » être constituée entre établissements de service public hospitalier signataires d’un même contrat territorial de santé mentale. Sa représentativité et son articulation avec le groupement hospitalier de territoire (GHT) sont prévues par le décret, de manière imprécise « au sein du collège des professionnels et offreurs de service de santé du conseil territorial de santé », « auprès de l’ARS sur des sujets concernant le périmètre de sa mission ».
Pour son articulation avec les GHT, le décret prévoit la possibilité d’une association entre CPT et GHT lorsqu’un des membres de la CPT est partie à un GHT, associée par le GHT à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du volet psychiatrique et santé mentale du projet médical partagé. La CPT offre en outre la possibilité pour un établissement public psychiatrique, qui ne peut adhérer qu’à un seul GHT, de s’associer au projet médical partagé d’autres GHT dont il ne serait pas membre.
Mais dans les conventions constitutives de GHT existantes au 1er juillet 2017, seules 7 GHT prévoient la mise en place de CPT, et 1 GHT la rend possible.
La possibilité de créer une CPT « préfiguratrice » comme y ont poussé les organisations pour la rédaction du décret, doit être utilisée pour inverser la logique qui a fait de la CPT le dernier maillon de la chaîne pour l’organisation de la psychiatrie et des PTSM. Une CPT préfiguratrice participe à la réalisation du diagnostic territorial partagé, du projet territorial de santé mentale, ainsi que du contrat territorial de santé mentale et sous condition d’être liée à un GHT, elle est également associée à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du volet psychiatrie et santé mentale du projet médical partagé du GHT. Le décret précise bien que l’initiative de sa constitution est laissée à l’initiative des établissements de santé de service public, initiative qui doit donc être forte et faire des contrats territoriaux de santé mentale des leviers pour que les ARS incitent les acteurs de territoire à favoriser des CPT moteurs de la nouvelle organisation des soins.
Motion SPH
Gouvernance, GHT, CPT
Le SPH réuni en assemblée générale :
- Rappelle l’absolue nécessité de préserver les moyens de la psychiatrie publique afin d’assurer ses missions face au risque de dilution au sein des GHT polyvalentes.
- La création des CPT doit être généralisée sur l’ensemble du territoire national. Les CPT doivent piloter les Projets Territoriaux de Santé Mentale. Elles sont à l’initiative de projets de soins et sont les interlocutrices incontournables des instances territoriales et notamment des ARS.
- Le SPH engage les psychiatres hospitaliers à occuper les fonctions institutionnelles décisionnelles (chefs de service, chefs de pôles, PCME, etc.) pour promouvoir la psychiatrie sectorielle de service public à tous les niveaux.
4. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
• Camille Lancelevée, « Quand la prison prend soin : enquête sur les pratiques professionnelles de santé mentale en milieu carcéral en France et en Allemagne. Travail de recherche doctorale financé par l’attribution d’une bourse EN3S», Regards 2017/1 (N° 51), p. 245-255.
• Caroline Lafaye, Camille Lancelevée, Caroline Protais. L’irresponsabilité pénale au prisme des représentations sociales de la folie et de la responsabilité des personnes souffrant de troubles mentaux. [Rapport de recherche] Mission de recherche Droit et Justice. 2016.
• Centre National de Gestion, rapport d’activité 2016.
• Chevallier, Denise, et Philippe Dunezat. « Psychiatrie, stigmatisation et étudiants infirmiers : influence et déterminants pour un projet d’exercice professionnel », L’information psychiatrique, vol. volume 83, no. 8, 2007, pp. 675-681.
• IRDES, « Note de cadrage – l’hôpital », 2011
• Conseil National de l’Ordre des Médecins, atlas de la démographie médicale 2016.
• DREES, Les établissements de santé, Edition 2017
• IRDES, février 2017, Les soins sans consentement en psychiatrie: bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011. http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/222-les-soins-sans-consentement-en-psychiatrie.pdf
• IRDES, décembre 2014, Les disparités territoriales d’offre et d’organisation des soins en psychiatrie en France : d’une vision segmentée à une approche systémique.
• IRDES, Une hétérogénéité des hospitalisations pour dépression liée aux parcours de soins en amont juin 2017. http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/228-une-heterogeneite-des-hospitalisations-pour-depression-liee-aux-parcours-de-soins-enamont.pdf
• IRDES, Questions d’économie de la santé, Le territoire, un outil d’organisation des soins et des politiques de santé ? Evolution de 2003 à 2011.
• IRDES, 2010, Dotation des secteurs psychiatriques en perspective avec le recours à la médecine générale et à la psychiatrie libérales d’Ile-de-France.
• Moro M.R, Brison J.L, Mission bien-être et santé des jeunes, novembre 2016.
• PANFILI Jean-Marc, L’intervention du juge judiciaire dans les soins psychiatriques sans consentement : analyse de la jurisprudence depuis la loi du 5 juillet 2011. https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2016-12-31_analyse_de_la_jpdce_loi_du_05-07-2011_mise_a_jour.pdf
Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°14