Actualités : Prégabaline : Les dérives engendrées par son mésusage

Publié le 12 déc. 2024 à 09:25
Article paru dans la revue « SNJMG / Jeune MG » / SNJMG N°40

Les dérives engendrées par son mésusage 

Introduction

La prégabaline, analogue de l'acide gammaaminobutyrique, appartient à la famille des gabapentinoïdes. 1,2

Son mécanisme d'action n'est actuellement pas parfaitement connu.

Cependant il est important de savoir que cette molécule agit au niveau des canaux calciques en favorisant l'excitabilité des neurones. 1,3

Cette action est voltage-dépendante et elle est secondaire à une fixation de cette substance sur la sous-unité auxiliaire alpha 2-delta en réduisant de cette manière l'influx calcique.

Cette liaison observée sur les neurones hyperexicités favoriserait une réduction de l'afflux de calcium en diminuant l'émission de neurotransmetteurs excitateurs comme : le glutamate, la noradrénaline et la substance P. 1,3

Son action pharmacologique se caractérise par un pic d'absorption orale qui survient dans l'heure qui suit, et une demi-vie courte (6,3 heures). 1

 

(3 aminométhyl-5 acide méthylhexanoïque)

La prégabaline est classiquement utilisée dans le traitement des douleurs neuropathiques (centrales ou périphériques), les comitialités partielles, dans certains cas les douleurs radiculaires survenant suite à un conflit disco-vertébral au niveau lombaire, dans certains cas les troubles anxieux généralisés de l'adulte, et dans la fibromyalgie et la névralgie post-zostérienne (uniquement au Canada et aux USA). 3,4

Lors de son utilisation « raisonnée », différents effets secondaires peuvent survenir et ce, malgré des doses appropriées : 3,5

• Les plus classiques sont la somnolence, les étourdissements, les vertiges, les troubles de l'érection, le gain de poids, les troubles visuels (réduction du champ visuel et de la vision).

• On observe moins fréquemment des atteintes du système nerveux central (ataxie, paresthésies, syndrome parkinsonien, et troubles de la mémoire), des problèmes psychiques (dépression, labilité émotionnelle, psychose, risque suicidaire accru),  des effets rhumatologiques (arthralgies, rhabdomyolyse), une toxicité cardiaque (fibrillation atriale, tachycardie, bloc auriculo-ventriculaire), majoration du risque de dépression respiratoire si la prégabaline est associée à des opiacés dans le cadre de la résolution d'épisodes douloureux, des hépatites parfois fulminantes, des réactions immuno-allergiques. Il est important de souligner que l'action de cette molécule est potentialisée suite à la prise d'oxycodone, d'alcool, ou de benzodiazépines. 1,3

Dès lors que la prégabaline est prescrite au long cours, son arrêt peut induire des manifestations cliniques en rapport avec le sevrage : céphalées, nausées, anxiété, dépression, dyshidrose, dépression, et troubles de la marche.1,5 

En cas de surdosage on peut mettre en évidence des états confusionnels, une somnolence excessive, des comitialités, et des comas. Pour finir les données de pharmacovigilance nous informent qu'entre 1995 et 2009 près de 2415 effets indésirables ont été répertoriés (cas concernant prégabaline et gabapentine), et 5 cas de décès ont été imputables à la prégabaline.

Problématique du mésusage de la prégabaline
Préambule

Les autorités sanitaires internationales ont rapidement été alertées d'un détournement d'utilisation de la prégabaline. 

En Tunisie la consommation de prégabaline s'est majorée de manière exponentielle (266 % entre 2017 et 2018), ce qui a alerté les autorités de ce pays qui faisaient du commerce illicite avec d'autres pays. 

En Europe cette pratique a été observée dans un premier temps dans les pays nordiques, et ce dès 2009. 

Dans les treize pays de l'union européenne la prégabaline est inscrite dans le palmarès des 20 principales drogues ayant pour conséquence une prise en charge médicale. 

En France, 234 déclarations d'abus et de dépendance à cette molécule ont été répertoriées en 2019, alors qu'en 2018, 106 déclarations avaient été consignées ; soit une augmentation du nombre de mésusage de 45% sur une seule année. De plus 429 cas de falsification d'ordonnances ont été observés en 2019, ce qui conduit les autorités sanitaires à dire que la prégabaline est la première substance faisant l'usage d'une utilisation détournée. 

Ce gabapentinoïde est reconnu comme étant responsable de décès, et ce concomitamment à l'usage d'autres substances psychoactives. 

En 2019 il est répertorié par les autorités sanitaires comme étant le premier produit pouvant être responsable d'une dépendance chez les usagers de drogues. 

