Actualités : Pratique avancée en soins infirmiers et prévention : Une recherche qualitative exploratoire

Publié le 20 mars 2025 à 08:58
Article paru dans la revue « ISNI / ISNI » / ISNI N°34

Thèse pour le diplôme d'État de docteur en médecine 23/09/2024
Léo Delbos, docteur junior en santé publique

Introduction

Le système de santé français fait face à des défis épidémiologiques majeurs, soulignant la nécessité d'accorder une plus grande attention à la prévention. Dans un contexte de pénurie médicale croissante, les ressources humaines en santé sont au cœur des préoccupations pour opérationnaliser le « virage préventif ». Les infirmières de pratique avancée (IPA) constituent l'une des solutions envisagées par les autorités pour contenir la crise de l'accès aux soins, mais elles pourraient aussi jouer un rôle clé dans le domaine de la prévention. Ainsi, comment les IPA intègrent-elles la prévention dans leurs pratiques et quelle place occupent-elle dans ce champ ?

Matériel et méthodes

La méthodologie repose sur une approche qualitative, compréhensive des pratiques de prévention des IPA. La population d'étude est constituée d'infirmières de pratique avancée en exercice (soins primaires et hôpital) ou en formation.18 entretiens semi-directifs avec des IPA en exercice et 3 focus group mobilisant 13 étudiants et 6 IPA en exercice ont été réalisés.

Résultats

Notre recherche a permis de souligner que les IPA interviennent dans la prévention à différents niveaux.

La prise en charge clinique des patients est perçue par les IPA comme un élément central de leurs pratiques. Les compétences et le raisonnement clinique qu'elles mobilisent constituent un atout pour réaliser des pratiques cliniques préventives1.

 

Figure 1 : Positionnement du sentinelle de prévention (SP)

Elles leur confèrent une certaine autonomie dans le domaine de la prévention, leur permettant d'adopter une prise en charge centrée sur les besoins du patient, avec des pratiques de prévention personnalisées et adaptées. À ce titre, elles s'assurent de la réalisation des vaccinations et des dépistages, de la prévention des décompensations de pathologies chroniques. De plus, les IPA s'intéressent également aux déterminants de santé des patients, comme leurs conditions sociales, leurs comportements de santé et leurs environnements de vie et placent l'autonomie du patient au centre de la prise en charge. Cet abord singulier de la prévention auprès des patients contribue à une approche globale de leur prise en charge. Cet aspect est appuyé par le fait que les IPA ont tendance à prendre en charge des patients complexes, dont les problématiques de santé, sociales, psychologiques et de littératie sont intriquées. Cette approche est favorisée par un temps long de consultation, d'une durée moyenne d'une heure, qui constitue un véritable levier pour réaliser des pratiques cliniques préventives et renforcer l'autonomie des patients.

Des limites à cet exercice préventif individuel ont toutefois été soulevées. Parmi celles-ci, l'absence de primo-prescription ou d'accès à la prescription de certains examens et traitements limite la capacité des IPA à intervenir dans le champ de la prévention et crée des difficultés pour coordonner l'action des professionnels de santé en matière de prévention. De plus, l'accès limité aux patients par l'absence d'accès direct ou par la condition d'être atteint d'une pathologie inscrite sur une liste déterminée par arrêté empêche les IPA de développer des pratiques de prévention pour un large public souffrant de facteurs de risque. Enfin, la question de la rémunération des actions de prévention a également été abordée plusieurs fois.

De plus, les IPA perçoivent la nécessité d'intervenir sur les facteurs de risque auxquels sont soumis les patients, et se projettent dans une prévention à l'échelle d'un territoire. Elles mobilisent des diagnostics territoriaux afin d'évaluer les besoins de santé et les déterminants spécifiques de leur territoire et population. Elles s'engagent dans la gouvernance des structures de coordination des soins comme les CPTS, qui sont perçues comme des outils de coordination d'actions de prévention territoriale. Pour intervenir sur leur territoire, les IPA se projettent dans la conception de programmes de prévention, et la coordination des acteurs qui interviennent au long de ce programme. Leur position intermédiaire et experte sur les sujets de prévention leur permet de dialoguer avec toutes les parties prenantes et de coordonner les programmes de prévention de manière collaborative avec la profession médicale.

Cette coordination doit également se penser avec les infirmiers Asalée, qui disposent de compétences cliniques et d'une autonomie plus limitées que les IPA. Enfin, la connaissance des acteurs du territoire (CPAM, collectivités locales, professionnels de santé, ARS, etc.) par les IPA est une ressource importante pour déployer ces programmes de prévention. Cependant, cette mise en œuvre fait l'objet d'une « concurrence » avec la pratique clinique, particulièrement au début de l'exercice où asseoir sa pratique clinique est perçu comme une priorité avant de pouvoir se projeter sur le territoire. Des freins financiers et d'ordre administratif sont également évoqués, limitant la projection territoriale des acteurs de la prévention.

Discussion

Les IPA se positionnent comme de véritables « sentinelles de prévention » grâce à leur double vigilance individuelle et populationnelle. Sur le plan individuel, elles identifient les besoins spécifiques des patientes et patients, évaluent les facteurs de risque, surveillent l'état de santé pour détecter précocement les signes de décompensation, et favorisent l'autonomie des patients tout en coordonnant les soins et les interventions préventives. Sur le plan populationnel, leur rôle s'étend à la réalisation de diagnostics territoriaux, ainsi qu'au déploiement et à la coordination de programmes de prévention. Les IPA construisent ainsi leur identité professionnelle en occupant une position unique à la frontière de plusieurs univers : prévention et curatif, rôles infirmiers et médicaux. Elles jouent un rôle hybride, intégrant des pratiques cliniques et populationnelles tout en naviguant entre les besoins individuels des patients et les enjeux de santé publique. En tant qu'acteurs positionnés à la frontière, les IPA facilitent ainsi les échanges entre les espaces de soins curatifs et préventifs et se montrent ainsi capables de promouvoir une approche plus globale de la santé.

Conclusion et perspectives

Les IPA incarnent une figure d'acteur frontière, en naviguant entre différents univers institutionnels, et leur implication dans la coordination des parcours préventifs les positionne en tant que véritables « sentinelles de prévention ». Pour promouvoir une approche plus globale de la prévention qui englobe à la fois des pratiques individuelles auprès des patients et des pratiques à l'échelle territoriale, il est important de repenser le cadre des mentions IPA. L'évolution des mentions IPA vers des mentions axées sur la prise en charge d'une population, comme la pédiatrie, la santé des femmes, ou la gériatrie par exemple, permettrait de mieux intégrer l'ensemble des pratiques préventives.

1.  Les pratiques cliniques préventives (PCP) désignent les pratiques réalisées par des soignants auprès des patients qui visent à « favoriser la santé et prévenir les maladies, les blessures et les problèmes psychosociaux ». Place des offreurs de soins dans la prévention (Rapport Juillet 2018). le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), rapport.

Publié le 1742457480000