Pierre est interne en 3e semestre de médecine physique et de réadaptation à Caen. Il se qualifie comme un « bon vivant », il aime sortir boire un verre entre amis, se rendre à ses entraînements de sport. Un interne comme les autres à un détail près : son fauteuil.
Si la première année de PACES vous parait loin, elle reste indélébile pour Pierre Lerebourg. Le 25 juillet 2013, à tout juste 19 ans il a un accident à Saint-Lô, sa ville natale. « Fractures de vertèbres responsables d’une compression de la moelle épinière, j’ai perdu l’usage de mes jambes », raconte-t-il, presque détaché. Après 3 semaines en réanimation au CHU de Caen, il passe 4 mois en centre de rééducation. Un peu plus d’un an après son accident, il repique sa première année de PACES en septembre 2014, en fauteuil roulant, « manuel », précise-t-il, et obtient son concours pour la spécialité médecine. Comment fait-il pour accéder aux amphithéâtres de la fac ? « Entre 2013 et 2014 une nouvelle fac de médecine s’est construite à Caen et elle répondait à tous les critères d’accessibilité, je n’ai eu aucun souci pour me déplacer », se souvient Pierre. Externe, Pierre hésite sur la spécialité et opte pour la stratégie de stages hétéroclites : cardio, pneumo, gynéco-obstétrique, imagerie, urgences, médecine générale et bien d’autres… « Être en fauteuil me limite peu dans les choix des spécialités finalement, si l’on excepte la chirurgie, la réanimation… ». D’une nature persévérante, il ne se souvient pas que son handicap ait été un frein lors de ses stages au CHU de Caen. Le bâtiment hospitalier est pourtant vieillissant. « Il y a beaucoup de chambres doubles difficiles d’accès avec peu d’espace entre les lits. Mais je trouvais toujours un moyen de m’adapter. Sinon, il y avait un collègue avenant pour m’aider à me frayer un chemin » précise Pierre.
Quand la MPR s’impose à lui
À la fi n de sa 5e année d’externat, la médecine physique et de réadaptation (MPR) s’impose à lui. « C’est un milieu que je connaissais bien après y avoir été patient pendant 4 mois… » dit-il avec une pointe d’humour, Il découvre une spécialité plus riche qu’il ne pensait au travers de stages d’externat orientés vers cette spécialité : « En MPR, la pratique est très variée, nous pouvons travailler en hospitalisation à temps complet, en hôpital de jour, auprès d’enfants ou de personnes plus âgées… On peut s’orienter vers de la rééducation neurologique qu’elle soit locomotrice ou cognitive ou plutôt orthopédique/rhumatologique… », énumère-t-il, « les possibilités sont multiples avec des possibilités de spécialisation en médecine du sport, neuro-urologie, sexologie, prise en charge de la douleur, réalisation de gestes tels que l’injection de toxine botulinique pour la prise en charge de la spasticité par exemple ou des infiltrations articulaires… ». C’est une spécialité très riche qui permet également de prendre en charge les patients dans leur globalité, d’un point de vue anatomique, fonctionnel mais également le patient avec son histoire propre et son mode de vie. Au centre de réadaptation fonctionnelle d’Aunay-sur-Odon, il travaille auprès de patients victimes d’AVC, de traumatisme crânien, traumatisme médullaire, sclérose en plaques notamment. Certains de ses patients, atteints d’une pathologie cérébrale, sont très directs avec lui : « Ah tiens ! C’est la première fois que je vois un docteur en fauteuil », rapporte-t-il. « Les enfants sont aussi curieux de savoir ce qui m’est arrivé, quant aux autres patients, ils ne disent rien de particulier ou ils ont un mot d’encouragement », confie-t-il.
Du côté de ses co-internes ou des collègues soignants, il avoue n’avoir jamais senti de différence ou de distance vis-à-vis du handicap. Il souligne toutefois l’attitude prévenante et bienveillante de ses collègues et maîtres de stage qui lui faisaient comprendre qu’il pouvait faire appel à eux en cas de difficultés. Des difficultés, il en a rencontrées mais pas en termes de mobilité, parfois en termes de reconnaissance, « comme tous les autres internes en médecine au fond », souligne-t-il. « Je suis fi er de faire médecine, on doit tous l’être car nous faisons un travail formidable » ajoute-t-il en référence à la souffrance des internes.
Les guitares prennent la poussière
Après la journée de travail, en semaine comme en week-end, Pierre le reconnait : il y a peu de temps mort. En témoigne ses guitares qui commencent à prendre (un peu) la poussière dans son appartement. Ses temps libres sont partagés entre les sorties entre amis, les cinés et concerts/festivals ou les entraînements de hand-fauteuil. Une fois par semaine, depuis 7 ans, il pratique ce sport collectif, mixte. « Nous sommes de tout âge, homme ou femme, valide ou non, il y a une bonne ambiance ! ». Est-ce que le handicap a changé sa vision de la médecine ou sa vie d’interne ? « J’ai mûri peut-être plus vite au début de mes études de médecine à cause de l’accident mais je ne pense pas que mon handicap ait changé quoi que ce soit » confie-t-il. Après son internat, il ne sait pas encore dans quelle structure il aimerait exercer sa spécialité. En revanche, il aimerait rester en Normandie, attaché à ses racines.
