

Dr Ghada HATEM-GANTZER
Gynécologue-obstétricienne
Créatrice de la maison des femmes de Saint-Denis
La première Maison des femmes a été fondée en 2016 à Saint-Denis par la Dr Ghada HATEM-GANTZER, gynécologue-obstétricienne, et militante. Aujourd'hui, il existe 56 établissements du même type sur le territoire français et une volonté de doubler ce nombre. Lieu unique dédié à la prise en charge globale des femmes victimes de violences, il est à la fois tourné vers le soin, l'accompagnement et la reconstruction physique et psycho-sociale des patientes. Nous revenons aujourd'hui avec la Dr GHADA HATEM-GANTZER sur sa création, son organisation et ses aspirations vis-à-vis des patientes mais également de la communauté médicale.
Quel a été votre parcours professionnel de l'internat à aujourd'hui ?
Dr Ghada HATEM-GANTZER.- J'ai d'abord passé le concours de l'internat à titre étranger. Puis, j'ai été chef de clinique en gynécologie-obstétrique à l'hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris, de 1988 à 1991. Maintenant fermée, c'était une super maternité avec une approche assez avant-gardiste, très bienveillante, attentive et respectueuse des femmes.
Ensuite, j'ai intégré l'équipe de la maternité des Bluets, un établissement privé à but non lucratif. C'était une maternité alternative qui a beaucoup œuvré pour la préparation à la naissance et l'accouchement sans douleur.
Assez vite, on m'a proposé de reprendre le poste de chef de service. Cela m'a permis d'y créer un centre de FIV, puis de travailler au déménagement des locaux qui étaient très étriqués, pas toujours aux normes et qui nous limitaient.
Pour ce faire, on a noué un partenariat avec l'hôpital public Armand-Trousseau, qui était à l'époque exclusivement pédiatrique. La directrice de l'hôpital souhaitait avoir sa propre maternité, publique, mais avait assez de place pour en accueillir deux. Un projet assez audacieux s'est donc mis en place, avec une maternité de type III affiliée à l'hôpital Trousseau, et la nôtre de niveau I. Je suis restée ici douze années, jusqu'en 2003.
Ce fut un projet enrichissant mais toutefois long et laborieux. Après ça, on m'a proposé un poste sans responsabilités à l'hôpital militaire Bégin de Saint-Mandé. J'y ai exercé pendant huit ans. C'était également une belle expérience ; les militaires ont des compétences passionnantes en santé et en organisation.
En 2011, j'ai repris le poste du chef de service de la maternité de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis. Il a fallu remettre la maternité sur les rails car elle était un peu vieillotte. On y a créé un centre de FIV, une unité de prise en charge du cancer du sein et une unité de prise en charge des excisions.
C'est à ce moment que je me suis dit qu'il manquait une structure dédiée spécifiquement à la prise en charge des violences. Je l'ai imaginée comme un lieu où les femmes pourraient libérer leur parole sur des violences subies, avouer sans complexes qu'elles ne se sentent pas bien : rechercher de l'aide. Il fallait que ce soit un endroit avec des professionnels de la santé physique, mais aussi psychique et sociale.
Avez-vous reçu du soutien, administratif, financier et/ou personnel, dans le projet de création d'une Maison des femmes à Saint-Denis ?
Dr G. H.-G.- J'ai reçu du soutien de la part de la directrice de l'hôpital, ce qui était indispensable pour la création d'un nouveau service. C'était une femme intelligente qui comprenait entièrement le projet et ses enjeux. Toutefois, il n'y avait pas de locaux disponibles dans l'hôpital ; elle m'a donc cédé un terrain vague, puis ça a été ma responsabilité de trouver les financements nécessaires pour la suite.
À l'échelle de l'ARS, l'incompréhension était totale. Ils ne voyaient pas en quoi notre projet pourrait être utile ou important : pour eux, c'était du temps et de l'argent perdu.
Le Ministère de la Santé a été plus nuancé : Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, nous a aidé financièrement et a demandé le lancement d'une mission IGA (Inspection générale des affaires sociales). Ce dernier cadeau aurait pu être empoisonné car l'IGA est extrêmement pointilleuse sur ce qui est fait avec l'argent qu'elle donne. Néanmoins, une fois l'audit des inspecteurs mené, ils ont rédigé un rapport très positif qui a permis de lever certains freins en appuyant l'utilité et la nécessité de financement de notre projet. Cela nous a permis de gagner en visibilité.
Après cela, le développement de la Maison des femmes fut plus facile, la HAS ayant publié des recommandations sur le repérage des femmes victimes de violences, leur prise en charge et leur orientation. L'ARS s'est ainsi sentie obligée d'apporter son concours.
Que pensez-vous de la faisabilité de créer une Maison des femmes dans chaque département ?
Dr G. H.-G.- Désormais, tout est possible ! Le 09 mars 2023, Elisabeth Borne exprimait que c'était là son souhait. Dans la mesure où l'organisation au sein d'un hôpital est aujourd'hui bien modélisée, il est assez facile pour une personne motivée d'ouvrir une Maison des femmes. En tant que structure vouée à remplir une mission d'intérêt général, son développement, s'il remplit les critères, est éligible au soutien de l'ARS et de l'État.
Nous avons fondé un collectif baptisé Restart, dont le but est justement de promouvoir le développement de telles structures sur le territoire national.
La Maison des femmes de Saint-Denis comporte 4 unités : santé sexuelle et IVG ; violences faites aux femmes ; agressions sexuelles et viols ; mutilations sexuelles. Comment est-ce qu'un gynécologue médical pourrait s'intégrer dans cet établissement ?