Dès lors, l'ANSM a décidé en mai 2021 de modifier les règles de prescription de la prégabaline. 

Désormais il est nécessaire que toute prescription de cette molécule soit effectuée sur une ordonnance sécurisée. 

Même si le mésusage concerne principalement les patients toxicomanes, nous ne devons pas oublier que certaines personnes, afin de soulager leurs douleurs ou leur anxiété, majorent les doses de prégabaline. 

Dans ce cas de figure le recours à cette molécule n'induit pas ou peu de risques d'addictions mais il peut survenir, dès lors qu'une association avec des opioïdes est effective.

Effets recherchés suite au mésusage et complications induites par ce mésusage

Tout d'abord il est important de souligner que la dose permettant au sujet toxicomane d'obtenir une satisfaction personnelle se situe entre 200 et 900 mg par jour. 

Le plus souvent le patient en quête de cette molécule (il s'agit de manière prédominante d'homme jeune) présente un profil de toxicomane avéré ayant une consommation associée d'autres substances psychoactives. 

Le patient recherche avant tout un effet euphorisant et relaxant qui se rapproche de celui des amphétamines. 

En parallèle on met en évidence un effet sédatif parfois recherché, une perte des repères temporo-spatiaux, mais aussi dissociatif. 

Certains recherchent avec la prégabaline une potentialisation de l'effet d'autres substances psychoactives (il s'agit le plus souvent du cannabis). 

Le potentiel addictif observé chez les patients ayant une administration de prégabaline est plus importante que celui observé chez ceux ayant une administration de gabapentine, et il est comparable à celui du diazépam. 

Parmi les différentes complications objectivées lors de ce mésusage, nous devons signaler des problèmes d'altération des fonctions supérieures (confusion, troubles de la conscience et désorientation temporo-spatiale). 

Des détresses respiratoires sont parfois observées dans les cas d'association avec d'autres médicaments dépresseurs du système nerveux ou des opioïdes. 

Ce cas de figure est secondaire à une réduction du seuil de tolérance qui est responsable de ces manifestations pulmonaires, lesquelles peuvent conduire au décès du patient. 

Il est possible d'observer des cas d'overdose, surtout chez les personnes ayant d'autres addictions associées.

Conclusion

Cet article met en lumière les effets potentiels recherchés par les toxicomanes, en cas de mésusage de prégabaline. Toutefois, les patients ayant des douleurs neuropathiques peuvent également être dans ce cas de figure. 

Il est important de souligner le fait que les effets recherchés (action euphorisante surtout) doivent nous alerter, car derrière cette quête, il peut exister une consommation associée d'autres substances psychoactives qui majorent les effets secondaires de cet analogue de l'acide gamma-aminobutyrique. 

Aussi, avant toute prescription, il est important de connaître le profil du patient que nous prenons en charge et des éventuelles thérapeutiques (notamment les opioïdes) qui lui sont déjà prescrites. 

On doit également savoir dialoguer avec d'autres professionnels de santé (les pharmaciens notamment) qui peuvent nous informer de ce mésusage chez les patients adeptes du nomadisme médical.

Auteurs
Pierre FRANCES 
Médecin généraliste
 1 rue Saint Jean Baptiste 
 66650 Banyuls-sur-Mer 

Quoc-Tuan NGUYEN 
Externe 
34000 Montpellier 

Oumnia KARIM 
Externe 34000 Montpellier 

Claire-Aimée RINUY 
Interne en médecine générale
34000 Montpellier

Bibliographie

1. Dahan A, Tournoud C, Muller C, et al. Toxicomanie à la prégabaline par voie intranasale et troubles de la conduction cardiaque. Toxicologie Analytique et Clinique 2017 ; 29 (2) supplement : S37-S38. 

2. Laribi M, Chaouali N, Jaballah S, et al. Détournement de la prégabaline à des fins txicomaniaques. Etat de la situation, risques et moyens de lutte. Annales Pharmaceutiques Françaises 2023 ; 81 (3) : 419-424. 

3. Roche S, Blaise M. Prégabaline et risque d'addiction : une nouvelle demande de soin. L'Encéphale 2020 ; 46 (5) : 372-381. 

4. Mésusage de la prégabaline LYRICA® https://feditobxl.be/site/wp-content/uploads/2020/04/M%C3%A9susage-de-Pr%C3%A9gabaline-LYRICA.pdf 

5. Toth C. Pregabalin : latest safety evidence and clinical implications for the management of neuropathic pain. Therapeutic Advances in Drug Safety 2014 ; 5 (1) : 38-56.

 

Publié le 1733991954000