Nous sommes très mal informés en cas d'accident ou de maladie
Salomé* est interne en psychiatrie. Du jour au lendemain, elle a été confrontée à une perte de revenus. Elle souhaite sensibiliser le maximum d’internes à la question de la prévoyance. Pendant son internat, en 2018, Salomé doit s’arrêter de travailler, malade. Son arrêt maladie dure huit mois. Elle perçoit alors 100 % de son salaire les trois premiers mois, sans les gardes. Les cinq mois suivants, elle touche seulement 50 % de sa paye. « Heureusement, j'étais logée par l’hôpital. Je n'avais ni loyer ni de charges importantes à payer », fait-elle remarquer. Cette décote est la norme de tout arrêt maladie inférieur ou égal à neuf mois. Elle reprend rapidement sa vie d’interne. Malheureusement, elle fait une rechute précoce, quelques mois seulement après sa reprise. « En mai 2019, une personne de la DAM1 du CHU m’informe que mes indemnités s'arrêtaient en août et qu'au-delà je ne toucherai rien tant que je ne serais pas en congé longue durée ! » En effet, ce nouvel arrêt maladie est supérieur à 9 mois et entre dans la catégorie du congé longue durée. Mais Salomé n’avait reçu aucune information à ce sujet et elle découvre, au pied du mur, qu’elle peut perdre la totalité de ses revenus…
Elle frappe à plusieurs portes
Malgré la maladie, elle souhaite monter un dossier pour faire valoir ses droits auprès du comité médical départementale. C’est lui qui décide du maintien des indemnités. Mais le comité ne se réunit que tous les 4 mois et le Covid a décalé son planning. « Le comité suivant se tenait en octobre… » se souvient-elle. Après avoir frappé à plusieurs portes – en vain – pour demander conseil, c’est finalement le vice-président de la commission médicale d’établissement (CME) qui lui apporte son soutien. « 50 % de mon salaire fut alors maintenu jusqu'à la décision du prochain comité médical », ajoute t- elle. On lui reconnait le congé maladie longue durée, réservé à certaines maladies comme les cancers, la tuberculose ou le SIDA. Les internes perçoivent 2/3 de leur salaire (sans les gardes) les 18 premiers mois puis 50 % les 18 autres. Pour les autres pathologies, les 2/3 du salaire sont seulement maintenus les 12 premiers mois, le reste à 50 %.
Un accident ou une maladie n’arrive pas qu’aux autres
Salomé partage aujourd’hui son histoire dans le but de sensibiliser les internes à la question de la prévoyance. Les internes souscrivent, généralement, à une mutuelle santé, via la cotisation au syndicat local ou à l’ISNI par exemple. La prévoyance est – parfois – comprise mais pas systématiquement. « Les internes n’ont pas conscience qu’ils peuvent perdre une partie ou la totalité de leurs revenus à cause d’un accident ou d’une maladie. Nous sommes très mal informés sur ces sujets-là », affirme Salomé. Depuis, elle a parlé autour d’elle de l’importance de souscrire à un contrat prévoyance, même minimum en tant qu’interne mais aussi en tant que professionnel de santé.
1 Direction des affaires médicales
*Le prénom a été changé
TROIS QUESTIONS À…
OCÉANE RENAULT, DE LA MÉDICALE, SUR LA DIFFÉRENCE ENTRE RCP ET PRÉVOYANCE
1. Quelle est la différence entre la RCP et une prévoyance ?
Océane Renault.
- La Responsabilité Civile Professionnelle est légalement obligatoire pour les praticiens libéraux, elle leur permet notamment d’être assuré en cas de mise en cause de leur responsabilité. La RCP est offerte à tous les internes en médecine avec le Contrat La Médicale Plus. Ce contrat apporte une protection complète en cas de litiges ou de fautes liés à l’activité professionnelle des internes.
La prévoyance, avec La Médicale Hospi, est un contrat complémentaire qui protège les revenus en cas d’arrêt de travail, en cas d’invalidité professionnelle ou en cas de décès. Il faut savoir qu’en cas d’arrêt de travail, les indemnités journalières versées par la Sécurité Sociale sont calculées uniquement sur le revenu fixe, sans les gardes. De plus, leur taux plein est seulement garanti les trois premiers mois, ensuite seul 50 % du revenu fixe est indemnisé.
2. Qu’elle est l'assurance prévoyance à souscrire a minima en tant qu'interne ? Combien cela coûte-t-il ?
Océane Renault.
- Il n’y a pas de réponse standardisée car le contrat de prévoyance pour les internes s’adapte au niveau de vie à assurer et à leurs revenus. La situation est par exemple très différente entre un interne qui effectue beaucoup de gardes et un autre qui en réalise moins ou encore avec un interne avec une famille à charge vivant dans une ville avec loyer élevé et un célibataire ayant moins de charges.
La formule de prévoyance d’un contrat prévoyance commence à partir de 3€/mois en fonction des garanties souscrites.
3. Suite à un accident grave je suis en situation de handicap. Comment suis-je indemnisé ?
Océane Renault.
- Il y a ici deux contrats qui entrent en jeu :
- Le contrat La Médicale Plus qui, en plus de la RCP, prévoit un Capital en cas de reconversion/invalidité d’un montant de 10 000 € si vous êtes étudiant ou de 12 000 € (1) si vous êtes interne ou docteur junior. Il s’agit d’une somme fixe, versée en 1 fois.
- Le contrat La Médicale Hospi, qui permet de compenser la perte de revenu fixe liée à l’invalidité, en versant une rente d’invalidité professionnelle. Le taux d’invalidité est évalué par expertise médicale en tenant compte de votre spécialité d’interne ou de docteur junior. Vous pouvez également choisir de couvrir en complément vos gardes en cas d’invalidité, dans ce cas la rente versée tiendra compte du montant de gardes que vous avez souscrit.
(1) Voir condition en agence
Article paru dans la revue « Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes » / ISNI N° 30