Dr G. H.-G.- Un gynécologue médical a tout à fait sa place dans toutes les unités d'une Maison des femmes, et évidemment dans le centre de planification familiale et dans le cadre de la santé sexuelle.
Mais également dans l'unité de violences faites aux femmes : que l'on soit gynécologue-obstétricien ou gynécologue médical, on n'est pas psychiatre ou psychologue mais on peut participer à la prise en charge des patientes en coordonnant leur parcours, en les revoyant régulièrement pour constater les avancées ou au contraire les difficultés, en les réorientant…
Dans l'unité agressions sexuelles et viols, il s'agit d'examiner les patientes, de rechercher des preuves, de faire des prélèvements.
Par rapport aux médecins légistes, les gynécologues ont l'avantage d'aborder le corps de la femme avec leur expérience (par exemple quand il s'agit de poser un spéculum). Ici, ils apprennent en plus à examiner le corps à la manière d'un médecin légiste, à rechercher les traces incriminantes, à réaliser les sérologies nécessaires…
Dans l'unité mutilations sexuelles, le gynécologue médical a également son utilité en établissant le diagnostic, en recherchant les complications éventuelles et en expliquant les prises en charges possibles, notamment chirurgicales. La seule chose à laquelle il n'a pas accès est la réalisation effective de la chirurgie.
Enfin, un gynécologue médical peut même être chef de service d'une Maison des femmes, en coordonnant les différentes unités.
Vous arrive-t-il d'accueillir des internes le temps d'un semestre ?
Dr G. H.-G.- Un poste pour un interne de gynécologie médicale est ouvert chaque année, et nous recevons également beaucoup de demandes d'inter CHU, le plus souvent d'internes d'obstétrique. C'est un plaisir d'avoir un interne en plus, mais nous n'en acceptons pas plus de deux car il faut bien sûr les accompagner pour les former correctement, et cela demande du temps.
La Maison des femmes exerce-t-elle une prise en charge exclusivement médicale ou a-t-elle d'autres fonctions dans la poursuite de l'émancipation féminine ?
Dr G. H.-G.- La porte d'entrée dans une Maison des femmes est généralement médicale. Toutefois, il existe autour une prise en charge dite holistique, pluri professionnelle. Ainsi, on y trouve également des travailleurs sociaux, des juristes et des avocats, des permanences de policiers une fois par semaine pour recevoir des plaintes, et des bénévoles pour un accompagnement administratif (aide à la rédaction d'un CV, à la création d'un compte en banque, au repérage de violences commises par un conjoint, à l'identification de cyberharcèlement…).
Sont également organisées des réunions pour le retour à l'emploi, des groupes de parole, des ateliers d'amélioration de l'estime de soi (sportifs, socio-esthétiques, artistiques, yoga, jardinage), qui sont à nos yeux des soins aussi, car ils viennent compléter l'accompagnement psycho-social.
Le rôle du médecin repose également sur la prévention. Vous avez rédigé un livre intitulé « Le sexe et l'amour dans la vraie vie » à destination des adolescents et jeunes adultes. D'après vous, quand peut-on, voire doit-on, aborder l'éducation sexuelle avec les jeunes filles et les jeunes garçons ? À partir de quel âge semblent-ils y être réceptifs ?
Dr G. H.-G.- Dès que les enfants ont des questions, il faut y répondre, même à 3 ans, tout en graduant le discours selon l'âge bien entendu.
Une des missions de notre centre concernant la santé sexuelle est la réalisation d'interventions scolaires, plutôt en troisième et au lycée.
On aborde le sujet des émotions, qui se révèle être très important aux yeux des élèves. On discute aussi de sujets plus techniques comme l'avortement, la contraception et le dépistage des maladies sexuellement transmissibles, mais ils sont souvent déjà très savants sur ces sujets. On discute du consentement, des violences au sein d'une famille, notamment sexuelles, qui concernent malheureusement beaucoup d'enfants.
Enfin, on traite aussi des violences au sein du couple. Beaucoup de jeunes filles subissent des comportements déplacés, abaissants ou toxiques, de la part de leur petit ami, mais ne le formulent pas comme des violences. Elles ne réalisent pas que c'est anormal ; au contraire, elles considèrent ces comportements comme gratifiant. Avec de la pédagogie, on arrive à changer leur mode de pensée, à leur faire comprendre la réalité de la violence subie.
Une tombola solidaire en faveur des Maisons des femmes, accessible à tous, a été mise en place au printemps et a collecté près de 190 000 euros. Quels autres événements permettent de contribuer à cette cause ?
Dr G. H.-G.- Nous avons organisé un dîner de gala en janvier 2024 et nous travaillons actuellement sur le prochain. Le principe est de vendre les tables assez chères dans un lieu presque gratuit et avec un menu à prix coûtant, de sorte à ce qu'il reste un bénéfice assez important pour notre association. C'est également un moyen de se faire connaître et d'obtenir de nouveaux mécènes.
Pour finir, quel message aimeriez-vous faire passer à la nouvelle génération d'internes / médecins, toutes spécialités confondues ?
Dr G. H.-G.- Aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus formés et informés qu'auparavant sur les conséquences des violences sur la santé des humains, hommes, femmes et enfants. Cela devient difficile de soigner des patients sans s'intéresser à leur passé. Ne soyez pas purement des médecins d'organe, mais des médecins empreints d'empathie et d'humanité.

